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Histoire


Ibrahima Khalil Fofana
L'Almami Samori Touré. Empereur
Récit historique

Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages


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Chapitre XI
La mort de Djaoulen-Karamo

Rappelons ici que la désignation de Sarankén-Mori comme prince héritier est à l'origine d'une crise qui est demeurée sous-jacente dans les rapports de l'Almami et de certains de ses fils, notamment les plus âgés.

Rappelons également que Djaoulén-Karamo, ce prince qui a eu le privilège de conduire une mission de bonne volonté en France en 1886, s'était fait le chantre de la négociation avec ce pays en soutenant la vanité de la lutte devant le capitaine Péroz, en mission de négociation à Bissandougou en mars 1887 .

Depuis ces déclarations il s'était écoulé sept longues années de combats meurtriers. Les événements lui avaient cruellement donné raison.

Quelques maladresses commises, semble-t-il, dans sa retraite précipitée devant une colonne française en pays Toma, la promiscuité des troupes coloniales de tous les côtés, tout concourait à le rendre suspect aux yeux de son père. Des rumeurs circulèrent en effet à propos de contacts entre Djaoulén-Karamo et le capitaine Loyer, commandant la garnison de Kérouané.

L'Almami Samori ayant engagé des négociations avec M. Grodet, le gouverneur civil du Soudan, il ne pouvait tolérer une initiative parallèle menée surtout par ce fils réputé francophile notoire. Il le convoqua à Nyodji en pays Sénufo. Une lettre du capitaine Loyer à Djaoulén-Karamo, interceptée par Kunadi-Kèlèba constituait la pièce maîtresse de l'accusation.

Conscient de la gravité de l'affaire, l'Almami dirigea l'instruction en personne. Il s'agissait en l'occurrence de connaître la teneur de la lettre envoyée par le prince à l'officier français.

Djaoulén-Karamo muré dans une case, s'obstinait à garder le secret, se contentant de répéter qu'il ne se souvenait plus de la teneur de son message. Il avait choisi de mourir plutôt que de dévoiler son secret. En se référant à la crise provoquée par la désignation de Sarankén-Mori comme prince héritier alors qu'il était le cadet de Djaoulén-Karamo, en tenant compte du fait que celui-ci avait toujours prôné la négociation, il est permis de deviner le secret du prince. Il a dû estimer que les négociations menées au Soudan pourraient déboucher sur un accord dont les clauses seraient en faveur de Sarankén-Mori. Djaoulén-Karamo avait certainement choisi ce moment pour se rappeler à l'attention des autorités françaises par l'intermédiaire de l'officier de Kérouané. Il mourut d'inanition en avril 1894. Quant à l'environnement dans lequel cette tragédie s'était déroulée, il convient de souligner que dans l'entourage de l'Almami il y avait eu auparavant des intrigues et des luttes d'influence. Jusqu'en ce début de l'année 1894, l'empereur avait dominé de très haut la mêlée qui opposait les partisans de la radicalisation constante de la lutte contre les troupes coloniales et ceux qui opinaient pour un compromis honorable. Mais l'exode avec son cortège de frustration, la fuite de l'Almami à Kölomi en pays Bambara pour échapper à la capture par Bonnier, tout semblait entamer son prestige et les conditions de nature à exacerber les tensions entre les factions se renforçaient chaque jour. En outre, la personnalité des protagonistes n'était pas de nature à faciliter la conciliation.

Sarankén Konaté

En effet la faction des « durs » était animée et dirigée par la toute-puissante impératrice Sarankén Konaté. Son influence était notoire dans l'exercice du pouvoir: aux heures difficiles du siège de Sikasso elle avait effectivement assumé l'intérim du pouvoir à Bissandougou. Elle y avait supervisé l'envoi des convois de vivres en direction du front. Les contingents d'armes et de munitions en provenance de Sierra-Leone transitaient par Bissandougou.

La mission du major britannique Festings avait dû attendre l'autorisation de Sarankén pour pénétrer sur les terres de l'empire avant de poursuivre sa route sur Sikasso sous la garde d'une escorte fournie par l'impératrice.

En août 1891, Sarankén possédait beaucoup de biens, une cour séparée, des captifs et des troupeaux bien distincts de ceux de l'Almami.

Elle avait alors donné l'exemple en prélevant une quantité importante d'or sur sa cassette personnelle en vue des achats d'armes pour la résistance.

Enfin la désignation de son fils Sarankén-Mori comme prince héritier au détriment de frères aînés, était la manifestation la plus évidente de cette influence.

L'Almami pouvait-il refuser quoi que ce soit à Sarankén ?

Pour elle, comme pour son fils, l'enjeu était constamment l'intégrité du trône qu'il fallait sauvegarder à tout prix en s'attaquant à toute initiative qui contrarierait cet objectif. Soutenue par Niamakana Amara Diabaté, ami d'enfance de l'Almami, cette faction avait aussi à sa dévotion la multitude des courtisans qui grouillaient dans l'ambiance d'intrigues de la cour impériale, ambiance en dehors de laquelle ils ne trouvaient pas de goût à la vie.

Dans le camp adverse, parmi ceux qui estimaient que les sacrifices consentis dans la lutte contre les troupes coloniales avaient atteint des proportions inhumaines, nous notons la présence du plus fidèle ami et compagnon de l'Almami, Morifindian Diabaté.

Si l'on conçoit que dans les structures de l'Etat samorien il a pu exister une fonction de ministre d'État, tout le monde s'accorderait pour reconnaître qu'elle fut assurnée par Morifindian Diabaté.

Pour cette faction, il était temps de rechercher un compromis honorable. Dans ce camp, du côté des princes, Djaoulén-Karamo en était la figure de proue. Il y avait aussi dans ce groupe la multitude des sofas dépaysés, ruminant l'amertume de bien des frustrations ! Ils tiraient de leur attachement quasi-fanatique à la personne de l'Almami les raisons de poursuivre la lutte. Cependant les évasions se faisaient de plus en plus fréquentes.

L'inculpation et la mort de Djaoulén-Karamo sont donc intervenues dans une ambiance de tension extrême. L'absence de Morifidian Diabaté, en garnison dans le Maou laissait libre cours à toutes les attitudes extrémistes. L'impératrice Sarankén et son camp criaient à la trahison !

Devant le refus obstiné de Djaoulén-Karamo. de livrer son secret, elle glosa sur « la faiblesse » de l'Almami : Comment un fils pouvait-il, à ce point, oser braver l'autorité paternelle, s'il ne comptait pas sur des appuis extérieurs ? insinuait-elle.

Quant à Djaoulén-Karamo, il s'accrochait sans doute à un raisonnement logique selon lequel le droit était pour lui en tant que frère aîné de Sarankén-Mori. Selon lui, l'attitude partisane de son père ne pouvait prendre racine que dans l'influence néfaste de « cette femme intrigante » qu'était Sarankén.

A notre avis la mort de Djaoulén-Karamo est loin d'avoir épuisé le débat autour de cette affaire.

À la lumière de ce qui précède, est-il encore possible de considérer que l'Almami Samori a tué son fils simplement pour avoir dit la vérité sur la puissance des Toubabs ? D'un autre côté, est-il possible de soutenir que Djaoulén-Karamo n'a été qu'un vil agent à la solde des colonialistes ? Il est évident que de part et d'autre on ne peut faire fi des motivations nées de sentiments profondément humains.


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