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Yves Person. Les ancêtres de Samori

Cahiers d'études africaines, 1963, Volume 4, Numéro 13. pp. 125-156


Almami Samori Toure, avec un chapelet et une bouilloire, en 1898 à Kayes à son départ pour l'exil au Gabon

Almami Samori Touré avec chapelet et bouilloire, Kayes, 1898

cahiers-etudes-africaines-no13-1963

Introduction

Samori s'insère dans l'important bouleversement politique et social qui a secoué au XIXe siècle les savanes préforestières, du Haut-Niger au Bandama. Il incarne si parfaitement ce mouvement, il lui a donné une telle ampleur que son nom a seul survécu, effaçant ceux de ses prédécesseurs et de ses émules. Or ceux-ci, dont l'action se limitait à une assiette territoriale assez modeste, étaient tous des nouveaux venus dans la région qu'ils bouleversèrent, des allogènes enkystés dans un milieu irréductiblement différent : c'est le cas de :

  • Sérè-Brèma Sisé qui avait quitté Bakongo, près de Kankan, et venait de passer une jeunesse studieuse au Masina
  • Vakaba Tourè, dont le père, il est vrai, s'était fixé à Samatigila, mais se tenait soigneusement à l'écart du milieu animiste et plus nettement encore, de Mori Soulèmani
  • Savané, en pays kissi, et de Fode Dramé dans le Sãkarã , qui étaient arrivés dans le pays quelques années à peine avant de lancer leurs mouvements
  • Mori Tourè, sur le Bandama, qui était si peu enraciné qu'il parla toujours dyoula avec un accent jerma

Il n'est donc pas sans intérêt d'examiner si le grand homme de cette « révolution dyoula », celui qui a éclipsé complètement les figures secondaires, se rattache à la même catégorie qu'elles.

Les auteurs qui se sont occupés de la question ne nous permettent pas de nous faire une opinion et les documents inédits que nous trouvons dans les archives ne sont guère plus utiles. Un rapport anglais ne qualifie-t-il pas notre homme de « razzieur arabe » 1 ? Peroz le dit fils « d'un Dyulah très besogneux nommé Lakhafia Tourè, marié à une Camara », et né à Sanankoro 2. Selon Binger, il est né à Bisandougou « d'un Mandé-dioula et d'une Malinké, pauvres gens vivant du commerce peu lucratif du kola » 3. Pour Delafosse, il est « né de parents obscurs à Sanankoro » — son père était « un Manding du Ouassoulou et sa mère une Manding du Konyan » 4. Enfin Dominique Traoré en fait un Sarakolé, colporteur et fils de colporteurs 5.
Tout cela est bien confus. La terminologie capricieuse des auteurs qui se sont occupés du monde mandé-dyoula est aggravée ici par la faiblesse misérable des sources orales dont ils disposaient. Il convient d'abord de se mettre d'accord sur le sens des mots, en se référant à l'usage qu'en font les gens du pays. Éliminons la forme artificielle « manding » : nous emploierons Malinké (ou mieux Maninka) pour désigner les gens de l'ensemble dialectal situé à l'ouest du Bambara, du Haut-Sénégal à la lisière de la forêt, en passant par le Haut-Niger. Le Wasoulou et le Konyan en sont des faciès parfaitement localisés.
« Dyoula » étant un terme professionnel, nous dirons Maninka-Mori pour désigner les Malinké particulièrement influencés par l'Islam et la pratique du commerce. Quant à Sarakolé c'est un nom ethnique qui doit être réservé aux populations parlant effectivement la langue soninké dans le pays de Nioro (Mali) et sur le Haut-Sénégal.
Ceci posé, des traditions orales riches et susceptibles de se recouper mutuellement vont nous permettre de situer notre personnage avec précision.
Avant d'examiner quelle était sa position dans le Konyan animiste qui sera sa base de départ, il convient de passer en revue ce qu'on peut savoir du clan Tourè dont il portait le nom et comment s'y rattache sa lignée.

I. — Origine et diffusion du dyamu Tourè

Les Tourè 6 sont généralement considérés sur le Haut-Niger comme des Maninka-Mori. Ils forment un clan d'importance moyenne caractérisé par une extrême dispersion en d'innombrables petites lignées dans la vaste zone qui s'étend du Bas-Sénégal au Moyen-Niger et du Sahel à la forêt. Çà et là, on trouve des Tourè agglutinés en gros noyaux, mais ces exceptions sont dues à des faits récents, comme les bouleversements politiques qu'ils ont suscités dans la région d'Odienné (Côte d'Ivoire) .

La dispersion reste la règle. Elle n'est pas surprenante si l'on considère le caractère essentiellement « dyoula », c'est-à-dire commerçant et maraboutique des Tourè.
Jusqu'au XIXe siècle ils semblent n'avoir joué aucun rôle politique important. On écrit souvent, il est vrai, que Tourè était le dyamu de la dynastie des Askia de Gao, mais il s'agit là d'une interprétation erronée de Delafosse que tout le monde recopie depuis lors 7.
En sens contraire, nous verrons plus loin qu'il y a des Tourè castés.

Répartition des Tourè

Avant de rechercher quelle peut être l'origine de ce dyamu, il paraît nécessaire de préciser sa répartition géographique actuelle. En partant de l'ouest, nous constatons que Tourè est un nom assez fréquent chez les Toucouleur où il est porté par des familles essentiellement maraboutiques 8.
Il est plus répandu encore chez les Sarakolé, mais inégalement : très fréquent chez ceux du Haut-Sénégal (Bakel - Guidimaka - Kayes), il l'est bien moins dans le Sahel. Presque inconnu chez les gens de Nioro, il ne reparaît que dans la région de Nara (Bakounou, Wagadou, Mourdya) 9.

La plus forte densité de Tourè se trouve sur le Moyen-Niger, entre Tombouctou et Bamako, chez les Marka, qui sont des Soninké entièrement assimilés aux Malinké-Bambara 10. Ils sont nombreux dans les villes historiques de Dya et de Djenné 11. En partant de cet axe fluvial, favorable à des commerçants, les Tourè ont essaimé irrégulièrement vers le sud, au long des routes de la pénétration des Mandé vers la forêt et la mer. Ils sont installés sporadiquement en pays bambara, vers Bougomi et en gros noyaux dans les vieux centres dyoula de Bobo-Dioulasso, Bondoukou, Kong et Boron. De nombreux clans animistes, comme les Fondyo 12, tendent à s'assimiler à eux par suite d'alliances locales. Si leur concentration autour d'Odienné est récente, ils ont participé à la formation du vieux centre musulman de Kankan, d'où ils ont essaimé sur deux axes : vers la mer chez les Dialonké et les Sousou, vers les pays de la kola, dans le Kouranko et notre Konyan 13.

Nous avons commencé notre périple en pays toucouleur, hors du domaine mandé. Pour être complet, il faudrait également en déborder vers le sud car on trouve des Tourè chez les Kissi, les Senoufo, les Dagomba et aussi vers l'est en pays bariba ainsi que chez les Songhai et les Jerma 14. Dans ces régions périphériques, ils sont cependant peu nombreux, descendant souvent de familles immigrées qui ont fini par s'assimiler à leur nouveau milieu. Ce cas n'est cependant pas général : nous avons en effet souvent affaire à des autochtones qui ont adopté Tourè comme équivalent de leur dyamu national, poussés par le désir de compenser un sentiment d'infériorité ethnique. Ce procédé est courant dans tous les pays du Soudan occidental 15.

Les Tourè et le Ghana

Cette répartition périphérique moulée à la fois sur le Haut-Sénégal et le Haut-Niger pousserait un diffusionniste classique à situer l'origgine du nom dans la région médiane, le pays soninké du Sahel, bien qu'il y soit relativement rare. En fait, c'est bien le cas : comme la plupart des dyamu typiquement dyoula, Tourè est d'origine soninké. Dans cette langue, le mot signifie « éléphant ».
L'éléphant est effectivement l'interdit (tana) des Tourè dans certaines régions, plus rarement il est vrai que le python. Ce dernier domine sur tout le haut fleuve et jusqu'au Konyan 16.

Dans la légende du Wagadou, les Tourè forment l'un des clans authentiquement soninké, descendant de l'ancêtre mythique Dinga 17. De sa dernière épouse, Singo-Gillé-Buné- Kibo, Dinga aurait eu cinq fils, qui seraient les ancêtres d'une partie des Douaich et des Masna (Soninké Azèr de Mauritanie), ainsi que du clan Koumma. L'un d'eux, Mamadi ou Mandyà Tourè est le père du dernier mãga du Wagadou, Tourè Khankhédyaba 18. Ce Mandyã est considéré comme l'ancêtre de tous les Tourè, y compris les gens de caste comme les Dyongo (cordonniers) et les Dyarèsi (forgerons). Après la chute du Ghana, les deux fils de Khankhédyaba se seraient séparés. Dindin Ali, partant vers l'ouest, serait à l'origine des Tourè du Bondou et du pays toucouleur, Silmanganda, marchant à l'est, formerait la souche des Tourè du Mandé, y compris notre Samori.

Ces légendes sont conformes à ce que nous pouvons reconstituer par ailleurs elu passé. Si peu que nous sachions de l'histoire du Ghana 19, il est certain que cet État soninké 20 est né du commerce transsaharien, particulièrement du commerce de l'or. Les prédominances des dyamu d'origine soninké parmi les Dyoula est un indice. Il montre leur rôle essentiel dans l'organisation du commerce à longue distance au sein d'un monde structuré jusque-là en collectivités locales fermées, telles qu'on les trouve jusqu'en ce siècle chez les derniers paléonigritiques. Durant la puissance du Ghana, puis après sa chute, le réseau ducommerce organisé gagne peu à peu le sud et l'est. Le vieux mot de wangara est encore employé par les Haoussa pour désigner le monde mandé. Il est normal que les agents de cette révolution se soient orientés, à partir de leur patrie d'origine, le long des routes de l'or : vers le Haut-Sénégal , en direction du Bambouk, vers le Haut-Niger, en direction du Bourè. Ce sont précisément les zones de répartition des Tourè.

Tourè et Marka

Pour ceux du Niger, qui seuls nous retiendront, il est vraisemblable qu'ils atteignaient le fleuve sur un large front bien avant la chute de l'Empire (XIe siècle) 21.
Selon Monteil, des nobles (Wago) résidaient dans la région du lac Débo tandis que divers clans, comme les Koummo et les Sako se fixaient en amont, près de Ségou, autour du vieux centre de Sama 22 que Sansanding devait relayer beaucoup plus tard.
Mais c'est au centre, à la limite sud du Masina inondable, qu'ils se concentrèrent, créant les vieux centres de Nono et de Dya, d'où devait sortir ultérieurement Djenné.

