1902 — 2003
Paris. Editions Nouvelles du Sud. 1995. 246 p.
C'est au cours de la mission que nous effectuions, en 1954, au Soudan Français (l'actuelle République du Mali) en même temps que Marcel Griaule et ses proches collaborateurs — dont nous-même — que nous avons appris l'existence du Kama blon et des cérémonies septennales qui allaient se dérouler sous peu dans ce « sanctuaire bien singulier du Manden ». Nous en informâmes aussitôt Marcel Griaule et Germaine Dieterlen qui résidaient alors à Sanga, ainsi que Dominique Zahan en compagnie de qui nous nous trouvions à Ségou. Et c'est dans cette localité et sa région que nous recueillîmes, auprès d'un certain nombre de notables et de chefs de culte, les premières informations — que l'on lira dans « Témoignages sur le Kama blon » — sur ce sanctuaire, son origine, la signification des cérémonies qui s'y déroulent tous les sept ans.
Quoique de valeurs inégales, ces informations ne révèlent pas moins une certaine communauté de vue sur l'importance du Kama blon de Kangaba, de son vrai nom Kâba, pour les peuples considérés comme « sortis » du Manden. Et c'est pour cette raison et aussi à cause de la consistance des données recueillies que les membres de l'équipe de recherche, dirigée par Marcel Griaule, décidèrent de faire le déplacement à Kangaba afin d'y suivre le déroulement des cérémonies septennales et d'étudier celles-ci dans les moindres détails.
Cette équipe comprenait outre Marcel Griaule et nous-même, Germaine Dieterlen et Dominique Zahan ainsi que deux « informateurs » Bambara de grande valeur, Nyamablé Diarra et Tyabi Coulibaly dont nous saluons ici la mémoire.
Avant de nous rendre à Kangaba, les membres de l'équipe rendirent, à Bamako, une visite de courtoisie à Mamby Keita, chef de canton de Kâba, qui les reçut avec urbanité et enthousiasme entouré de ses proches, dont Dyamoussa Soumano, le chef des griots malinké de la capitale du Soudan Français. (Des informations très substantielles seront recueillies, après les cérémonies, et plus tard en 1982, auprès de ce griot hors pair. Quant au chef de canton, il nous conduira en personne auprès des griots de Kéla, « grands célébrants » des rites du Kama blon, afin qu'ils nous « disent la vraie parole du Manden », ce qui fut tout à son honneur).
Auparavant, nous avions, dans le souci de mieux comprendre ce qui allait se passer, poursuivi à Kâba même nos investigations auprès des plus hautes autorités morales et spirituelles de la localité, assistées de leurs griots et forgerons. Nous reprîmes, un mois après la célébration des cérémonies septennales (soit du 1er juin au 31 juillet 1954), nos recherches en nous rendant d'abord auprès des griots de Dèguèla, en compagnie d'un émissaire dûment mandaté par le chef de canton, Mamby Keita, et ensuite à Brazan ou Balansan et à Kéla. (Ces trois villages sont respectivement distants de 7, 22 et 6 km de Kangaba.)
Saluons ici les dignitaires malinké pour la chaleur de l'accueil qu'ils nous ont réservé lors de nos nombreuses séances de travail.
Et nous leur disons que seules des circonstances malencontreuses
ont empêché jusque-là la publication des données si précieuses qu'ils ont bien voulu nous fournir sur un culte qui honore le Manden ainsi que tous ceux qui ont oeuvré ou continuent à
oeuvrer à son maintien.
Fidèle à notre attachement au Mali, à ses peuples et à leurs cultures, nous nous rendîmes en 1975 et 1982 (soit vingt et un et vingt-huit ans après les cérémonies de 1954), à Kangaba pour célébrer le Manden à travers les rites du Kama blon ti. C'est alors que Dyamoussa Soumano, ce chef des griots de Bamako qui nous avait fourni tant d'informations en 1954, consentit à venir travailler avec nous, en France. Il se rendit alors en août 1982 à Grasse où nous l'avons accueilli dans notre propriété, « Le Domaine des Aspres ». Il était âgé de plus de cent ans, « ayant vu », selon ses propres mots, les Français arriver pour la première fois à Bamako, sur le dos de leurs mulets ». (Notons pour mémoire que cet événement eut lieu le 1er février 1883.)
Mais sans l'amitié et la collaboration de Youssouf Tata Cissé — dont on connaît l'attachement au Manden et les travaux sur ce pays — cet ouvrage n'aurait pas vu le jour de si tôt. Il apporta à son élaboration de nombreux documents inédits tirés des ouvrages qu'il prépare sur « Les fondements des civilisations mandingues » ainsi que sur « Les royautés sacrées du centre du Mali ».
Ainsi donc, après les trois articles — deux de Germaine Dieterlen et un de Claude Meillassoux, parus respectivement en 1955, 1959 et 1968 (cf. Bibliographie) — sur les cérémonies septennales de Kangaba, voici notre contribution à la connaisance du sanctuaire Kama blon de Kâba.
L'ordre dans lequel sont présentés les chapitres composant le présent ouvrage nous a été suggéré par Dyamoussa Soumano. Il correspond, à peu de chose près d'ailleurs, à l'ordre dans lequel les informations nous ont été communiquées. Il s'agit là, nous semble-t-il, d'une approche judicieuse de cet ensemble de mythes, de croyances et de cérémonies inextricablement liés, qui constitue somme toute la trame du culte du Kama blon.
En publiant aujourd'hui le présent ouvrage, nous ne faisons que nous acquitter d'une dette envers tous ceux qui nous ont aidée. D'abord :
« Le Kama blon et son culte sont éternels », avons-nous souvent entendu dire à Kâba ; cependant nombreux sont les Maliens à s'inquiéter, depuis quelques décennies, de la disparition rapide du savoir traditionnel.
Manden kuma bi kan ka tunu
« La parole du Manden est en train de disparaître », disent-ils.
Alors espérons que le présent ouvrage, qui n'est qu'un faible écho de la « Grande Parole du Manden », incitera enfin les patriarches et les « initiés » malinké à parer à l'irrémédiable en transmettant aux jeunes générations leur savoir, pour la gloire de leurs ancêtres.
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