Mémoires de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire. N° 80
Dakar. 1968, 1970, 1975. Trois Tomes. 2377 pages
L'ascension irrésistible qui allait permettre à Samori de construire le plus vaste Empire que les terres du Haut Niger aient jamais connu, a débuté vers la fin de 1861 quand, proscrit et ruiné, il quitta timidement sa retraite montagnarde dans l'espoir que les ennuis des Bèrèté détourneraient de lui leur colère.
Il allait désormais travailler pour son propre compte avec un succès croissant et des traditions de plus en plus riches vont nous permettre de suivre sa carrière . Notre chronologie, jusqu'ici approximative, sera désormais très sûre et le voyage d'Anderson nous permettra de la recouper dès 1869.
De toute façon, l'homme était déjà formé, à l'issue des années obscures que nous venons de sonder, même s'il n'avait pas encore une claire conscience des vastes perspectives qui s'ouvrent devant lui. Il ne possédait toujours rien, sinon son habileté, son énergie, et cette constance qui lui permettra jusqu'au bout de se rétablir après les pires revers.
Au point où nous en sommes, il venait de tout perdre mais il avait sans doute déjà choisi la voie qu'il allait suivre. C'était évidemment celle de la guerre, mais il ne disposait pas du prestige religieux d'un Mori-Ulé comme mise initiale. Ses liens avec les païens étaient trop étroits pour qu'il les considérât comme des barbares à asservir, et c'est seulement d'eux qu'il pouvait attendre l'aide nécessaire à ses premiers pas. C'est seulement à ce niveau que l'exemple des Bèrèté a pu lui être utile. Il avait certainement compris que leur soudaine défaillance, providentielle pour lui, découlait de la prétention de Sarãswarè-Mori à asservir les animistes qui avaient soutenu ses premiers pas.
Samori n'était certes pas homme à mépriser l'usage de la force, mais il s'appliqua toujours à n'y recourir qu'à bon escient, pour appuyer son action politique. Au départ, dans son apparent dénuement, il disposait d'ailleurs d'un capital qui allait s'avérer précieux, grâce à la parenté utérine qui l'unissait aux principales lignées du Bas Konyã. Sans elle, son entreprise aurait sans doute tourné court.
Au retour de Samori, la tourmente soulevée par les Sisé depuis un quart de siècle avait durement secoué le Gundo, et à plusieurs reprises, mais n'avait encore touché que les marges du Konyã. En moins de cinq ans, celui-ci allait à son tour disparaître entièrement dans le tourbillon.
Le Bas Konyã, patrie de Samori, n'a pas l'originalité puissante du haut pays, mais sa structure très simple se déploie en paysages majestueux entre le Dyõ, qui forme sa frontière orientale et le Kurãnko qui le limite dans l'ouest. On distingue aisément le plateau rectiligne du Dyõ, qui bute vers le couchant sur la chaîne abrupte du Gbè. Cette montagne remarquable le sépare de la vallée du Milo, qui s'enfonce entre ses flancs verticaux et les dolérites du Turu. Celles-ci enserrent à leur tour, contre la frontière Kurãnko, les hauts plateaux du Konyãnko, et, plus au sud, ceux du Mãndu, où la forêt annonce déjà le Pays Toma. Ces trois régions très individualisés, plateau, vallée et montagne, abritent de très anciens kafu dont nous avons déjà rencontré les noms car presque tous sont alliés aux ancêtres de Samori.
En remontant la rive gauche du Dyõ, nous trouvons les Koné du Blamana (Kofilakoro) et du Boñyana (Dèla), qui sont les plus anciens conquérants du pays, et dont les lignées sont apparentées à celles de la rive est (Bèèla, Salagbala). Plus en amont, ce sont les Konatè du Sèsumala (Booko) qui se réclament d'une origine orientale puisqu'ils dérivent de ceux du Gundo. C'est seulement au sud, à l'approche des grandes montagnes qui délimitent le Haut Konyã, que nous trouvons un premier kafu Kamara, le Gbèrèdugu. Loin du fleuve, sur le versant oriental du Gbè, nous sommes au contraire, en terre purement Kamara, avec deux kafu étirés du nord au sud. le Bãmbadugu qui touche aux collines du Gundo, et le Simãndugu qui bute au midi sur l'énorme pie du Tibè.