Note — L'existence de l'antique Djenné-Jeno remonte à 10.000 avant l'ère chrétienne. Consulter les travaux de Susan Keech McIntosh; Roderick J McIntosh. — Tierno S. Bah

Cette région n'était sans doute peuplée que de Bozo, et plus au sud, de Bwa (Bobo-Oulé) . Elle se révéla un carrefour privilégié où confluaient les vieilles routes du Sahel, celle de Ghana, et celle de Tombouctou prolongée par la navigat ion fiuviale 23.
Ce caractère de noeud de communications allait être renforcé à partir du XIVe siècle par l'ouverture de la bonde du Niger, en direction du Mossi et des nouveaux pays de l'or dans le bassin de la Volta.
C'est ainsi que divers clans soninké, parmi lesquels les Mana, les Sisé et nos Tourè, dont le Dyabi e seraient ultérieurement séparés, formèrent le noyau des Nono. Ceux-ci, en symbiose avec les pêcheurs bozo, constituent jusqu'à présent le fond du peuplement dans le Masina-Sud. Il est arbitraire de les distinguer des Marka 24. Ce terme, utilisé par les Bambara et, avec quelques variantes (Maraba, Marba) par les peuples non mandé de la boucle du Niger pour désigner les Soninké en général, a pris des sens très variés. Tantôt il finit par recouvrir l'ensemble des élément commerçants d'origine septentrionale, y compris les Haoussa et même par s'appliquer exclusivement à ces derniers (moyenne Côte d'Ivoire, république du Ghana), tantôt il est restreint à notre région du Sud-Masina et à ses colonies proches, comme les Dafiŋ de Haute-Volta.
En fait, le seul critère permettant de distinguer les Marka est qu'ils seraient plus urbanisés et plus mobiles, donc plus islamisés que les Nono. Ils se caractérisent par un nombre exceptionnel de dyamu, ce qui dénote leur origine composite. Ils proviennent d'innombrables lignées de toute origine que leurs activités commerciales ont rassemblées dans ce vieux carrefour du Sud-Masina 25.
Leurs centres principaux sont bien entendu Dya, qui paraît antérieur au XIe siècle, et Djenné qui ne semble cristallisé qu'au XIVe siècle, lors de l'ouverture des routes de la boucle du Niger 26. Mais, bien entendu, les Marka ou Nono ont essaimé tout au long du fleuve, de Tombouctou au Mandé. On le trouve notamment dans la région des lacs, autour de Nyafounké (Nounou, Soumpi) 27 et à l'est du lac Débo, dans le Korombana dont le chef-lieu Korientzé est un vieux centre marka. Sur la rive même du lac, le village de Dyindyo (administr. Guindio) à 8 km au nord-ouest de Gourao compte parmi ses Marka des Tourè dont sortirent les ancêtres de Samori 28.

En se livrant ainsi à leur mission de diffuseurs du commerce nos Soninké-Marka se sont profondément modifiés. Tout d'abord, ils ont perdu l'usage de leur langue au profit d'un dialecte du malinké-bambara qui allait, après divers avatars, donner naissance au dafiu de Haute-Volta et au dyoula de la boucle du Niger 29. Cette révolution linguistique s'est certainement opérée aux XIIe et XIIIe siècles à la faveur de l'hégémonie militaire des Malinké, qui coïncidait avec la régression des vieilles routes du Sahel vers Ghana au profit de celle de Tombouctou et entraînait en conséquence, la prédominance absolue de l'axe fluvial 30.
En tout cas quand les Dyoula 31, dont notre Sud-Masina a fourni la plus grande part, ont quitté, depuis le XIVe siècle, les rives familières de leur fleuve pour s'enfoncer vers la forêt, ils ne parlaient plus soninké.

Islam et Commerce

Par ailleurs, ils étaient devenus musulmans. La tradition fixe aux environs de 1300 32 la conversion du chef de Djenné, mais le processus liant étroitement Islam et commerce est certainement plus ancien. La religion dont le prophète fut un caravanier de la tribu de Quraysh s'entoure aisément d'une ambiance de négoce citadin. La vie commerciale des Soninké de Ghana s'étant formée au contact du trafic transsaharien, il est certain que les négociants autochtones se sont islamisés bien avant la classe politique. Ils durent ressentir dès l'origine l'incompatibilité des religions ancestrales, liées à un terroir restreint, avec une vie faite de déplacements. Le processus qui pousse de nos jours à l'islamisation générale des masses arrachées à leur enracinement millénaire, a certainement joué dès l'origine dans le cadre restreint des milieux commerçants. S'il n'est pas possible d'en dater les étapes, cette révolution paraît achevée dès le XVIe siècle et c'est par des commerçant « wangara», c'est-à-dire des Dyoula, que l'Islam fera sa première apparition en pay haoussa, vers l'an 1350 33.
C'est, bien entendu, avec cc confrère islamisés que s'alliaient les caravaniers berbères et les commerçants maghrébins, s'ils se fixaient dans le pays. Ces apports de sang septentrional paraissent avoir été très faibles mais constants, particulièrement au long de la frange sahélienne et sur l'axe commercial du fleuve. Racialement, ces éléments blancs ont été entièrement absorbés, comme le montre l'exemple historique des Arma 34. Par contre, ils rendent compte des traditions d'origine orientale que l'on rencontre si fréquemment chez les Marka et les Dyoula. Elles ne doivent évidemment pas être prises au pied de la lettre, mais on ne peut les rejeter purement et simplement.
Une fois l'Islam solidement implanté, la fonction maraboutique tend très vite à se éparer de la fonction commerciale et aux commerçants d'origine septentrionale se joint un flot croissant de saints personnages et des chérifs peu authentiques qui se fondent également dans la masse africaine et, le snobisme jouant, multiplient les traditions orientalisantes 35.
Il paraît acquis que les Tourè ont été l'un des éléments soninké les plus précocement et les plus profondément islamisés. Avec leurs parents, les Dyabi, ils ont fait de Dya , bien avant Djenné, l'un des centres de rayonnement islamique les plus actifs du pays noir.

Influences maghrébines

Ce caractère maraboutique des Tourè explique la fréquence dans ce clan de traditions d'origine blanche, qui paraissent contredire notre exposé de ses origines soninké.
La plus ancienne mention écrite du nom Tourè vient d'Ibn Battuta qui, passant en 1353 à Dya, nous signale la présence de commerçants wangara (mandé) à côté de musulmans blancs du rite ibadite qu'on appelait Saganogo et d'orthodoxes malekites appelés Touri 36. Le fait que ces gens aient adopté des dyamu africains me pousse à suivre l'interprétation de Marty qui en fait non des Maghrebins, mais des descendants de commerçants blancs établis et mariés dans le pays 37.
Chez les Haoussa, qui marqueront la limite orientale de notre enquête, ture n'est plus un dyamu, mais un mot bature (pl. : turawa) qui sert à désigner toutes les personnes de race blanche, aussi bien les Arabes que les Anglais 38.

Note — Les Arabes et les Juifs sont des Sémites. Les Anglais sont des Caucasiens. S'agit-il là de races blanches ? — Tierno S. Bah

Comme ce mot n'est pas explicable par une racine haoussa, Barth, qui le dit introduit récemment, voulait le rattacher au mot peul tura : prier. En fait, le verbe peul turade ne signifie pas exactement « prier », mais « se pencher en avant » 39. Je pense que ce mot ne vient pas du peul, mais de notre dyamu soninké et, si son introduction est récente, qu'elle a eu lieu à un moment où, sur le Haut-Niger, le nom de Turè était souvent porté par des familles ayant un peu de sang blanc 40.
Effectivement, Rouch nous confirme qu'en pays songhai, le dyamu Tourè, d'ailleurs peu répandu, est porté par les « musulmans ou les descendants des Arma » 41. Il ne paraît pas douteux que de 1591 à 1670, tant que le pachalik marocain de Tombouctou conserva quelques liens avec le Maroc des Saadiens, un afflux exceptionnel de Maghrébins s'est produit, particulièrement sur l'axe fluvial et en amont jusqu'à Djenné. En dehors de l'élément militaire et administratif, nous savons que cette immigration incluait de nombreux personnages religieux du Sud Marocain, dont certains se prétendaient chérifs. Une partie des familles descendant de ces immigrants et de femmes du pays semble avoir adopté le dyamu de Tourè 42. En dehors des Arma de la région de Tombouctou nous les trouvons tout au long du fleuve vers l'amont et, bien que la région n'ait pas été étudiée systématiquement, il est possible de suivre l'histoire de quelques familles.
C'est ainsi qu'à Djenné, deux familles Tourè, qui fournissent les chefs des quartiers Sankore et Farmentalla, descendraient d'Arma venus en garnison à l'époque du pachalik 43.
Plus au sud, à Bamako, les premiers rapports français qualifient de « Maures » les puissantes familles Tourè de la ville. Il est peu discutable que ces deux familles, qui se qualifiaient respectivement de Twati et de Darawe, ont eu des ancêtres venus du Sud du Maroc, sans doute au XVIe siècle. Toujours est-il qu'elles étaient déjà implantées depuis longtemps à Djenné quand, vers la fin du XVIIIe siècle, elles allèrent se joindre aux Nyarè de Bakoma, et contribuèrent à faire de cette ville un centre commercial importan 44.
Pour conclure, il faut garder à l'esprit qu'un « clan » mandé comprend une infinité de lignées locales qui n'ont en commun qu'un nom (dyamu), pas toujours un interdit (tana). Elles ne sont pas forcément apparentées, d'autant plus que certaines sont castées et d'autres non 45. Tout se réduit finalement à un vague sentiment de solidarité, qui est d'ailleurs fort utile pour des commerçants appelés à circuler sans cesse et ayant besoin un peu partout de garants 46. Le dyamu ne se transfère pas uniquement par hérédité : les captifs adoptent volontiers celui de leur maître ct les étrangers isolés celui de leur hôte a fin de marquer leur volonté d'enracinement. Nous avons vu que la légende soninké classe avec les Tourè, comme enfants de la même mère, les Masna ou Soninké-Azèr de l'Awkar 47 et une partie des Dwaich. Bien que ceux-ci soient sans aucun doute des Soninké assimilés par les Maures à partir du XIIe siècle, on peut en déduire que les Tourè sont depuis longtemps considérés comme étant en rapports particulièrement étroits avec les éléments de race blanche, donc avec le commerce et l'Islam. Or il est notoirement impossible de s'intégrer à la société mandé sans adopter un dyamu, qui est à proprement parler un « nom honorable », avec tout le complexe socio-religieux qu'il implique (tana, senanku, etc.). Contraints de choisir un nom, les enfants métis de ces Maghrébins ont dû souvent donner la préférence à Tourè et, le snobisme jouant, les authentiques Tourè se sont certainement empressés de prendre à leur compte la tradition d'origine orientale. Bien entendu, il est impossible de distinguer les cas où cette tradition peut comporter un noyau de vérité 48.

