Mémoires de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire. N° 80
Dakar. 1968, 1970, 1975. Trois Tomes. 2377 pages
Les couleurs dont nous avons peint jusqu'ici la société malinké ne lui confèrent pas une originalité particulière. Sa solide organisation lignagère et villageoise est analogue à celle de ses voisins et le kafu, malgré sa vigueur, fait pâle figure à côté des monarchies voltaïques.
Le tableau se transforme soudain si nous considérons la vie commerciale car celle-ci se définit d'emblée comme la symbiose équilibrée de deux secteurs divisés par un clivage fondamental. Le premier, celui des échanges locaux, assure les relations des lignages en marge de leur économie de subsistance. Les biens en mouvement y sont souvent appréciés non comme des marchandises, mais comme des éléments de prestige, si bien qu'ils circulent par échange direct ou don plutôt que par le jeu des marchés locaux. Des secteurs analogues existent partout, même au sein de sociétés extrêmement closes et repliées sur elles-mêmes comme les paléonégritiques.
Mais chez les Malinké nous trouvons en outre un important commerce à longue distance mettant en présence des individus mobiles qui manipulent des biens d'échange dont ils établissent la valeur selon des normes exclusivement économiques, et dans un esprit fort moderne. C'est une société ouverte par excellence.
Le fait significatif est que ces deux champs de relations se déploient ici au sein d'une même ethnie, alors que la fonction commerciale est généralement assurée par un groupe allogène, comme c'est le cas des Dyula de l'Est. Ces deux sociétés si différentes et pourtant si proches ont su s'articuler efficacement. Il est remarquable que chacune d'elles valorise des types d'individus très différents. Les extravertis portés à l'altruisme et aux sentiments de solidarité sont à leur aise parmi les Malinké animistes. Les introvertis individualistes réussissent mieux en milieu dyula. Comme aucune frontière ethnique n'est à franchir, les déviants qui s'avèrent inadaptés à l'une de ces sociétés peuvent se reconvertir aux moindres frais dans l'autre. Le monde malinké offrait ainsi une échappatoire à ses membres mécontents et Samori sera l'un d'eux. Ce trait est cependant inattendu dans l'ancienne Afrique car de telles issues y étaient exceptionnelles alors qu'elles sont devenues monnaie courante à l'ère coloniale.
Tandis que ces sociétés couplées convertissaient ainsi des hommes, leur économie s'appliquait sans trêve à transformer des biens de prestige en marchandises, et réciproquement, pour assurer leur mise dans le circuit du commerce à longue distance.
Le point de départ est évidemment le marché local car il peut fonctionner dans le cadre de l'économie de subsistance la plus close. On a du mal à imaginer qu'une institution aussi simple ne soit pas universelle et pourtant d'immenses zones l'ignorent dans l'Est et le Centre de l'Afrique. A l'ouest du continent, de nombreux peuples de la Forêt se trouvaient dans le même cas car les Kisi, la plupart des Kru et une fraction des Mandé du Sud n'ont vu naître les marchés qu'à l'ère coloniale. Dans de telles sociétés, chaque groupe suffisait à peu près à ses besoins, et se contentait parfaitement d'une économie de subsistance . L'artisanat, peu spécialisé , ne se cristallisait pas en castes fermées. L'absence de marchés réduisait à peu de choses les mouvements de biens de prestige, comme le bétail, ou bien les tissus destinés aux dots. Des marchandises rares et recherchées, comme le sel marin ou les fusils, se transmettaient de proche en proche. L'hostilité des « tribus courtières », riveraines de l'Océan, à toute pénétration européenne qui eut brisé leur monopole, est un thème bien connu des derniers siècles de l'histoire africaine. Si l'on excepte la frange maritime où l'influence des Blancs bouleversait l'équilibre traditionnel, il faut cependant considérer que le « commerce » de ces pays obéissait aux lois de la redistribution et de la réciprocité et non à celles de l'économie de marchés. Nous ne nous engagerons pas sur ce terrain cher aux ethnographes. Soulignons seulement que les échanges n'avaient lieu qu'entre partenaires bien connus et que ceux-ci établissaient les prix en fonction de leurs statuts réciproques, si bien que de nombreuses transactions s'effectuaient sans bénéfice, ou même, selon nos critères, à perte. Meillassoux a montré comment des fusils vendus au prix fort par les Baulé se transmettaient chez les Guro de « tribu » à « tribu », sans que les intermédiaires en tirent aucun avantage. Ils allaient ainsi jusqu'aux frontières des Bété, aux dépens de qui le bénéfice était réalisé.
Le facteur déterminant n'était donc pas la position économique des partenaires, mais leurs relations sociales.
De telles coutumes paraissaient aussi étranges aux Malinké qu'à nous-mêmes. On a, à vrai dire, quelque peine à concevoir une Afrique sans marchés quand on a fréquenté ceux des Savanes soudanaises dont l'animation ensoleillée culmine au milieu du jour 1 et où se concentre toute la vie sociale. On peut y observer la diffusion des nouvelles, des querelles qui suscitent parfois des haines durables, des procès qui s'y nouent ou s'y tranchent, des mariages qui s'y préparent en marge de la lourdeur des coutumes. Loin d'être conditionnés par un certain ordre politique, les marchés en sont parfois le catalyseur. Des anarchistes aussi résolus que les Lobi les fréquentent assidûment et y trouvent même l'une des rares aires de paix et de sécurité reconnue par leur tradition. Meillassoux a montré qu'en pays Guro le maintien de l'ordre sur les marchés a suscité la cristallisation d'un pouvoir politique que cette société ignorait par ailleurs 2.
Chez les Malinké et les Bambara, les marchés (logho) sont un phénomène considérable dont le rôle social compte autant que la fonction
économique. Chaque kafu en possède au moins un, dont les bénéfices reviennent au Mãsa. Il est significatif que la place du marché soit toujours au coeur du village, ou du moins à l'intérieur de ses murailles, sous le contrôle de l'autorité constituée. Chez les Guro ou les Lobi, comme dans la plupart des sociétés segmentaires, les marchés ont lieu au contraire en pleine brousse : ce sont des zones neutres, frontalières, et on abandonne souvent ses armes avant d'y pénétrer. Le marché malinké ne connaît pourtant pas l'organisation corporative complexe que l'on trouve en pays hausa.
Les vendeurs s'y regroupent par produits et non, comme chez les Lobi, par villages, mais seuls les bouchers reconnaissent ici un chef de file.
En raison de leur nature spéciale, deux marchandises étaient cependant offertes jadis en des lieux particuliers. Ce sont les boeufs et les esclaves, qu'on présentait généralement un peu à l'écart, près des portes du tata, si bien que les grands centres du commerce des captifs, comme Bamako ou Kéñyèrã, possédaient au moins deux marchés.
La seule autorité reconnue sur les marchés malinké est celle du loghotigi, choisi par le Mãsa dans une famille castée ou captive, et assisté de vigoureux jeunes gens armés de fouets en cuir d'hippopotame (mari-gbolo).
Il assure la propreté des lieux, dont il peut interdire l'accès à qui lui semble bon, et il expulse les perturbateurs, concilie les querelles, fait saisir et fouetter sur le champ les voleurs.
C'est lui qui lève par ailleurs la taxe sur les vendeurs et perçoit un droit sur les caravanes de passage 3. Caillé nous montre ses auxiliaires saisissant les chapeaux des
colporteurs à leur entrée dans le village pour les rendre seulement après paiement du péage.
Le caractère religieux du marché est partout reconnu, même dans les villages musulmans. Le maître de la terre qui n'est jamais identique au loghotigi sacrifie régulièrement aux esprits du marché.
Sans quoi les querelles inévitables dégénéreraient en batailles
et les vendeurs cesseraient de venir. Les différends commerciaux sont réglés par le loghotigi, qui contrôle le mouvement des prix.
Le chef de village, le Mãsa ou ses conseillers choisissent de leur côté le jour du marché pour tenir audience, profitant ainsi
de la présence des parties pour régler les affaires pendantes.
L'ancienneté et l'importance de l'institution sont soulignées par sa répartition en cycles hebdomadaires. Le fait est général dans tout l'Ouest africain. Il est remarquable que ces cycles donnent généralement la mesure de la semaine : celle-ci compte souvent trois (Mosi) ou cinq jours (Sénufo) nommés d'après les marchés les plus proches. Chez les Manding, il en va cependant autrement. La semaine est de sept jours, pourvus de noms arabes, mais elle porte le nom caractéristique de logho-kumbè : « rencontre de la tête du marché ». Bien que certains gros centres connaissent deux grands marchés hebdomadaires 4, par exemple le lundi et le jeudi à Kankan, la plupart des régions sont organisées en cycles de sept jours qui couvrent souvent deux ou trois kafu. Ceci confirme l'importance politique d'une institution qui fait ainsi éclater des frontières trop étroites. Les marchés ont en outre tendance à s'échelonner, à chaque étape quotidienne, le long des pistes du commerce à longue distance dont il sera bientôt question.
L'extrême importance sociale du marché malinké ne doit pas faire
illusion sur son rôle dans une société où domine encore, de nos
jours, à l'issue de l'ère coloniale, l'économie de subsistance.
Le gros de la nourriture et les objets de première nécessité ne viennent pas de là, sinon pour quelques artisans et pour les étrangers
de passage. On y achète surtout des objets manufacturés durables, ou des marchandises d'une qualité particulière, souvent luxueuse sinon superflues. La ménagère y trouvera des condiments (huile de palme, beurre de karité, farine de nèrè ou de baobab), des céréales de qualité ou de la viande, mais elle y cherchera rarement le plat de résistance. En milieu rural, chaque famille dispose
ainsi des excédents qu'elle a produits et se procure de façon simple et économique des articles qu'elle ne pourrait fabriquer qu'avec peine. Tous les villages ne disposant pas d'artisans, on va acheter au marché les poteries, les houes ou les couteaux nécessaires. Le chef de famille s'y procure des tissus ou du sel, du bétail gros ou petit, jadis des esclaves. Le chasseur y renouvelle ses armes et ses munitions. Et puis, très souvent, on s'y rend sans motif précis, uniquement dans l'espoir de rencontrer ses ennemis et de les défier, de les traîner à l'occasion devant les
juges.
Les prix se forment selon les lois universelle de l'offre et de la demande, variant selon la saison pour les récoltes et selon la distance pour les produits importés. Ces variations n'ont cependant aucune incidence sur l'orientation de la production, car personne ne se soucie de calculer le prix de revient.
Le rôle des marchés est essentiellement intra-communautaire, Les deux-tiers des produits qui s'y vendent proviennent d'un rayon de 10 à 20 kilomètres. Il s'agit donc d'un phénomène marginal dont la disparition causerait beaucoup de gêne, mais nullement
une catastrophe. Selon l'expression de P. Bohannan, nous avons affaire à une société à marchés qui ignore l'économie de marché 5.
Ces caractères permettent de classer les vendeurs en plusieurs catégories. Sur un marché de brousse, leur immense majorité comprend des paysans ou des artisans qui apportent leurs produits et rentrent le soir même chez eux. Les femmes, qui tiennent une grande place, présentent souvent des plats cuisinés (brochettes, beignets) ou
des condiments. Il est rare qu'elles s'y rendent plus d'une fois par semaine.
A côté d'eux, nous trouvons le petit colporteur besogneux, qui s'efforce au contraire d'être présent chaque jour sur un marché différent. Il ne va jamais très loin, se limitant généralement à un cycle hebdomadaire de faible rayon autour du centre où il s'approvisionne (Kankan par exemple, ou Kouroussa). Ce peut être un professionnel, ou seulement un jeune paysan en rupture de ban qui fait ce métier pendant quelques mois pour gagner un peu d'argent, dans un but précis, hors du contrôle de son fa. Son rôle est en tout cas essentiel car c'est le colporteur qui manipule exclusivement les produits exotiques et qui les diffuse depuis des siècles dans les campagnes les plus lointaines. C'est de lui que proviennent les tissus, les perles de verre, le corail, la quincaillerie, ou plus récemment, les armes à feu avec leurs accessoires. C'est aussi grâce à lui qu'est mesurée la redistribution au détail du kola et du sel. Sa tâche est donc de mettre en contact deux systèmes économiques fondés sur des valeurs différentes et de permettre la conversion en biens de prestige des marchandises exotiques importées, ou en marchandises des produits locaux.
Les produits exotiques nous introduisent dans un domaine nouveau car leur importation ne peut être assurée par les soins des détaillants. Ils supposent un réseau ramifié de négociants professionnels et des transports organisés. C'est là un monde original, celui du commerce à longue distance, qui ne coïncide nullement avec celui des marchés Une grande partie de la Forêt lui est en effet étrangère, ainsi que certaines « anarchies » paysannes de tradition paléonégritique.
Un esprit européen imagine facilement que des relations de ce genre naissent spontanément de la confrontation de zones complémentaires qui diffèrent soit par leurs productions naturelles, soit par leurs civilisations. La présence de surplus chez l'un des partenaires suffirait alors pour déclencher le processus. L'existence de ces surplus est effectivement nécessaire car il faut bien avoir quelque chose à échanger, mais elle n'est cependant jamais suffisante car l'importance culturelle des biens de prestige enlève tout automatisme à ce mécanisme. Les Peuls ne sauraient avoir des boeufs en surplus, puisque ceux-ci sont le symbole de la richesse et du prestige. Dans de vastes régions d'Afrique Orientale, le commerce inter-régional ne s'est jamais organisé, bien que la géographie s'y prêtât parfaitement 6.
L'Afrique Occidentale, qui nous occupe ici, présente cependant un cas très différent. De ce côté, les échanges interrégionaux
ont été stimulés très tôt par un antique commerce extérieur, d'amplitude extrêmement vaste, qui unissait les peuples Noirs au Maghreb à travers le Sahara et ultérieurement par voie maritime à l'Europe.
Nous confondrons ici ces deux phénomènes car ils sont conjugués depuis plus d'un millénaire et se sont étroitement imbriqués.
Les pays faisant l'objet de notre étude ne sont d'ailleurs pas périphériques au monde noir si bien que les deux courants les atteignaient de conserve en se mêlant sur les mêmes routes.
Compte tenu de ces réserves, c'est bien entre régions complémentaires que s'établit finalement le commerce à longue distance. Il est donc possible d'analyser les facteurs qui le conditionnent, s'ils ne le déterminent pas.
La géologie y tient une place notable puisqu'elle régit la répartition des minerais, limitant par exemple la production de l'or aux étroites zones birrimiennes, coincées entre l'immensité des massifs granitiques et les énormes amas des grès primaires. C'est ainsi que les célèbres orpaillages du Burè et du Bambuk encadrent les montagnes gréseuses du Manding. La rareté du cuivre qu'on rencontre seulement dans le Sahel (Akjoujt, Dyara, Takèdda) a également stimulé les échanges tandis que le fer se trouve un peu partout si bien qu'il n'anime le commerce interrégional que sur de petites distances. Il est vrai que des éléments biologiques et culturels jouent dans ce cas, certaines ethnies renonçant à l'extraction du minerai quand un milieu de forêt dense la rend difficile et pénible.
L es facteurs climatiques et végétaux tiennent cependant la première place . Le sel gemme n'existe qu'en pays aride et la Forêt isole l'hinterland du sel marin. Le kola ne pousse qu'en milieu sylvestre et le coton en savane. Etant donné la zonation climatique de l'Afrique Occidentale, il était donc dans la nature des choses que le commerce ait suivi des axes méridiens allant du désert à la forêt et qu'il les ait prolongés jusqu'au Golfe de Guinée après l'irruption maritime des Blancs. La côte tourne cependant au nord ouest du Cap des Palmes au Cap Vert et la ligne montagneuse de la Dorsale et du Fuuta-Dyalõ; infléchit ici les zones climatiques. Il en résulte que les vieilles routes commerciales se sont toujours orientées selon les parallèles du Haut-Niger aux bouches de la Gambie et du Sénégal et que l'intervention des Européens a simplement renforcé cette tendance.
Le rôle décisif revient cependant aux facteurs culturels, mais seulement une fois posé ce cadre. Celui-ci donne un sens à l'habileté des forgerons ou des tisserands malinké, à la valeur sociale des boeufs chez les Fula, ou bien au goût de certaines populations pour la chasse (Sãnkarã, Kurãnko) et d'autres pour la pêche (Somono) ou, au contraire, l'agriculture (Kisi, Sénufo).
Enfin, tout ceci considéré, les institutions d'un peuple peuvent encore s'opposer à l'organisation du commerce à longue distance. Celui-ci exige un réseau d'étapes et une sécurité au moins relative qui est impossible en deçà d'une certaine cristallisation des structures politiques. Les biens qu'il procure ne sont pas indispensables à de frustes paysans et le commerce muet illustre les limites que ceux-ci ont parfois opposés à des entreprises qu'ils sentaient dangereuses. Il reste que de tels obstacles ne sont pas insurmontables, si bien que toutes les régions disposant d'un produit âprement recherché, comme le kola ou l'or, ont fini par s'ouvrir. Le commerce à longue distance s'avère ainsi être un catalyseur d'une puissance extraordinaire : dès qu'il s'impose, les sociétés qui l'acceptent ou le subissent, doivent se transformer si elles veulent garder leur souveraineté. Les civilisations du Soudan médiéval ne se conçoivent pas sans lui, ce qui les oppose radicalement à celles du Golfe de Guinée. Au lieu d'un commerce d'Etat orienté vers les besoins de la Cour, nous y trouvons une classe nombreuse et influente de négociants professionnels dont les activités se ramifient jusqu'au niveau des marchés locaux. Comme ils se sont identifiés très tôt à l'IsIam, ces gens forment des groupes puissants dont les animistes doivent tenir compte, même quand ils conservent le pouvoir politique.
L'articulation de ces deux systèmes commerciaux entraînait nécessairement une révolution dans le domaine des moyens de paiement. Dans le cadre de cette économie multipolaire où les échanges se déroulent sur plusieurs plans, selon des valeurs et principes divers, il était impossible de recourir à une monnaie unique, qui aurait servi d'équivalent général privilégié comme dans une économie de marché. Nous y trouvons en effet plusieurs instruments de paiement qui jouent chacun dans un domaine particulier, mais sont réciproquement convertibles à l'occasion.
Le troc se perd dans la nuit des temps et s'est illustré par le commerce muet, mais il a connu des formes évoluées qui se sont maintenues sur la Côte d'Afrique jusqu'au XIXme siècle, partout où les négociants indigènes imposaient leurs normes aux Européens. Ce fut le cas du « paquet », unité de compte et de paiement faite d'un échantillonnage compliqué et variable où dominent les armes à feu, les tissus et les alcools 7. Le troc subsiste encore sur les petits marchés, grâce à des équivalences précises entre des produits locaux, courants et de valeur stable. Les petites transactions pourraient donc fort bien se dérouler sans autre moyen d'échange. On est d'ailleurs sur la voie de la monnaie dès qu'on utilise une marchandise facile à conserver et à diviser, comme les bandes de coton tissé qu'on employait en Sénégambie ou dans la boucle du Niger jusqu'au début de ce siècle 8. Sans éliminer ces pratiques, les Malinké les ont dépassées dès le Moyen Age et on peut déjà parler de monnaie pour désigner les objets d'échange qu'ils emploient couramment sur les marchés. Les pays étudiés se divisent cependant en deux zones bien distinctes celle des cauris celle des monnaies de fer au nord et au sud d'une ligne allant de Farana à Kérouané, Odienné et Kong.
Le cauris (Cypraea moneta) est bien connu 9. Ce coquillage de l'Océan Indien est attesté au Soudan dès le XIme siècle, importé sans aucun doute à travers le monde musulman et les Portugais en introduiront par mer des quantités énormes à partir du XVIme siècle. Son cours par rapport à l'or variait de façon significative, selon l'abondance des denrées alimentaires. C'était en effet la monnaie typique des petits achats quotidiens en raison de sa valeur unitaire très faible. Sa beauté et son incorruptibilité, ainsi que son symbolisme sexuel évident, lui donnaient cependant une valeur rituelle et les objets religieux en étaient souvent couverts.
L'usage décoratif des cauris n'était pas inconnu dans la zone méridionale, mais ils n'y jouaient plus le rôle de monnaie car ils étaient relavés par des tiges de fer travaillé, les genzé à l'ouest du Sassandra, ou les sõmpè jusqu'au Bãndama. Ce sont là des objets lourds et de faible valeur unitaire qui servent aux petits achats de vivres sur les marchés 10 . Le professeur Portères y voit, avec raison, des modèles réduits de houes verticales à douille et il leur attribue une origine malinké 11. Il semble bien que cette monnaie soit née dans la zone préforestière dont l'exceptionnelle richesse en fer contraste avec les difficultés d'extraction du métal sous la grande sylve voisine. Leur fabrication massive par les Kurãnko, Konyãnké ou Mauka a assuré pendant des siècles la prépondérance économique de ces Manding sur leurs voisins forestiers. Le métal se transmet de proche en proche à un prix de plus en plus élevé jusqu'en pays Bété, au coeur de la Forêt, mais il s'agit dès lors d'un bien de prestige autant que d'une monnaie. Son rôle est essentiel dans les dots car c'est lui qui « attache » le mariage et les riches Guro en stockent d'énormes quantités à des fins purement ostentatoires.