Dans cette partie du Konyã, tous les Kamara, du moins ceux des lignées souveraines, sont nécessairement des descendants de Férèn-Kamã. Ceux que nous venons de passer en revue se réclament plus précisément de Fãndyara, le fils aîné du fondateur. Parmi les lignées de ce groupe, les Sèribasi sont maîtres du Bãmbadugu et les Fãntumàulési, plus méridionaux, du Simãndugu et du Gbérédugu, dans le haut pays, ainsi que du Buzyé taillé en pleine forêt, loin dans le Sud, aux dépens des Toma. Depuis qu'ils avaient éliminé l'hégémonie du Kwen, à la fin du XVIIIme siècle, les descendants de Fãntumã-Ulé avaient adopté un caractère guerrier qu'ils fortifiaient par des interventions constantes dans le Buzyé. Nous avons déjà signalé le rôle de Dyènté-Kamã, le chef du Gbèrèdugu, dans la résistance aux Sisè. Retranché dans le puissant tata de Torigbèbaladugu, il croyait possible de vaincre les musulmans et il encourageait les Koné du Salagbala auxquels d'étroites alliances l'unissaient. Au revers du Gbè, son parent Nyama, chef du Simãndugu, auquel de vieilles querelles l'opposaient, était moins optimiste et se fiait surtout aux refuges de sa montagne, inaccessible aux cavaliers.
Plus au nord, les Sèribasi du Bãmbadugu étaient, comme on l'a vu, les « oncles » de Samori, ou plutôt de son père. Le chef de guerre Momo Kamara, de Lenko, était souvent intervenu dans les affaires du Gundo voisin mais déjà il vieillissait et se laissait éclipser par son frère Masarã-Sèri, dont la fille venait d'épouser Samori.
Tous ces kafu de la vallée du Dyõ, qu'ils fussent Konatè, Koné ou Kamara, reconnaissaient alors la prépondérance morale du très vieux Manãnkolo, le patriarche d'Usudugu dans le Bãmbadugu. Ce Mãsa était à vrai dire le doyen des chefs issus de Férèn-Kamã et, à ce titre, son influence s'étendait jusqu'aux frontières des Toma et des Guerzé.
Son prestige était ressenti à plus forte raison par les kafu de la vallée du Milo, dont la position lignagère est pourtant très différente 1. Ceux-ci se réclament en effet de Feñ-Séméné, le neuvième fils de Férèn-Kamã. Dans cette région abritée, qui n'avait connu aucune menace extérieure depuis des siècles, la segmentation des lignages était très poussée et ne correspondait pas nécessairement aux territoires des kafu. Ceux-ci se trouvaient donc extrêmement divisés et les Mãsa qu'ils reconnaissaient n'étaient que des personnages sans autorité.
En remontant le fleuve, on traversait successivement le Talikoro, frontalier du Gundo, et le Worõndugu 2 qui s'étendait jusqu'aux montagnes du Haut Konyã et du Tukoro. Le premier est le domaine des Sooni-Tumãsi et des Sooni-Miassi, segments des Sébrèmasi qui forment eux-mêmes l'une des lignées issues de Feñ-Séméné. Leur Mãsa était alors un vieil homme discret, Misamori, de Mãsõndu (segment Misasi), mais l'autorité réelle appartenait à deux frères de Sulakolo 3 : Mãtumã et Sirimã (segment Tumãsi). Le grand-père maternel de Samori, Fabu, de Fãndugu, était un cousin du Mãsa et c'est dans ce kafu que le conquérant allait trouver ses meilleurs appuis.
Plus au sud, le Worõndugu était beaucoup plus vaste mais encore plus anarchique, si possible. Le Mãsa, Tènèmagã, de Nyãnfadu, hôte de Laafiya, venait de mourir et avait été remplacé par Vamoro Kamara (dit Yamalé-Moro ou Furumoro), un vieillard peu influent qui résidait à Sãndyadu. L'autorité véritable était échue à un « frère » du mort, Kirasè-Koli, de Sanãnkoro 4. Tous ces notables appartenaient au segment Filani-Fabusi, issu lui-même des Sé-Brèmasi et à qui la coutume réservait le commandement. On trouvait pourtant dans ce kafu de nombreux autres segments, qui contrôlaient des villages importants ou même des régions entières et qui étaient d'autant plus indépendants que le Mãsa ne pouvait être choisi parmi eux. C'était le cas des Sétumãsi, installés à l'ouest du fleuve, jusqu'aux montagnes du Konyãnko, et des Sémorisi, sur la rive est, jusqu'à la chaîne du Gbè. Deux « frères » très influents, Dyafiñ-Fabu et Woni, commandaient ce dernier kafu du village de Fèrèdu 5.