II. — Du Moyen au Haut-Niger

Dyoula et Soõgyi

Les ancêtres paternels de Samori s'insèrent dans le courant dyoula qui, partant du foyer marka du Masina, a remonté le fleuve et ses affluents jusqu'aux franges de la forêt et, finalement, débouché au XVIIIe siècle sur la mer, entre le Rio Pongo et la Sierra Leone. En quittant le Masina pour les pays mystérieux du Sud, les Marka se font Dyoula. L'origine de ce nom n'est pas connue et l'étymologie qu'en propose Delafosse n'est guère satisfaisante 49. Il suffira de souligner qu'il n'est pas ressenti comme un nom propre mais comme un nom commun.

Dyula-ke-baya et dyugo-ke-baya sont indifféremment employés dans le sens de commerçant et il n'est pas prouvé, comme le voudrait Delafosse, qu'il s'agisse de la dérivation d'un nom ethnique. Il semble au contraire que le sens ethnique soit récent et secondaire. Les Dyoula ne sont, en effet, considérés comme un peuple que dans les régions de la boucle du Niger situées en gros à l'est de la Bagoé et du Bandama, où ils ont développé un dialecte mandé particulier, dont le type est le parler de Kong. Dans cette région, les Dyoula forment des noyaux enkystés au sein du monde voltaïque. Ils opposent au milieu ambiant le complexe culturel mandé qu'ils ont développé, axé sur le commerce et l'Islam 50.
A l'ouest, au contraire, l'Islam et le commerce restent liés, mais le nom « dyoula » n'a aucune signification ethnique et semble n'en avoir jamais eu. C'est un simple nom de métier. Les commerçants musulmans sont un groupe professionnel parmi d'autres, au sein d'un peuplement animiste, mais mandé, dont aucune frontière culturelle ne les isole.
Les dyoula, au même titre que les forgerons ou les tisserands, ont accompagné les Soõgy 51, guerriers mandé animistes, lors du vaste mouvement vers le sud qui accompagna, du XVIe au XVIIIe siècle, la dislocation de l'Empire du Mali 52.

Les Tourè sur le Moyen-Niger

La migration des Tourè en amont du Niger nous permet de suivre ce mouvement et, dans une certaine mesure, d'en connaître les buts. Les traditions orales que j'ai pu recueillir à Siguiri, Kankan, Kissidougou, Beyla et Odienné se recoupent de façon satisfaisante. Elles permettent de raccorder les généalogies de Samori et des Tourè du Kabasarana (Odienné). Les six dernières générations avant Samori et Vakaba sont présentées avec assez de précision et de concordance pour qu'on puisse les considérer comme historiques. Ceci nous reporte à la fin du XVIIe siècle. Au-delà, nous entrons vraisemblablement dans le mythe, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a rien à en tirer, en dépit des divergences et des contradictions.
Le premier ancêtre, Magandyou, se situerait à la fin du xve siècle, si l'on compte trente ans par génération. On nous dit qu'il est venu du Yémen et ses enfants s'installèrent successivement, à Tombouctou, à Djenné puis à Sidikila, selon une version, à Guindio, ou Gourao, à Dya, ou Djenné, puis à Sidikila selon les autres. En fait, il n'y a pas de contradiction. Dya et Djenné sont les villes jumelles du Sud-Masina, elles comptent toutes deux de nombreux Tourè, elles sont socialement et intellectuellement en symbiose. Si l'on part de la région des lacs pour gagner le haut fleuve on doit faire étape à Dya ou Djenné. Guindio est notoirement le lieu d'origine des familles de Samori et de Vakaba. j'ai dit qu'on y trouve encore des Tourè.
Quant à l'origine yéménite, elle pourrait évidemment rendre compte d'un ancêtre maghrébin venu par Tombouctou. J'en doute cependant. Car la généalogie reconstituée, qui ne paraît pas entièrement fictive, nous fait remonter au XVe siècle, c'est-à-dire plus de cent ans avant la création du pachalik de Tombouctou et l'établissement d'un nombre relativement élevé de Blancs sur le Niger. Je pense que la mention de Tombouctou désigne toute la région, y compris le pays des lacs.
Ce serait simplement la substitution du nom d'une ville illustre à l'obscur village de Guindio. D'ailleurs Magandyou et ses enfants portent des noms purement mandé. On peut se demander si Magandyou n'est pas simplement une déformation de Mandyà, l'ancêtre mythique des Tourè du Wagadou 53.
Il reste acquis qu'une lignée Tourè, sans cloute de pure origine soninké, a vécu longtemps sur la rive est du lac Debo, qui marque l'étape médiane de la route Tombouctou-Djenné. Vers la fin du XVIe siècle, elle entreprit de remonter le fleuve et, après une étape à Djenné, vint fonder Sidikila en pays mandé.

Sidiki Tourè et l'orpaillage

Sidikila, qui comptait, en 1958, 1 287 habitants est un gros village situé sur la rive gauche du Sankarani, à la frontière des républiques du Mali et de Guinée, dans l'ancien canton de Dyoumawanya. Son fondateur éponyme, Sidiki Tourè, paraît être le premier personnage historique de la généalogie. A trente ans par génération, on peut fixer sa naissance vers 1590 et supposer qu'il a fondé son village dans la première moitié du XVIIe siècle. Sidikila est à une quinzaine de kilomètres de Niani où l'on situe par hypothèse l'antique capitale du Mali. Cependant, lors de l'arrivée des Tourè, la région, ravagée par les invasions peul du XVIe siècle, aurait été fort peu peuplée. Elle était en cours de colonisation par des lignées Keita, dont le chef Masagbèrè avait fondé Kamaro vers le début du siècle. Marabouts et commerçants, les Tourè ne pouvaient exercer de commandement politique. Une lignée Keita dirigée par Nandubané, fils de Masagbèrè, vint les rejoindre pour exercer cette fonction 54.
Sidiki semble avoir été un personnage considérable. Son souvenir reste vivant non seulement parmi ses descendants, mais dans tout le Mandé jusqu'aux portes de Bamako. On peut se demander ce qui fit la fortune de ce Dyoula dans un pays à moitié désert et ruiné. La tradition nous dit qu'il faisait extraire de l'or. La zone frontière Guinée-malienne, au nord du Niger, vers Kourèmalé, comme entre Niger et Sankarani, est en effet une zone d'orpaillage traditionnel à peine moins importante que le Bourè 55. En 1957, les placers en activité les plus proches se trouvaient vers Koniakokoun à une trentaine de kilomètres au nord de Sidikila. La tradition de Kèla attribue à Sidiki des activités plus lointaines.

Note — A propos de la tradition de Kèla on peut consulter : (a) l'interview de Djibril Tamsir Niane sur Soundiata Keita (b) Le sanctuaire Kama blon de Kangaba. Histoire, mythes, peintures pariétales et cérémonies septennales, l'ouvrage original et profond de Solange de Ganay. Solange fut une condisciple de Germaine Dieterlen à l'école de Marcel Griaule, qui inspira une recherche innovatrice et produisit des ouvrages clés sur la spiritualité, la religion et l'art sacré en Afrique de l'Ouest (Dogon, Fulɓe, Mande, etc.). André Schaeffner, Michel Leiris, etc. firent partie du cercle de Griaule.
Et Germaine Dieterlen forma à son tour le professeur Djibril Tamsir Niane. Elle est surtout l'auteur de l'important Essai sur la religion Bambara. La parution de cet ouvrage précéda de six ans celle du cryptique chef-d'oeuvre Koumen, texte intiatique des pasteurs Peuls, rédigé en collaboration avec Amadou Hampâté Bâ, disciple du sufi de Bandiagara, Tierno Bokar Salif Taal, lui-même affilié au wird tijaniyya de Cheikh Hamahoullah. Paradoxe intéressant de l'itinéraire de Hampâté Bâ, mais aussi preuve de sa curiosité et de son ouverture d'esprit : il fut initié par un allié de sa famille adoptive et maître de la religion mandé du komo. — Tierno S. Bah

C'est ainsi qu'avec l'accord des Keïta il aurait ouvert l'orpaillage de Kofoulaté, sur la rive nord, à une quarantaine de kilomètres à l'ouest de Kaaba (Kangaba) 56.
Si nous admettons cette orientation de Sidiki vers l'orpaillage il est logique que ce commerçant du Masina soit parti aux sources de l'or pour organiser la production, compromise par les invasions du XVIe siècle.

Les deux lignées les plus illustres des Tourè, celle de Vakaba d'Odienné et celle de Samori prétendent descendre directement de Sidiki par des généalogies qui semblent précises et dignes de confiance 57.
Il est évident qu'un homme riche et puissant comme Sidiki dirigeait une énorme famille et que ses satellites ne devaient pas hésiter à adopter son dyamu. Nous ne pouvons donc pas avoir la certitude d'une filiation génétique de Sidiki à Samori ou Vakaba 58. Du moins la filiation sociologique, qui seule nous intéresse, n'est-elle pas douteuse.

Les Tourè sur le Haut-Niger

Abandonnant la lignée de Vakaba, qui restera enracinée à Sidikila jusqu'au milieu du XVIIIe siècle 59, nous allons suivre le destin des Tourè sur le Haut-Niger.
Si l'on se fie aux généalogies, c'est dans la seconde moitié du XVIIe siècle que diverses lignées Tourè rejoignirent les Kaba, fondateurs de Kankan, dans cette ville ainsi que dans divers villages du Baté.
Une partie d'entre elles disent être venues directement de Djenné, les autres de Sidikila. Elles prirent l'habitude de se désigner sous le nom de Sitourou, considéré comme équivalent de Tourè 60.
La diffusion de ce clan est donc liée au développement de Kankan, la métropole des Maninka-Mori 61. Ce développement paraît lié à un mouvement massif du peuplement malinké vers le sud, consécutif aux désastres des XVe et XVIe siècles et qui s'oriente selon deux lignes de force. D'abord la recherche des franges forestières productrices de kola et accessoirement l'orpaillage du pays toma. Ensuite, surtout à partir des XVIIe et XVIIIe siècles, l'ouverture des routes vers les comptoirs européens de la Côte qui renverse le courant millénaire du commerce transsaharien.

Kankan est à la charnière de ces deux orientations. La seconde prend toute sa force dans le cours du XVIIIe siècle quand l'Islam triomphe au Fouta-Djallon 62. Parmi les Maninka-Mori qui fréquentent dès lors les rivières du sud, du Rio Pongo à la Sierra Leone, on trouve de nombreux Tourè du Baté. Certains se fixent parmi les Sousou et en adoptent la langue. En revanche ils amorcent l'islamisation du pays, particulièrement sur la Mellacorée (cercle de Forecaria, république de Guinée).