Le caractère commun de ces monnaies, en dehors de leurs usages
rituels 12, est donc la faiblesse de leur valeur unitaire. La difficulté
de compter les cauris et l'encombrement des fagots de genzé les
exclut des paiements importants 13 . Dans notre région, ceux-ci sont toujours faits en poudre d'or
et ce métal sert de commune mesure à toutes les monnaies et à
tous les échanges. Les Malinké vivent donc d'un certain point
de vue dans une civilisation de l'or et à ce métal ils attribuent
une valeur rituelle aussi bien qu'économique. La poudre d'or présente
de nombreux avantages, en raison de son incorruptibilité, de sa
divisibilité et surtout de sa forte valeur pour un volume insignifiant.
Les Manding n'ont pas souvenir d'un système de mesure original
comme les Akã, mais ils utilisent le système arable fondé sur
le mitkal (métikaalè) et font leurs pesées à l'aide de petits trébuchets en cuivre.
Des séries de poids de ce métal sont connues mais certaines valeurs
sont généralement remplacées par des graines de calibre très régulier.
La divisibilité se retrouve dans le sel gemme, dont les barres
peuvent être scindées en morceaux de plus en plus petits, selon
des normes précises, Ce minéral a ainsi connu des emplois quasi
monétaires, mais surtout dans le cadre des savanes soudanaises
car, dans la zone préforestière, il s'agit d'une denrée rare et
très chère, nullement d'un moyen d'échange 14.
Si l'on accepte les cauris, toutes ces monnaies ont donc en commun leur nature de marchandise. On les convertit aisément en matière première (fer), en biens de consommation (sel) ou en biens de prestige (bijoux d'or). Elles sont donc étroitement dépendantes du contenu des échanges dont nous allons à présent décrire les principaux courants.
L'histoire commerciale de l'Ouest africain est avant tout celle de l'or, puisque ce pays a contribué dès l'Antiquité à fournir au monde méditerranéen, le métal précieux qui définissait ses principales monnaies. Le passé des Manding, et particulièrement des Malinké, s'oriente dans ce champ de forces car les dyula, qui incarnent chez eux le commerce à longue distance, ont vraisemblablement acquis leur personnalité sur les anciennes routes menant du Sahel aux orpaillages du Sénégal et du Niger.
Leurs origines remontent très loin. Durant l'Antiquité européenne, la bande soudanaise s'étendait plus au nord que de nos jours, sans doute jusqu'au 18° parallèle. Elle était occupée par des communautés paysannes dont les paléonégritiques modernes peuvent nous donner une idée, en attendant une meilleure prospection archéologique. Si la comparaison est valable, ils connaissaient le fer mais ignoraient sans doute l'artisanat casté 15. Leur organisation sociale et politique devait être du type segmentaire. Ils connaissaient des marchés locaux, mais leur commerce interrégional devait être fort restreint. La procédure du « commerce muet » qui est attestée depuis l'Antiquité classique jusqu'au Moyen Age musulman, devait régir des relations extérieures insignifiantes 16.
Cette Afrique ne parait avoir connu que des changements très lents depuis l'introduction du fer, qui est dans certaines régions, antérieure au début de notre ère 17. Sa quiétude prit pourtant fin au cours du VIIIme siècle quand les musulmans, solidement implantés en Afrique du Nord, donnèrent une vie nouvelle au commerce transsaharien 18. Les gens du Maghreb allaient traverser désormais le désert pour chercher l'or soudanais qui assurera des siècles de prospérité au monde de l'Islam. Cette intrusion bouleversa les destinées de l'Afrique occidentale dont elle mit en cause le morcellement et l'antique parochialisme. Tous les commerces à longue distance en sont issus et leurs réseaux allaient vite s'étendre.
Ces nouvelles activités furent en effet prises en main par les Noirs. Si peu que nous sachions de l'histoire du Ghana 19 , il est clair que cet Etat a été construit par les Sarakholé 20 du Sahel occidental pour alimenter le trafic transsaharien de l'or. C'est à ce peuple qu'incombe le mérite d'avoir organisé le commerce à longue distance au sein d'un monde structuré jusque là en collectivités étroites et closes. La prédominance parmi les dyula de dyamu qui en proviennent en est un sûr indice. Durant la puissance du Ghana, puis après sa chute, le réseau des routes commerciales a gagné peu à peu vers le sud et l'est et a fini par atteindre le monde hausa qu'il parait avoir profondément influencé 21. Le vieux nom de Wangara que nous retrouvons dans le Gangara moderne, sert toujours aux Hausa pour désigner les Mandé, et il a fourni à l'arabe le mot wãngari qui évoque de l'or de bonne qualité.
Quand le Ghana s'effondra, au XIme siècle, la civilisation soudanaise était sans doute constituée dans ses grandes lignes telle que nous la connaissons aujourd'hui. Elle se caractérisait par une conception originale de l'hégémonie politique, qui reposait sur une force militaire indépendante des liens lignagers, mais qui respectait les autonomies locales désormais cristallisées en kafu territoriaux 22. La consolidation de castes liées au pouvoir politique, comme les dyèli et les numu, est l'indice d'une différenciation technique et sociale déjà nette. Le développement du tissage en est un aspect intéressant car il a entraîné la diffusion de modes vestimentaires d'inspiration orientale parmi des peuples peu vêtus 23. L'Islam minoritaire ne déterminait pas la structure sociale mais il lui était parfaitement intégré 24. Il pouvait être un élément de prestige politique comme ce fut le cas au Mali, et il était désormais lié au commerce à longue distance. Celui-ci allait assurer l'expansion de la civilisation soudanaise avec une efficacité très supérieure à la force des armes.
Durant cinq ou six siècles, les Sarakholé, quittant leur patrie du Sahel, ont en effet essaimé au long des routes qui mènent aux mines d'or vers le Haut Sénégal et les orpaillages du Bambuk, mais aussi vers ceux de la Volta et de l'Ashanti, non loin du Golfe de Guinée. Ce vaste mouvement les avait sans doute portés sur le Niger bien avant la chute de l'Empire, au XIme siècle.
Selon Monteil, des nobles (Wago) résidaient dans, la région du lac Débo, tandis que divers clans, comme les Kummo et les Sako se fixaient en amont, dans l'actuel pays de Ségou, autour du vieux centre de Sama que Sansanding remplacera beaucoup plus tard 25.
Les Sarakholé se massèrent surtout au centre, à la limite du Masina inondable, dans une région peuplée seulement de pêcheurs Bozo et de cultivateurs paléonégritiques, ancêtres des Bwa (Bobo-Ulé). Ils y fondèrent dès le XIme siècle les vieux centres de Nono et de Dya d'où allait sortir ultérieurement Djenné vers le XIVme siècle.
Le Sud Masina était un carrefour privilégié où confluaient deux vieilles routes du Sahel, celle qui venait de Ghana et celle de Tombouctou, prolongée par la navigation fluviale. L'ouverture de la Boucle du Niger en direction du Mosi et des nouvelles mines d'or de la Volta, allait renforcer encore à partir du XIVme siècle, ce nud de communications. C'est alors que s'établit la prospérité de Djenné 26.
Cette charnière a joué un rôle décisif dans l'histoire du Soudan occidental et son peuplement est naturellement fort mêlé. On y trouve des Bozo dont beaucoup ont gardé leur personnalité ethnique et des clans Sarakholé (Mana, Sisé, Turè, Dyabi) mêlés d'éléments bambara. Le vieux centre de Nono a donné son nom aux habitants du plat pays qui entoure la ville de Djenné, et celle-ci a reçu au XVme siècle un fort apport Sõñay.
Le fait essentiel est que ces gens ont perdu l'usage de la langue des Sarakholé au profit de divers dialectes bambara. Cette révolution linguistique est ancienne et il faut sans doute l'attribuer à l'hégémonie du Mali, du XIIme au XVme siècle. Le nouvel Empire, éloigné du Sahel, se détournait des vieilles routes au profit de l'axe fluvial et de Tombouctou dont la prépondérance allait durer jusqu'à l'ère coloniale. Les conquérants ont alors appliqué aux gens du Masina le nom de Marka qu'ils avaient forgé pour désigner les Sarakholé. Transmis aux peuples voltaïques, ce nom a connu des fortunes diverses. Il évoque ordinairement l'ensemble des commerçants originaires du Haut Niger, par opposition à Maraba qui indique ceux du Hausa. Concernant un élément urbanisé et mobile, il contraste avec Nono que l'on réserve pour les Marka sédentaires, paysans à moitié païens 27.
Dès le XIVme siècle, quand commença leur expansion à travers la Boucle du Niger, ces Marka employaient certainement la langue manding 28. C'est ainsi qu'ils donnèrent naissance aux Dafiñ, enkystés sur la boucle de la Volta Noire et aux Dyula qui parsèment un pays immense, de Bobo à Kong et aux Forêts de l'Ashanti.
D'autres lignées issues du Masina ont remonté le Niger et poussé jusqu'au Sénégal pour se mêler en terre Malinké à d'autres Sarakholé venus directement du Sahel 29. Si nous considérons à présent ceux-ci, il est remarquable que nous découvrons un tableau presque identique.
Les Sarakholé ruraux du Haut Sénégal ont gardé leur personnalité autour de Bakel, mais, les lignées commerçantes qui se réclament du vieux centre de Dyakha, dans le Gangarã, sont entièrement malinkisées 30. Elles ont essaimé très tôt jusqu'à l'Atlantique route le nom de Dyakhãnké, et ont pris pied au Fuuta-Dyalõ à l'occasion de la révolution peule. Partout où on les trouve, la langue qu'elles diffusent, n'est pas celle de leurs ancêtres mais le mandingo ou malinké occidental.
La transformation de nos Sarakholé ou Marka en dyula pose aussitôt un problème de terminologie. Ce dernier nom s'applique en effet aux éléments islamisés qui contrôlent le commerce à longue distance, des savanes méridionales depuis la Gambie jusqu'à la Volta. Son étymologie paraît assez simple si on la cherche dans la racine dyo qui évoque une périodicité régulière. Le dyula serait celui qui fréquente régulièrement (les marchés) 31.
Des spécialistes ont polémiqué pour savoir s'il s'agissait d'un nom ethnique ou d'un terme professionnel. Cette querelle est sans objet, car les deux camps ont raison, ou tort, selon la région considérée. A l'ouest d'une ligne unissant le Bagoé au Bandama, un dyula est simplement un commerçant. On se fait dyula. La chose est bien naturelle puisqu'il s'agit d'un groupe professionnel parmi d'autres, au sein d'une ethnie dont il ne se distingue ni par la langue ni par les éléments fondamentaux de la culture. Lors de la migration des Malinké vers la Forêt et la mer, les dyula, déjà islamisés, ont accompagné les Soninké, nobles guerriers et animistes, au même titre que les artisans castés ou les tisserands (XVIme-XVIIme siècles) 32. Ils s'identifient plus ou moins aux Maninka-Mori ou Malinké musulmans, mais le mot dyula désigne simplement un métier et il n'est pas entendu comme un nom propre 33.
Sur le Comoé ou la Volta, tout change. Les Dyula forment ici des noyaux enkystés au sein d'un monde dont la langue les isole. Ils opposent au milieu ambiant une culture manding originale fondée sur le commerce et l'Islam, même s'ils ont suivi au départ une aristocratie païenne. Ces Dyula de l'Est ont même développé un dialecte particulier assez différent de celui des Maninka-Mori, mais proche du Bambara oriental et du Dafiñ 34. L'anthropologie physique révèle qu'ils ont absorbé des éléments de toute origine, unifiés par une culture conquérante 35. On peut donc parler d'un peuple Dyula mais la valeur ethnique de ce nom est récente et secondaire
L'expansion des Sarakholé, transformés en Dyula, et diffusant le commerce dans la Boucle du Niger nous a détourné un instant de terres du Haut Fleuve, qui demeurent notre domaine. De ce côté également, de nombreuses lignées sont d'origine Sarakholé et viennent précisément du Masina, mais le milieu auquel elles se sont assimilées est cette fois très différent.
Les animistes malinké, cultivateurs de riz et chasseurs, étaient les maîtres des régions aurifères du Sénégal et du Niger (Bambuk, Manding) ou du moins en contrôlaient les issues (Burè, Bidiga). Il est donc logique qu'ils aient gravité très tôt dans l'orbite du Ghana, d'autant plus qu'à cette époque leur langue et leurs coutumes devaient être encore assez proches de celles de Sarakholé. Le Mali, qui prend le relais au début du XIIIme siècle, était donc un Etat soudanais assez semblable à l'Empire disparu et il poursuivait des fins analogues sur une échelle beaucoup plus vaste. Maître des rives sahéliennes du désert depuis l'Atlantique jusqu'à l'Adrar des Ifoghas (marché de Tadmekka-Es-Suk) il contrôlait tout le trafic transsaharien qui prospérait grâce à son ordre impérial. Le moteur en était toujours l'or et c'est à ce titre que la renommée du Mali parvenait à l'Europe médiévale 36. En dehors de la région des vieux placers, la possession de Djenné lui permettait d'intercepter le produit des nouvelles mines de la Boucle du Niger qui s'ouvrirent peut-être dès le XIVme siècle 37.
Une dernière source d'or, celle de la Forêt occidentale, n'a jamais joué qu'un rôle minime, mais nous l'examinerons avec quelques détails, car le peuplement du Haut Niger ne peut lui être étranger. Malgré un passé mal connu et une localisation in certaine on est en droit de se demander si ces orpaillages n'ont pas attiré voire même orienté les migrations des Malinké sur la frange de la Forêt. Les autochtones évincés par ces invasions étaient assurément étrangers à la civilisation soudanaise puisque la vieille tradition du commerce muet y vivait encore à la fin du XVme siècle. Nous le savons par un témoignage de Ca da Mosto que Mauny a sans doute raison de localiser dans les parages de la Dorsale. Nous ne suivrons pourtant pas cet historien quand il identifie ce vieil orpaillage au pays des Kpèllè ou Guerzé 38. Celui-ci paraît exclu dès le premier examen de la carte géologique et celle-ci n'indique que deux zones possibles. La plus importante couvre le Fitaba et le Hurè, sur les frontières méridionales du Fuuta-Dyalõ;, entre les cours supérieurs du Tenkiso et du Kaba (Scarcies). Ce pays était alors peuplé de Limba et les Malinké y ont encore pratiqué l'orpaillage au XIIme siècle. La seconde est la haute vallée de Saint-Paul (Dyani) au revers de la chaîne du Fon, où les autochtones auraient été les Toma et où la tradition des derniers siècles signale également une production d'or.
L'importance de ces exploitations marginales ne doit pas être exagérée. Malgré leur tradition de mineurs, les Malinké qui s'en emparèrent du XVIme au XVIIIme siècles ne les ont guère développées 39. Dans les limites géographiques que nous nous sommes fixées, les seuls orpaillages valables sont ceux de la région de Siguiri et du Mande, sur les deux rives du Niger. Cette industrie est l'héritage du Buré médiéval dont l'activité fut sans doute réduite par la crise politique du XVIme siècle. Quand elle reprit, au XVIIme siècle, elle était orientée vers les comptoirs européens de la Côte et c'est alors que la région attira certaines lignées dyala dont, sans doute, les ancêtres de Samori.
Si l'on remonte le Niger, les derniers orpaillages anciens que l'on peut localiser se trouvent dans la chaîne du Nyãdã-Banyé, au voisinage de Kouroussa. Le métal précieux n'a donc joué aucun rôle dans l'expansion malinké plus au Sud, et à plus forte raison dans leur conquête des franges de la Forêt. La tradition atteste cependant que ces émigrants, dirigés par des Kondé, Kuruma ou Kamara, marchaient déjà en compagnie de lignées dyula commerçantes ou maraboutiques 40. Les descendants de celles-ci se sont d'ailleurs souvent transformés en paysans animistes que rien ne distingue plus de leurs voisins, tels les Bérété du Basãndo en aval de Kouroussa. L'exemple des ancêtres de Samori montre que ce processus peut être assez rapide s'il s'agit de lignées isolées, mais ce n'est pas le cas ici. Le retour à l'animisme a intéressé des villages entiers, et c'est là l'indice d'un fort ancien enracinement.
Quoi qu'il en soit, ces vieux dyula ont accompagné les conquérants animistes parce que leur fonction commerciale et religieuse était déjà intégrée à la culture malinké. Comme leur répartition géographique n'est nullement uniforme, il convient à présent, si nous voulons préciser leur rôle social, d'étudier les négoces auxquels ils se livraient dans ces pays dépourvus d'or.
Le sel était le principal article du commerce traditionnel, tout de suite après l'or à qui il servait de contrepartie depuis l'époque du commerce muet 41. Pendant tout le Moyen Age, il s'agissait naturellement du sel gemme du Sahara ou de celui d'Aulil. La valeur extrême que lui donnaient les peuples du Soudan n'a rien de surprenant car toute l'Afrique Noire est cruellement privée de cet élément vital. En dehors des zones arides du Sahel et des côtes de l'Océan, elle souffre en permanence d'une véritable faim de sel. Le sel marin n'a servi longtemps qu'aux populations côtières qui le vendaient seulement à courte distance en milieu forestier. Bien que celui de Sénégambie ait atteint parfois les pays du Niger, ceux-ci devaient compter essentiellement sur le sel gemme du Désert. Les caravanes de chameaux ou d'ânes livraient ce dernier en larges dalles qu'on divisait en blocs de plus en plus petits, selon des règles séculaires, pour les vendre sur les marchés de brousse. Bien que l'éloignement ait rapidement accru son prix, ce sel du Nord était diffusé jusqu'aux lisières de la Forêt. Sur le Haut Niger, il rencontrait à Kankan le sel marin des Rivières mais celui ci n'a gagné l'intérieur qu'après le XVIme siècle.
Le sel était cependant un luxe. La plus grande partie de la Forêt et d'immenses zones dans les savanes se contentaient habituellement de cendres végétales qui équilibrent à peu près les besoins physiologiques mais ne flattent guère le goût. La diffusion du sel gemme est donc due, sans aucun doute, au commerce de l'or, comme celle du sel marin aux trafiquants d'esclaves qui ouvraient des routes vers les comptoirs européens de la Côte. Tous deux ont pourtant créé un besoin impérieux et le dyula marchand de sel est devenu un personnage essentiel des petits marchés de brousse.
L'or appelait d'autres produits d'échange, mais ceux-ci ne jouaient qu'un rôle d'appoint car il s'agit d'objets de luxe. Tel est le cas du cuivre saharien ou maghrébin, qui était nécessaire aux fondeurs traditionnels mais non aux forgerons, le cas encore des chevaux arabes ou des étoffes somptueuses, particulièrement des soieries et celui, enfin, des armes démasquinées que réclamaient souvent les chefs 42. Deux autres articles populaires accompagnaient pourtant le sel sur les marchés de brousse : des perles de verre coloré d'origine égyptienne ou vénitienne qui jouaient un grand rôle dans l'ornementation traditionnelle 43 et surtout des cauris dont le rôle monétaire a certainement bouleversé, jadis, d'antiques habitudes commerciales.
Ces produits d'importation maghrébine préparaient le terrain à la révolution commerciale du XVIme siècle, qui est due à l'implantation des Européens sur une côte jusque là déserte. Ceux-ci allaient en effet reprendre à leur compte l'approvisionnement de l'Afrique en perles de verre et en cauris. Au lieu de cuivre, ils fournirent des manilles de laiton ou des barres de fer qui prirent vite figure de monnaie, et au lieu de coûteuses étoffes orientales, des cotonnades légères, indiennes et guinées, qui allaient vêtir les masses populaires et non plus les Cours des grands. Il est vrai que la quincaillerie, les alcools, voire le tabac étaient des innovations mais il ne faut pas en gonfler l'importance. Limité à ces articles, le commerce européen n'aurait rien eu de révolutionnaire, mais il était écrit qu'il n'en resterait pas là et c'est un bouleversement total qu'il allait provoquer dans deux domaines essentiels.
Le premier est d'ordre géographique. C'est le grand renversement du XVIme siècle. Les routes traditionnelles s'allongent soudain jusqu'au Golfe de Guinée et les échanges qu'elles permettent suscitent de nouvelles cristallisations politiques tandis que les pistes sahariennes connaissent une décadence. L'or se détourne d'elles et la civilisation soudanaise en souffre, mais les commerçants autochtones se reconvertissent très vite.
Le second bouleversement tient à la nature du commerce mais il n'intervient qu'avec un certain retard, à la fin du XVIme siècle, quand les esclaves remplacent l'or comme principale exportation africaine. Les vrais malheurs du continent commencent seulement alors. On pourrait soutenir, il est vrai qu'ici encore les Européens ont simplement pris la relève de la traite musulmane qui avait grandi lentement à l'ombre du commerce de l'or. Cette dernière dénaturait profondément la vieille institution de la captivité domestique qui n'avait sans doute qu'une faible importance comme en témoignent les peuples paléonégritiques 44.