Si nous escaladons maintenant les dolérites du Turu, nous découvrons le Konyãnko où la menace Kurãnko a toujours maintenu une certaine unité. Les Sétumãsi qui y prédominent sont également des Fenséménési et on a vu que la famille de Samori leur était liée par la grand-mère de Laafiya. Leur chef, Kèsa-Bala, avait d'ailleurs hébergé pendant de longues années les réfugiés de Manyãmbaladugu.
Nous retrouvons cette cohésion, qui contraste fortement avec l'émiettement de la vallée du Milo, si nous tournons le dos au Bas Konyã pour nous enfoncer dans le Tukoro, c'est-à-dire dans les montagnes tourmentées de la Dorsale et dans les vallées forestières du versant atlantique. La nature paraissait pourtant vouer cette région à un extrême morcellement. Les kafu Konyãnké, ou plutôt Maninka, selon la terminologie locale, s'imbriquent ici étroitement aux groupements Toma et cette disposition, issue d'une longue conquête qui se poursuivait encore au XIXme siècle, les a maintenu dans une ambiance guerrière. La lutte constante contre les Toma forgeait des chefs énergiques et elle explique certainement que ces kafu aient connu une autorité plus forte. Certains, comme le Buzyé, ont même adopté une succession linéaire, de père en fils, afin de fortifier l'autorité politique. Le fait est d'autant plus remarquable que leurs liens avec les lignées du Konyã, et particulièrement celles du Milo, sont extrêmement étroits. A deux exceptions près, on ne trouve jamais au Tukoro des lignées maximales entières, issues de Féren-Kamã, mais seulement des segments de lignées dont les noyaux demeurent enracinés au Konyã.
L'exception principale est celle du Konõnkoro, qui représente la plus vieille percée des Kamara en Pays Toma, effectuée sans doute dès le XVIIme siècle. Il appartient exclusivement aux Sémãmfilasi, issus du quatrième fils de Férèn-Kamã. Nous avons déjà parlé de son chef Mamfin qui fut l'un des principaux partisans de Samori.
La seconde exception est représentée par les Fenbrèmasi issus du dixième fils de Féren-Kamã et qui ont été rejetés très tôt hors du Konyã. Ils tiennent la fraction orientale du Buzyé, le minuscule kafu montagnard du Moidugu, en pleine Dorsale, et enfin le Gbuni, beaucoup plus im portant, en territoire libérien.
Partout ailleurs, les kafu proviennent d'intrusions récentes et maintiennent des liens étroits avec leurs parents du Konyã. Nous avons déjà signalé le cas de la lignée dominante du Buzyé, issue du Gbèrèdugu à la fin du XVIIIme siècle. Le vieux Dyãnka Kamã, qui la commandait encore en 1860, allait bientôt céder la place à son fils, Kamãn-Kyèkura, auquel nous aurons très souvent affaire. Les Fakésébwési, fraction des Sébrèmasi du Milo, tiennent le Kolibirama et le Koadu, avec le fameux marché de Kabaro, aux confins du Libéria. Plus significatif encore est le cas des Sooni-Tumãsi, enracinés dans le Talikoro, mais dont divers segments ont filtré sur la frontière des Kurãnko et la Haute vallée du Makhona pour organiser les kafu du Mãndugu et du Dulama. Le Mãsa du premier, Mãsarã-Lãsey, de Dyaradu nous est déjà familier et il allait jouer un rôle important dans les débuts de Samori 6.
Tous ces Maninka du Tukoro s'étaient fortement métissés avec les Toma dont plusieurs groupements leur payaient tribut tout en conservant leur autonomie. Cette pénétration précoce et profonde, au coeur d'une civilisation forestière, avait établi un équilibre original au profit des Mãsa animistes. Ceux-ci recouraient volontiers aux armes et implantaient des noyaux de colonisation, tandis que les dyula, soucieux de ne pas gêner le commerce du kola, s'interposaient pour maintenir la paix entre les deux peuples.
