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Histoire et Tradition Orale
Djibril Tamsir Niane
Soundjata ou l'épopée mandingue
Paris. Présence africaine.
1960. 212 pages
Pendant que loin du pays natal le fils de Sogolon faisait ses premières armes, le Manding était tombé sous la domination d'un nouveau maître, Soumaoro Kanté, le roi de Sosso.
Quand l'ambassade envoyée par Dankaran Touman arriva à Sosso, Soumaoro exigea que le Manding se reconnaisse tributaire de Sosso; Balla Fasséké trouva à la cour de Soumaoro les délégués de plusieurs autres royaumes. Avec sa puissante armée de forgerons le roi de Sosso s'était rapidement imposé à tout le monde ; après la défaite du Wagadou et du Diaghan personne n'osa plus s'opposer à lui. Soumaoro descendait de la lignée des forgerons Diarisso, qui ont apprivoisé le feu et appris aux hommes le travail du fer, mais longtemps Sosso était resté un petit village de rien ; le puissant roi du Wagadou était le maître du pays ; petit à petit le royaume de Sosso s'était agrandi aux dépens du Wagadou et maintenant les Kanté dominaient leur ancien maître. Comme tous les maîtres du feu, Soumaoro Kanté était un grand sorcier ; la puissance de ses fétiches était terrible, c'était à cause de ces fétiches que tous les rois tremblaient devant lui, car il pouvait lancer la mort sur qui il voulait. Il avait fortifié Sosso avec une triple enceinte, au milieu de la ville s'élevait son palais qui dominait les paillotes des villages ; il s'était fait construire une immense tour de sept étages et il habitait au septième étage au milieu de ses fétiches, c'est pourquoi on l'appelait le « roi intouchable ».
Soumaoro laissa retourner le reste de l'ambassade, mais il retint Balla Fasséké ; il menaça de détruire Niani si Dankaran Touman ne faisait pas sa soumission ; effrayé, le fils de Sassouma fit aussitôt sa soumission et même il envoya au roi de Sosso sa soeur Nana Triban.
Un jour que le roi était absent, Balla Fasséké arriva à s'introduire jusque dans la chambre la plus secrète du palais, là où Soumaoro abritait ses fétiches. Quand il eut poussé la porte, Balla fut cloué de stupeur devant ce qu'il vit : les murs de la chambre étaient tapissés de peau humaine; il y en avait une au milieu de la salle sur laquelle le roi s'asseyait ; autour d'une jarre, neuf têtes de morts formaient un cercle; lorsque Balla avait ouvert la porte, l'eau de la jarre s'était troublée et un serpent monstrueux avait levé la tête. Balla Fasséké, qui était aussi versé dans la sorcellerie récita des formules et tout dans la chambre se tint tranquille, et le fils de Doua continua son inspection : il vit au-dessus du lit, sur un perchoir, trois hiboux qui semblaient dormir ; au mur du fond étaient accrochées des armes aux formes bizarres : des sabres recourbés, des couteaux à triple tranchant. Il regarda attentivement les têtes de morts et reconnut les neuf rois tués par Soumaoro à droite de la porte il découvrit un grand balafon, grand comme jamais il n'en avait vu au Manding ; instinctivement il bondit et alla s'asseoir pour jouer du xylophone : le griot a toujours un faible pour la musique, car la musique est l'âme du griot.
Il se mit à jouer. Jamais il n'avait entendu un balafon aussi harmonieux ; à peine effleuré par la baguette, le bois sonore laissait échapper des sons d'une douceur infinie ; c'étaient des notes claires, pures comme la poudre d'or ; sous la main habile de Balla l'instrument venait de trouver un maître. Il jouait de toute son âme ; toute la chambre fut émerveillée ; comme de satisfaction, les hiboux somnolents, les yeux mi-clos se mirent à remuer doucement la tête. Tout semblait prendre vie aux accents de cette musique magique : les neuf têtes de morts reprirent leur forme terrestre, elles battaient des paupières en écoutant le grave « air des Vautours » ; de la jarre le serpent, la tête posée sur le rebord, semblait écouter. Balla Fasséké était tout heureux de l'effet de sa musique sur les habitants extraordinaires de cette chambre macabre, mais il comprenait bien que ce balafon n'était point comme les autres, c'était celui d'un maître-sorcier. Le roi Soumaoro était seul à jouer de cet instrument : après chaque victoire, il venait chanter ses propres louanges ; jamais griot n'y avait touché. Toutes les oreilles n'étaient pas faites pour en entendre la musique. Soumaoro était en rapport constant avec ce xylophone ; aussi loin qu'il se trouvât il suffisait qu'on y touchât pour qu'il sût que quelqu'un s'était introduit dans sa chambre secrète.
Le roi n'était pas loin de la ville ; il accourut vers son palais et monta au septième étage ; Balla Fasséké entendit des pas précipités dans le couloir.
Se ruant dans la chambre, sabre au poing, Soumaoro rugit : « Qui est là... ? C'est toi, Balla Fasséké !! »
Le roi écumait de colère ; ses yeux rouges comme des braises ardentes reniflaient puissamment ; mais sans perdre son sang-froid, le fils de Doua sur un changement de note improvisa une chanson au roi :
Cet air improvisé plut énormément à Soumaoro. Jamais il n'avait entendu de si belles paroles. Les rois sont des hommes : ce que le fer ne peut contre eux, la parole le fait. Les rois aussi sont sensibles à la flatterie : la colère de Soumaoro tomba, son coeur se remplit de joie, il écoutait attentivement cette musique suave :Le voilà, Soumaoro Kanté.
Je le salue, toi qui t'assieds sur la peau des rois.
Je te salue, Simbon à la flèche mortelle.
Je te salue, ô toi qui portes des habits de peau humaine.
Balla chantait et sa voix, qui était belle, faisait la joie du roi de Sosso.Je te salue, ô toi qui portes des habits de peau humaine.
Je te salue, toi qui t'assieds sur la peau des rois.
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