Les Empires de la savane s'étaient fait marchands d'esclaves pour satisfaire leurs besoins autant que pour fournir leurs clients du Maghreb, mais l'ampleur du phénomène restait limitée. A sa plus belle époque il frappait peut-être deux millions d'hommes par siècle (Mauny). En admettant ce chiffre, qui est certainement un maximum, le prélèvement reste sans commune mesure avec la saignée massive qu'allait subir le continent, par voie de mer, trois siècles durant. L'économie de plantation avait d'autres exigences que l'esclavage domestique des musulmans. Le désastre fut d'ailleurs accentué du fait d'un fâcheux synchronisme avec la vulgarisation des armes à feu. Celles-ci filtrèrent d'abord péniblement à travers le Sahara, assez cependant pour que les Soudanais aient appris à les construire. Les pays côtiers furent en revanche submergés dès le XVIIme siècle par un flot croissant de fusils dont les modèles étaient toujours plus perfectionnés. Ils devinrent vite la principale monnaie d'échange pour les esclaves, comme les chevaux dans les savanes et leur diffusion ne fut pas entièrement négative puisqu'elle permit des constructions politiques puissantes comme l'Ashanti ou le Dahomey. Leur injection massive encouragea cependant les ambitions des conquérants qui se trouvèrent enfermés dans un cercle vicieux où il fallait des fusils pour conquérir et capturer des esclaves, et des esclaves pour acheter les fusils.
Ce drame immense est extérieur à notre enquête, mais il convenait de l'évoquer car les dyula du Haut Niger se trouvent à la charnière de l'antique commerce soudanais et de celui des Rivières qui est né tardivement sous l'influence européenne. Le premier poussait nos gens au delà des orpaillages du Burè et de Kouroussa comme marchands de sel, de chevaux et de tissus, ou comme collecteurs des esclaves que les conquérants malinké devaient faire en grand nombre. Les dyula expédiaient leurs acquisitions vers les marchés du Sahel et se rendaient indispensables aux chefs Kondé, Mara ou Kuruma qu'ils ravitaillaient en produits de luxe. Leurs services n'étaient pas moins appréciés par les paysans, au niveau des marchés de brousse, même si nous réservons pour l'instant le cas du kola.
Quelques-uns d'entre eux ont sans doute atteint la mer avec l'invasion « Sumba », dés le XVIme siècle, en Sierra Leone, et ont dû s'adapter aussitôt à la concurrence des Blancs. L'attirance de la côte jouait déjà comme le prouve l'implantation des Vaï, mais il était trop tôt pour ouvrir une route régulièrement fréquentée à partir du Haut Niger. La traite des esclaves n'était pas encore organisée et les Européens ne se souciaient alors que de l'or. Ils attiraient celui du Burè vers la Gambie et celui de la Volta vers la Côte Fanti d'Elmina. Entre les deux, isolé de la mer par la Grande Forêt et les montagnes du Fuuta-Dyalõ, le Haut Niger échappa un instant à la révolution du XVIme siècle. Les avant-gardes manding s'imprégnèrent de civilisation forestière et une seconde percée sur le Lofa allait avorter au siècle suivant. L'impact de l'esclavage s'exerça donc surtout aux dépens des populations côtières. Les Européens ignoraient tout de l'arrière-pays des Rivières comme l'attestent les relations de la première moitié du XVIIme siècle. Il est à peu près certain qu'aucune route commerciale régulièrement fréquentée ne débouchait alors sur la côte au sud de la Gambie, bien que les colporteurs soudanais qui s'avançaient fort loin l'atteignissent occasionnellement. En 1682, Barbot connaissait fort mal l'intérieur de la Sierra Leone, mais il avait déjà entendu parler de « Maures », c'est-à-dire de musulmans qui recherchaient les kolas et faisaient concurrence aux partenaires des Blancs pour l'achat des esclaves disponibles 45.
Le commerce dyula était donc voisin de la côte, mais il restait orienté vers le Soudan. Il se concentrait pourtant en amont des biefs navigables du Niger et du Milo car Kankan paraît dater de la fin du XVIme et Kouroussa du début du XVIIme siècle. Cette région est justement celle où l'axe historique du Soudan se rapproche extrêmement de la mer et particulièrement de la Sierra-Leone. Quand celle-ci devint un pôle pour la traite européenne et particulièrement pour la britannique, qui connaissait alors son apogée, il était naturel que les deux courants se rejoignissent. Ils le firent au début du XVIIIme siècle et ce n'est peut-être pas un hasard si la révolution peule éclata alors au Fuuta-Dyalõ. En mettant fin au morcellement Dyalõnké et en vassalisant les Susu, les Almami de Timbo étendirent la civilisation soudanaise jusqu'à la mer. Ces montagnes jadis impénétrables constituaient désormais un couloir de sécurité relative, et le commerce à longue distance s'engouffra. Un bouleversement politique et culturel se produit aussitôt. Les peuples côtiers parlaient alors des langues du groupe mèl et maintenaient leur culture forestière en dépit d'une aristocratie manding (Sumba-Quoja) d'ailleurs animiste. Le catholicisme avait failli s'enraciner chez eux au début du XVIIme siècle, mais il avait avorté, comme dans l'exemple illustre du Kongo. Au XVIIIme siècle, en quelques décennies, toute la côte fut parcourue par d'innombrables aventuriers dyula ou peuls qui firent souche, s'assimilèrent au milieu et prirent un peu partout le pouvoir. A la fin du siècle, tous les peuples maritimes, sans abandonner leur langue ni les fondements de leur culture matérielle, étaient ainsi pourvus d'aristocraties islamisées de tradition soudanaise. Ils avaient changé de monde 46.
Des Turè, venus de Binko, près de Kankan, comme les ancêtres de Samori, trafiquaient sur la Mélakori quand, à la fin du XVIIIme siècle, un coup d'Etat heureux donna le pouvoir
politique à leur chef, Fodé-Bwari Turè. Il prit aussitôt le titre d'Almami et construisit la ville de
Forekariya.
C'est donc au XVIIIme siècle que le Haut Niger cessa pour de bon d'être un cul-de-sac, grâce aux dyula qui circulèrent désormais
à travers le Fuuta-Dyalõ et le Solimana pour unir le Buré et Kankan aux Rivières. Abandonnant les pistes du Soudan, ils livraient aux Blancs des esclaves, accessoirement de l'ivoire, et ils approvisionnaient au retour leur patrie en sel marin, en tissus, en fers et quincaillerie, enfin et surtout, en armes à feu. L'exportation des esclaves se trouvait d'ailleurs limitée par la forte demande de la nouvelle aristocratie du Fuuta-Dyalõ. Les dyula paraissent avoir travaillé aussi pour elle, mais ils se heurtaient là à une concurrence redoutable, celle des Bunduka, originaires du Haut Sénégal et unis aux Peuls par la communauté de langue. Ces nouveaux venus dominaient le négoce du Fuuta et
servaient de courtiers aux Almami en échange de leur protection.
Ils se spécialisèrent dans le commerce des esclaves et firent souche, surtout en pays Témnè, sur la route de la Sierra Leone.
Ils y installèrent des chefferies musulmanes qui allaient participer aux grandes guerres commerciales du XIXme siècle 47.
A l'autre bout de la route, Kankan avait lié son destin à la révolution peule. Dans la seconde moitié du XVIIIme siècle, une fois surmontée la crise Kondé-Bréma, la capitale du Baté s'affranchit définitivement de la tutelle des animistes, se transforma en véritable ville et établit son prestige religieux. Tous les commerçants du Haut Niger se tournèrent désormais vers cette nouvelle métropole, la ville des Maninka-Mori (Malinké musulmans). Au pas pressé des dyula, son parler se diffusa jusqu'aux portes de la Forêt dans tous les milieux du négoce et de la religion.
L'expansion pacifique de Kankan s'explique naturellement par la géographie. L'irruption du commerce côtier sur le Haut Niger mettait
en valeur sa position en amont du fleuve navigable et au contact des deux économies symbolisées par le sel gemme et le sel marin.
Kankan était de toute façon destinée au négoce car elle est construite
sur le Milo qui mène vers les pays forestiers à travers la section la plus étroite de la zone intermédiaire. Cette ville est une
charnière, non seulement pour le commerce du Soudan et celui des Rivières, mais pour celui du kola qui attire depuis des siècles les colporteurs vers les pays du Sud.
Le kola (woro en Malinké) a été assurément l'un des grands moteurs du commerce ouest africain, mais seulement sur le plan interrégional, car cette marchandise sortait rarement du continent. Sa production, du Haut Niger au Bandama et, dans une moindre mesure, sur le Comoé et la Volta, a largement déterminé l'implantation des dyula sur les lisières de la Forêt. Son importance historique n'est donc guère discutable 48.
Le kolatier (Cola nitida à l'ouest de la Volta) 49 fournit d'énormes cabosses vertes contenant de grosses noix dont la couleur admirable, blanc velouté ou écarlate, émeut le sens esthétique des Africains. Ses alcaloïdes en font un excitant puissant, voire un aphrodisiaque, et son amertume
profonde protège efficacement contre la soif. Cet arbre typiquement ouest africain aime les sols constamment humides et l'ombrage des forêts si bien qu'il ne s'écarte guère du Golfe de Guinée. Ce n'est jamais une plante spontanée préservée par l'homme, comme le karité, le néré ou le baobab, car il fait l'objet d'une arboriculture soignée, la seule peut-être de toute l'Afrique Noire 50. Les noix récoltées au début de la saison sèche, vers décembre, fermentent assez facilement, à moins d'être desséchées, mais elles perdent alors leurs qualités gustatives 51. On peut les conserver fraîches quelques mois en les enfouissant dans un sol humide. On les déplace seulement dans les paniers garnis de feuilles qu'il faut renouveler fréquemment. Leur transport sur de longues distances est donc très délicat et il en résulte chaque année en fin d'hivernage une période de soudure où le kola est rare et cher.
Par une étrange fatalité ce commerce exige justement de fort longs transports. Le kola n'a guère quitté l'Afrique car il n'a été admis dans la pharmacopée arabe qu'au XVIIIme siècle et son emploi n'est devenu courant en Europe qu'au XIXme siècle. Il ne se déplace donc qu'au sud du Sahara mais, dans l'Ouest africain, où il est entouré d'un respect religieux, ses noix sont surtout prisées par les peuples de la zone soudanaise, entre le Sénégal et le Tchad. Dans cet aliment cher et rare, ils voient une source ou un symbole de vigueur et de puissance, si bien que sa consommation ostensible est devenue un signe de promotion. La valeur rituelle de ses couleurs en fait le truchement de toutes les relations sociales. On le partage avec ses hôtes, on « attache » avec elle les mariages et tous les contrats importants. Il figure dans tous les rites religieux, de sorte que les objets cultuels des animistes sont couverts de crachats de kola et que les légendes musulmanes l'ont islamisé.
C'est finalement dans la Forêt, son pays d'origine, qu'il est le moins apprécié. Les peuples riverains, Kisi, Toma, Guerzé, Dã ou Guro, lui accordent encore une certaine considération, mais les Kru se contentent de le consommer à l'occasion et les Baulé n'en font guère usage. Ce n'est plus pour eux un bien de prestige mais une marchandise dont il convient de se défaire au meilleur compte.
Le kola était ainsi destiné à brasser les hommes puisqu'il devait parcourir de longues distances pour rejoindre ses principaux centres de consommation 52. Cette situation paraît remonter très haut. Les premières mentions de ces noix signalent leur importation à Tlemcen du XIIme au XIVme siècle 53 et il paraît probable que leur diffusion est aussi ancienne que le commerce de l'or. Les gens du Ghana en usaient vraisemblablement et rien ne nous permet de déterminer à quelle époque les habitants des savanes y ont pris goût. Le seul argument qui s'oppose à une date très élevée est la nécessité d'un réseau organisé de commerce à longue distance et d'une certaine sécurité sur les routes, puisque la fermentation des noix ne permet pas d'attendre. Il est significatif que les zones les plus reculées de la Forêt ne se soient jamais intégrées au système, bien qu'elles produisent quelques kolas pour l'usage local. Il n'est donc pas exclu que leur adoption par les gens du Nord ait coïncidé avec la naissance de la civilisation néo-soudanaise qui se situe, selon nous à partir du VIIIme siècle.
La chose paraît au moins vraisemblable si l'on considère que le sel gemme est un produit d'échange privilégié pour le kola comme pour l'or. Le fer, sous forme de genzé joue un rôle considérable mais seulement comme équivalent entre les producteurs et les courtiers frontaliers. On peut donc supposer que les commerçants du Ghana ont substitué les noix au métaux précieux dans les régions sans orpaillage.
Le kolatier pousse çà et là en petit nombre à partir de la ligne Dabala, Kankan, Odienné, Bouaké, entre les 6° et 8° parallèles, mais il faut descendre très loin au sud pour trouver des peuplements denses qui assurent une production régulière. Le pays Kurãnko, de la Haute Sierra Leone au Milo, n'est qu'un producteur modeste et le climat spécial du Haut Konyã est peu favorable au kolatier. Plus à l'est on en trouve quelques pieds au Mau, mais il est presque absent du Worodugu de Séguéla auquel il a donné son nom.
Les vraies zones d'exportation se trouvent plus au sud, dans les Pays Kono et Kisi, le Toma et le Guerzé. Plus à l'est, l'arbre n'est abondant qu'au sud des monts du Dã et dans la moitié méridionale du Pays Guro. On le trouve chez tous les Kru mais il est significatif qu'il ne soit planté en grand nombre, pour l'exportation des noix, que chez les plus septentrionaux d'entre eux (Gérè ou Bété).
Le « golfe » Baulé, en repoussant vers le sud les zones productrices, brise la continuité des pays à kola. Ceux-ci reparaissent entre Nzi et Comoé, et cette fois bien plus au nord, grâce au massif forestier de la Côte d'Ivoire Orientale. C'est la culture essentielle des Gã de l'Ano et, par la région de Bonduku et le coude de la Volta, elle rejoint la grande province kolatière de l'Ashanti et du Moyen Togo.
Bien que cola nitida règne sur tous ces pays, les connaisseurs établissent bien des nuances entre les noix du Kisi, petites mais d'une saveur très fine, les grosses noix tout venant du Toma et du Guerzé, les rares kolas blancs du Konyã, ceux très appréciés de l'Ano, enfin les fameuses noix rouges de l'Ashanti qui alimentent depuis des siècles le marché du Hausa.
Si l'on excepte cette province orientale, les grandes zones productrices se trouvaient en pleine forêt, contrôlées par des sociétés morcelées et très repliées sur elles-mêmes, peu disposées à laisser des étrangers s'infiltrer dans leur sein. L'autorité du Mali, même sous une forme indirecte, ne s'était jamais étendue jusque là, encore qu'elle n'en fût pas très éloignée s'il est vrai qu'elle atteignait la région de Kouroussa. L'axe du Niger dévie en effet les influences soudanaises vers le sud, au point précis où la Dorsale pousse la Forêt à leur rencontre. Les solitudes stériles de la zone intermédiaire sont donc réduites ici à leur moindre largeur.
Telle fut effectivement la voie que suivit la conquête malinké avant de franger la Forêt jusqu'au Bãndama. Les Soninké qui la dirigeaient avaient certainement d'autres soucis que d'organiser le commerce. Ils cherchaient des captifs et des terres nouvelles pour mettre ceux-ci au travail. Séduits par les richesses des savanes préforestières, il est normal qu'ils les aient suivies en opérant un vaste mouvement tournant qui laissait aux Sénufo la plus grande partie de la zone intermédiaire.
On ne saurait pourtant exclure que la recherche du kola ait influencé leurs mouvements. Les dyula dont ils ne pouvaient se passer, pesaient sans doute dans leurs Conseils et ils avaient intérêt à un commerce actif qui porterait en ces pays lointains les produits du Soudan. Il semble d'ailleurs que ces colporteurs n'aient pas attendu la conquête, mais qu'ils l'aient préparée. A plusieurs reprises, dans le Konyã et dans le Worodugu, les traditions signalent que des musulmans installés parmi les autochtones, ont appelé les animistes Malinké à leur aide. Comme ces aventuriers ne s'employaient sans doute pas à convertir les ancêtres des Guerzé ou des Wobè, on imagine qu'ils organisaient la commercialisation du kola et peut-être des esclaves. Se heurtant à des sociétés hostiles, ils appelaient à eux les défenseurs païens de la civilisation soudanaise.
La toponymie semble le confirmer. Les Kõndé et les Kamara (Dyomandé) ont en effet créé deux kafu qui portent le nom de Worodugu, ou « pays du kola », le premier sans doute dès le XVme siècle, le second au XVIme. Le seul trait commun de ces deux cantons est qu'aucun kolatier n'y pousse, sinon quelques pieds isolés. Pour que les conquérants les aient ainsi baptisés, il faut qu'ils aient vu dans leurs nouveaux domaines des étapes sur la route menant aux richesses de la Forêt.
Nous sommes convaincus que la recherche du kola est bien l'un des facteurs de l'expansion malinké et on ne peut s'étonner de voir des conquérants soudanais soucieux d'aider leurs dyula. Au-delà de la première province kolatière, ils ont occupé un instant le futur « golfe » du Baulé, cherchant sur le Bãndama une issue maritime symétrique à celle de la Sierra Leone. Dans la province kolatière de l'Est, ils ont fondé le Dyammala, au contact des producteurs de l'Ano. Dès le XVIme siècle, d'autres Malinké, animistes et musulmans mêlés, avaient construit l'Empire Gondja qui interceptait toutes les routes commerciales menant de l'Ashanti au Soudan, et dont la métropole, Salaga, contrôlait l'énorme trafic kolatier destiné aux Hausa. Certains d'entre eux se joignirent à l'Empire de Kong qui avait pour unique raison d'être le contrôle des routes du Golfe de Guinée au Niger, et particulièrement celles que suivaient les noix.
Ce souci commercial se confirme si nous examinons les suites de la conquête. En dehors des Kurãnko, chez qui on soupçonne un fort métissage, les nouveaux venus n'ont pas tenté de se faire planteurs de kolas. Une fois arrivés au contact des producteurs, ils ont généralement renoncé à pousser plus loin, comme s'ils avaient atteint leur but en éliminant des intermédiaires gênants et craignaient de compromettre le commerce en attaquant leurs fournisseurs. On objectera qu'ils butaient devant l'obstacle physique de la Forêt. Cela est vrai en gros mais, en détail, que de nuances. De larges fractions des Kisi, des Toma, des Dã et des Guro demeurent en effet bien en deçà de la grande sylve. Inversement, les Malinké ont amorcé une pénétration militaire en pleine Forêt, sur le Lofa et le Dyani, parce qu'un débouché sur lamer les attirait de ce côté. Les Kurãnko ont bien asservi certains Kisi. Les Konyãnké et une fraction des Toma et les gens du Mau quelques groupes Dã, mais ils ont toujours cherché à les soumettre et non à les expulser. Plus à l'est, les gens du Worodugu et du Koraya ont toujours évité de combattre les Guro, alors qu'eux-mêmes se déchiraient en de nombreuses guerres intestines. De ce côté, la frontière ethnique, fixée au XVIIme siècle, n'a jamais fait l'objet de la moindre contestation. Tout s'est donc passé comme si les conquérants avaient atteint leur but en éliminant les intermédiaires qui les séparaient des peuples à kolatiers 54. Depuis des siècles, la politique en zone préforestière paraît obéir à une maxime qu'on prête à Samori :
Il ne faut pas couper les kolatiers |
Alu tè kã ka woroyii tigè. |
Grâce au kola, Malinké et Forestiers avaient donc établi des relations d'équilibre assez satisfaisantes. Les premiers exploitaient systématiquement l'incapacité des seconds à extraire le fer d'autant plus qu'ils possédaient eux-mêmes des minerais extrêmement riches dans le Simandugu et le Fõ. La prospérité commerciale qui en découlait, nous permet de corriger notre jugement sur le cul-de-sac qui aurait pris au piège les conquérants. Le mur de la Forêt était bien infranchissable entre Niger et Bandama, mais il abritait une source de richesse.
Ce commerce du kola animait donc toute la vie sociale de la zone préforestière. Il suffisait à entretenir une classe nombreuse et active : tous les autres négoces lui étaient subordonnés. Il assurait aux peuples sylvestres leur seule ouverture sur le monde extérieur.
Son schéma général était simple. Il s'insérait dans la longue chaîne d'échanges qui descendaient du Sahel, mais que des produits locaux relayaient au seuil de la Forêt 55. Du Nord venait surtout du sel, accessoirement de la verroterie, des bracelets de cuivre, certains tissus et des étoffes d'importation. Une grande partie de ces produits, et surtout le sel, s'arrêtait chez les Malinké de la zone préforestière. Ceux-ci le convertissaient en fer (genzé, sõmpè ou kunkuru) 56 car ce bien de prestige payait à bon compte les kolas des Forestiers. Les Guro, tisserands célèbres, vendaient en outre des pagnes de grande valeur. Les esclaves ne jouaient qu'un faible rôle dans ce commerce et, chose curieuse, ils se déplaçaient dans les deux sens. Les Malinké recevaient des Forestiers pris à la guerre ou condamnés, pour les revendre au loin, Ils fournissaient en retour des hommes que rejetait leur propre société. A partir du XVIIIme siècle, l'influence de l'Europe modifia ce cycle mais sans le bouleverser. La verroterie et la quincaillerie ne venaient plus d'Afrique du Nord, mais des comptoirs de la Côte, en compagnie de cotonnades diverses (indiennes, guinées), d'un peu de sel marin et surtout d'armes à feu avec leurs munitions. Ces produits exotiques arrivaient dans l'Ouest par les Rivières, le Fuuta-Dyalõ et Kankan, dans l'Est par la Gold Coast, Ashanti et Kong, qui devenait le grand entrepôt des savanes méridionales 57. Leur apparition entraînait des échanges triangulaires où intervenaient l'or, le bétail, l'ivoire et surtout les esclaves dont l'exportation allait se poursuivre jusqu'au milieu du XIXme siècle 58.