Au début du XIXe siècle Bouari Fodé Tourè se sentira assez fort pour lancer une petite guerre sainte, prendre le pouvoir et inaugurer la lignée des Almami du Morea 63.

Vers la forêt, on trouve les Maninka Mari dans deux régions : en pays kouranko, où ils s'occupent des marchés de kola du Kissi ; et dans le Konyan d'où ils vont négocier chez les Toma, les Guerzé et les Dan. Les Tourè semblent avoir préféré les routes de la Côte et ne tiennent par ici qu'une faible place 64. Dans le Nyoumamandou ils occupent une partie du village de Lèro. Dans le Konyan du nord quelques lignées de Tourè sont dispersées au sein des villages Kamara animistes auxquels il sont intimement mélangés. C'est de ce milieu que sortira Samori.

Les Tourè dans le Konyan

Ces Tourè du Nyoumamandou et du Konyan disent tous venir de Binko. Ce petit village de 173 habitants s'élève, à l'ouest de Kankan, sur un territoire qui n'appartient pas aux Kaba du Baté mais aux Kondé du Sãkarã Gbèrèdougou. Sociologiquement, c'est cependant un satellite de la vieille cité musulmane, au carrefour de la route qui descend à la mer par Farana et Falaba et de celle du pays kissi.
Binko 65, jusqu'à ce jour, est peuplé presque exclusivement de Tourè. Il est vrai que ceux-ci sont répartis entre plusieurs lignées et que celle du fondateur ne vient pas de Sidikila. Le village serait en effet très ancien, antérieur à la fondation de Kankan. Il remonterait donc au moins au XVIe siècle. Selon la tradition des Kondé, Faramani, après avoir fondé le Sãkarã, partit vers l'est pour visiter son frère Mansa-Brèma, ancêtre des Koné du Konyan. En arrivant à l'emplacement actuel de Binko, il rencontra le grand marabout Kyèni Tourè qui venait directement de Djenné. Ils firent alliance, les Tourè devenant les musulmans des Kondé 66.

C'est dans le courant du XVIIe siècle, si l'on se fie aux généalogies, qu'Amadou, « fils » de Sidiki, quitta la vallée du Sankarani et vint se joindre aux vieux Tourè de Binko. C'est de lui que se réclament les ancêtres de Samori. En comptant toujours trente ans par génération, ses enfants Binko-Mori et Oumori-Ba y seraient nés vers 1650.
Nous nous trouvons dès lors en terrain plus solide. Les derniers ancêtres de Samori se présentent avec des traits concrets permettant de les individualiser. C'est que la tradition les suit dans un terroir restreint où ils sont stabilisés : Fabou, fils de Binko-Mori s'est enraciné dans le Konyan.

Présentation du Konyan

En quittant Binko ou Kankan pour les pays producteurs de kola il faut marcher au sud le long des affluents du Niger jusqu'aux franges de la grande forêt. On traverse un vaste plateau faiblement ondulé dont la savane arborée est coupée de galeries forestières de plus en plus fréquentes. Puis on atteint la dorsale guinéenne, montagneuse et boisée, d'où descendent les fleuves du versant atlantique. Les cours d'eau, qui attirent l'homme plus au nord, coulent désormais dans la solitude car la mouche tsé-tsé règne souverainement sur leurs rives. Vers le sud-est, cependant, cette belle régularité est rompue par les quartzites et les dolérites abruptes qui font du Konyan un véritable château d'eau. Ses hauts plateaux herbeux au climat frais, favorables à l'élevage, et l'abondance d'un minerai de fer très riche en font une région privilégiée.

Repartition des Toure et leurs migrations
Yves Person. Carte du Konyan - webMande

Parmi les Soõgyi qui ont occupé cette vaste zone quand faiblissait la puissance du Mali, une première vague, comprenant les Koné et les Konaté, s'est stabilisée assez vite entre le Niger et le Dyon. Une deuxième vague, où dominent les Kamara, peut être datée avec une certaine précision des XVIe et XVIIe siècles, grâce à des recoupements européens 67. Elle s'est d'abord orientée vers le Maou dans l'actuelle Côte d'Ivoire, puis a reflué vers l'ouest, refoulant çà et là les Koné, et a fait du Konyan sa terre d'élection. Parmi leurs nombreuses lignées, les Fandyarasi se centrèrent sur le haut Dyon tandis que les Feŋsemenesi, après avoir occupé la vallée du Milo, s'orientèrent vers la mer et pénétrèrent profondément les Toma du versant atlantique, de la Makona jusqu'au Dyani (Saint-Paul). Les chefs du Konianko qui résidaient à Doumbadou depuis le xvrne siècle sont des Feŋsemenesi. Ils avaient ouvert, à un kilomètre de leur village, le grand marché de Lofèro 68, qui était au XIXe siècle l'un des principaux centres d'achat des kolas et aussi, il faut le dire, des esclaves.
Après de grands raids poussés jusqu'à la mer au XVIIe siècle, tout ce monde s'était stabilisé, et morcelé en petits dyamana, bien enracinés et bien clos. Leur animisme avait perdu beaucoup des vieilles structures soudaniennes, mais avait élaboré des formules originales, par emprunt à leurs nouveaux voisins, Senoufo, Toma ou Kissi. Les groupes musulmans qui avaient suivi la migration s'étaient cristallisés dans leurs fonctions maraboutiques et commerciales. Ils vivaient à part, concentrés en gros villages à l'orée de la zone kolatière, particulièrement dans le Konyan proprement dit, c'est-à-dire le haut plateau aux vastes horizons qui entoure Beyla et Mousadougou. Conformément aux « coutumes de Mousadougou »ils étaient les Silama (musulmans) des Kamara, qui leur devaient protection.

Stabilisation des ancêtres de Samori

C'est dans ce monde complexe et déjà figé que Fabou Tourè va se fixer dans les premières années du xvruc siècle. On nous dit qu'il avait quitté Binko en compagnie de son captif Kamã, chargé d'un ballot de manuscrits arabes 69. Il s'installa à la limite septentrionale du Konyan, dans le Blamana, sur le haut plateau qui s'étend entre les monts du Simandou et le cours supérieur du Dyon. Il épousa la petite-fille de Sirikiyo Kone, chef de Kofilakoro 70 et demeura chez son beau-père.

Deux de ses fil Makèsa et Yaba restèrent à Kofilakoro où leurs descendants vivent jusqu'à ce jour. Le troisième, Vafèrè, se fâcha avec sa famille à la suite d'une mésalliance et alla s'établir 20 km plus loin, dans le Bambadougou. Il se fixa chez le Kamara de Manyanbaladougou 71. Ses descendants vont s'enraciner en ce lieu pour plus d'un siècle, jusqu'à Samori dont Vafèrè est le trisaïeul.
Quatre générations dans le même village. Nous voilà loin de la mobilité dyoula. Les généalogies que nous possédons mettent aussitôt en relief un fait essentiel : nos Tourè se marient exclusivement parmi les animistes qui les ont reçus. Du moins, toutes les unions dont la tradition a conservé le souvenir sont de ce type. Fabou avait donné l'exemple en épousant la fille de Sirikiyo. Nous ignorons, il est vrai, qui épousa Vafèrè, mais rien ne nous permet de croire qu'il s'agissait d'une étrangère. Par la suite, toutes les alliances connues sont nouées avec des Kamara. Karfa 72 se marie assez loin de chez lui, avec Sa Kamara de Doumbadou 73 , issue d'un chef du Konyanko. Leur fils Samorigbè trouve beaucoup plus près : il épouse Dyanka, fille de Fadima-Kisya, chef de Lenko 74. L'enfant qu'elle met au monde entre 18800 et 1810, Lafiya Tourè, est fort bien connu 75. Les cinq femmes qu'il épousa provenaient de villages situés à moins de trente kilomètres de sa résidence. Parmi elles nous trouvons la fille d'un petit chef de village, Masorona Kamara de Fandougou, qui sera la mère de Samori 76.

Yves Person. Tableau des ascendances maternelles des Toure dans le Konyan - webMande

Yves Person. Genealogie particuliere de Samori et des Toure d'Odienne - webMande

Il faut donc nous rendre à l'évidence. Nos Tourè ne sont pas seulement stabilisés : ils sont génétiquement assimilés. Non loin de là, vers Odienné, et dans le Konyan proprement dit, autour de Beyla, nous voyons des lignées musulmanes évoluer différemment. C'est que les Tourè de Samatigila, comme les Dorè ou les Kourouma de Mousadougou, s'ils ont fait souche en terre animiste, n'ont pas essaimé à travers les villages autochtones : ils sont restés groupés en gros villages musulmans et, dans la grande majorité des cas, se sont mariés entre eux. Pour les ancêtres de Samori, individus isolés ou petites familles dispersées au sein de la masse animiste, leur petit nombre les empêche de s'enkyster. Ils ne pouvaient se faire accepter qu'en s'alliant à leurs voisins païens et ils jouèrent ce jeu. A chaque génération, le filet de « sang » maninka-mori va s'amenuisant et quand naît Samori on peut considérer que le processus est achevé. La structure génétique de notre héros provient des Kamara, accessoirement des Konaté et des Koné, beaucoup plus que des Tourè.

Comme on peut l'imaginer, l'assimilation au nouveau milieu a progressé du même pas sur les plans sociologique et spirituel. Fabou était vraisemblablement un ma rab out gu6risseur. Il est vraisemblable aussi que la connaissance de l'écriture disparut avec lui, sans que ses descendants adoptent immédiatement les moeurs du cultivateur sédentaire.
Karfa a épousé Sã Kamara dont le village natal, Doumbadou est à moins de deux kilomètres de Lofèro, le plus grand marché de kola de la région, et l'on peut émettre l'hypothèse qu'il s'y était rendu en voyage d'affaires. Son fils, Samorigbè faisait occasionnellement le dyoula. La tradition le confirme, quand elle nous dit que Lafiya naquit à Konokoro du Worodougou, au hasard d'un déplacement de ses parents.
Quant au père de Samori, on nous dit qu'il allait dans sa jeunesse acheter des kolas en forêt : c'est ainsi qu'il se lia d'amitié avec Konyamorifiŋ Swarè, le célèbre marabout de Nyonsomoridougou. Il est vrai que, par la suite, la tradition le montre définitivement fixé et très hostile aux premiers symptômes d'agitation de son fils.
Cette stabilisation progressive confirme l'indice fourni par les mariages conclus dans ce rayon de plus en plus restreint. Devenus sédentaires, les Tourè semblent avoir prospéré. Leur fortune était fondée surtout sur le bétail, qui est le mode de capitalisation le plus général en Afrique Noire. Dans le Konyan, dont les hauts plateaux dépourvus de tsé-tsé sont favorables à l'élevage, les cultivateurs ont toujours possédé de nombreux boeufs et la forte immigration peul de la fin du XVIIIe siècle a considérablement accru le cheptel. Il est significatif que la tradition insiste à plusieurs reprises sur la richesse en boeufs de Lafiya 77.
Stabilisé à Manyambaladougou, avec ses gros troupeaux et cinq épouses « dotées» avant l'âge de trente ans, c'était assurément un notable riche et influent. Ses parents maternels, les Kamara, devaient compter avec lui. Nous voici loin du « Dyulah très besogneux» de Peroz.

