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Histoire et Tradition Orale
Djibril Tamsir Niane
Soundjata ou l'épopée mandingue
Paris. Présence
africaine. 1960. 212 pages
Ce livre est plutôt l'oeuvre d'un obscur griot du village de Djeliba Koro dans la circonscription de Siguiri en Guinée. Je lui dois tout. Ma connaissance du pays malinké m'a permis d'apprécier hautement la science et le talent des griots traditionalistes du Mandingue en matière d'Histoire.
Il faut cependant, dès maintenant, lever une équivoque. Aujourd'hui, dès qu'on parle de griots, on pense à cette « caste de musiciens professionnels » faite pour vivre sur le dos des autres ; dès qu'on dit griot, on pense à ces nombreux guitaristes qui peuplent nos villes et vont vendre leur « musique » dans les studios d'enregistrement
de Dakar ou d'Abidjan.
Si, aujourd'hui, le griot est réduit à tirer parti de son art musical ou même à travailler de ses mains pour vivre, il n'en a pas toujours été ainsi dans l'Afrique antique. Autrefois les griots étaient les Conseillers des rois, ils détenaient les Constitutions des royaumes par le seul travail de la mémoire ; chaque famille princière avait son griot préposé à la conservation de la tradition ; c'est parmi les griots que les rois choisissaient les précepteurs des jeunes princes. Dans la société africaine bien hiérarchisée d'avant la colonisation, où chacun trouvait sa place, le griot nous apparaît comme l'un des membres les plus importante de cette société car c'est lui qui, à défaut d'archives, détenait les coutumes, les traditions et les principes de gouvernement des rois. Les bouleversements sociaux dus à la conquête font qu'aujourd'hui les griots doivent vivre autrement : aussi tirent-ils profit de ce qui jusque-là avait été leur fief, l'art de la parole et la musique.
Cependant on peut encore trouver le griot presque dans son cadre ancien, loin de la ville, dans les vieux villages du Manding tels que Ka'ba (Kangaba), Djeliba-Koro, Krina, etc., qui se vantent de perpétuer encore les coutumes du temps des ancêtre. En général dans chaque village du Vieux Manding il y a une famille de griot traditionaliste qui détient la tradition historique et l'enseigne ; plus généralement on trouve un village de traditionalistes par province, ainsi: Fadama pour le Hamana (Kouroussa, Guinée), Djééla (Droma, Siguiri), Keyla (Soudan - actuel Mali), etc.
L'Occident nous a malheureusement appris à mépriser les sources orales en matière d'Histoire; tout ce qui n'est pas écrit noir sur blanc étant considéré comme sans fondement. Aussi même parmi les intellectuels africains il s'en trouve d'assez bornés pour regarder avec dédain les documents « parlants » que sont les griots et pour croire que nous ne savons rien ou presque rien de notre pays, faute de documents écrits. Ceux-là prouvent tout simplement qu'ils ne connaissent leur propre pays que d'après les Blancs.
La parole des griots traditionalistes a droit à autre chose que du mépris.
Le griot qui détient la chaire d'Histoire dans un village et
qu'on appelle Belën-Tigui est un Monsieur très respectable qui a fait son Tour du Mandingue. Il est allé de village en village pour écouter l'enseignement des grande Maîtres; pendant de longues années il a appris l'art oratoire de l'histoire; de plus il est assermenté et n'enseigne que ce que sa « corporation » exige car, disent les griots: « Toute science véritable doit être un secret. » Aussi le traditionaliste est-il maître dans l'art des périphrases, il parle avec des formules archaïques ou bien transpose les faits en légendes amusantes pour le public, mais qui ont un sens secret dont le vulgaire ne se doute guère.
Mes yeux viennent à peine de s'ouvrir à ces mystères de l'Afrique éternelle et dans ma soif de savoir, j'ai dû plus d'une fois sacrifier ma petite prétention d'intellectuel en veston devant les silences des traditions quand mes questions par trop impertinentes voulaient lever un mystère.
Ce livre est donc le fruit d'un premier contact avec les plus authentiques traditionalistes du Mandingue. Je ne suis qu'un traducteur, je dois tout aux Maîtres de Fadama, de Djeliba Koro et de Keyla et plus particulièrement à Djeli Mamadou Kouyaté, du village de Djeliba Koro (Siguiri), en Guinée.
Puisse ce livre ouvrir les yeux à plus d'un Africain, l'inciter à venir s'asseoir humblement près des Anciens et écouter les paroles des griots qui enseignent la Sagesse et l'Histoire.
D.T. N.
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