Le déplacement de ces produits dans l'espace permet de distinguer quatre zones successives. La première, la zone productive, se trouve au coeur de la Forêt, sous le contrôle d'ethnies que leur civilisation oppose radicalement aux Soudanais. Il en résultait la nécessité d'une zone courtière pour assurer la transition entre les deux types de sociétés. Plus au nord s'étendent les savanes méridionales dont on connaît la pauvreté et qui n'absorbent des kolas, qu'en assez faible quantité. Il faut donc la traverser en hâte pour gagner les régions de grande consommation, et c'est pourquoi nous la qualifierons de zone intermédiaire ou zone de transit.
Nous trouvons enfin la zone consommatrice où aboutit le gros de ce commerce. C'est essentiellement l'axe nigérien, et plus à l'ouest, celui du Sénégal, tandis que les Pays Sénufo et Mosi forment de gros îlots plus à l'est. Les pôles de la civilisation soudanaise sont aussi ceux de l'utilisation du kola. Il en résulte que l'orientation du Niger dont le cours supérieur rapproche l'axe soudanais des lisières de la Forêt, a joué un rôle historique considérable. La zone intermédiaire se trouve ici réduite à sa moindre largeur, ce qui met en contact étroit des régions complémentaires et détermine une extrême densité des échanges qui n'est pas étrangère à la grandeur de Kankan.
Comme tout commerce mettant en présence deux sociétés profondément différentes, l'efficacité de celui du kola dépendait avant tout du mécanisme des relations qui unissaient les Malinké aux peuples de la Forêt. Ceux-ci sont d'ailleurs si divers qu'il faut se garder de généraliser. Les lignées dyula qui se sont fixées tout le long de la frontière ethnique ont fondé des gros villages, presque des villes, comme Dyakolidugu (Beyla), Touba, Séguéla ou Mankono. Le pouvoir politique demeurait aux mains d'un Mãsa, presque toujours animiste, mais celui-ci ménageait et écoutait les commerçants qui le ravitaillaient. Ceux-ci avaient renoncé à leur tradition de voyages perpétuels, qui se trouvait sans objet dès lors qu'ils se consacraient à servir de truchement entre les Forestiers et les autres dyula. Chacun de leurs villages se couplait avec la tribu allogène la plus proche dont il s'arrogeait le monopole des relations commerciales. Binger a deviné l'esprit de ce système qui s'entourait volontiers de mystère et de terreur, mais, faute de renseignements adéquats, il n'a pas su le localiser.
Ces pratiques de courtiers avaient bourgeonné sur l'une des plus vieilles institutions du commerce soudanais, celle des dyatigi. On traduit souvent ce nom par « hôte », ce qui est parfaitement inadéquat. Un petit colporteur de passage pouvait acheter sa nourriture au marché et loger chez l'habitant en payant seulement le usuru d'usage. Mais s'il séjournait dans le village pour y faire quelques affaires, il devait nécessairement trouver un répondant parmi les habitants. Il le cherchait naturellement parmi des chefs de famille portant le même dyamu ou du moins parmi des coreligionnaires, c'est-à-dire parmi des musulmans, et de préférence des commerçants comme lui.
L'hébergement des colporteurs étrangers devenait alors un véritable métier, et une source de prestige pour d'anciens commerçants enrichis. Le dyatigi logeait et nourrissait gratuitement son hôte et lui permettait de vendre ses marchandises à crédit, en dehors du marché, car il en garantissait le paiement. Inversement, il lui procurait du crédit pour ses achats, souvent d'un voyage à l'autre, et il couvrait à l'occasion ses dettes locales, qui pouvaient lui valoir la captivité. Il défendait en tout cas les intérêts de son « étranger » devant le chef et le Conseil de village, assurant ainsi à un homme jusque là presque hors-la-loi, une sorte de droit des gens.
L'action commerciale du dyatigi était toujours discrète et s'exerçait en dehors du marché. Il emmagasinait souvent les marchandises de son hôte, si elles étaient de vente difficile, et il les écoulait peu à peu, entre deux voyages du colporteur. Pour ce travail, qui exigeait de nombreux contacts, il employait des satellites, les tèfè ou intermédiaires. Quant à eux, ils affectaient volontiers une certaine indolence de parvenu, et n'intervenaient pas directement dans les transactions. S'ils finançaient de leurs deniers des voyages de petits colporteurs, ils devenaient dyago-tigi, « maîtres du commerce », et il leur arrivait même d'organiser des caravanes armées. Nous étudierons plus loin le cas de ces gros négociants.
Les services des dyatigi n'étaient naturellement pas gratuits. Ils avaient le monopole des transactions de leurs visiteurs, effectuées en dehors des petites ventes effectuées sur les marchés, et ils prélevaient un courtage qui était généralement du dixième. Les relations d'un colporteur avec son dyatigi débordaient cependant du domaine économique car elles étaient empreintes de chaleur humaine. On ne demeurait pas chez un dyatigi antipathique et des relations, poursuivies pendant des années au rythme des voyages, nouaient de vraies amitiés. Des alliances matrimoniales en découlaient souvent et un esprit de réciprocité était toujours présent. Si le dyatigi, ou plutôt l'un de ses parents, car un notable ne voyageait guère, visitait la lointaine patrie de son hôte, il descendait naturellement chez ce dernier ou du moins chez son fa.
Partout, mais surtout dans le Nord, le commerce des esclaves et celui des boeufs étaient le fait de dyula et de dyatigi spécialisés. Le second se déroulait en liaison avec la corporation originale des bouchers (wayakèla) et celle-ci obéissait à une discipline spéciale.
Dans le Sud, au contraire, et surtout dans la zone courtière, toute cette organisation s'était cristallisée autour du commerce du kola. La prépondérance des dyatigi n'était nulle part aussi forte car le colporteur étranger n'avait pas le droit de s'avancer plus loin, encore moins de contacter les producteurs barbares. En dehors de ce qu'il pouvait acheter sur le marché local, il devait compter sur son hôte pour se procurer les kolas qu'il venait chercher. Très souvent, le dyatigi s'occupait d'écouler les marchandises du visiteur et lui fournissait des gezé, car les monnaies du Nord n'avaient pas cours sur le marché local. Pour les kolas, s'il n'en avait pas en stock, et si l'offre de la place ne suffisait pas, le dyatigi envoyait ses femmes ou ses parents les chercher sur les marchés du Sud auxquels leurs alliances leur donnaient accès. Comme les gens des ethnies forestières ne quittaient jamais leur territoire, c'était en effet aux Malinké de se déplacer, mais seuls ceux des kafu frontaliers pouvaient le faire en sécurité, et uniquement chez les « tribus » auxquelles une alliance unissait chacun d'eux.
Les maîtres d'un marché préforestier souhaitaient voir dans leurs murs le plus grand nombre possible de colporteurs, pour que la concurrence fasse baisser le prix du sel et monter celui des kolas. Ils n'hésitaient donc pas à envoyer des agents au devant des caravanes pour procéder à un véritable coxage ni à faire courir des faux bruits sur l'abondance de la récolte que leurs alliés forestiers contrôlaient. Une fois arrivé sur un marché, chaque visiteur était naturellement libre de choisir son dyatigi. Il pouvait même en changer s'il en avait déjà un, mais un tel geste était rare et dangereux, car un ennemi tenace pouvait l'exclure définitivement de la place.
L'exemple du Konyã illustrera ce mécanisme. Dans le bas pays, à l'ouest du Gben, le premier marché courtier était le vieux centre de Lofèro (Sibirila, Tukoro) dans le kafu montagneux du Konyãnko, près des sources du Milo. Le village militaire de Kwõnkã, installé su le Haut Dyani, ne pourra le supplanter en matière commerciale. Dans le Haut Konyã, le pôle du négoce était Dyakolidugu, à 1 kilomètre de Beyla, là où s'arrêtaient les caravanes du Nord. A une étape de là, le village sacré de Musadugu se limitait au contraire à un rôle politique et religieux.
Pour ravitailler leurs hôtes, les courtiers du Bas Konyã avaient fait alliance avec de nombreuses « tribus » Toma dont certaines étaient d'ailleurs vassales des Mãsa Kamara. Selon les garanties dont ils disposaient, ils allaient acheter à Kabalo du Koadu, le plus gros marché du pays Toma, à Bakédu sur la piste de Monrovia, ou encore, plus rarement, à Nzapa dans le Vèkèma. Ceux du Haut Konyã fréquentaient régulièrement Boola, dans le Bèrè, ou Lèné chez les Kono, voire les deux s'ils étaient garantis en chaque lieu. Ils se risquaient plus rarement jusqu'aux marchés du Sud, comme Lola ou Nzo, où ils rencontraient des Manõ venus du coeur de la Forêt.
Les prix du kola y étaient plus bas mais il était difficile d'obtenir une sûreté et des commerçants occasionnels de race Guerzé assuraient de ce côté une grande partie du trafic. Le mont Nimba, dont le front nuageux domine ces villages, marquait en tout cas la fin du monde connu des Konyãnké, au-delà duquel s'étendaient des terres mystérieuses et effroyables dont la grande sylve abritait une anthropophagie sans frein. La sécurité des dyula courtiers était due avant tout à leur connaissance profonde du pays dont ils parlaient la langue, et aux services commerciaux qu'ils rendaient aux chefs barbares à qui ils s'unirent fréquemment par le pacte du sang, sinon par des alliances matrimoniales. Ils ne pouvaient se risquer hors de ce champ de sécurité sans être dépouillés et parfois mis à mort, mais il arrivait cependant qu'ils élargissent leurs activités sous le couvert d'un camarade ayant des garanties pour une autre région. De tels services étaient évidemment réciproques et supposaient rétribution. C'est ainsi que Samori, parent des chefs du Konyãnké, fréquentait habituellement Kabaro mais que certaines amitiés lui permettaient de traiter à l'occasion avec les Guerzé de Boala, voire les Dã de Byãnkumã 61.
Le transport du kola était souvent le travail des femmes des courtiers car celles-ci allaient en troupes dans le Sud si la marchandise manquait ou si une production abondante faisait espérer des bas prix. Cette spécialisation féminine devenait presque exclusive à l'est du Sassandra.
Les marchés des peuples forestiers se trouvaient presque tous au voisinage de leur frontière du nord. Les monnaies de fer y régnaient souverainement et servaient d'étalon à toutes les marchandises venues de la zone courtière, selon un système assez souple. Un dyula du voisinage y était connu et apprécié, souvent écouté s'il était beau parleur, parfois allié par un mariage et jouissait donc d'une certaine liberté de mouvement. Les jours de marché, les vendeurs se groupaient à l ombre pour préserver les noix du soleil et l'acheteur venait leur présenter ses marchandises pour les tenter et obtenir un meilleur prix. Il était d'ailleurs libre de négocier en dehors du marché, et n'hésitait pas à circuler de village en village en pressant des producteurs, mais seulement dans les limites territoriales de ses alliances 62.
Les marchés disposaient généralement de stocks importants, mais ils n'étaient pas au coeur de la zone de production. Celle-ci s'étendait loin, parfois à 100 kilomètres de distance et les dyula, même ceux de la zone courtière, n'y étaient pas admis 63. Si le produit manquait, les femmes toma, guerzé ou guro se groupaient en convoi, sous une escorte armée, et allaient charger des noix dans les marchés plus méridionaux où les autochtones étaient seuls admis.
Ce réseau de marchés ne s'étendait d'ailleurs pas loin. Au-delà, jusqu'aux limites de l'action du commerce, les ballots de kola remontaient de tribu en tribu, selon la trame des relations politiques, tandis que les genzé voyageaient en sens contraire. Personne n'était autorisé à parcourir plus d'une étape 64.
Une fois approvisionné, notre dyula rentrait dans la zone courtière et remettait la charge à son fa qui la livrait à ses hôtes à moins qu'il n'en disposât lui-même pour le prochain marché. La tendance sédentaire des dyula courtiers est manifeste. Leurs principales ressources venaient de leur position d'hôtes obligataires et d'intermédiaires, mais celle-ci exigeait qu'ils restassent sur place, en gardant sans cesse contact avec les producteurs et en suivant le rythme de la production, afin de jouer sur le mouvement des prix. Assez médiocres cultivateurs, sauf s'ils disposaient de nombreux esclaves, ils achetaient parfois des vivres à leurs partenaires forestiers. Ils s'intéressaient souvent à l'élevage et beaucoup étaient tisserands. Leur puissance économique reposait cependant sur les forgerons castés qui voisinaient avec eux et dont l'habileté était célèbre 65. S'ils n'avaient pas su exploiter les vastes ressources en fer des savanes préforestières, valorisées par la nonchalance de leurs voisins, leur commerce aurait dû s'organiser sur d'autres bases.
Les marchés du Sud étaient donc fermés aux dyula du Nord, mais l'inverse n'était pas vrai car la civilisation soudanaise est hostile aux barrières et elle ouvrait ses vastes étendues à tous ses ressortissants. Beaucoup de dyula de la zone préforestière ne demeuraient donc pas sur place pour accueillir leurs confrères du Nord, mais allaient eux-mêmes vendre des noix sur les rives du Niger ou du moins sur les marchés de la zone intermédiaire où les prix étaient plus élevés. Ceux qui s'intégraient ainsi dans le grand courant d'échange des savanes étaient des besogneux en quête d'une fortune rapide ou du moins des esprits aventureux. Samori allait être l'un des leurs.
Une fois les kolas mis dans le circuit commercial, le dyula qui assurait leur transport et leur écoulement n'avait plus rien de commun avec les courtiers ou dyago-tigi, c'était à présent un colporteur, un dyago-kè-la ou dyago-kè-bagha. Binger ne tarit pas d'éloges sur son activité incessante et décrit la dure vie qu'il menait pour une bénéfice maigre et incertain 66. Ces colporteurs étaient de toute origine : sur le Haut Niger on trouvait parmi eux beaucoup de Bunduka ou de Dyakhanké, et partout des Sarakholé du Sahel. Sur les grandes pistes de l'Ouest, ils provenaient des grands centres du Fleuve, de Kankan à Bamako ou Ségou, et surtout des grands marchés étapes de la zone intermédiaire. Les natifs de la zone préforestière étaient relativement rares. La plupart de ces hommes appartenaient à des lignées dyula et partaient des dyamu de tradition Sarakholé. Ils ne formaient pourtant pas une caste car n'importe qui pouvait se faire colporteur, par vocation, pour échapper aux contraintes familiales, ou seulement pour une courte période, en vue d'un gain précis 67.
Binger a sans doute exagéré leur mobilité. Presque tous avaient un foyer où ils passaient l'hivernage en se livrant parfois à des petites cultures. Ils changeaient cependant souvent de résidence si bien que les gros centres dyula se caractérisent toujours par un fourmillement surprenant de petits groupes familiaux, qui contrastent avec les grands lignages structurés des cultivateurs animistes ou avec la segmentation régulière des nobles.
A l'approche de la saison sèche, le colporteur ne tient plus en place. Il achète au meilleur prix ses marchandises d'échange et le voilà parti. Les pistes qu'il suit sont naturellement orientées du nord au sud, sauf à l'ouest de Kankan où elles obliquent vers la mer. Elles sont innombrables mais on peut distinguer quelques grands itinéraires dont chacun unit au plus court un secteur de production kolatière à un segment de la vallée du Niger, à travers les Savanes ingrates de la zone intermédiaire.
Celles de l'Ouest, à la charnière du commerce des Rivières et de là remontée de la Dorsale, étaient évidemment les plus courtes. Issues des hauts plateaux du Solimana et du Kono, ou encore des montagnes tourmentées de la Dorsale, près des sources du Niger et du Nyãdã, elles traversaient les vallonnements du Sãnkarã pour rejoindre à Kouroussa la route du Fuuta-Dyalõ. Celle-ci voyait passer en outre les produits de la traite européenne destinés au Buré ou à Kankan 68.
A l'est du Nyãdã, les pistes issues du Kisi ne pénétraient guère en Forêt car elles ne dépassaient pas le Falãnko, sur la Haute Wau, où les forgerons Kurãnko fabriquaient en masse des genzé. En sortant des contreforts de la Dorsale, elles traversaient un pays de buttes couronnées de forêt et investies par des bas-fonds humides, puis elles contournaient les falaises doléritiques du Kurãnko oriental et se hâtaient vers Kankan par la rive droite du Milo, à travers les savanes très boisées du Basãndo.
Les pistes du Konyã convergeaient également sur Kankan, mais elles étaient plus longues et leur influence s'étendait fort loin. Traversant les plateaux du Torõ et les collines du Gundo, elles s'engouffraient dans le couloir du Haut Milo entre les falaises doléritiques du Konyãnko et les flancs abrupts du Gben (Simandugu). Elles divergeaient alors près de Konsankoro, dont les forgerons célèbres transformaient en genzé les remarquables magnétites des montagnes voisines. Vers l'ouest, par Loféro, Dyorodugu, Kabalo et Bakedu, elles s'insinuaient dans les replis de la Dorsale, couronnée de forêts, puis surgissaient dans la haute vallée du Lofa avant de dévaler vers les collines de Boporo et la mer. Cette voie, jalonnée de kafu malinké, est sans doute celle que suivit, il y a quelques siècles, la grande invasion Quoja (Dapper). Elle s'achève à Boporo où dyula et Vaï prospéraient comme courtiers en liaison avec les colons de Cape Mount et surtout de Monrovia (1821). La percée vers la mer, avortée au XVIme siècle, se trouvait ainsi réalisée à force d'habileté et de persévérance. Il n'y coulait cependant qu'un mince ruisselet. La grande activité de cette route demeurait consacrée au kola et ne dépassait pas Bakèdu.
On peut en dire autant de la piste qui passait du Haut Milo au Haut Dyani (Saint-Paul) et qui s'écartait des villages forgerons du Obé pour gagner les kolateraies de Nzapa (Vèkèma). Diverses bretelles en partent qui escaladent le flanc abrupt de la montagne par des cols étroits comme le Kanikolié, et débouchent sur le Haut Konyã. Le contraste y est saisissant. En quelques kilomètres on quitte la moiteur forestière de la vallée pour la fraîcheur de hauts plateaux dénudés d'où surgissent à l'horizon de grandes montagnes bleutées.
La troisième piste, issue du Milo, fait cette escalade plus au nord, au-dessus de l'énorme pic du Tibè. Un dernier itinéraire, issu de Kankan par le Dyõ gagnait Fwala dans le Konyã oriental, sur le plateau du Farana qui surplombe les gradins descendant lentement de Sinko vers Odienné. Par là arrivent aussi les caravanes de Bamako, venues à travers le Pays Bambara.
Toutes ces pistes convergent à Dyakolidugu (Beyla), l'un des plus grands marchés de la zone préforestière, mais il leur faut encore dévaler le Tètini, arête méridionale du Konyã pour retrouver la forêt humide aux marchés de Boola ou de Lèné, voire de Nzo, au pied du mont Nimba. Une partie du trafic du Mau afflue aussi de l'est par cette voie.
Ces routes occidentales convergent toutes sur Kankan qui en a tiré sa fortune, et elles sont fortement personnalisées. L'attirance de la métropole dyula explique sans doute que, plus à l'est, entre Sãnkarani et Baulé, le trafic nord-sud n'ait guère eu d'importance. Là s'étend le Wasulu, un riche pays d 'agriculture et d 'élevage dont les pistes traditionnelles sont généralement déviées par l'attraction de Kankan. Caillié a suivi l'une d'elles jusqu'à Maninyã, ce gros marché qui détournait vers le Haut Niger une partie des kolas du Mau et du Worodugu. Les dyula visitaient cette région, comme le Fuuta-Dyalõ, mais c'était surtout pour y acheter des bovins 69.
Tout convergeait donc sur Kankan et son annexe Kouroussa. Une fraction des kolas repartait de là pour le Buré, et spécialement pour le grand marché de Didi où elle s'intégrait au circuit de l'or. Depuis le XVIme siècle, Didi s'était pourtant orienté vers la Côte, la Gambie d'abord, puis le pays des Rivières et il faisait fonction de relais. La plus grande partie des noix descendait cependant la vallée du Niger, soit par le fleuve grâce aux Somono, actifs depuis Kouroussa, soit par la piste du Sãnkarani, vers les grands marchés de Kãngarè et Bamako.
A l'est du Wasulu, peu fréquenté, les pistes commerciales devenaient très régulières, orientées dans l'axe des méridiens, avec de rares bretelles et chacune d'elles desservait un créneau de la Forêt. Nous étudierons d'abord la plus occidentale, qui est aussi la plus importante pour nous, car ses kolas étaient rassemblées par les courtiers du Mau avant d'être dirigées sur Bamako. En sortant des monts des Dã, la récolte achetée à Tè ou Byãnkumã était concentrée à Wanino et Touba où elle changeait de mains. Les colporteurs se dirigeaient alors vers le centre musulman de Koro puis traversaient les contreforts orientaux de la Dorsale et descendaient les gradins des plateaux d'Odienné, par Samatigila, Mafèlèba et Gbaralo. La savane monotone du pays bambara s'étendait désormais vers le nord et on traversait le Baulé à Ntèntu ou Bougouni avant de rejoindre Wolosébugu et les rives du Niger.