Abandon de l'Islam

Abandon du commerce, enracinement dans le terroir, tout cela va de pair avec la régression de l'Islam. Bien entendu, il ne s'agit pas d'une soudaine « conversion » à l'animisme, mais d'une lente désagrégation. Elle ne fut jamais poussée jusqu'à ses dernières conséquences : c'est ainsi que les descendants de Fabou portent des noms musulmans et que jamais ils n'organisèrent le culte des ancêtres. Ce dernier est, à vrai dire, le rite le plus contraire à l'esprit de l'Islam, qui prie pour les morts et ne prie pas les morts. C'est la dernière étape, la plus difficile à franchir pour ceux qui reviennent au paganisme. Si les Tourè n'en sont pas venus là, il s'en fallait de peu. Ils allèrent en effet jusqu'à l'abandon de la prière, qui marque le degré le plus bas de l'Islam noir, car on la fait ostensiblement, par respect humain, même si l'on ne sait rien d'autre. Tout commence en effet par là, car il est impossible de faire jouer la solidarité musulmane, indispensable au commerce, sans ce minimum de conformisme. On peut être assuré que les Tourè en gardaient la pratique tant qu'ils voyageaient comme dyoula. Nous savons que Lafiya, retiré définitivement à Manyambaladougou, ne priait pas.
Il l'avait certainement fait dans sa jeunesse quand il faisait le commerce de la kola et était l'hôte de Marifiŋ Swarè. On nous dit par ailleurs qu'il s'était fait initier au kiba, à l'âge convenable, vers 25-30 ans. Le kiba, inspiré du poro senoufo, a remplacé dans notre région la plupart des sociétés d'initiation du pays bambara. On ne le pratique pas, bien entendu, dans les villages musulmans, mais les adhésions individuelles étaient jadis assez fréquentes, car cette intégration à la société des adultes favorisait les affaires.

Un dernier fait est significatif quant à l'enracinement de Lãfiya. Nous savons en effet qu'il rendait un culte régulier aux divinités du terroir, Farafiŋ (« Pierre Noire ») à Manyambaladougou et Dyigbè (« Eau Blanche ») près de Sanankoro 77.

***

Il paraît donc évident qu'avec Lãfiya l'absorption des Tourè au sein des Konyanké animistes est pratiquement achevée. Alliances matrimoniales orientées exclusivement vers le milieu animiste, richesse sédentaire fondée sur l'élevage et accessoirement l'agriculture, abandon de l'Islam même dans ses rites les plus formels : voilà comment on peut définir le milieu natal de Samori. Même sans insister sur son hérédité, où l'apport des Tourè est infime, il paraît difficile de qualifier notre héros de Sarakolé ou de Dyoula. Il était fils du Konyan, non pas du vieux Konyan islamisé de Mousadougou et de Beyla, mais du Konyan animiste des rives du Dyon et du Milo.
Il s'appelait cependant Tourè et son ancêtre Fabou était un Maninka-Mori venu de Binko. Il nous faudra apprécier si la conscience de ce fait a influé ur sa conduite ultérieure. Mais cela, dans l'immédiat, est étranger à sa formation. Il hérite d'une lignée dont la situation sociale paraît bien assise. Il est vrai que le prestige d'intercesseur magicien qui auréole en milieu animiste tout porteur de la culture islamique s'est éteint avec Fabou. Il a été supplanté par celui du riche notable dont l'imposant capital se déploie en bétail. Descendant par les femmes des meilleures lignées de Kamara animistes, Samori se trouve au départ dans une position foncièrement différente de Morioulé Sisé ou de Vakaba Tourè. Ce n'est pas un immigré de fraîche date qui va construire sa puissance aux dépens de ses hôtes.
C'est un fils du pays qui peut, à l'occasion, compter sur l'appui de ses « oncles » maternels.
A première vue, rien ne dispose ce Konyanké animiste à rejoindre la révolution en cours. C'est pourtant lui qui va en prendre la tête, et lui donner une ampleur et une orientation imprévisibles.