Quel que fût leur degré de cohésion, ces kafu Kamara étaient, dans l'ensemble, fort mal préparés pour résister aux hégémonies musulmanes. Ceux-ci, qui affrontaient les Kurãnko et Toma en de durs combats étaient certes d'humeur guerrière mais ils n'utilisaient que des méthodes de combat archaïques. Leurs troupes étaient des rassemblements désordonnés d'hommes libres mobilisés pour peu de temps dans le cadre des classes d'âge (kari). Le fusil était encore rare et on employait surtout arcs, épieux et coupe-coupes. Sous l'influence des Toma, ils s'étaient habitués aux surprises nocturnes, mais ils ne savaient pas comment investir et réduire une place fortifiée.
La menace des Sisé pesait donc très lourdement sur eux. Les Koné du Dyõ s'étaient soumis vers 1850, en même temps que le Gundo, mais ils avaient ensuite soutenu la révolte des Konatè, comme les Kamara du Bãmbadugu. Momo, de Lenko, s'était même distingué par ses attaques contre l'armée des Sisé pendant le siège de Sèdugu. Après la chute de cette place, le Bãmbadugu et les Koné avaient dû boire à nouveau le dègè et recevoir des dugukuñnasigi Après avoir ainsi subi le joug pendant cinq ou six ans (Ca., 1853-1859), ils appuyèrent discrètement la révolte du Bèèla, tandis que le Gundo s'organisait ouvertement autour des Bèrèté sans rompre avec les Sisé.
C'est alors qu'entrèrent en scène les kafu du Sud, particulièrement le Sèsumala et le Gbèrèdugu, unis sous les ordres de Dyènté-Kamã, qui lança tous ses moyens dans la lutte aux côtés des Koné insurgés. Nyama, dans le Simãndugu, n'était pas en très bon termes avec ce parent agité et la prudence lui inspira une attitude plus réservée.
La chute du Kobobi-Kuru puis, vers le début de 1860, le compromis de Musadugu, laissèrent finalement les Sisé maîtres de la rive est du Dyõ, et le Bãmbadugu s'empressa de se soumettre, en laissant Dyènté-Kamã seul pour affronter la vengeance des musulmans. On a vu que la révolte du Salagbala, qui éclata vers la fin de 1860, fut rapidement écrasée, mais que le Mãsa du Gbèrèdugu réussit à repousser une première attaque contre Torigbèbaladugu. Sa position n'en était pas moins précaire, car il était évident que le Faama de Madina n'en resterait pas là.
Les résistants du Dyõ risquaient d'ailleurs d'être pris à revers par les Bèrèté, maîtres de la vallée du Milo. Le Talikoro et le Worõndugu. malgré leurs tendances anarchiques, prétendent qu'ils n'avaient pas encore payé tribut aux Sisé. Si le fait est exact, ils ne devaient pas ce privilège à leurs capacités militaires mais uniquement à la négligence du Faama. Ils formaient une proie tentante et on doit admettre qu'ils s'intégrèrent au domaine des Bèrèté dès la campagne du Konyãnko, à laquelle participa Samori. Ils allaient y demeurer jusqu'au jour où l'évacuation de Soghomaya et le retrait des Konatè amorceront le déclin de Sarãswarè-Möri (de la fin de 1859 au début de 1862). La facilité avec laquelle les sofas des Bèrèté ont traqué Samori, caché dans le Simãndugu, donne en tout cas la mesure de pouvoir qu'ils détinrent un instant. Comme Sarãswarè-Möri se réclamait encore, habilement, des Sisé, il aurait très bien pu, sous prétexte d'aider son seigneur, pousser jusqu'au Gbèrèdugu et étendre son pouvoir jusqu'au Dyõ.
Telle était la situation durant l'hivernage de 1861, alors que Samori se cachait dans les hameaux du Gben. L'effritement de l'hégémonie des Bèrèté allait rapidement la transformer, de façon à ne laisser en scène que deux partenaires, les Sisé et les autochtones du Konyã. C'est le moment que choisit Samori pour quitter sa retraite et occuper la place qui se trouvait ainsi vacante.
Dépouillé de tout pour la seconde fois, Samori n'avait d'autre capital que sa science militaire et celle-ci était inutile s'il ne trouvait pas des hommes à commander. Pour y parvenir, il était naturel qu'il utilisât ses liens de parenté avec les Kamara.