Les kolas de Tuna et Toté, sur la rive est du Sassandra, rejoignaient cette piste à Tyémé, près d'Odienné. De là, une bretelle que suivit Caillié se dirigeait vers Tengrèla, sur l'axe du Worodugu. Une seconde bretelle, de Gbaralo vers Bolé et Dioila (Baninko) permettait de gagner directement Ségou par les larges plaines du Bani ou de suivre cette rivière jusqu'à San et Djenné.
Sur la piste suivante, celle qui unit le Worodugu et le Koyara à Ségou, les produits des différents marchés dépendant de Séguéla et Mankono convergeaient d'abord sur Kani et Sagbala. De là, divers itinéraires traversaient les gros villages Sénufo du Gbato et du Ténéurè, pour franchir le Bagoé à Tõmbugu, près de Boundyali, et gagner Tengrèla à travers les plateaux surpeuplés du Nyéné 70.
Tengrèla, capitale du Kadlé, faisait figure de plaque tournante, avec sa voisine et rivale Tyõñi. Les caravanes pouvaient pousser au nord, à travers le Baninko et franchir le Bani à Dioila pour gagner Ségou. Elles pouvaient aussi traverser le Bagoé, puis s'enfoncer chez les Peuls du Ganadugu et les Minyanka, pour rejoindre le Bani à San et retrouver à Djenné les caravanes venues de Kong. Cet itinéraire paraît avoir été prisé au XIXme siècle quand les guerres continuelles entre Ségou et les Peuls du Masina gênaient le trafic sur le Niger. La marche de Caillié ne s'explique pas autrement.
Les pays situés à l'est du Bandama ne nous intéresseront qu'après 1895. Rappelons simplement que l'Empire de Kong avait organisé la grande piste menant de l'Ano (Grumanya) et du Dyammala à Bobo, San et Djenné 71. Vers l'ouest une bretelle gagnait Ségou par le Kénédugu et, vers l'est, une autre traversait la Volta Noire pour rejoindre la fourmilière du Mosi. L'accès à la mer était assuré par la route de Kong à Bonduku et Kumasi, mais celle-ci dépendait malheureusement de la bonne volonté des Ashanti. La piste de Bondoukou à Bouna et Bobo, par les orpaillages du Lobi, lui enlevait d'ailleurs un trafic notable.
Bien que la centralisation des royaumes Anyi lui assurât une certaine sécurité, la piste de Kong à la mer par le Comoé devait traverser quatre cents kilomètres de forêt dense et elle ne devint active qu'au XIXme siècle. Quant aux Baulé, qui exploitaient leur position d'intermédiaires, ils fermèrent impitoyablement leur pays du début du XVIIIme siècle jusqu'à la conquête française.
On voit donc que ces routes du kola, très courtes sur le Haut Niger, s'allongent à mesure qu'on s'éloigne vers l'est. Le record est détenu par celle de l'Ashanti à Tombouctou qui s'étire sur plus de mille kilomètres par Kintampo ou Salaga, Ouagadougou et Bandyagara. Elle est aux mains des Yarsé du Mosi et demeure extérieure à notre domaine bien que diverses bretelles l'aient reliée à celle de Kong.
Ces différences avaient des répercussions profondes sur la condition des colporteurs. La zone intermédiaire, inférieure à 200 kilomètres sur le Haut Niger, voit sa largeur triplée ou quadruplée dans l'Est. Elle inclut justement l'aire des savanes pauvres et faiblement peuplées qui sépare la bande préforestière de l'axe du Niger. Malgré des exceptions, comme le pays Sénufo, c'est une région où le ravitaillement est difficile et la sécurité incertaine, entre les mailles lâches de l'occupation humaine. L'individualisme naturel des dyula était donc de moins en moins raisonnable à mesure qu'on s'éloignait vers l'est. Les aventures solitaires n'étaient plus possibles et le groupement en caravanes s'imposait avec tout le contexte social qu'il impliquait.
Il fallait d'abord des gîtes d'étapes pour souffler un instant entre deux zones d'insécurité, mais ceci était aussi vrai sur le Haut Niger que dans l'Est. En pays malinké, ces gîtes s'établissaient nécessairement sous la protection d'un chef généralement animiste, même s'ils ne coïncidaient pas avec sa résidence. Ils se transformaient vite en villages dyula et les caravaniers qui les fréquentaient régulièrement devaient y choisir des dyatigi 72.
Ces gîtes d'étapes comportaient nécessairement un marché plus ou moins important où les caravaniers se ravitaillaient. A l'aller, ils payaient généralement en sel, ou en tissus, et au retour en kolas. C'est là que s'approvisionnait la population locale, si bien que la masse des noix sorties de la Forêt s'amenuisait sensiblement avant d'atteindre le Niger 73.
Un certain nombre de gîtes d'étapes se transformaient d'ailleurs en points de rupture de charge 74. De nombreux dyula visitant les franges forestières, en étaient en effet originaires et ne désiraient pas continuer leur route jusqu'aux cités du Niger. Inversement, des colporteurs établis à Bamako, Ségou, San ou Djenné, hésitaient à s'enfoncer plus loin dans le sud. Une partie notable des marchandises changeait donc de main à mi-distance, sous le contrôle inévitable des dyatigi locaux. Les villages où cette pratique était coutumière, devenaient vite des centres considérables qu'on pourrait presque qualifier de villes. Tel était le cas de Samatigila et de Maninyã qui ne furent supplantés par Odienné qu'à la fin du XlXme siècle. Tel fut aussi plus à l'est, celui de Tengrèla ou de Tyõñi et la croissance précoce de Bobo-Dioulasso n'a pas d'autre raison.
Une seconde zone de rupture de charge, qui paraît moins importante, existait d'ailleurs plus au nord. Elle était marquée par Ntèntu, Bougouni, Bolé et Massigi où s'arrêtaient souvent les gens de Samatigila et Tengrèla.
Dans l'Ouest, Kankan seul pourrait s'inscrire dans cette catégorie, mais sa situation est exceptionnelle puisqu'il marque aussi l'extrémité de l'axe soudanien. La zone intermédiaire est ici tellement étroite qu'aucune rupture de charge ne se justifie. Les produits du Sud sont pris en main par les négociants de la place ; c'est là qu'ils entrent dans le cycle commercial du Nord comme ils le font à Bamako, Ségou ou Djenné.
En dehors de ces cas exceptionnels, les gîtes d'étapes demeuraient de modestes villages musulmans qui se distinguaient seulement de leurs voisins animistes par des cases excédentaires qu'on louait un bon prix aux passants. Dans les limites de notre domaine, il semble qu'ils étaient échelonnés tous les cinquante ou soixante kilomètres, soit à deux étapes de marche forcée, ou trois étapes de marche normale 75.
Isolés ou en caravane, tous les colporteurs qui descendaient devaient payer outre le prix de leur nourriture, une taxe (usuru) de montant variable, perçue en cauris ou en marchandises. Très faible s'il s'agissait d'un simple droit de transit (siira usuru) son montant était généralement d'un dixième pour toutes les transactions effectuées sur place (logho-usuru). Son produit était généralement partagé entre le chef de village, dont le percepteur était souvent un captif, et le Mãsa du kafu qui en retenait la moitié, même s'il demeurait plus loin.
De Beyla à Kankan, les dyula payaient six siira-usuru qui ne grevaient pas trop leur bénéfice. Mais dans l'Est, où les étapes se multipliaient, ces droits pesaient lourdement sur eux. Il fallait d'ailleurs y ajouter le passage des grands fleuves, assuré par des piroguiers qui levaient des péages pour le compte des chefs locaux. Un équilibre s'établissait cependant, sans quoi tout commerce se serait arrêté, mais la valeur prélevée dans les deux sens se répercutait finalement sur le prix du kola dans les villes du Niger. Le caractère spéculatif de ce négoce limitait pourtant la liberté des vendeurs, comme on va le voir, si bien qu'avec un peu de malchance un dyula pouvait se ruiner en vendant à bas prix après avoir payé de lourds péages tout au long de son voyage.
On imagine aisément les sentiments que nos gens nourrissaient à l'encontre de ces impositions. Le désir de les supprimer, ou du moins de les réduire, ne paraît pas étranger aux conquêtes de Kong. Les dyula acceptaient de payer dans les gîtes d'étapes car ceux-ci leur rendaient des services évidents, mais la tradition se fait l'écho de leur indignation quand ils devaient verser un usuru à des chefs de petits kafu dont ils traversaient le territoire en hâte, sans y coucher ni négocier quoi que ce soit. Ils s'efforçaient alors de contourner l'obstacle, quitte à perdre un jour ou deux, ou bien ils tentaient de passer en se cachant si les hommes du Mãsa les surprenaient, des heurts violents et même sanglants pouvaient alors se produire. De telles occurrences faisaient soudain flamber une véritable haine des musulmans pour les animistes, avec qui ils s'entendaient d'ordinaire fort bien. Nous verrons que ce problème a pesé lourdement sur la politique de Samori.
Ces entraves pesaient sur tous les commerces à longue distance mais ils étaient particulièrement pénibles aux spécialistes de la kola en raison de la mobilité et de la vitesse qu'exigeait leur négoce. Nous avons souligné la fragilité de ces noix. Elles se conservent difficilement plus de quelques mois et seulement à la condition d'être enveloppées de feuilles spéciales et enfouies dans un sol humide. Sensibles à de nombreux parasites et surtout à la larve du sangara, elles se dessèchent et perdent vite toute qualité en climat soudanais 76. Une soudure difficile était inévitable chaque année puisque c'est justement dans les principales zones consommatrices que le climat interdit de constituer des stocks. La solution se trouvait dans une rotation constante des colporteurs qui approvisionnaient les centres du Niger, mais la chose n'était pas aisée dans le cadre de l'ancienne Afrique. Les dyula ont droit à notre estime pour y être parvenus.
Leur problème était bien entendu d'acheter à bas prix et de vendre fort cher. La récolte commençait en octobre et novembre dans l'Ouest pour s'achever vers février sur le Comoé. Chaque colporteur désirait se présenter très tôt aux courtiers, avant l'arrivée massive de ses collègues, mais sa liberté de manuvre était mince puisqu'il ne pouvait opérer dans son dyatigi, lequel avait les moyens d'agir sur les prix. Les producteurs vendaient volontiers les premières récoltes, pour tirer bénéfice de la rareté des noix ou de la concurrence de nombreux dyula. Dès que les prix baissaient, ils préféraient stocker, surtout s'il s'agissait de fruits de haute qualité. Inversement, l'un d'eux pouvait céder parfois sans tenir compte des cours, à la demande d'un dyatigi auquel il était redevable.
Les noix achetées étaient disposées dans de longs paniers tressés en larges mailles (fufu) et garnis de feuilles d'une essence spéciale (worofira) 77. Une seule noix atteinte de sangara infestait toute la charge, aussi les lavait-on soigneusement au départ. Pour empêcher la fermentation, il fallait défaire le paquet tous les cinq jours, changer les feuilles, aérer et humecter les fruits. Malgré toutes ces précautions, une perte de 10 à 20 % était inévitable avant de toucher au but.
Chaque charge pesait de 20 à 30 kilos et comptait de 2 000 à 3 000 noix selon leur grosseur. On notera qu'il s'agit là d'un poids considérable, supérieur à la moyenne régionale du portage, de même que la longueur des étapes quotidiennes qui atteignaient trente kilomètres. Ces chiffres sont surprenants pour cette partie du continent et ils doivent être considérés comme des cas limites. Ils évoquent bien l'ardeur frénétique d'un colporteur qui se rue en avant pour vendre avant la chute des prix. La caravane de Caillié, malgré une hâte extrême, se contentait d'ailleurs d'une moyenne de 25 kilomètres. Le récit de cet explorateur est pour nous plein d'intérêt. Ses colporteurs guettent avec angoisse les moindres bruits relatifs au cours des kolas à San ou à Djenné et ils décident soudain de modifier leur itinéraire dans l'espoir d'échapper à une vente désastreuse.
Les rotations continuelles des dyula et l'impossibilité du stockage dans le nord expliquent l'extrême sensibilité des pris du kola, qui variaient d'une semaine et d'un jour à l'autre. Chaque colporteur s'efforçait donc d'éviter les centres de vente déjà encombrés et il ne savait jamais où ses pas allaient le mener. La vente était en effet libre, dégagée de tout monopole des dyatigi, car les usagers de la kola désiraient attirer chez eux le plus possible de charges afin de peser sur les prix. Le colporteur pouvait donc opérer n'importe où, après avoir payé l'usuru. Il n'était pas pour autant assuré de vendre, à moins d'offrir des noix de qualité exceptionnelle, car le tout-venant devait être écoulé pendant que la pénurie se faisait sentir. S'il n'y parvenait pas, notre homme pouvait traîner des semaines entières sur le marché, voyant chaque jour de nouveaux fruits se gâter, au lieu de repartir pour un second voyage. La malchance jouant, pour peu qu'il ait payé des usuru abusifs, il voyait fondre son mince bénéfice et finissait par une perte sèche, sans même compter sa peine. Pour éviter de telles angoisses, il fallait de nouveau se tourner vers un dyatigi important, capable d'acheter toute la marchandise car il avait les moyens de l'écouler. Un tel homme prélevait évidemment un bénéfice considérable et ne s'intéressait qu'aux qualités supérieures et aux grandes quantités. Les petits colporteurs ne pouvaient donc guère traiter avec lui. Son existence était la négation de leur individualisme.
Pour simplifier ce tableau, nous l'avons en effet brossé comme si l'unique acteur était le colporteur isolé, travaillant pour son compte. L'importance de ce personnage n'est pas niable. C'était souvent un commerçant d'occasion, assez peu islamisé, et il se faisait dyula pour quelques années afin d'amasser un capital. De tels hommes paraissent avoir été très nombreux. C'est grâce à leur agitation constante que les produits du commerce à longue distance, comme le sel et le kola, étaient présents sur les moindres marchés de brousse.
Le colporteur n'était pourtant qu'une espèce de prolétaire, placé tout en bas de la hiérarchie commerciale. Celle-ci s'ordonnait naturellement en fonction des moyens de transport, ou plutôt de leur appropriation, car ils étaient peu variés. Notre région ignore la navigation fluviale, sauf sur ses franges septentrionales où les Somono tiennent le Niger en aval de Kouroussa. Il est vrai que ceux-ci sont surtout des pêcheurs, mais ils font quelques transports jusqu'à Bamako, sur d'assez grandes pirogues monoxyles. La grande navigation ne commence cependant qu'en aval des rapides de Sotuba, à Koulikoro, et elle échappe donc à notre domaine. Partout ailleurs, dans la zone intermédiaire, l'homme évite les cours d'eau qui sont en outre coupés de nombreux rapides. Les piroguiers y sont de simples passeurs et c'est seulement pour affronter une situation dramatique que Samori organisa en 1891 des transports par eau sur les biefs du Haut Milo avec des Somono déportés du Niger. Les Français allaient l'imiter pendant deux ou trois ans avant de revenir au portage. Nous pouvons donc négliger le commerce par voie d'eau : l'activité intense des fleuves de la Forêt commence seulement très au sud des limites de notre domaine.
Les transports animaux n'étaient pas moins pauvres. Les chameaux charges de sel ne traversaient jamais le Niger et n'atteignaient Bamako que pendant la saison sèche. Les boeufs porteurs étaient couramment employés au Wasulu et dans la région de Bougouni, mais rarement plus au sud, où la fréquence des gîtes à tsé-tsé morcelait l'implantation des bovins. Chaque race étant adaptée à une zone climatique, il était difficile de les employer pour de longs transports méridiens. La lenteur de leur marche aurait d'ailleurs été nuisible à un commerce qui exigeait comme celui-ci une extrême promptitude. Le cheval, animal noble, réservé aux usages ostentatoires et guerriers, doit être exclu de ce chapitre.
Il reste donc à considérer l'usage des ânes et le portage. Le petit âne gris du Soudan, extrêmement robuste et capable d'assez longues étapes à un pas rapide, est sensible à la trypanosomiase. C'était cependant l'un des agents principaux du commerce méridien. A chaque saison sèche, il descendait jusqu'aux marchés de la zone courtière, sur les lisières de la Forêt. D'avril ou mai jusqu'à novembre, il remontait par contre au nord de la ligne Kankan-Bougouni, pour éviter une trop forte mortalité. Chaque âne portait quatre charges de kola, sans bât, et comme elles étaient assez médiocrement fixées, elles tombaient fréquemment, si l'on en croit Caillié 78.
Quel que fût le rôle des ânes, le pays des Malinké du Sud était avant tout une région de portage : le gros du trafic s'y est fait à tête d'homme jusqu'en plein XXme siècle. Portage n'est cependant pas synonyme d'esclavage comme on le croit souvent. Nous ne trouvons pas ici des ethnies entières spécialisées dans ce travail, comme les Loango du Congo ou les Nyamwèzi d'Afrique orientale, mais le colporteur propriétaire de sa charge demeurait l'agent essentiel du commerce à longue distance.
Un jeune homme pauvre ne possédait pas, au départ, le capital nécessaire à ce modeste négoce. Il se louait alors comme porteur libre (on dit sru-sru à Kankan) à un dyula déjà riche, éventuellement à un parent. Nourri par son patron, il recevait en paiement le dixième de ce qu'il portait. S'il arrivait à économiser de quoi acheter une charge, il conquérait aussitôt son autonomie. Dès que possible, il se mariait et spéculait alors sur deux charges. Son capital grandissant, il achetait un esclave, rarement deux, et il n'était pas question de les revendre, mais de les intégrer à la famille car ils peinaient désormais comme leur maître, et mangeaient avec lui. La consécration du succès était l'acquisition d'un âne. Notre homme, déjà vieillissant, cessait désormais de porter et tenait orgueilleusement sa bête par la bride, tandis que les siens suivaient, accablés de fufu pesants. Parvenus à l'âge d'homme, ses fils se joignaient généralement à lui et le suppléaient quand les infirmités de l'âge le réduisaient à l'état sédentaire.
Le dyula moyen ne pouvait pas espérer davantage. Sa vie n'était qu'une course contre l'endettement et la ruine, voire la captivité, car celle-ci sanctionnait fréquemment la faillite.
Pour monter dans la hiérarchie commerciale, il lui (le dyula) fallait diversifier ses activités en introduisant dans le cycle du kola des marchandises prestigieuses comme les esclaves, le bétail ou les armes. Il convient de souligner que ces articles, contrairement au sel, n'étaient pas essentiels au commerce du kola. Celui-ci pouvait se dérouler sans eux, mais leur présence lui assurait une ampleur nouvelle.
Le trafic des esclaves, par opposition à la captivité domestique, parait avoir été lié de tout temps à celui des chevaux, donc à la guerre et au prestige politique. Il est demeuré orienté vers le Sahel et le Sahara jusqu'au jour où la traite européenne l'a attiré vers la Côte et a inauguré le paiement en objets manufacturés, notamment en armes. La traite transsaharienne nous intéresse particulièrement car c'est la seule qui confluait avec le commerce de la kola. Certains des captifs qui l'alimentaient provenaient des guerres intestines entre kafu malinké ou bambara, mais le plus grand nombre était fourni par les lisières de la Forêt. Quand ces hommes formaient l'objet exclusif du négoce, des caravanes de spécialistes descendaient périodiquement du Sahel où ils vivaient au contact des acheteurs maures. Ces esclavagistes étaient presque toujours des Sarakholé, au moins d'origine, comme les Bunduka du Fuuta-Dyalõ 79. Qu'ils fussent pris dans des guerres intestines, kidnappés, condamnés, ou vendus pour dettes. les captifs devaient être éloignés afin de leur ôter l'espoir de rentrer chez eux. Les acheteurs de kola, s'ils disposaient d'un capital suffisant s'en procuraient le plus grand nombre possible et les chargeaient sans merci de noix. Caillié vit avec peine « des petites filles esclaves, âgées de 12 à 15 ans, faisant partie de notre caravane, qui portaient de grosses charges de kolas sur la tête, pleurer, ne pouvant supporter la fatigue de la route, et laisser tomber leurs fardeaux ». Les captifs portaient des colliers de corde, fixés par couples à des bâtons, de façon à ne pouvoir courir. Leurs jambes étaient généralement libres et les deux produits du Sud, l'un portant l'autre, remontaient vers le Niger où tous deux étaient vendus. Ils ne pouvaient être entièrement transformés en sel, car la mise en vente du captif posait u problème de portage. Celui-ci était réglé par l'achat d'ânes ou de bufs qui provenaient généralement des marchés du Wasulu ou du Fuuta-Dyalõ. Les boeufs-porteurs descendaient rarement vers le sud, et ceux qu'on achetait étaient destinés à la vente, mais on en profitait pour les charger de sel ou de tissus. Si le troupeau était considérable, le propriétaire louait généralement un convoyeur peul. Voyageant au cur de la saison sèche et évitant soigneusement les galeries forestières, il vendait ses bêtes aux gens du Konyã, et particulièrement aux Fula du Haut Pays. Les Forestiers en achetaient aussi mais ce bétail du Nord ne pouvait survivre dans leur pays et ils le sacrifiaient sans tarder, à l'occasion des grandes fêtes, de façon à épargner leur propres troupeaux, mieux adaptés au climat.