Notes
1. Public Record Office (Londres), War Office to Colonial Office (CO 293, 10-10-93).
2. Peroz, Au Soudan Français, pp. 388-389.
Avant Peroz, les premiers renseignements français sur les origines de Samori sont fournis par Gallieni (Voyages au Soudan Français, 1885). C'est un bel exemple de confusion. Samori serait chef du Moribélédougou. Son père avait commandé le seul village de Dougourou, c'était un « paisible Soninké de religion musulmane plus adonné au commerce et à l'agriculture qu'à la guerre … Un de ses anciens compagnons Mori-Birahim a su se créer une situation à part et vient d'entrer en lutte contre lui ».
Ces renseignements ont été recueillis en 1880 et mêlent des informations de 1878 (séjour à Dougoura du Basando-Kouroussa) et de 1880 (conflit entre Samori et Sérè-Brèma).
Le « Moribélédougou » est évidemment le Moriouledougou de Sérè-Brèma que Samori a conquis durant le séjour de Gallieni à Nongo. Gallieni a tort de vouloir expliquer ce nom par Bélé, « pierre », ou, plutôt, « caillou ». Quant au chef de Dougoura il a hébergé Samori pendant près d'un an, alors qu'il soumettait la région.
3. Binger, Du Niger au Golfe de Guinée, I, p. 146. Mevil (Samory, pp. 2-4) se borne à reproduire les renseignements de Binger (sic!).
4. Delafosse, Haut-Sénégal-Niger, II, p. 343. Dix ans plus tôt, dans son Manuel pratique de la langue Mandé, Delafosse avait reproduit le texte Dyoula d'Amadou Kouroubari qu'il avait lui-même inspiré. On y trouve l'affirmation que Samori est né à Sanankoro « d'un Malinké sans renom, et d'une mère Konyanké » : Alimama Samori ho-ma, p. 148, a fa mande-nga lo, ar a kiri Lafia Ture - a be farhande. A na konianga muso lo
5. Dominique Traoré, « Notes sur Samory », L'Education Africaine, 23e année, no 85, janvier-mars 1934, suivi par Ingold, Samory sanglant et magnifique, Paris, 1961. D. Traoré ne nous indique pas ses informateurs et n'écrit pas un récit continu mais des « notes » sur divers épisodes. Ses renseignements sont les moins inexacts publiés jusqu'ici, mais recueillis loin des lieux, à Sikasso et Bobo-Dioulasso. Il est naturel que les erreurs y soient nombreuses. La généalogie traditionnelle est réduite à peu de chose et Sâ Kamara, rebaptisée Sara est indiquée comme mère de Lafiya. Nous verrons qu'elle est sa grand-mère. D. Traoré est donc à utiliser avec précaution, sauf pour les événements de la région de Bobo.
6. Si l'on adoptait le vocabulaire de Murdock (Africa, p . 32), il faudrait dire sib ou phratrie, le nom de clan étant réservé au groupe mixte de parenté résidant dans un carré ou un quartier. Cette révolution du vocabulaire risque d'être surtout une source de confusion et je continuerai à employer le mot clan dans le sens de Delafosse (H.S.N., III, pp. 98-109) comme le font l'ensemble des africanistes français. On trouvera les meilleures analyses récentes du clan ouest-africain en rapport avec les lignages, dans Denise Paulme, Les gens du Riz, Paris, 1954, pp. 72-97 (Kissi) et G. Dieterlen, Essais sur la religion bambara, Paris, 1950, pp. 73-85.
7. Un Tourè, l'almamy Sirè-Hasan, a cependant commandé le Fouta-Toro au début du XIXe, après la révolution islamique d'Abd el-Kader Kane ; cf. Delafosse et Gaden, Chronique du Fouta Sénégalais, Paris, 1913, p. 102.
Pour les origines de l'Askia Mohammed, le Tarihh-es-Soudan dit seulement qu'il est appelé « El-Turi, ou suivant d'autres auteurs Es-Selenki » (T. S, p. 1 17).
Delafosse a interprété ce texte en écrivant que l'Askia était un « Soninké de la fraction des Silla nommé Mohammed et fils d'Aboubakar Tourè ». Ceci n'a guère de sens car Tourè et Silla sont deux clans Soninké nobles (wago) qui n'ont rien en commun. Les Silla, contrairement aux Tourè, ne descendent pas de Dinga, l'ancêtre mythique des Soninké. Avant la venue de celui-ci, il y aurait eu des Silla forgerons parmi les Dyinu (diables) qui occupaient le pays. Dans le Wagadou primitif les Silla gouvernaient, il est vrai, l'un des quatre Fado (gouvernement), celui de Daligoumbe, mais rien ne prouve qu'il ait inclus des T ourè. Quand Delafosse écrivait son Haut-Sénégal-Niger, que tout le monde recopie consciencieusement depuis, il ne disposait pas du Tarikh-el-Fettach dont il publia la traduction avec Houdas chez Leroux en 1913. Or ce texte tranche la question. Il nous dit que le père de l'Askia Mohammed « avait pour surnom Arloum et appartenait au clan des Silla qui est, dit-on, originaire du Toro » (traduction page 114). Les Askia n'étaient donc pas des Tourè mais des Silla originaires du Fouta-Toro. La mère de l'Askia était il est vrai songhai (fille du chef de Koura, île que Delafosse place en amont de Tombouctou). Ce document est connu depuis longtemps et Rouch l'a judicieusement utilisé (Contribution à l'histoire des Songhay, IFAN, Dakar, 1953). C'est pourquoi il est navrant de trouver encore, dans un ouvrage d'aussi haute tenue scientifique que A History of Islam in West Africa de J. Spencer Trimingham (Londres, 1962), la mention de l'Askia Mohammed Ture ibn Abu Bakr (p. 92). Les légendes ont la vie dure.
8. Leriche, « Anthroponymie Toucouleur », Bulletin IFAN, t. XVIII, 1956, pp. 1-2 .
9. Marty, Etudes sur l'Islam et les tribus du Soudan, Paris, 1920, t. IV, pp. 23 sq, 208 à 237 sq. De la région de Kayes le nom a été diffusé vers le sud puisqu'on le trouve chez les Malinké du Konkodougou (Delafosse, H.S.N., t. III, p. 98) .
10. C'est par erreur que Lavergne de Tressan croit qu'ils parlent encore soninké (Inventaire linguistique de l'Afrique Occidentale et du Togo, IFAN, Dakar, 1953, p. 1705). La « langue marka » n'est qu'un dialecte du bambara.
11. La meilleure synthèse sur le Sud-Masina reste la monographie classique de Monteil, Djenné, Paris, Société d'Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales. On la complétera par Marty, Tribus du Soudan, t. II, pp. 135 sq, et, le livre de Bâ et Daget, L'empire peul du Masina, t. I, IFAN, Bamako, 1957.
On trouve aussi des Tourè chez les Nono dans le canton rural du Pondori, voisin de Djenné. La plus grande concentration du clan est dans la ville même de Djenné où une partie des Tourè sont des cordonniers castés. Parmi eux Marty signale des personnalités ayant fait le pèlerinage dès la fin du XIXe siècle, comme El-Hadji Boubakar Tourè et El-Hadji Baba Tourè dont le voyage dura dix-huit ans. Le chef de la ville de Mopti était, vers 1920, Amara Banyan Tourè, « métis de Songhay et de Malinké ».
12. On trouve les Fondyo dans la région d'Odienné (Kabasarana, Côte d'Ivoire). Les Samakè, particulièrement nombreux autour de Bougouni et dans le Konyan oriental (Guinée) ont également l'éléphant p our tana. Il en résulte une tendance à s'identifier aux Tourè.
13. Particulièrement autour de Forecaria chez les Sousou. Par contre, peu nombreux chez les Kouranko, ils sont limités au noyau musulman du Nioumamandou (Kissidougou, Rép. de Guinée) .
14. On notera en pays sénoufo le gros noyau dyoula de Kolya (près de Boundyali, Côte d'Ivoire), venu au XVIIIe siècle de Djenné et en grande partie assimilé au milieu. Ailleurs, chez les Senoufo et chez les Kissi, il s'agit surtout d'une équivalence de dyamu.
Chez les Dagomba et les Bariba, les Tourè sont généralement d'origine songhai ou jerma. Lombard signale qu'ils détiennent en pays bariba les petites chefferies de Wawa (Nigéria) et de Tunru (Dahomey), cf. Lombard, « Les Bariba du Nord Dahomey », BIFAN, 1957.
Reste l'ensemble songhai-jerma où les Tourè sont nombreux. Selon Rouch ce nom s'applique essentiellement à des « musulmans et Arma descendants des Marocains », donc à des éléments venus de l'amont du fleuve. Ils joueront un rôle notable dans l'expansion des Jerma à travers la boucle du Niger dans la seconde moitié du XIXe siècle. C'est l'un d'eux, Mori Tourè qui lancera la « guerre sainte » dans le Tagouana et le Djimini puis fondera le gros centre de Maraba-dyasa (Côte d'Ivoire, cercle de Bouaké), cf. Rouch , Les Songhay, Paris, 1952, et « Migrations en Ghana », J.S.A., XXVI, 1956.
15. A titre d'exemple, Tourè est considéré comme l'équivalent chez les Kissi du dyamu Tolno et de Tuüo chez les Senoufo.
16. Le python est le tana de Samori. Marty (op . cit.) a bien vu, contrairement à Arcin (Guinée Française, Paris, 1907) suivant Binger (op. cit.), que le tana garde son importance en milieu islamisé. L'observation de Delafosse (H.S.N ., III, p. 109) paraît très localisée.
La deuxième caractéristique du dyamu, la senâkuya, parenté à plaisanterie ou, mieux, alliance cathartique, selon la terminologie de Griaule, est extrêmement particularisée. Chaque lignée a la sienne et on ne peut en parler de façon générale pour les Tourè.
17. Ch. Monteil, « La légende du Ouagadou et l'origine des Soninké », Mélanges Ethnologiques, BIFAN, n° 23, Dakar, 1953.
18. Il est aussi appelé Mandyã Lagare Tourè. C'est le seul mãga de ce nom, tous les autres étant des Sisé, comme plus tard les souverains (Tunka) du Ghana.
Rappelons que les Tounkara (ou Samoura, Doukoure, Dyarisa) ne se rattachent pas, comme on l'écrit souvent, au clan du Tunka (« Empereur » du Ghana), mais à celui des kusa ou chefs captifs.
19. Le meilleur exposé reste celui de Mauny, « Etat actuel de la question de Ghana » (BIFAN , 1951, pp. 463-475) mis à jour dans sa thèse : Tableau Géographique de l'Ouest Africain au Moyen Age, BIFAN, n° 61, Dakar, 1961. Notons que la carte du Ghana, dessinée d'après Lavergne de Tressan (Inventaire linguistique, BIFAN, n° 30, Dakar, 1953) étend à tort la langue soninké sur le Niger et dans la boucle du fleuve.
En dernier lieu, Spencer Trimingham, (op. cit.) donne un bon exposé, moins à jour que Mauny. Bovill dans The Golden Trade of the Moors (Londres, 1953) n'a pas su mettre à jour son célèbre livre de 1933 (Caravans of the Old Sahara, Londres, 1933) et doit être sur ce point considéré comme caduc.
20. Je garde le nom Soninké pour désigner les Sarakolé, puisque aussi bien c'est celui qu'ils emploient eux-mêmes. Delafosse l'explique par Soni (dispersion) et dans ce cas il ne devra it pas être antérieur au Moyen Age (La langue mandingue, t. 2 , Paris, 1955). Il faut prendre garde à ne pas confondre ce mot avec le nom soniŋke (de = sacrifice, soniŋke = sacrificateur) qui est employé sur le Haut-Niger, sans aucun sens ethnique, pour opposer les Malinké animistes aux musulmans. Soniŋke est alors synonyme de sorogi ou totigi que nous retrouverons en Côte d'Ivoire.
21. Je maintiens provisoirement la datation de Delafosse. Pour les frontières orientales du Ghana, cf. Mauny, 1961.
22. Voir Monteil, op. cit ., 1953 et, du même : Djenné (1932). Pour Sama voir Mauny, 1961. En dernier lieu l'excellent article de Pageard : « Note sur le peuplement de l'est du pays de Ségou » (J.S.A., 1961, XXI-1) mène à penser que le Ghana contrôlait toute la région entre Niger et Bani en amont de Segou. Dans cette région, qui est actuellement à prédominance bambara, le peuplement soninké serait donc antérieur au XIe siècle.
23. Mauny, 1961, pp. 426 sq.
24. Bonne étude des Nono in : Monteil, Djenné, Paris, 1932. Maraba, comme Marka, vient de la racine mandé mara « étendue sans rivière, Sahel ». Maraba « grand Sahel » désigne le pays à l'est de la boucle du ïger et prend finalement le sens de « Haoussa ». Maraba s'oppose alors à Mara qui continue à s'appliquer au Sahel occidental (le vieux pays du Ghana) et qui donne Mara-ka par adjonction du suffixe ethnique ka. Les deux termes Maraba et Marka, initialement bien distincts, tendent souvent à se confondre dans l'usage (cf. Delafosse, La langue mandingue).