Les Bèrèté restaient puissants malgré leurs difficultés et notre héros n'osait pas les défier ouvertement en rejoignant son père à Sanãnkoro 7, dans la plaine du Milo. Un peu au nord de son refuge, sur l'autre versant du Gben, se trouvait le village de Dyala, appartenant à des Filani-Fabusi du Worõdugu. Dyala était admirablement placé, dans un site montagnard difficile et au coeur de la zone des parentés utérines de Samori. La plaine de Sanãnkoro était toute proche, Fãndugu, le village de Masorona se trouvait 15 kilomètres plus au nord et il suffisait de traverser le col de Kuruko pour déboucher sur le Bãmbadugu, où Masarã-Sèri, le beau-père de Samori, se tenait prêt à l'aider.
Kasya, chef de Dyala, s'était justement procuré quelques fusils. Avec une petite troupe qu'il avait confiée à son « frère » Vafèrèba, il protégeait son village contre les pillards et en profitait, semble-t-il, pour rançonner un peu les colporteurs. Dès que Samori osa sortir de sa cachette, il alla lui proposer ses services et comme il était déjà renommé, il fut aussitôt agréé. Le jeune guerrier fit bientôt venir son frère Kémé-Brèma, et quelques camarades avec lesquels il ne tarda pas à supplanter Vafèrèba. Il fut bientôt le véritable maître de Dyala 8.
Le fait n'est pas surprenant, étant donné les circonstances dramatiques que traversait alors le Bas Konyã. C'est à peu près au moment où Samori sortit de sa retraite que la seconde offensive des Sisé contre le Gbèrèdugu obtint un succès complet. Torigbèbaladugu, tomba, Dyènté trouva la mort en essayant de le reprendre et les sofas occupèrent tout le pays. Il ne semble pas que le Simãndugu se soit alors soumis, mais Nyama évacua les villages du plateau et se retira en pleine montagne dans les grottes de Sosodugu où il hébergea les réfugiés du Gbèrèdugu 9. La vie sociale continuait tant bien que mal puisqu'un des neveux de Dyènté, Saghãdyigi Kamara, un tout jeune homme dont nous aurons beaucoup à parler, subit la circoncision avec des parents de Nyama pendant son séjour dans la montagne (fin 1861, début 1862).
Le départ de Sérè-Brèma, qui allait consacrer ses forces aux pays du Nord pendant deux ou trois ans, donna il est vrai, un certain répit aux vaincus. On a vu que le nouveau chef de guerre du Gbèrèdugu, Makura-Dyara Kamara, expulsa les sofas et rejeta les Sisé derrière le Dyõ quelques mois plus tard (première moitié de 1862 ?). Il reste que l'ennemi demeurait tout proche et que, dans une telle ambiance, les Kamara étaient prêts à accueillir tous les sauveurs qui se présenteraient.
Samori le comprit certainement et c'est pourquoi il organisa une grande palabre qui réunit les principaux notables de Dyala et des villages voisins. Les Kamara, clan noble, y tenaient évidemment la première place mais des gens de caste, comme les Yama, étaient également représentés 10. Le jeune guerrier tint à ses hôtes un discours curieusement anti-musulman ou, du moins, anti-Sisé : « Tantôt les Sisé nous malmènent. Tantôt ils nous assujettissent par les promesses d'une religion dont ils se servent pour nous exploiter. Et moi qui suis votre parent, moi qui vous traiterais comme des oncles, vous refusez de m'aider » 11. Il recueillit l'approbation générale et fut nommé kèlètigi, « chef de guerre », pour les environs de Dyala, avec le droit de mobiliser la classe d'âge (kari) des jeunes combattants (kèlèmbolo). Tous les assistants prêtèrent ensuite un serment solennel en buvant le dègè. Comme il ne s'agissait pas d'une soumission, mais d'un engagement réciproque, Samori le but en compagnie de ses hôtes, après quoi on partagea des kolas.