Le commerce des armes posait des problèmes très différents car l'insertion du commerce du kola sur la traite européenne n'allait pas de soi. Sauf en Sénégambie, les noix poussaient précisément sur la Côte, et la population locale en consommait fort peu. Les dyula de l'hinterland ne pouvaient donc s'y rendre , pour acheter des armes, qu'avec une autre marchandise, ou alors il fallait insérer la kola dans une sorte de commerce triangulaire. Dans le premier cas, ils livraient directement l'ivoire avec les captifs qui le portaient, bien que ceux-ci fussent le monopole de traitants spécialisés, surtout dans le pays des Rivières où régnaient les Bunduka. La régression de la traite des Noirs, au XIXme siècle, nécessita bientôt l'organisation d'un circuit plus complexe. Les esclaves, comme le kola, n'allaient plus jusqu'à la Côte. On les échangeait, en route, contre des bufs, surtout dans le Fuuta-Dyalõ, car ce pays amateur d'esclaves était favorisé par le voisinage des Rivières. Le bétail était toujours le bienvenu sur la Côte, mais il n'aurait pas suffi à des échanges importants. Ceux-ci, une fois de plus, reposaient sur l'usage de la poudre d'or. Il était facile de s'en procurer contre des kolas, dans le Burè ou même à moins bon compte, à Kankan. Cette marchandise précieuse, bourrée dans des plumes d'oiseau, présentait un volume et un poids presque nuls. Elle n'aurait donc posé aucun problème de portage s'il n'avait pas fallu remonter les armes qu'elles servait à payer. La solution n'était pas simple car on ne pouvait acheter des esclaves sur les Rivières, à très haut prix, pour les ramener dans l'hinterland d'où ils venaient. Quant aux ânes, ils ne fréquentaient la Côte qu'en Sénégambie, et se trouvaient généralement inutilisables.
Le dyula acheteur d'armes partait donc avec ses captifs, chargés d'une autre marchandise, ivoire, grains ou peaux. Ces soucis étaient épargnés au colporteur isolé qui descendait un fufu de kolas et remontait avec un ballot d'armes sur la tête, mais il n'en profitait guère. Les routes étaient en effet si longues et si dangereuses, qu'une telle aventure n'était pas tentée souvent. Le commerce des armes, comme celui des esclaves, nécessitait une nombreuse troupe armée et ce n'était pas le fait d'individus besogneux.
Sans connaître l'organisation rigide et la discipline militaire que le désert imposait aux caravanes du Sahara, celles des savanes ouest africaines (sèrè) étaient cependant de grandes entreprises. Caillié nous raconte la formation de l'une d'elles, à l'initiative de quelques dyula de Tyémé et du voisinage qui venaient d'acheter des kolas sur les marchés de la zone courtière.
« Elle était composée de 45 à 50 Mandingues, portant des charges sur leur tête, d'environ 35 femmes qui portaient également chacune un fardeau et de 8 chefs conduisant leurs ânes, au nombre de 15. Ces chefs ont leurs esclaves et leurs femmes qui portent les bagages et font la cuisine pendant la halte pour tous ceux qui composent la caravane ; ces femmes prennent les devants et les hommes viennent après. Le bruit qu'ils font avec leurs sonnettes prévient de leur approche. Les Mandingues aiment beaucoup les sonnettes, dont le tintement les distrait en route… A leur arrivée dans un village, les femmes vont puiser de l'eau et pilent le mil pour préparer le dîner de tout le monde ; après quoi, elles font chauffer, dans de grands vases qu'elles empruntent, de l'eau qui est destinée pour le bain des hommes, ensuite, elles recommencent à piler le mil pour souper. Les esclaves sont chargés d'aller à la recherche du bois pour faire la cuisine : les nègres libres sont exceptés de tout cet embarras : ils se couchent et se reposent en attendant qu'on leur donne à manger, puis ils parcourent le village avec une calebasse dans laquelle il y a quelques colats qu'ils échangent contre des cauris qui leur servent pour l'achat du grain destiné à nourrir la caravane… » (T. I, pp. 60-69).
Ces petites ventes portaient aussi sur du tissu fabriqué dans leurs villages d'origine, véritable monnaie du voyageur. Les femmes filaient à temps perdu et le bénéfice personnel qu'elles en tiraient, servait à acheter, au bout du voyage, du sel et de la verroterie.
« Ils s'occupent aussi de régler les droits de passe car tous les marchands étrangers, quel que soit leur nombre, sont obligés solidairement de payer, dans chaque lieu où ils stationnent, une petite rétribution qui varie quelquefois, mais est communément fixée à 20 colats par charge, valeur de 200 cauris 80. Lorsque la caravane est nombreuse, ce qui arrive souvent parce qu'elle se grossit en route, un homme peu chargé prend les devants pour arriver le premier au village afin de retenir des logements pour ses compagnons… Ceux qui ne prennent pas cette sage précaution sont exposés à chercher une heure dans le village pour trouver un logement et souvent sont obligé d'aller plus loin. Il est d'usage que les premiers arrivés reviennent sur leurs pas pour aider les autres à porter leurs charges, surtout lorsque la route a été longue. » (II, p. 70).
Cette caravane de Tyémé était, il est vrai, des plus petites et elle ne traversait aucune zone de forte insécurité. Elle était donc faiblement armée et dépourvue d'une véritable escorte, ses hommes étaient simplement pourvus d'arcs et de flèches 81. De tels groupes se formaient et se défaisaient sans cesse, au hasard des renseignements sur les cours de la kola qui orientaient leurs membres d'un côté ou de l'autre. La solitude totale du colporteur était insupportable : elle l'exposait au meurtre vulgaire, même en pays très calme. Aussi voyait on des jeunes gens se grouper en bandes, soit trois ou quatre amis qui voyageaient habituellement ensemble. Nous connaissons ainsi trois compagnons de route du jeune Samori. Une autre formule était la troupe familiale, groupant le père, les épouses, les fils et quelques captifs. Plusieurs d'entre elles formaient alors une caravane, comme celle de Tyémé. dont chaque élément gardait son autonomie. Les voyageurs pouvaient ainsi écarter quelques brigands, mais non affronter une zone de forte insécurité. Ils ne pouvaient pas non plus escorter de nombreux esclaves et n'osaient pas se risquer avec de fortes quantités d'or.
Pour résoudre de tels problèmes, il fallait des solutions d'une autre nature. Si un personnage important expédiait de nombreuses charges, il n'hésitait pas à organiser une escorte armée, dispensée du portage. Celle-ci était pourvue d'un chef militaire qui devenait le patron de la caravane (sérè-kuntigi). De nombreux colporteurs affluaient pour bénéficier de sa protection, mais ils devaient alors payer un droit qui s'élevait généralement au dixième de leur charge pour l'ensemble du voyage. Si l'initiative venait d'un chef politique, il se laissait parfois aller à un véritable coxage pour constituer la caravane.
Celle que suivit Caillié de Boké à Timbo s'était formée au Fuuta-Dyalõ sous couleur de protéger les marchands contre les jeunes nobles qui hantaient les boowe. Dans ce dessein louable, le fils de l'Almami de Timbo, qui la commandait, avait eu recours à d'étranges procédés. Ses hommes avaient barré toutes les pistes, rassemblé de gré ou de force tous les colporteurs qui se présentaient et les avaient invités à se grouper et à payer pour assurer leur sécurité.
Si l'insécurité était réelle, de telles contraintes étaient d'ailleurs superflues et les caravanes armées devenaient vite énormes. Ce sont des masses de plusieurs centaines d'hommes que voyaient déboucher les comptoirs des Rivières ou de Sierra Leone, jusqu'à la fin du XIXme siècle. Bien que plusieurs itinéraires fussent toujours possibles, ces troupes posaient de tels problèmes de logement et de ravitaillement qu'elles ne pouvaient se déplacer au hasard. La population des pays traversés les accueillait bien, mais seulement dans la mesure où elle pouvait les faire payer sans attirer sur elle la disette. La soudure correspondait heureusement à un arrêt plus ou moins total des voyages et ceux-ci ne reprenaient qu'avec la saison sèche, après la récolte. Caillié nous a montré comment on logeait chez l'habitant et la tradition nous parle des grands hangars (gbá), voisins du marché, où couchaient certains colporteurs contre un loyer revenant au chef du village. Il reste qu'on ne se présentait pas au hasard dans n'importe quel hameau païen et que chaque chef de caravane était tenu de faire étape dans un des centres habitués aux étrangers, où il était connu ou du moins recommandé.
L'organisation d'une grosse caravane sous escorte armée était l'affaire d'un commerçant puissant, véritable « armateur » ou de plusieurs notables groupés dans une sorte de société 82. Le « dyago-tigi », maître du négoce, nous introduit donc au sommet de a hiérarchie du commerce traditionnel. Samori a eu un moment l'ambition d'être l'un d'eux.
Nous découvrons ici un groupe social qu'il convient d'examiner avec le souci d'éviter les généralisations abusives, en dépit de l'homogénéité certaine qu'il présente à travers tout le monde malinké. Nous connaissons assez bien les traits qu'il prend sur l'axe nigérien, grâce aux travaux de Monteil sur Djenné, et à des études moins poussées sur Kankan et Bamako.
Il est remarquable que les grosses fortunes dyula se sont rarement fondées, sur le seul commerce. Bien que la valeur personnelle jouât ici un grand rôle, elles étaient le fait de lignée plutôt que d'individus. Tous les dyula puissants que nous avons rencontrés avaient en effet réussi dans un pays où leurs ancêtres étaient stabilisés depuis plusieurs générations et avaient noué des alliances étroites avec les autochtones. Le phénomène est particulièrement marqué dans la zone courtière car il fallait du temps à une lignée d'immigrants pour établir des liens privilégiés avec une « tribu » forestière. La mobilité caractéristique du petit colporteur s'efface donc si nous considérons le grand homme d'affaires.
Vrai roi sans couronne du Butè, nous en offre l'exemple. Il était issu de la lignée souveraine, mais d'une branche cadette et sans puissance coutumière, établie à Didi, le gros marché où les marchandises de Freetown s'échangeaient contre la poudre d'or. Nana-Fali avait eu l'idée de se livrer à l'agriculture dans un pays où les autochtones cultivent à peine et où l'afflux des mineurs crée la pénurie à chaque saison sèche. Gagnant beaucoup sur ses récoltes, il avait acheté de nombreux captifs qui fondèrent le village de Nafadyi, ainsi que plusieurs hameaux, trente kilomètres à la ronde. Il se lança alors dans le commerce à longue distance, déployant une activité intense dans plusieurs domaines. Il s'imposa aux étrangers comme le principal dyatigi du Burè, en procurant de la poudre d'or à ses hôtes au cours de réunions discrètes dans sa concession. Il possédait lui-même une grande quantité de métal précieux et il en cédait au prix fort aux caravanes pressées, si les mineurs faisaient défaut. Il emmagasinait au besoin les marchandises invendues et les écoulait progressivement entre deux voyages de ses hôtes. Il était propriétaire de gros stocks de produits exotiques, venant du Sahel (sel), ou de la Côte (sel, armes, tissus, verroteries) et il les cédait aux mineurs, à l'occasion, au meilleur prix. Pour se les procurer, il formait une ou deux fois par ans ses propres caravanes confiées à des captifs de confiance et fortement escortées pour descendre à la Côte par le Fuuta-Dyalõ. Il ne parait guère avoir utilisé la route du Sãnkarã et de Falaba, sans doute en raison de la menace des Hubbu. Il était lié à des gros dyula de Timbo et de Kankan, qui servaient de dyatigi à ses caravaniers et qui facilitaient leurs opérations. Il parait, en revanche, ne s'être guère intéressé au kola et n'avoir pas entretenu de relations spéciales avec les gens du Konyã. Samori avait fréquenté Nana-Fali dans sa jeunesse, quand ni l'un ni l'autre n'étaient de grands personnages et cette amitié aura d'importantes répercussions politiques. Ce Dyalõnké, converti à l'Islam et s'adonnant au commerce, était considéré comme dyula bien qu'il n'ait joui d'aucune autorité coutumière, il devint vite le véritable maître du Burè. Ce kafu dont la vie sociale suivait le rythme du travail des mineurs connaissait un pouvoir politique faible, toujours prêt à plier devant les conquérants et à les amadouer par un tribut en or. Les trois lignées Kamara du Buré, entre lesquelles alternait le titre de Mãsa, manquaient de prestige et elles pliaient généralement devant la volonté de Nana-Fali 83. Celui-ci n'aura donc aucun mal à rallier le pays à son ancien hôte Samori.
A Kankan, le correspondant du maître de Didi était Bubu Silla, dont la lignée était assez ancienne dans le Baté, mais qui fut le premier à faire fortune en se spécialisant dans le commerce de la Sierra Leone. Une grande partie des produits européens distribués dans la zone préforestière, depuis le Pays Kisi jusqu'au Konyã, transitait par ses soins. Il servait en outre de dyatigi aux marchands de sel de Bamako et aux vendeurs de boeufs du Fuuta-Dyalõ;. En sens inverse, il recevait de nombreux colporteurs de kola. Il paraît enfin s'être intéressé spécialement au commerce des armes et à celui des esclaves destinés à Timbo et possédait lui-même de nombreux captifs qui cultivaient aux alentours de Kankan pour nourrir ses hôtes et ses porteurs. Les liens étroits qu'il entretenait avec les centres dyula de Ko-Nafadyi et du Nyumamãndu d'une part, de Beyla-Dyakolidugu de l'autre, attestent l'importance du commerce kolatier issu du Kissi et du Konyã. Ils expliquent les guerres de Kankan contre le Sãnkarã et le Torõ auxquelles Bubu Silla ne fut sans doute pas étranger. Il allait pousser à la première alliance entre Samori et les musulmans mais il ne saura pas éviter la rupture de 1879. Il se ralliera au conquérant dès la chute de la métropole et jouera un rôle considérable dans l'organisation du commerce officiel que l'Almami voulait diriger vers la Côte.
Ces deux exemples suffisent pour dégager les traits principaux d'un grand négociant dyula. Son prestige reposait sur son rôle de dyatigi qui supposait des liens solides avec les autorités coutumières et politiques. Par l'intermédiaire de ses hôtes, il gardait contact, malgré la distance, avec les zones d'où provenaient les produits échangés. S'il n'y créait pas de véritables succursales, il y possédait du moins des correspondants réguliers qui le renseignaient sur la qualité des récoltes l'évolution des cours la formation des caravanes. Notre homme pouvait alors spéculer, vendant avant qu'une troupe de colporteurs ne fasse baisser les prix, ou stockant jusqu'au moment où la pénurie les relevait. Il pouvait ainsi acheter à bon compte, sous couleur d'aider des hôtes incapables d'écouler leurs marchandises, ou bien vendre à crédit aux colporteurs qu'il voulait favoriser ou qu'un de ses correspondants recommandait. C'est ainsi que Bubu Silla avançait souvent des marchandises européennes (tissus, poudre, armes) à des dyula qui descendaient vers la Forêt, et ceux-ci le payaient au retour en kolas, avec une forte commission. Il envoyait des échantillons de noix à Nana-Fali, et l'avertissait des cours prévisibles : le maître de Didi lui faisait alors connaître ses besoins et lui avançait souvent la poudre d'or nécessaire.
Le fait capital, noté par tous les voyageurs, est que, dans les centres dyula, seules les transactions secondaires avaient lieu sur le marché. Toutes les affaires importantes se traitaient dans le secret des concessions des dyatigi qui s'employèrent à mettre en présence leurs hôtes et ceux de leurs voisins. C'est là aussi qu'on discutait la formation des grandes caravanes qu'il convenait d'orienter astucieusement, au moment convenable, vers les lieux où le bénéfice serait le plus grand.
Les gros intermédiaires des pays préforestiers ne répondent pas entièrement à ce type. Alors que le grand dyula de la zone intermédiaire, quoique sédentaire, se trouve au centre d'un réseau de relations fort étendu, avec des parents ou des captifs sans cesse en mouvement, son collègue de la zone courtière a un champ d'action beaucoup plus restreint. Ses gens ne dépassent pas les marchés forestiers voisins, à un ou deux jours de distance, et les relations privilégiées qu'il y entretient se trouvent, comme on l'a vu minutieusement délimités. Sa marge de spéculation est donc faible, compensée cependant par le jeu d'un monopole presque absolu et notre homme demeure étroitement lié à ses collègues du Nord.
A Dyakolidugu il servait de dyatigi aux gens de Bubu Silla et le renseignait sur les récoltes les cours de la kola le mouvement des colporteurs. Grâce à lui, les agents de son correspondant pouvaient traiter au meilleur compte et dans le moindre temps, mais c'est eux qui venaient à lui, et jamais l'inverse. A l'égard de ses clients forestiers, il pratiquait diverses formes d'usure, leur cédant à l'avance les marchandises dont ils avaient envie, contre un paiement différé, avec intérêt abusif, lors de la récolte du kola 84.
Ce panorama du monde dyula serait incomplet si on omettait d'évoquer les relations des commerçants avec les artisans castés. Avec leur mentalité particulière et leur genre de vie spécial, les dyula se trouvaient en marge de la société animiste, et cette position n'était pas sans rappeler celle des castes. Il est vrai qu'ils ne subissaient pas la ségrégation sexuelle et qu'ils l'imposaient eux-mêmes aux Nyamakala. Une certaine ambiance commune les rapprochait pourtant et il est certain que les artisans, moins enracinés que les paysans, se faisaient plus volontiers colporteurs. Ils ne perdaient pas pour autant leur statut. Ils pouvaient s'enrichir après une vie de négoce mais ils ne se mariaient jamais à de véritables dyula. Le cas le plus remarquable est celui des Koroko, vanniers et forgerons de la région de Bougouni, qui se sont mis au colportage de la kola et y ont tenu une très grande place jusqu'à Samatigila et Séguéla. Ce sont d'assez humbles gens, peu estimés des sédentaires, mais ils ont acquis une compétence extrême en géomancie, et cette emprise surnaturelle les rendait redoutables.
Les hommes de caste nouaient des amitiés solides avec les dyula ordinaires, qu'ils coudoyaient sur les pistes. et qui, de ce fait, n'adhéraient pas entièrement aux préjugés courants. Nous verrons que Samori entretenait des relations étroites avec les griots, qui allaient jouer un rôle notable dans son ascension, et que des liens particuliers l'unissaient aux Koroko.
Il est enfin un artisanat non casté, le tissage, dont les liens particulièrement étroits avec le commerce à longue distance méritent un examen rapide. Bien que les tisserands ne fussent pas des Nyamakala, et qu'aucune restriction matrimoniale ne les frappât, la nécessité de transmettre des techniques assez complexes réservait la profession à un petit nombre de lignées. Tous les peuples de la région connaissaient cet art, mais ils le pratiquaient avec plus ou moins d'assiduité. Les tissus de haute valeur artistique, comme ceux des Guro ou des Guerzé, demeuraient des exceptions. Le coton, partout présent, était cultivé avec un succès inégal, mais son transport était aisé si bien qu'il n'avait qu'une faible incidence sur la géographie de cet artisanat. L'importance du tissage pour le commerce découlait exclusivement de la nature de ses produits, car ceux-ci étaient aussi faciles à conserver qu'à diviser. Nous avons déjà souligné la fonction quasi-monétaire des bandes de coton. Cela explique que nous rencontrons très souvent le commerce et le tissage au sein des mêmes lignées. Aux yeux des Malinké païens, ce métier était une activité de dyula 85, mais c'était aussi le fondement de la domination économique des commerçants allogènes en Pays Sénufo.
Tout en restant fidèle aux techniques traditionnelles, il semble que le tissage ait dépassé en quelques points le stade artisanal. Dans la vallée du Niger, de riches entrepreneurs dirigeaient de véritables manufactures, comme cette femme de Ségou que Caillié vit acheter du coton en quantités massives autour de Tengrèla, pour approvisionner les nombreux captifs qu'elle employait à tisser (II, p. 113). Il n'existait rien d'aussi remarquable, entre Bamako et la Forêt, mais les tisserands y tenaient quand même une place considérable. Au lieu de se disperser par petits paquets, en milieu paysan, ils se regroupaient généralement en quartiers, dans quelques gros villages, et de préférence dans les régions où ils trouvaient une clientèle importante. Le fa d'un lignage de tisserands était un personnage de poids quand il contrôlait le travail de ses parents et de nombreux captifs. Il envoyait les siens vendre leurs produits assez loin et se livrer à l'occasion à d'autres commerces tandis que sa fortune assurait son influence sur les chefs autochtones. Tel fut le cas des lignées Turè, originaires de Sidikila, sur le Sãnkarani, qui se sont répandues au XVIIIme siècle le long des routes kolatières du Mau et du Worodugu. A Gbaralo, près de Bougouni, à Maafélé dans le Wasulu et enfin à Samatigila, ils s'imposèrent comme tisserands et s'immiscèrent dans le commerce de la kola. Nous verrons que ces artisans dyula sauront se faire guerriers et transformer leur prépondérance économique en domination militaire car ce sont les fondateurs du Kabasarana ou royaume d'Odienné. Les ancêtres de Samori ont peut-être pratiqué un moment le tissage et la tradition fait état de leur parenté lointaine avec ces Turè.