25. C'est dans Marty, 1920, t. II, qu'on trouvera les renseignements les plus détaillés sur les clans marka de Djenné (il en cite 44) et de Dya (seulement 25).
26. Mauny (1961) me semble placer trop tôt l'ouverture des routes de la boucle. Il reste peu discutable que ce fait est lié sinon à la fondation, du moins à l'urbanisation de Djenné.
27. Delafosse, H.S.N., t . II, 68-69, Monteil, 1932, pp. 27-28; Marty, 1920, II, pp. 190 sq.
28. Il ne m'a malheureusement pas été possible de me rendre dans cette région éloignée. On ne dispose d'aucune donnée sur les Tourè de Dyindio et les traditions qu'ils peuvent conserver. Dominique Traoré (1934) signale le voyage qu'y fit en 1901 le griot Tènèna Misa rentrant du Gabon pour annoncer la mort de Samori. Les autorités françaises le poursuivirent pour agitation politique.
29. Il est remarquable que les Soninké, en dépit de la fierté qu'ils attachent à leur origine, font preuve depuis longtemps d 'un fa ible particularisme linguistique. C'est en tout cas par erreur que Lavergne de Tressan (op. cit., 1953) place dans le domaine de la langue soninké le Sud-Masina et le pays dafiŋ. Une simple lecture de Monteil (1932) aurait dû l'en détourner . Au nord du lac Débo, il en va de même. Mais, cette fois-ci, les îlots nono que nous avons signalé vers Nyafounké ont abandonné leur langue au profit du songhai et non plus du malinké. Cette fois-ci, il faut se reporter aux XVIe et XVIIe siècles, durant l'hégémonie de Gao et du pachalik de Tombouctou. C'est alors que la ville de Djenné elle-même a partiellement adopté la langue songhai. Dyndio est à la limite des zones d'expansion des deux langues.
30. Mauny, 1961.
31. Je rappelle, pour mémoire, que le nom de « Dyoula », quelle que soit son étymologie, a un sens ethnique à l'est de la ligne Bagoé-Bandama, un sens professionnel à l'ouest.
32. Monteil, 1932.
33. Du temps du roi de Kano Yaji (1349-1385) . Cf. Palmer, Sud. Mem., IX, pp. 105-106.
34. Pefontan, « Les Arma », B.C.E.H.S.A.O.F., 1924, pp. 51-83.
35. Une anecdote montrera la facilité avec laquelle les t rad itions orientalisantes sont intégrées dans un corps préexistant. En janvier 1962, à l'est de Hougouni (République du Mali), j'enquêtais dans un village visiblement animiste.
Je fus donc très surpris quand les informateurs du clan fondateur déclarèrent qu'ils descendaient d'un Magha-taya-jigi, mot à mot : « le mâle qui a été à la Mecque. » Beaucoup plus tard, la confiance s'étant établie, le même informateur me dit ce qui suit : « Notre ancêtre n'est pas venu de la Mecque, c'est un dyuloko-jigui mot à mot : « le mâle de la chaîne », c'est-à-dire : descendu du ciel par une chaîne. Mais il y a quelques années un Blanc de Bougouni est venu nous recenser et nous a demandé d'où nous venions. Quand nous lui avons dit que nous descendions du ciel il s'est moqué de nous et nous a traités d'imbéciles : il n'y a pas de bon sens à dire que l'on descend du ciel. Nous avons décidé, pour ne pas mécontenter nos visiteurs, de dire que nous venons de la Mecque. »
36. J. Traduction Defremery et Sanguinetti. Paris, 1927, IV, pp. 394-395.
37. Marty , op. cit., 1920, t. II, p. 136.
38. Barth, Travels (Londres, 1858), t. I, p. 471. Signalons au passage que Tourè est le nom de l'une des tribus « païennes » paléonigritiques refoulées sur le plateau Baoutchi. Elle compte environ 16 000 membres. Il s'agit vraisemblablement d'une simple coïncidence onomastique.
39. Labouret, La langue des Peuls ou Foulbé, BIFAN, no 16, Dakar, 1952.
40. Ibn Battouta, atteste au XIVe siècle cette tendance à baptiser Tourè les éléments d'origine blanche et les premiers noyaux musulmans (mandé en l'occurrence) qui apparaissent à la même époque en pays haoussa. Il ne paraît donc guère possible de faire remonter plus haut l'adoption de ce mot. J'ai tendance à la situer au XVIe siècle au moment où les Askia se sont efforcés de vassaliser les États haoussa, ou même au XVIe siècle quand le processus d'assimilation des éléments maghrébins battait son plein sur le Haut-Niger. Il en sera question ci-dessous.
Dans un récent a rticle, Jeffreys suggère un ancien usage de la racine tur- pour désigner les Arabes en pays haoussa et, par voie de conséquence, les plantes qu'ils avaient introduites à haute époque. Les thèses de l'auteur en matière d'ethno-botanique sont très controversées et je ne m'aventurerai pas sur ce terrain. Rien ne prouve, en tout cas, l'usage ancien des noms de plantes cités. Quant aux populations voisines qui emploient la racine tur pour désigner les Blancs (Nupe, Kapa, Ebe, Kambali, Nauru, Moni), elles l'ont vraisemblablement empruntée aux Haoussa. Il faudrait a jouter à cette liste les Kanouri, qui sont de loin les plus importants.
Rappelons, pour terminer, qu'on a voulu parfois expliquer tur par le nom de la ville de Tyr qui aurait été généralisé pour désigner tous les Syriens. (Cf. M.D.W. Jeffreys, How Ancient is West African Maize ?, Africa, Vol XXXIII, n° 2, April 1963).
41. Rouch, Les Songhay, Paris, 1954, p. 33. Marty, op. cit., t. II, signale qu'à Bougouber, village de la rive droite voisin de Goundam, les Tourè se disent descendant d'un Zénaga, Alfa Mohammed Toule, conseiller de l'Askia Mohammed.
42. Sauf les familles à prétentions chérifiennes, qui ont en général adopté le dyamu Haidara à Tombouctou et sur l'axe du Haut-Niger. La diffusion de ce dyamu semble provenir de la fuite à Tombouctou du marabout marocain Ali ben-Haidar vers 1670. Cf. Delafosse, H.S.N., I, p. 247.
43. Marty, 1920, t . II, signale Mamadou Tourè descendant d'Arma Serifi, chef du quartier Sankore de Djenné. Le nom de ce quartier marque, bien entendu, l'influence de Tombouctou. Plus au sud-ouest, Pageard (op. cit., 1961, p . 80) signale des Tourè, originaires de Djenné établis à Tangué, près du Bani, comme marchands d'esclaves (galo). Le Bani limite plus ou moins les paléonigritiques bobo et senoufo (minianka) qui ont toujours été un gibier licite pour les esclavagistes musulmans. Les Tourè s'occupaient sans doute de les expédier par le fleuve vers Tombouctou.
44. Marty, 1920, t. I V, pp. 65 sq. Nous aurons à reparler de ces Tourè à l'occasion des événements de 1883.
45. D. Paulme, op. cit., 1952 .
46. Di « agréable », diya « hospitalité », dyatigi « maître de l'hospitalité ». (Delafosse, op. cit., I 955)
47. Ici encore le snobisme joue, mettant en jeu les équivalences de nom et menant à l'assimilation. C'est à ces Masna, que fait allusion la Chronique de Oualata et de Nema (Marly, Revue des Etudes Islamiques, 1927, III et IV) , à propos des guerres entre les Bambara de Segou et du Kaarta. C'est par un contresens que Tauxier y trouve la confirmation de sa théorie sur l'origine des rois bambara en qui il voit à tort des Peul du Masina. Cf. Tauxier, Histoire des Bambara, Paris, 1942, pp. 112 sq.
48. La chose est cependant possible clans quelques familles dont on peut tracer les origines jusqu'au XVIIe ou XVIIIe siècle. Même en ce cas, la proportion de sang maghrébin est actuellement infime puisque l'ancêtre est venu seul ou presque. Le Tarikh du griot de Téliko, près de Kankan, publié par Humblot (« Du nom propre chez les Mandé », B.C.E.H.S.A.O.F., 1918, n° 8 3-4. pp. 519-540) ne nous fournit aucun élément positif ma is illumine la mentalité des milieux islamisés. Il écrit : « Qui peut dire je suis 'tourè' cela veut dire 'avare'. C'est le nom propre d'El-Hassan, fils d'Ali, fils d'Abou Motaleb. Ils sont chorfa. Qui peut dire je suis 'tourè ' [il y a deux nations de tourè] c'est le nom du regard de l'envoyé de Dieu (Nadharu 'inna rasulu 'llalli) . »
49. Gyu (dyu ) « fondement, souche », dyula, « ceux de la base », car ils prétendaient descendre des premières familles nobles des anciens royaumes soudanais (Delafosse, 1955, op. cit. ). Dans la conscience du sujet parlant aucune étymologie ne subsiste et le mot est ressenti comme un synonyme exact de dyagola « commerçant ». Ne pourrait-il s'agir d'une contraction de dyagola ? Si l'on rejette cette idée, le radical dyu peut avoir un sens péjoratif : « en dessous, inférieur ». On peut aussi songer à dyo, « droit ou procès », ce qui serait p eu surprenant s'agissant de commerçants. Je crois cependant qu'au lieu de chercher midi à quatorze heures, il suffit de recourir à dyo « avoir lieu habituellement, fréquenter (un marché) », logo dyola « celui qui fréquente les marchés » (logo) . (Cf. Dictionnaire Bambara-Français de Mgr Morin, Les presses missionnaires, 1955).
50. Cette originalité est purement culturelle. Sur le plan de l'anthropologie physique, les Dyoula paraissent au contraire entièrement assimilés au milieu voltaïque. Cf. Pales, « Raciologie comparative des populations de l'Afrique Occidentale », Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, t . IV, 10e série, p. 259.
51. Sooõgyi, sorõgyi, sonõŋi « celui qui suit les cérémonies du sono )), donc animiste. Delafosse, op. cit., 1955. L'étymologie rapportant le mot à la sunna (Bernus, « Kong », Etudes Éburnéennes, t . VIII, Abidjan, 1960) est un bel exemple de snobisme islamisant.
Soõgyi et tõtigi (de tõ = coutume) sont synonymes en haute Côte d'Ivoire. Ils s'opposent à silama (musulman ). Sur le Haut-Niger les expressions correspondantes sont soninke et maninkamori.
52. Ce mouvement, très peu connu, sera étudié dans un travail en préparation sur la pénétration des Mandé vers la forêt. 53. Mã n'est en effet qu'une contraction de magã, variante du vieux titre soninké que nous avons rencontré plus haut et qui subsiste en susu sous la forme mãga, magã-dya signifie donc « le seigneur long (dya) » alors que magã-dyu est « le seigneur mauvais » (méchant).
Les autres noms de la généalogie suscitent peu de commentaires. Fabu « le père qui grandit » (qui se répand) est un équivalent habituel de brema. (Ibrahim se contracte en brema quand un autre nom lui est préfixé).
Silimagã = silama-magã = « le chef musulman ».
Feremanãŋo = fere est le nom qu'on donne aux enfants nés en criant (fere « cri ») . Manãŋo signifie « homme de la brousse » (mana = végétation sauvage).
54. Les clans fondamentaux de Sidikila sont au nombre de trois. Le troisième est représenté par la lignée, plus récente, qui descend de Foundo Doumbouya (Kourouma). Jusqu'à ce jour les marabouts du village sont des Tourè, descendants plus ou moins directs de Sidiki. Depuis l'islamisation totale du village, qui a eu lieu vers 1940, ils fournissent l'Imam, le chef étant bien entendu un Keita.
Informateurs : Mari Tourè et Moribadyã Keita de Sidikila. Sidiki (ou Siliki) venant de l'arabe al-ciddiq « le véridique » est l'équivalent habituel de Bakari (Abu Bakr).
55. Entre Niger et Sankarani, les frontaliers maliens et guinéens se disputent les placers ce qui provoque des incidents à chaque saison sèche, quand le travail d'orpaillage reprend. Ils ont eu une certaine gravité au début de 1957.
56. Ce renseignement provenant des griots de Kèla m'a été signalé par M. Bakari Kamian, que je remercie de son obligeance.
57. La généalogie a été reconstituée à l'aide d'informateurs provenant à la fois de l'entourage de Samori (Kerouane, Siguiri ) et des milieux dirigeants d'Odienné. Bien qu'il n'y ait eu aucun contact récent entre ces deux groupes, le nombre de générations concorde remarquablement.
58. Dans le sens d'une parenté génétique certains ont voulu invoquer le type soudanien caractéristique des Tourè : grands, maigres, au mollet allongé. En fait, si ce type, que la personne de Samori illustrait fort bien, se retrouve dans le Konyan comme à Odienné, il est loin d'être universel et il est au moins aussi fréquent chez les Kamara, parents maternels de Samori, que chez les Tourè.