L'événement peut paraître mince. Les partenaires de Samori, dont nous connaissons les noms, n'étaient que les notables d'un canton montagnard, peu influents dans le cadre du Konyã, et ils n'allaient jouer aucun rôle dans la suite de cette histoire. Les contemporains de l'Almami ne s'y sont pourtant pas trompés : le serment de Dyala est le point de départ de la construction impériale. Samori s'est engagé ce jour-là à mettre sa science militaire au service de ses « oncles » et ceux-ci ont placé en retour leurs guerriers sous ses ordres. En se contentant du titre de Kèlètigi, notre homme marquait son respect pour les dignitaires coutumiers, mais il s'attribuait le pouvoir substantiel qui se fondait sur la force. Le grand baña 12 sous lequel s'était tenue l'assemblée vivait encore en 1958 et s'il ne faisait pas l'objet d'un culte il était du moins considéré avec le plus grand respect.
Je suis convaincu que le serment de Dyala a été prêté dans les jours ou, du moins, les semaines qui suivirent la chute de Torigbèbaladugu, alors que l'angoisse étreignait tous les Konyãnké. Il daterait donc, selon ma chronologie, de l'extrême fin de 1861 ou, à la rigueur, des premier jours de 1862.
Samori disposait désormais d'une petite troupe de sept hommes armés de fusils de traite, dont son frère, Kémé-Brèma, qui lui servait de lieutenant. Il pouvait en outre mobiliser les jeunes gens de quelques hameaux montagnards.
Il n'était pas question d'en rester là. Dyala était un village ouvert et le Kèlètigi voulait se mettre à l'abri d'un coup de main des Bèrèté ou des Sisé. Comme des fortifications pouvaient porter ombrage aux Kamara du voisinage, il fallait au préalable obtenir leur autorisation.
Dyala dépendait du Worõdugu et plus précisément de Sanãnkoro, dont le chef, Kirasè-Köli, hébergeait Laafiya. Samori n'eut aucune peine à obtenir son accord mais, pour écarter toute opposition, il voulut cependant avoir l'approbation du vénérable Manãnkolo, le Mãsa du Bãmbadugu. Il se rendit donc à Usudugu en compagnie de son beau-père, Masarã-Sèri et des notables de Lenko. Le Bãmbadugu étant vassal de Madina, on peut supposer qu'il n'attaqua pas publiquement les Sisé, mais nous savons qu'il invoqua la menace des Bèrèté. « Ces gens me menacent et je ne puis mettre mon père en sûreté sans une forte clôture. Je suis votre parent et je ne vous tromperai pas, tandis que les étrangers viendront tout piller » [5]. Samori offrit une captive avec son enfant au patriarche, qui se laissa convaincre. Il ordonna aux jeunes gens de Bãmbadugu, commandés par son fils Kolo-Kamã, d'aider Samori à couper des arbres et à construire un sanyé solide 13. Kamã devait en outre assister le Kèlètigi s'il faisait la guerre dans l'intérêt des Kamara. A l'issue des travaux, une seconde palabre eut lieu pour l'inauguration du sanyé et, durant cette cérémonie Samori et Kamã se prêtèrent à leur tour un serment réciproque (début de 1862 ?).
Samori dut se sentir enfin en sécurité, car il fit venir de Sanãnkoro Laafiya et le reste de sa famille. Il entreprit alors une campagne de recrutement, analogue à celle qu'il avait amorcée l'année précédente à Sokurala. Grâce à sa réputation d'équité et de générosité, il trouva facilement des jeunes gens pour grossir la petite troupe permanente, qui demeurait sa seule force, en dehors des courtes mobilisations des kari. Pratiquant ce que nos informateurs appellent « la politique du ventre » [5], il s'appliqua à nourrir largement les animistes en rupture de ban ou les dyula ruinés qui accouraient auprès de lui. Ayant ainsi sacrifié sans remords le troupeau paternel, il dut bientôt demander l'aide de Sirimã Kamara, de Sulakolo, un riche notable du Talikoro, qui allait lui apporter un soutien constant.
Malgré tout, pour nourrir et armer ses gens, le Kèlètigi devait recourir à la force et il ne pouvait s'en prendre à des voisins auxquels un serment le liait. Il envoya donc ses hommes razzier à une certaine distance mais ses faibles forces ne lui permettaient que des petites opérations rappelant plutôt le banditisme que la guerre : enlèvement de cultivateurs isolés et de troupeaux, mise à rançon des colporteurs, surprise de gros marchés. Pour soigner sa popularité, Samori laissait à ses hommes les deux tiers de leurs prises et il se gardait d'attaquer les villages par crainte de faire cristalliser une opposition.