Les dyula à eux seuls forment donc un milieu d'une extrême complexité et c'est à leur présence dans son sein que la société malinké doit son ouverture remarquable sur le monde et ses grandes facultés d'adaptation. Laissés à eux-mêmes, les cultivateurs animistes s'enfonceraient dans des clivages héréditaires, mais ces frères de race remuants et admirés leur donnent l'exemple de stratifications fondées sur la richesse et la valeur personnelle. On songe presque à des classes sociales et si on devait trouver celles-ci quelque part dans ce domaine, ce serait certainement parmi les dyula. Ces hommes surprennent tout de suite par les tendances individualistes qui les opposent au collectivisme massif des cultivateurs. La coutume dyula ou Maninka-Mori diffère profondément de celle des Malinké, surtout en matière de dévolution des biens. Nous verrons qu'elle se justifie en invoquant le droit musulman de tradition Malékite dont elle voudrait n'être qu'une interprétation. Elle s'explique pourtant par le morcellement des nombreuses lignées, toutes de faible profondeur, qu'une vie nomade a juxtaposées dans les principaux centres commerciaux. Ce morcellement est confirmé par une endogamie relative, inconcevable aux yeux des autres clans. Le partage de l'héritage du père entre ses fils majeurs, sans oublier le douaire réservé aux filles, détruit en outre l'unité des biens du lignage et ébranle l'autorité du fa. Si la propriété individuelle ne s'étend pas à la terre, comme dans certaines régions du Fuuta-Dyalõ, c'est que le sol cultivable ne présente ici qu'une mince valeur. On abandonne ce domaine à la tradition animiste, mais les constructions et les jardins enclos du voisinage sont soumis aux mêmes règles que les meubles. L'usage de biens de prestige pour la prestation des dots ou à l'occasion des funérailles est ici réduit au minimum.
Ces individualistes s'appliquent à soustraire une fraction des produits du pays au cycle fermé de l'économie de subsistance et son importance minime n'enlève rien au caractère révolutionnaire du fait. Le dyula transforme systématiquement le produit en marchandises, car il est en quête d'une valeur d'échange, et l'emploi qu'il fait des cauris, des genzé et de la poudre d'or est celui d'une véritable monnaie. A l'affût de toute occasion de profit, il vit dans l'espoir d'acheter bon marché et de vendre fort cher. Voyageur et exportateur, il doit se renseigner sans cesse sur le cours des marchandises. Entrepositaire, il lui faut surveiller la conjoncture sous peine de voir son capital se dissoudre spontanément.
Le mot est prononcé. Le grand dyula évoque le bourgeois, N'est-il pas presque toujours un citadin ? Quand on considère un homme comme Nana-Fali, on hésite à peine à le qualifier de capitaliste.
Nous ne voulons pas dire, bien entendu, que les dyula pratiquent le capitalisme. Selon l'ancienne terminologie d'Engels, la société malinké serait une démocratie primitive, mais les esclaves, ou plutôt les captifs, y sont fort nombreux et certains éléments font songer au féodalisme. Les marxistes qui cherchent à éviter le dogmatisme, comme Suret-Canale, sont donc à la recherche d'une formule pour rende compte de ces développements originaux et ils ont rouvert le débat fameux sur le « mode de production asiatique » en élargissant la signification de ce concept. Il en sera question plus loin.
Quelle que soit la méthode qu'on adopte pour analyser l'ancienne société malinké, on est en droit de parler à son sujet de capital commercial et financier, comme on le fait à propos de l'antiquité classique. Une fraction de la communauté dyula constituait en somme, au sein d'une économie de subsistance, un véritable « secteur capitalistique ». Cette expression heureuse est de Maxime Rodinson et ce n'est pas par hasard s'il l'a forgée en considérant l'Islam médiéval car celui ci a profondément influencé la culture dyula. Il est vrai que la terre reste ici étrangère à la capitalisation, car celle-ci se fonde essentiellement sur les richesses mobilières. C'est là un trait archaïque mais il est compensé par le refus des échanges ostentatoires et la réduction du troc à très peu de choses. La capitalisation s'effectuait en marchandises ou en poudre d'or et les bénéfices étaient réinvestis dans le commerce. Le prêt et l'usure, bien que peu développés, introduisaient déjà au capital financier.
Dans les limites, encore restreintes, du commerce à longue distance, il semble donc bien que nous ayons ici affaire à une économie « désenclavée » pour reprendre l'expression de Polanyi (disembedded) 86. C'est-à-dire qu'elle était largement dégagée des impératifs non économiques et qu'elle se fondait essentiellement sur la recherche d'un gain, mesurable par des procédés d'ordre monétaire.
Les relations entre ce commerce d'esprit étonnamment moderne et la vieille économie de subsistance, ou plutôt entre les sociétés fortement contrastées qui pratiquaient l'un ou l'autre, posaient des problèmes délicats mais la coutume les avait résolus avec sûreté depuis des siècles. L'institution des dyatigi assurait efficacement les transferts entre une société enracinée et hiérarchisée où toutes les relations étaient hautement personnalisées, et un secteur extrêmement mobile où dominait la recherche du profit. Ces rouages se sont avérés d'une extrême souplesse : les dyatigi ont en effet permis au commerce dyula de s'insérer sur l'économie de marché que les comptoirs européens installaient aux portes du continent. Dans la seconde moitié du XIXme siècle, chaque maison européenne des Rivières commanditait de riches dyula fixés sur place, dont la tâche était d'attirer et d'héberger les caravaniers descendant de l'Hinterland et de s'assurer l'exclusivité de leurs marchandises. Samori allait utiliser ce réseau pour ses achats d'armes.
Grâce à ces transitions, la société dyula allait fléchir moins que d'autres sous le choc de la colonisation. Certains grands personnages sauront imiter les méthodes commerciales des conquérants et la masse des colporteurs branchera ses activités sur les comptoirs dont elle assurera le relais au niveau des marchés de brousse.
Notre excursion sur les pistes des dyula nous a fait prononcer les mots de capital et de classe sociale, qui surprennent dans l'Afrique traditionnelle. C'est effectivement dans leur sein qu'on pourrait trouver des germes de conflits de classe et non dans le cadre de la société animiste, avec ses castes et ses grands lignages hiérarchisés. C'est ainsi que les intérêts des petits colporteurs ne coïncidaient guère avec ceux des grands commerçants sédentarisés Ceux-ci les taxaient en s'imposant comme hôtes et intermédiaires ou comme maîtres de caravanes armées, à côté des Mãsa animistes qui levaient les péages, l'usuru et les droits de marché. Ces dernières charges pesaient aussi sur les agents des grands dyula, mais le poids politique et financier de ceux-ci était tel qu'ils ne les ressentaient guère et qu'ils pouvaient toujours discuter en égaux les conditions des chefs politiques. Ils se trouvaient finalement d'accord avec tous pour exploiter les colporteurs et les empêcher d'échapper à leur condition besogneuse.
Il ne semble pourtant pas qu'un esprit de classe soit jamais né chez ces derniers car la dispersion empêchait leur solidarité de se cristalliser. Certains faits retiennent cependant l'attention. C'est ainsi que les colporteurs se rallieront en masse à Samori qui avait partagé leur vie et qu'ils prépareront son avènement par une propagande active, alors que les grands centres musulmans comme Kankan ou Beyla, seront longtemps réticents, sinon hostiles. Des facteurs religieux expliquent d'ailleurs l'attitude du premier, tandis que le second craignait sans doute pour son monopole de courtage. Inversement, les plus grands « capitalistes » de la région allaient se rallier à Samori dont ils attendaient la sécurité des routes commerciales.
Cette diversité de réactions ne doit pas surprendre car ces individualistes ne se définissent comme groupe qu'en s'opposant globalement aux animistes avec lesquels ils vivent en symbiose, mais qu'ils méprisent secrètement. En milieu animiste, une lignée pouvait l'emporter sur les autres, mais aucun homme n'aurait osé manquer à ses frères en s'élevant au-dessus d'eux. Loin de haïr celui qui est plus savant ou plus riche que lui, le dyula rêve au contraire de l'imiter et l'agite en conséquence. L'école coranique lui inculque une science qui est peut-être sclérosée, mais qui vise à accroître ses capacités individuelles alors que l'initiation animiste veut établir le conformisme nécessaire à une vie sociale tranquille .
L'émiettement de cette société ne doit pas nous masquer sa cohésion profonde, qui est fondée sur un genre de vie original et une attitude commune devant la vie. En subordonnant tout à la recherche du gain et au succès individuel, le dyula croit exprimer son attachement aux seules valeurs qu'il reconnaisse comme universelles, celles que l'Islam incarne à ses yeux.
Notes
1. Pour les marchés ouest africains, on se reportera surtout aux études de Meillassoux et Skinner publiées dans l'excellent volume de Bohanan: Markets in Africa (1962)
2. Meillassoux, in Bohanan (1962), pp. 279-299
3. La pratique de louer des étals, commune chez les Hausa était inconnue sur le Haut Niger
4. On trouve souvent dans les grosses agglomérations un petit marché quotidien de produite vivriers. II n'interfère pas sur le rythme du grand marché.
5. Bohanan (1962 p 9)
6. Voir en dernier lieu M. Dupire in Bohanan 1962 (pp. 335-364] Winter signale l'absence d'échanges entre les Iraqw et les Masaï précoloniaux, bien que leurs économies soient parfaitement complémentaires (id., pp. 457-469).
7. A ce sujet, Brunschwig. Le troc et la troque (C.E.A., 1962) Un article posthume de K. Polanyi (J.A.H., 1964, pp. 381-393) expose avec une clarté remarquable la genèse du « paquet » (sortings) et la façon dont sa valeur était calculée avec une monnaie de change, l'ounce (once), fondée sur la poudre d'or et qui fit preuve de stabilité en dépit des variations du commerce européen.
8. Sur la « monnaie d'étoffe » chez les Wolof, voir Amet, in Bohanan (1962), pp. 29-61. Selon Skinner, les caravaniers Mosi emportaient des bandes de coton pour leurs achats courants de nourriture (id., pp. 237-278).
Les Malinké ont admis au XIXme siècle un certain usage des pièces d'argent britanniques de 6 pence et 15 shilling. qu'ils appelaient respectivement: tãnka et tãnka-ba.
9. Pour les cauris, on se reportera naturellement à Mauny (1961, P. 420-421, mais aussi 1957). Nous n'aborderons pas le problème des perles de verre car celles-ci n'ont jamais joué le rôle de monnaie dans notre région.
10. R. Portères. La monnaie de fer dans l'Ouest Africain (J.A.H., 1960. reproduit in R.A, 1960). Sur les Sõmpè dans l'économie Guro, Meillassoux.
Selon Suret-Canale (1962) l'usage des genzé n'aurait disparu en pays toma qu'à la suite d'une interdiction administrative en 1960. En Pays Kisi, dès 1955, ils n'avaient plus qu'un emploi rituel. Les genzé circulaient attachés en bottes de 20.
C'est par abus que Chevalier (1911, pp. 376-79) parle de l'usage monétaire des kolas en Pays Toma et Guerzé. Ces noix servaient bien à de nombreux petits achats, mais elles n étaient qu'un instrument de troc privilégié. Leur valeur est trop variable selon la grosseur des noix, et leurs cours trop irréguliers selon l'abondance saisonnière pour qu'on puisse parler de monnaie. Les genzé méritent seul ce nom et leur équivalence au kola était toujours connue.
11. Rappelons que des fers de houes ont servi de monnaies en plusieurs régions d'Afrique, et des barres de fer, d'origine européenne, sur plusieurs points de la côte. Celle-ci a connu aussi les manilles, des gros bracelets de laiton, qui ne sont que des houes pliées. L'ancien Ghana paraît enfin avoir utilisé des petits lingots de cuivre et les croisettes du Katanga sont bien connus.
12. Sur cet aspect rituel, voir Dieterlen (1952),
13. Il est significatif que les sõmpè servent de moine en moins de monnaie à mesure qu'ils se raréfient. En s'enfonçant dans la Forêt, ils se transforment en matière première ou en biens de prestige, et sont réservés au paiement des dots ou à la capitalisation ostentatoire.
14. Les barres de sel gemme, pesant 25 à 28 kilos et mesurant 1 mètre de long sur 0.40 m de largeur pour 5 à 6 centimètres d'épaisseur, étaient transportées à dos de boeufs ou d'ânes. Jusqu'à Kankan, Maninyã, Odienné, Kani ou Sagbala. Chacune était débitée en douze petites barres d'environ 2 kilos qui servent désormais d'unité d'échange. A Séguéla ou Mankono, chacune d'entre elles valait de 400 à 500 kolas. (D'après le Capitaine Schiffer, ms.).
15. Les tradition Hausa signalent cependant des castes dès l'origine et cette institution semble fort ancienne chez les Bwamu. Chez les Sénufo par contre, elles paraissent coïncider avec des groupes d'immigrés allogènes.
16. Sur le commerce muet, dernière mise au point de Mauny (1961, p. 362-365).
17. Mauny, 1961 ? J.-P. Clark, 1958.
L'archéologie devrait nous révéler un jour les cultures originales qui naquirent alors au Soudan. C'est sans doute à cette phase préislamique qu'il faut attribuer les civilisations à tumulus du Sénégal et du Niger. La position des mégalithes n'est pas encore déterminable.
18. Le commerce de l'or soudanais dans l'Antiquité paraît avoir été trop faible pour transformer profondément les sociétés d'Afrique Noire, Mauny pense qu'il se trouva réduit à très peu de chose entre la chute de Carthage et l'invasion arabe (1961, p. 299).
Le problème d'ensemble est posé par Braudel (1946) et Lombard (1947).
19. Nous sommes convaincus que le Ghana ne s'est pas cristallisé avant le VIIIme siècle et que les légendes sur sa dynastie d'origine blanche sont sans fondement.
Le meilleur exposé sur l'histoire du Ghana reste celui de Mauny. « Etat actuel de la question de Ghana ». (B.I.F.A.N., 1951, pp. 463-475) mis à jour dans sa thèse (1961). Sur sa carte du Ghana, il étend à tort le domaine de la langue Soninké (Sarakholé) à la région de Djenné et à la Boucle du Niger où l'on parle en fait divers dialectes voisins du Bambara (Marka, Dafiñ). Cette erreur vient de Lavergne de Tressan (1953).
J. S. Trimingham (1962, pp. 47-60) a écrit une synthèse commode sur le Ghana, inférieure cependant à celle de Mauny. Bovill doit être considéré comme caduc. « The golden trade of the Moors » a marqué en 1953 une régression sensible, nullement une mise au point des « Caravans of the old Sahara » (1933).
20. Dans une étude antérieure (1963), je proposais d'adopter le nom de Soninké, qui est employé par la majorité des locuteurs. J'y renonce en raison de la confusion constante avec Soninké, qui désigne les Malinké animistes (ci-dessus, II, B, note 24). Les auteurs portugais s'y sont trompés pour la Casamance et le Gabu. Nous étendrons donc arbitrairement à toute l'ethnie le nom de Sarakholé bien qu'il désigne, au sens étroit, le groupe occidental, de Bakel ou Guidimakha.
21. Sur les origines de la société Haussa, voir en dernier lieu Smith The historian in Tropical Africa (1964).
22. Le rôle des chasseurs est compréhensible dans la formation d'états militaires. On soupçonna que ce fut la condition des premiers Kèita du Mali, comme six siècles plus tard des Kulubali de Ségou (Meillassoux. 1963). Voir à ce sujet l'excellent article de Youssouf Cissé (J.S.A., 1964).
23. Ch. Monteil Le Coton chez les Noirs (B.C.E.H.S.A.O.F., 1926).
24. D'autres aspects sont incertains, comme la diffusion des grandes sociétés d'initiation que la tradition attribue nettement aux Empereurs du Mali. On notera que le rouge, alors couleur impériale, est restée jusqu'à ce jour celle du Komo.
25. Voir Ch. Monteil (1953) et du même Djenné (1932). Pour Sama, voir Mauny (1961) Un article de Pageard (1961) suggère que le Ghana contrôlait tout le pays entre Niger et Bani autour de Ségou. Le peuplement Sarakholé de cette région serait donc antérieur aux XIIIme-XVme siècles. Il est difficile de dire s'il s'agissait d'une minorité au sein d'une masse Bambara déjà en place ou si celle-ci a submergé la région en profitant de l'hégémonie du Mali (XIIIme-XVme siècles). L'antériorité des Bozo et des Bwa n'est en tout cas mise en doute par personne.
26. Mauny, 1961. (p. 426-59).
L'ouverture des routes de la Boucle est évidement liée à l'urbanisation de Djenné. Je pense cependant que Mauny (1961) place ce fait trop tôt. Je ne le crois pas antérieur au XIVme siècle.
27. Bonne étude des Nono in Ch. Monteil (1932) Maraka et Maraba paraissent dérivés tous deux de la racine mara = étendue sans rivière, sahel (Delafosse, 1955, p. 489) Mara-ka est formé par adjonction du suffixe ethnique ka: « Homme du Sahel». Maraba: « grand sahel » désignerait alors les vastes étendues nues que l'on trouve entre le Niger et le Tchad. L'usage de ces deux mots tend à se confondre entre Bandama et Volta, où confluent les deux courants commerciaux Mandé et Hausa.
Les Marka citadins se caractérisent par un nombre extraordinaire de dyamu, ce qui dénote leur origine composite. Marty (1920, T. II) en cite 44 pour Djenné et 25 pour Dya. Ils témoignent du brassage d'innombrables lignées de toute origine que leurs activités commerciales ont ressemblées dans ce vieux carrefour du Masina méridional.
28. Lavergne de Tressan (1953) a tort de placer le sud du Masina et le Dafiñ dans le domaine de la langue Sarakholé. Une simple lecture de Monteil (1932) et de Labouret (1934) aurait du l'en détourner. Il est remarquable que les Sarakholé, si fiers de leur origine, aient fait preuve d'un très faible particularisme linguistique. Devenus dyula, ils sauront maintenir leur nouvelle langue et même l'imposer aux Voltaïques qui les entourent.
Au nord du lac Débo, ce sont les Sõñay et non les Manding qui ont assimilé les îlots Nono. Tel est le cas autour de Nyafunké où le phénomène a dû as produire du XVme au XVIme siècle (Empire de Gao et Pachalik de Tombouctou). C'est alors qu'un dialecte Sõñay s'est implanté dans la ville de Djenné.
29. Nous verrons cependant que certaines lignées dyula de l'Ouest, incluant des Turè, paraissent être venues du Wagadu (Ghana) sans passer par le Masina. La migration des Dyakhanké jusqu'en Casamance et en Gambie s'explique sans doute par les anciens orpaillages du Gabu (Guinée portugaise).
30. Ch. Monteil a étudié Dyakha, sur le Haut Sénégal (Bafiñ) et qu'il convient de distinguer de Dya du Masina, sur le marigot Dyaka. La confusion est cependant d'autant plus facile que le Dyakha du Bafiñ a été fondé par des originaires de Dya et que les deux villes sont restées en relations. Le R. P. Labat atteste l'existence de Dyakha au début du XVIIIme siècle (Monteil 1915, pp. 354-362, et 1929, pp. 317 et 334-335).
31. Delafosse s'est laissé aller, une fois de plus, à des constructions fantaisistes. Il cherche l'origine de ce nom dans gyu (dyu): « fondement. souche », d'où dyu-la: « ceux de la base » et il ajoute que les intéressés prétendent descendre des premières familles nobles des royaumes soudanais.» (Delafosse, 1955, p. 297). Il aurait pu aussi bien donner à cette racine son sens péjoratif, et l'interpréter par : « en dessous, inférieur », ou bien songer à dyo qui signifie proies (avec un ton bas) ce qui conviendrait fort bien à une classe de commerçants. Il aurait pu enfin songer à une contraction pure et simple de dyagola: « commerçants » (Dictionnaire Français-Bambara de Monseigneur Morin. 1955).
32. Ci-dessus. note 20 et Chap. II, B, note 24.
En Haute Côte d'lvoire, on dit plutôt soõngyi sorõngyi, sonõñi, que Delafosse a tort d'expliquer par sono, société (1955, pp. 674-683), ou encore tuntigi (de tun, carquois, et non de tõ, association) Ces mots s opposent alors à silama ou musulman, comme soninké dans l'Ouest. Les gens de Kong ont expliqué à Bernus, soõngyi par suuna. Ce seraient les gens de la tradition musulmane. C'est là un bel exemple de snobisme islamisant (Bernus, 1960).
La dualité des animistes, sédentaires guerriers, et des commerçants musulmans au sein de cette ethnie est un fait ancien. « Si vous demandez quelle différence il y a entre Malinké et Ouangara, sachez que les Ouangara et les Malinké sont de même origine, mais que Malinké s'emploie pour désigner les guerriers tandis que Ouangara sert à désigner les négociants qui font le colportage de pays en pays. » (Tarikh-el-Fettach, p. 65). Le R. P. Labat opposera de même Malinké et Manding sur le Haut Sénégal du XVIIIme siècle.