59. C'est seulement Kéni-Brèma, dont Sidiki serait le trisaïeul qui quitta Sidikila. A trente ans par génération, il serait né vers 1710. On verra que les Tourè d'Odienné étaient essentiellement des tisserands alors qu'on ne trouve pas trace de cette profession dans la lignée de Samori. C'est au Kabasarana que se rattachent les Tourè installés autour de Fwala au Bèla-Farana (Konyan Oriental).
60. Si-turu « plantation » de si « graine » (donc descendance).
61. Maninka-mori = Malinké musulman s'oppose ici à soniŋké (sacrificateur, i.e. animiste). En dépit de son importance extrême comme métropole islamique, Kankan a été jusqu'ici fort peu étudiée. Marty n'aborde pas les Malinké dans son livre sur l'Islam en Guinée (Paris, 1921).
[Note. — L'ouvrage de Marty ne couvre pas toute la Guinée. Et la seconde partie du titre du livre précise bien que l'auteur met l'accent sur le Fouta-Dialon. — Tierno S. Bah]
Je ne vois à citer que deux articles dont le premier seul a quelque ampleur : (a) Humblot, « Kankan, métropole de la Haute-Guinée », B.C.A.F., 1926, no 6, excellent. (b) Framoi Berete, « Kankan, centre commercial et capitale de l'Islam noir », Cahiers Charles de Foucauld, 1956, n° 4, p. 60 sq.
Signalons en outre un bon rapport inédit et anonyme de 24 pages : L'Islam dans le cercle de Kankan et l'historique du Bate du commandant Poinsignon (archives de Conakry) . La tradition orale paraît encore riche, heureusement, mais je n'ai pu la recueillir que partiellement.
On notera que Kankan est l'une des grandes étapes qui parsèment la bande de faible densité islamique isolant les pays du Niger de la forêt. La densité des musulmans a toujours été plus forte sur la frange même de la forêt , au contact des marchés de kola.
62. L'histoire du Fouta-Djallon reste très mal connue en dépit de l'existence d'une énorme littérature en poular. La mort prématurée de Gilbert Vieillard a mis fin à toute velléité d'étude de ce côté e t les documents qui restent dispersés dans des archives privées semblent voués à disparaître.
Pour l'instant, on dispose seulement du livre très insuffisant de Tauxier (Moeurs et histoire des Peuls, Paris, 1936) et de l'exposé bref, mais bien informé et intelligent, de Spencer Trimingham (op. cit., rg62). Ajoutons l'excellent essai de Demougeot, Notes sur l'organisation p olitique et administrative du Labé, BIFAN, n° 6, Paris, 1944. On notera que les relations entre le Haut-Niger et le Pays des Rivières (Guinée, Fouta-Djallon) sont assez ténues au XVIIe siècle et se développent surtout au XVIIIe, au moment où la « théocratie » peul se met en place. Presque au même moment, l'état de Kong se forme plus à l'est et ouvre la route de Djenné au golfe de Guinée.
63. De Kankan aux Rivières il y a désormais deux routes principales. L'une par Kouroussa et le Fouta-Djallon (Timbo) orientée surtout vers le Rio Nunez, (Boké) et le Pongo (Boffa). L'autre par le royaume Dialonké du Soulima (Falaba) vers la Sierra Leone. Toutes deux desservent le Morea (Forecaria). Ici, encore, pas d'études sérieuses ou récentes. On est réduit à recourir aux deux volumes d'André Arcin, La Guinée Française, Paris, 1909, et Histoire de la Guinée Française (Paris, 1911). Pour la Sierra Leone on dispose désormais de la remarquable History of Sierra Leone de C. Fyfe (Londres, 1962).
64. Leur influence sera cependant assez nette pour généraliser l'équivalence Tolno = Tourè chez les Kissi.
65. Samori se réclamera volontiers du Sãkarã - « pays de mes ancêtres » ; binko signifie « rivière de l'herbe ».
66. Faramani, à la tête de ses guerriers demanda à Kyèni (« petit homme ») s'il voulait la paix ou la guerre — « Je veux la paix, si tu épargnes les miens, tu auras ma bénédiction ». — Ils sacrifièrent alors un dafe (cheval blanc ou gris clair) pour sceller leur alliance. Kyèni signala alors à Faramani une fumée sortant d'une caverne au flanc de la montagne de Binko. Une embuscade permit de capturer des Bambara. Ils parlaient une langue incompréhensible et portaient une queue — ils en avaient honte et se cachaient depuis l'arrivée des Tourè — , ceux-ci les débarrassèrent de leur queue par un maraboutage, et ces Bambara qui prirent le nom de Kondé sont les ancêtres d'une partie des habitants du Gbèrèdougou.
On notera que le thème de la queue est assez fréquent, il est parfois interprété de façon rationnelle comme se rapportant à une ficelle de cache-sexe retombant sur les reins.
67. La marche des Malinké vers la mer est signalée dans mon article sur les Kissi et leurs statuettes de pierre (BIFAN, t. XXIII, no. 1-2, 1961). La question sera reprise sur de nouvelles bases dans un travail en préparation sur la pénétration des Mandé vers la forêt.
68. Pour Lofèro, voir ci-dessous, p. 147. no. 2.
69. Selon une version, son départ serait dû à une mésente nte avec son oncle Oumori-Ba. Selon une autre version, la querelle a urait opposé Oumori-Ba et Binko Mori. Les descendants d'Oumori-Ba vivent toujours à Binko. On sait que le nom de mori, qui dans tout le Soudan occidental désigne les musulmans, provient de l'arabe mu'addib = « lettré ». La forme mori prédomine au Konyan, la forme modu ou mudu vers le nord-ouest, de Siguiri à Kita. [Note. Le Pular/Fulfulde a transformé mu'addib en modibbo. Lire Gilbert Vieillard, Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta Dialon — T.S. Bah]
Ceci explique que Samori ait été d'abord connu par les Français sous le nom de Samoudou et que des variantes de cette forme aient été utilisées par les Anglais de Sierra Leone (Sarmadoo).
70. A trente ans par génération, Fabou serait né vers 1680. Son départ pour le Konyan serait donc à situer dans les premières années du XVIIIe siècle . La tradition [3, 2] rapporte que les voyageurs arrivèrent à Kofilakoro en l'absence de Sirikiyo. Le notable Fèrèba Sariyo les hébergea en attendant. Dès son retour, Sirikiyo demanda à Fabou de soigner sa petite fille qui souffrait d'un ulcère. Le traitement ayant réussi, Fabou épousa l'enfant et s'installa définitivement à côté de son beau-père.
Ceci, joint à l'anecdote des livres arabes, montre que Fabou était un marabout guérisseur et non un commerçant.
Le Blamana où prédominent les Koné (Kondé) et le Bambadougou qui appartient aux Kama ra sont les dyamana les plus septentrionaux du Konyan. Le premier, qui est le plus ancien, se partage la rive ouest du Dyon avec le Boŋyana. Son principal village, Kofilakoro avait en 1958, 737 habitants : c'est un gros centre à l'échelle de la région (canton de Simandougou, Beyla, Guinée).
71. Manyambaladougou s'est recunstruit vers 1900, trois kilomètres à l'ouest de son emplacement du XIXe siècle. C'est un hameau d'une centaine d'habitants, rattaché au village administratif de Sokodougou (621 habitants Simandougou-Beyla).
Ce village fait partie, coutumièrement, du Bambadougou peuplé de Kamara de lignée Fandyarasi, installés dans le courant du XVIIIe siècle. Trouvant les rives du Dyon occupées par les Koné, ils se sont accrochés au revers oriental de la chaîne du Gben. Manyambaladougou et Sokodougou (Sekamandou) ne sont cependant pas Fandyarasi. Ce sont des Fèŋsemenesi venus plus récemment de Lolèzo (Talikoro) dans la vallée du Milo. Le fondateur s'appelait Manyambala Kamara. Ma-Nya = nom donné à la sixième fille. En l'occurrence, mère du fondateur.
Bala : « épineux », nom donné à un enfant dont l'accouchement a été difficile. Les musulmans en font l'équivalent de Mousa.
Makèsa et Yaba sont les seuls noms animistes que nous trouverons dans la généalogie des Tourè. Ma-Kèsa vient de kèsa (hardi). Ya-Ba de Ya = troisième enfant (mâle ou femelle) et de ba « grand ».
Le sens de fèrè a déjà été signalé. Ici, pour la première fois, nous voyons paraître le préfixe konianké va « père » qui se s ubstitue au malinké fa (Fabu).
C'est probablement par allusion à la mésalliance de Vafèrè, plus qu'à la condition sociale de ses parents, que les adversaires de Samori l'ont parfois traité de fils de captif. Aucun informateur n'a pu me donner de précision sur l'épouse de Vafèrè. La mésalliance la plus fréquente dans notre région est l'union avec une personne castée. Ce n'était certainement pas le cas de l'épouse de Vafèrè, sans quoi son fils Karfa n'aurait pas pu se marier dans la lignée des chefs du Konyanko.
72. Karfa, contraction de Karifalla. De l'arabe kalifullahi = confié à Dieu. [Consulter l'étymologie et les usage du mot calife sur Wikipedia. — T. S. Bah]
73. Doumadou (126 habitants, Konyanko, Beyla, Guinée) est à un kilomètre du grand marché de Lofèro (Toucoro de Binger).
Sa « mort » est le nom donné à un enfant dont la mère est morte en accouchant ou au survivant de deux jumeaux. Sa Kamara, fille de Kan-Brèma était une petite-fille de Fawou qui, d'après la tradition, fit la guerre jusqu'à la mer en territoire libérien. C'est là un souvenir de l'invasion « quoja » de Dapper. Fawou est une variante régionale de Fabou.
74. Voici qu'apparaît le nom de notre héros. Il sera en effet baptisé en souvenir de son grand-père. Sã-mori-gbe est mori « blanc » (pour « clair », car il avait le teint rougeâtre), fils de Sã. Pour Delafosse, sã est un préfixe de respect et Samori serait « son excellence mori ». Cette explication est à rejeter sans hésitation.
Dyànka signifie « maladie ». Ce nom fait allusion aux circonstances de la naissance. Dyanka Kamara, fille de Fadima-Kisya, petite-fille de Fèŋwonya appartenait à la plus grande famille de Bambadougou : celle des chefs de Lenko (lignée Fandyarasi, segment Séribasi). Manankolo, chef d'Ousoudougou, qui était déjà considéré comme le doyen des Kamara, et le principal chef du Bambadougou, était son cousin. Son rôle sera décisif lors des débuts de Samori. Lenko (640 habitants) et Ousoudougou (450 habitants) font partie du canton de Simandougou auquel l'autorité [coloniale] française a rattaché arbitrairement le Bambadougou (Beyla , Guinée).
75. Lãfiya, ou Lãyafia de l'arabe Lafiyat « dispos ».
76. Fandougou, sur le versant occidental du Gben, est dans le Talikoro (« sous le tali = erytrophloeum guineense). Ce dyamana, à cheval sur le Milo, en aval de Kerwane, est encadré à l'est par la chaîne du Gben et à l'ouest par la falaise impressionnante du Tourou. II est occupé par des Kamara Fèŋsemenesi (segment Sébrèmasi) parents de ceux du Konyanko (segment Sétoumansi). Masorona était donc une « petite nièce » de Sã, mais elle provenait de la branche la plus pauvre du lignage, éparpillée en petits hameaux sur les terrains rocailleux du Gben. Fandougou a disparu. Les descendants de ses habitants se trouvent à Koundyan (408 habitants, Kérouané, Beyla, Guinée). Rappelons que Manyambaladougou est occupé par une autre lignée de Sébrèmasi.
77. Dyigbè est visiblement le Guigoué de Dominique Traoré (op. cit.). Cet auteur dit que Samori y sacrifiait alors que nous verrons l'Almami se donner le plus grand mal pour empêcher son père de célébrer ce culte. D. Traoré nous raconte en outre l'étrange histoire du caïman bossu Bogoudoun, génie protecteur des Tourè venu en leur compagnie du lac Débo au Milo. La capture de ses femelles livrées par des Bozo à Samori provoque sa colère. Il organise une coalition des génies du terroir pour attaquer Guigoué qui s'obstine à protéger Samori. La mort de Guigoué entraîne la chute de l'Almami. Je n'ai pas pu trouver trace de cette légende. Bogoadoun paraît actuellement inconnu comme génie à Kerwané. C'est probablement une déformation de Boodou, l'un des plus gros villages konatè du Goundo (cercle de Kankan). Une fois de plus, D. Traore écrivant loin d'une région qu'il ne connaît pas semble avoir commis certaines confusions.