33. On dit indifféremment dyula-kè et dyugo-kè : « faire du commerce ».
34. Il se distingue du bambara commun par divers traits phonétiques comme la fréquence des mouillures : byé pour bè = tous
35. Pales, 1953, p. 259.
36. Sur l'importance de l'or à la cour du Mali, Mauny (1961), pp. 303-599.
37. On est surpris de retrouver dans la nouvelle édition du livre célèbre de Hogden, la vieille légende de l'indépendance de Djenné à l'égard du Mali (Hogben and Kirk-Greene. The emirates of Northern Nigeria, 1965, p. 61). Rappelons qu'elle est issue d'une interprétation trop étroite du Tarikh-es-Sudãn p. 40) par Delafosse. Monteil a cependant démontré le contraire dès 1929 et ce résultat devrait être considéré comme acquis (1927, pp. 406-407 et 442), (1932, pp. 37-39).
38. Mauny (1961, p. 63-64) assimile cette vieille zone d'orpaillage au Koya, peuplé de Gobales que signalera un peu plus tard Duarte Pacheco Pereira, non loin de la Sierra Leone. Nous pensons qu'il faut chercher le Koya dans cette région, peut-être sur le cours supérieur du Pampana, et non pas en Haute Guinée. Par ailleurs, la consonne géminée kp pourrait avoir donné un p, mais nous croyons impossible qu'elle se soit déformée en gob, même chez des auditeurs inattentifs. Nous avons exposé ailleurs pourquoi nous pensons que les Gobales sont des Gola et non des Guèrzè (Person, 1961, p.19). Il n'y a d'ailleurs aucun gisement d'or exploitable et aucun signe d'orpaillage ancien chez le Kpèllé du Libéria. Voir Brown (1941, pp. 25-27) pour l'historique des recherches. Le service des Mines de l'A.O.F. n'en a pas signalé chez ceux de Guinée (Cartes géologiques Kissidougou-est. Odiennè-ouest et Tinsou. Ces même cartes indiquent l'orpaillage isolé de l'or. Pour celui du Hurè, on se reportera à la feuille Kankan-ouest)
On pourrait aussi songer aux mines de Kékoro, à l'est de Bougouni. Il est cependant probable que cette région appartenait au Mali. Elle allait payer tribut à Ségou à partir du XVIIIme siècle.
39. La mainmise des Kamara sur le Simandugu date de la fin du XVIme siècle. L'occupation du Huré par des Keita venus de Kouroussa date du début du XVIIIme siècle, en conjonction avec la révolution Peul au Fuuta-Dyalõ;.
40. On se reportera avec fruit à l'excellent article de Humboldt (B.C.E.H.S.A.O.F., 1918, pp. 519-541).
Les dyamu les plus communs sont Bèrèté, Dramé, Dyané, Kaba, Kanté ou Konaté, Sano (ou Saganogo), Silla, Sisé, Swarè, Turè.
41. Pour l'industrie et le commerce du sel, on se reportera aux pages magistrales de Mauny (1961, pp. 321-336). Le sel d'importation européenne a largement bouleversé ce tableau à l'ère coloniale.
42. Ces produits exotiques, en route vers les mines d'or, se grossissaient de quelques articles soudanais comme les poissons séchés du Niger ou les tissus de coton en bandes étroites. Il faut y joindre les chevaux du Sahel, moins prisés que les arabes et enfin le bétail de la vallée du Niger.
43. Le sujet complexe des perles de verre en Afrique Noire a inspiré une énorme littérature. On se bornera une fois de plus à recourir à Mauny (1961, p. 58 et 273-278).
44. Rappelons cependant que les Malinké ne considéraient les descendants de captifs comme libres qu'à la quatrième génération, alors que tous leurs voisins le faisaient dès la seconde. Dans l'intervalle, les Wuluso ( « nés au village ») ne pouvaient plus être vendus.
45. Barbot, p. 98: « A fruit called cola and slaves which the Barbarians buy of the Blacks of Sierra Leone ». Il signale que les modes soudanaises sont déjà établies sur la Côte parmi les personnes de qualité. (A short gown or frock of striped cellico, like the Moors, p. 100).
46. Cette révolution considérable est fort mal connue. J. S. Trimingham et C. Fyfe lui ont consacrés un article intéressant en 1960 (Sierra Leone, Bulletin of Religion). Fyfe résume clairement les faits au début de son histoire de Sierra Leone (1962, p. 11). Kup (1961) aurait du traiter la question à fond, mais il s'avère décevant (pp. 120-127).
Le phénomène s'est limité aux peuples côtiers installés au nord de la péninsule (Susu, Bulom, Témnè, Loko). Il n'a touché dans le Sud ni les Bulom méridionaux (Sherbbro), ni les Mèndé qui étaient encore éloignés de la Côte. Il n'intéresse pas non plus les peuples de l'Hinterland (Dyalõnké, Kuranko, Kono, Témné du Kuniki).
Cette répartition mérite d'être comparée à celle des dyula en zone préforestière dont nous allons bientôt parler. L'imprégnation se fait dans la zone la plus éloignée, c'est-à-dire au contact du partenaire commercial, que celui-ci soit le comptoir européen ou le producteur de kola.
47. Sur les Bunduka en Sierra Leone, on se reportera à l'article de A. Wurie (S.L.S., 1, 1952)
48. Pour les problèmes du kola, on se reportera à l'ouvrage admirable de Chevalier et Perrot, qui toute sa valeur malgré sa date (1911). Le R.P. Lelong nous présente d'intéressantes notes ethnographiques (1949) Mauny est précis, mais cette fois un peu bref (1961, p. 248). L'étude de Tricart (195B) est excellente du point de vue géographique, mais ignore le facteur temporel.
49. La seconde espèce de kolatier est le Cola acuminata moins prisé, qui s'étend de la Volta à l'Angola.
Deux races, le Cola rubra que l'on trouve surtout dans l'Achanti et le Cola alkenata qui existe autour de Beyla et dans l'Ano, fournissent des fruits exclusivement rouges ou blancs. Ils ne représentent que 10 % de la production. Tous les autres kolatiers portent simultanément les deux couleurs.
50. Dans l'ensemble de l'Afrique, des interdits puissants s'opposent à la plantation des arbres. On a voulu voir la volonté des premiers agriculteurs de couper court à la cueillette (Schnell, 1955).
51. Le kolatier est aussi sensible à certains parasites qui s'attaquent aux noix, comme le sangara. Ceci explique que certains producteurs, comme les Kisi, exigeaient que les ventes aient lieu de nuit afin qu'on ne puisse distinguer les calebasses malades des autres.
52. On pourrait en dire autant du miel qui est surtout produit dans la zone préforestière et qui a toujours été apprécié des musulmans soudanais, amateurs de boissons sucrées. Son commerce est un accessoire de celui du kola.
53. Al-Moqqari, d'après Peres (1937). Voir aussi Mauny (1961, pp. 248-249) La première description n'est pas antérieure au XVIme siècle: elle est due à Léon l'Africain.
54. On objectera que, bien souvent, l'élément malinké n'est pas parvenu au contact de la principale zone kolatière. Cela est vrai surtout en pays dã et guro, et ce fut sans doute le moteur de l'expansion tardive des Dyomandé en direction de Man.
Les forestiers sont pourtant tous producteurs, même si les frontaliers ne sont pas les principaux. L'arboriculture est intégrée à leur complexe culturel, mais non à celui de leurs partenaires (des Kurãnko et de rares Konyãnké exceptés). Je pense qu'ils sont considérés comme spécialistes et qu'à ce titre on tolère leurs péages qui ne seraient pas admis de la part d'autres soudanais, comme les Sénufo.
55. Au niveau local, bien d'autres produits d'échanges pouvaient entrer en ligne, comme les moutons ou les chèvres. Samori aurait commencé sa carrière en payant des kolas avec des cageots de poulets.
56. Le kunkuru est une simple barre de fer aplatie. Selon Portères elle valait un genzé et demi. Sur la Côte, on employait des fers d'importation en concurrence avec les manilles C'était là une marchandise et non une monnaie.
57. Dans l'Est, au XIXme siècle, les Baulé s'imposeront comme intermédiaires entre la Basse Côte d'lvoire d'une part les Guro et les Malinké de l'autre.
58. Par exemple:
kola – or – produits européens – kola |
kola – bétail – produits européens – kola. |
kola – esclaves – produits européens – kola |
59. Binger cite, comme exemples de marchés de courtage. Toti, Kani et Saghala alors que ces villages marquent seulement la première ligne d'étapes de la région intermédiaire.
60. Le gros dyula ou entrepreneur de caravanes, dont il sera question plus loin est le dyago-tigi, « du commerce ». Il est exclu que dyatigi en soit une forme contractée (Delafosse, II, p. 150). Il s'agit assurément d'un mot d'étymologie différente que Delafosse explique ailleurs par d(i)ya-tigi : « maître de l'hospitalité » (II, p. 118).
Labouret (1934, p. 105) voit dans les dyatigi une classe de paysans guerriers, de « familles ordinaires » entre les simples hommes libres (horõ) et les tuntigi (nobles). J'avoue ne pas comprendre à quoi pouvait correspondre cette classe intermédiaire. Le mot n'est en tout cas jamais employé dans ce sens sur le Haut Niger et Meillassoux (1965) lui a trouvé à Bamako le même sens que moi-même au Konyã.
Ce texte était rédigé depuis longtemps quand nous avons eu connaissance de l'excellent article de Polly Hill : Landlords and brokers (C.E.A., n° 23, 1966). Cette étude porte surtout sur les commerçants Hausa du marché de Kumasi, mais elle montre que leurs activités obéissent aux mêmes structures que celles des Malinké. Le dyatigi est évidemment le mai gida (landlord) et le tèfè le dillaali (broker). L'activité de ces deux personnages me paraît cependant moins contrastée chez les Malinké où le tèfé n'est qu'un satellite du dyatigi. Par ailleurs il est inexact que le nom de tèfè soit réservé aux spécialistes du commerce des esclaves (op. cit., p. 351, note 2).
61. De même, face au Kisi, nous avons :
La création d'un nouveau centre dyula (ou plutôt Bõnduka) à Mara, dans le Kisi nord, allait susciter de violents conflits au XIXme siècle. Il prendra figure de noeud de pistes en raison des trois itinéraires en éventail
La piste de Dwako et Kouroussa voyait passer les kolas de Bãmbaya et Sangardo. Les pays situés à l'est du Nyãdã dirigeaient les leurs vers le Nyumamãndu (Maka). Ko-Nafadyi (ou Sãnsãmbaya) et Kankan. Une bretelle rejoignait le bas Konyã (Kérwané-Sanãnkaro) en longeant le pied des falaises du Lãngurima et du Lõñgboroma.
En Côte d'lvoire, dans le Mau, les centres courtiers étaient Wanino puis, au XlXme siècle, Touba. Ses dyula rencontraient les vendeurs Dã à Té ou Byãnkumã, sur la rive sud du Bafiñ. Une deuxième ligne de marchés, de Man à Sémyen n'était fréquentée que par des intermédiaires Dã. Les produits étaient généralement évacués sur Kono, Samangila, Ntèntu et Bamako
Dans le Worodugu, entre Sassandra et Marawé, les monopoles étaient particulièrement stricts. Dans l'Ouest, les caravanes venues par Topé s'arrêtaient à Tuna, dans le Gwerã, dont les habitants étaient seuls habilités à acheter chez les Wobè, derrière le fleuve. ou chez les Guro.
Les caravanes descendant par Kani avaient le choix entre Séguéla et le Kunana, qui rencontraient las Guro Natti à Tenenfèro. Si elles obliquaient vers Siani, elles aboutissaient à Dyogholé, ou au Tyéma, alliés des Guro, Bronõ et Gotro.
Derrière le Marawé, la piste de Saghala menait à Mankono et à Tubalo, en pays Sya. Ces deux kafu commençaient avec les Mwã (Mona) mais aussi avec les Guro Byé et Duonu qui recevaient par Zuenda les kola de Bouaflé ou de Sinfra transmis de tribu à tribu.
Dans le Koro enfin, Bwandugu utilisait comme intermédiaires les Wã et fréquentait le marché de Trafèso. La kola de cette région se dirigeait de préférence sur Kong et Bobo, celui de Mankono et Séguéla sur Tengrèla, celui de Tuna sur Samatigila.
62. Les producteurs stockant souvent leur récolte dans l'attente de prix plus favorables. La vente qui démarrait avec un certain décalage, s'étendait sur plusieurs mois. Au début du siècle, on signale de 800 à 1.000 charges par marché à Dyogholé, de 4 à 500 à Tuna (Worodugu).
63. C'est ainsi qu'en pays Dã, avant l'expansion Dyomandé du XIXme siècle, les dyula fréquentaient les marchés de Byãnkumã et Tè, au sud du Bafiñ. Ils avaient même installé une tête de pont fortifiée non loin de là à Dwé. Mais seuls, les Dã et les Wobé étaient admis plus au sud, sur les marchés de Man, Gwékãgwen ou Sémyen.
64. C'est ainsi que les femmes de la tribu Bagwé, en pays Bété, portaient leurs kolas chez les Zablé de Daloa, qui les transmettaient aux Balagé, ceux-ci aux Kuya de Vavoua. et enfin ceux-ci aux Guro Netti, qui les présentaient aux Dyula du Kunana ou de Séguéla sur le marché de Trafla (Trafèso).
65. Les forgerons étaient payée par les commerçants en sel, tissus, armes. mais aussi en kolas.
66. Binger, 1, p. 313. « Ils marchent chargés chacun avec 30 ou 40 kilogrammes et cela pendant la plus grande partie de la journée. Arrivés à l'étape, il faut piler et préparer des aliments, couper du bois chercher de l'eau souvent à plusieurs kilomètres. S'il y a un enfant dans le ménage, souvent la femme le porte sur le dos. Ils vivent sans feu, ni bien. Surpris par les pluies, ils voyagent quand même. supportant toutes les intempéries sans se plaindre… ».
67. Dans l'Est les Dyula sont généralement d'origine Marka, Nono ou Dafiñ. C'est le cas de la plupart des lignées installées sur les routes menant à Bobo, Kong et Bonduku, mais le métissage avec les autochtones a été massif. Les Bobo-Dyula qui ont donné leur nom à la capitale de l'Ouest voltaïque, en sont le témoignage : ils ont adopté la langue des autochtones Sya.
Puis à l'est, de Bouna à Salaga, les commerçants sont des Yarsé, Mosi d'ascendance manding. Les Maraba ou Hausa, avec lesquels on confond d'ailleurs des Zèrma, règnent à l'est de Salaga mais étendent quelques avant-gardes jusqu'au Comoé et au Bãndama.
68. Itinéraires.
69. Autre piste transversale : celle de Kankan à Bougouni à travers le Wasulu du Nord. Les marchés de bétail à Solomanina, Zambala à Basaribèdyi (Gbãndyagha et Gwana, cercle de Yanfolila, Mali) faisaient partie d'un cycle, ce qui permettait aux dyula de les fréquenter tous la même semaine.
70. Itinéraire principal par Wayiri et Sisédugu (en Sénufo = Sisè. Dans ce dernier village, il reçoit la piste de Saghala par Gbonminaso. Au Nord du Bagoé, la principale étape est le gros centre à demi dyula de Kolia.
71. La domination politique de Kong, qui visait à assurer la sécurité des routes commerciales, a étrangement fait le vide le long de celles-ci. C'est ainsi qu'entre Kong et Bobo, les plateaux du Tyèrla sont à demi désertes alors que les falaises gréseuses de Banfora regorgent de paléonégritiques insoumis. Kong gardait cependant le contrôle du pays des Gwen, au sud de Banfora, et des Kulélé de Kãngwèra, berceau du royaume du Kénédugu. C'est par là qu'on passait pour aller à Ségou.
72. Il serait intéressant d'étudier comment s'établissaient ces centres au sein des « anarchies » paléonégritiques, par exemple chez les Bwa (Bobo-Ulé). Il serait surprenant que ces barbares n'aient pas été acculturés par leurs hôtes. Ceux-ci sont en tout cas à l'origine de l'Empire de Kong.
73. Les petites ventes effectuées à chaque étape par les caravaniers pour payer leur nourriture sont de tradition ancienne. Ibn Batuta signale cette pratique au XIVme siècle, sur la piste de Walata à Dya (vente de sel, verroterie, girofle, gomme mastic… contre mil, lait, poulet, farine, riz, fonio).
74. Cette rupture de charge, et les transactions qu'elle entraînait, explique que ce soit là, comme Binger l'a signalé, que les barres de sel étaient morcelées chacune en douze kokotla qui servaient dès lors d'unité d'échange (1892, 1, p. 141).
75. En partant du marché de Kabaro, au coeur du pays kolatier, nous rencontrons ainsi Dyorodugu, Lofèro, Sanãnkoro, Fabala, Gofohola, Tinti-Ulé, Kankan.
La bretelle guerzé est jalonnée par Boola, Dyakolidugu (Beyla), Nyõnsomoridugu, Konsãnkoro et Sanãnkoro.
Sur la piste du Mau, nous trouvons Wanino (ou Touba), Koro, Féràmãndu, Odienné, Samatigila, Maninyã, Madina, Mafèlèba, Gbaralo, Ntèntu (ou Bougouni), Solo, Wolosébugu.
76. Les techniques de dessèchement du kola étaient inconnues de l'Afrique traditionnelle.
77. Sur ces procédés et les plantes fournissant les worofira, voir Chevalier-Perrot (1911, pp. 345-347). Les paniers tressés en rotaing (timbi) mesurent de 60 à 80 cm. sur 25. Les worofira sont intercalées entre chaque couche de noix.
78. Sur l'élevage des ânes, Doutressole (1949).
Les caravanes s'annonçaient de loin par les clochettes dont étaient couverts les ânes, fierté des dyula riches, parfois superbement harnachés : « Ils avaient avec eux beaucoup d'ânes auxquels ils avaient mis de belles brides recouvertes d'écarlate… Les brides étaient garnies en cauris et en grelots ; ils avaient des colliers d'une cinquantaine de ceux-ci, en sorte qu'on les entendait de très loin. » (Caillié, p. 111).
79. Caillié ne permet aucun doute à ce sujet : il signale en effet leur présence aussi loin au sud que Tyémé, en précisant qu'ils usent entre eux d'un idiome particulier que les autres nègres, même ceux de leur nation [c'est-à-dire les dyula ordinaires] n'entendent pas. (II, p. 52). Il s'agit donc bien de gens du Sahel, parlant
le soninké, et non de « dyula ».
80. Caillié décrit ailleurs les méthodes pittoresques des « douaniers » pour percevoir les droits à l'entrée du village, ils enlèvent aux caravaniers leurs chapeaux, et il faut payer pour les récupérer.
Dès l'arrivée de la caravane, quel que soit le jour de la semaine, un petit marché s'improvise où les nouveaux venus offrent leur menue marchandise pour acheter les éléments de leur prochain repas (II, p. 103)
81. Le 17 février, craignant une attaque de l'armée de Ségou, les compagnons de Caillié adoptent une espèce de formation de combat. Les porteurs armés se placent aux deux ailes, les femmes au milieu, les chefs de groupes avec leurs ânes en arrière-garde. Ceux-ci passaient en tête durant les haltes (II, p. 152-153).
82. La société commerciale (dyèmã-dyago) répartit les bénéfices d'une opération au prorata de l'apport des associés.
83. Ce sont
84. L'extrême variabilité des cours du kola rend difficile d'apprécier la portée de cet usage. En pays Toma, le paiement, cinq ou six mois plus tard, paraît s'être élevé au double des marchandises livrées
L'usure véritable était par contre assez rare dans le monde malinké. Les dyula riches la pratiquaient parfois envers les colporteurs besogneux.
C'est seulement à l'ère coloniale que la coutume se généralisera aux dépens des paysans. L'impôt étant perçu en pleine saison sèche, ceux-ci se trouveront souvent contraints, pour obtenir de l'argent, d'engager leur récolte future dans des conditions désastreuses. Cette pratique se généralisera avec l'extension des cultures d'exportation, comme le café, et deviendra un véritable fléau social dans certaines régions, comme le pays kisi. Dans ce cas, il se compliquera d'ailleurs d'un antagonisme ethnique opposant les cultivateurs autochtones et les dyula allogènes.
85. La fréquence du dyamu Dyawara parmi les lignées de tisserands, confirme le rôle qu'ont joué les Sarakholé dans la diffusion de cette technique.
86. Polanyi. The economy as instituted process (1957).
[Home | Bibliothèque
| Histoire
| Recherche | Aser | Bambara | Bambugu | Bozo
Jakhanke | Jalonke | Jawara | Kagoro | Kasonke Konyanke | Koranko
Lele | Maninka | Marka | Mau | Mikifore | Nono
Sankaran | Sidyanka | Soninke | Susu | Toronka | Wasulunka
]
Contact : info@ webmande.site
webMande,
webAfriqa, Semantic Africa,
webPulaaku,
webFuuta,
webCôte,
webForêt,
webGuinée,
Camp Boiro Memorial,
BlogGuinée. © 1997-2017. Tierno S. Bah. All rights reserved.