Pour les affaires plus importantes, il mobilisait les kari de Dyala et demandait l'assistance de Kolo-Kamã, mais il fallait alors obtenir l'accord préalable du Mãsa d'Usudugu.
Samori paraît avoir profité des circonstances pour se venger des Sémorisi du Worõdugu méridional, qui l'avaient dénoncé l'année précédente aux Bèrèté. Ses hommes ayant été molestés au marché de Ténenfèro 14, il réussit à convaincre Manãnkolo de faire là un exemple. Sa petite troupe, accompagnée par les guerriers Kamara, détruisit le village presque sans effusion de sang. La population fut réduite en captivité et la moitié du butin fut livrée au patriarche d'Usudugu, comme à un suzerain. Le même sort fut bientôt réservé à Sokurala, puis à Kurubadugu 15, sur l'autre rive du Milo.
Ces expéditions frappaient des Kamara, ce qui fit une impression déplorable. Les vaincus s'étaient réfugiés dans les montagnes du Konyãnko, chez Kèsa-Bala, et celui-ci adressa des remontrances à Manãnkolo. Il obtint que le Mãsa rende sa part de butin contre un prix symbolique, soit mille kolas et trois calebasses d'huile. On nous dit en effet que le vieillard s'inquiétait et regrettait d'avoir écouté Samori. « Cet enfant m'a trompé. Il m'a demandé de construire un sanyé contre les brigands et c'est lui qui se conduit en brigand » [4]. Samori s'en rendit compte mais, loin de s'excuser, il alla visiter le patriarche, et lui reprocha sur un ton insolent d'avoir dilapidé son butin. Le vieillard, furieux, répondit que tout le monde savait qu'il avait aidé les Bèrèté, deux ans plus tôt, à « casser » (tyi) ses propres « oncles » dans le Konyãnko et qu'il n'était donc qu'une crapule (kyègbana).
A la suite de cet incident, le Mãsa retira à son « neveu » l'appui des Kamara et décida de détruire Dyala. Comme la moitié du Bãmbadugu refusait de le suivre, sous l'influence du beau-père de Samori, il fit appel à Kèsa-Bala qui ne demandait qu'à se venger. Deux fortes colonnes se rassemblèrent à Usudugu, sous les ordres de Kolo-Kamã et à Gbèdugu sous ceux de Mãsa-Sèba 16. Selon la tradition, Samori ne disposait encore que d'une cinquantaine d'hommes, en comptant ses propres sofas et les guerriers de Dyala, si bien que son infériorité numérique était écrasante. Sa troupe était en revanche presqu'entièrement pourvue de fusils alors que l'adversaire se servait surtout d'arcs et d'armes blanches.
Au jour convenu, les deux colonnes se mirent en mouvement. Celle du Konyãnko devait verser la vallée du Milo et attaquer de front le sanyé, tandis que celle du Bãmbadugu, guidée par des montagnards, devait escalader le Gben et dévaler des hauteurs un peu avant l'aube. Cette savante tactique ne donna aucun résultat. La masse confuse des assaillants reflua sous le feu des défenseurs bien abrités et prit la fuite en laissant de nombreux morts. Parmi eux se trouvaient Kolo-Kamã et son frère Manigbè-Möri ainsi que Sobi Kamara, le chef d'un kari d'Usudugu. L'opinion du temps vit dans ce désastre la sanction du serment de Dyala qu'avait violé Manãnkolo 17.
La victoire de Dyala se situe sans doute vers le milieu ou la fin de 1862. L'approche des récoltes (octobre-novembre) avait sans doute incité les Kamara à se débarrasser du gêneur qu'était Samori, mais l'évolution de la situation générale doit également être considérée si l'on veut expliquer le changement d'attitude du vieux Mãsa. Vers le début des pluies, Makura-Dyara avait rejeté les Sisé derrière le Dyõ et la guerre du Sabadugu retenait Sérè-Brèma dans le nord. Comme la menace s'éloignait, on n'avait plus besoin du Kèlètigi et son ambition mal dissimulée devenait insupportable. Malheureusement pour Manãnkolo, il était déjà trop tard, et il allait payer le prix sanglant de ses variations.
La victoire de Dyala avait auréolé Samori d'un prestige nouveau, mais il était trop sage pour adopter aussitôt le ton d'un maître. Il affecta, au contraire, une attitude conciliante, rappelant à qui voulait l'entendre qu'il n'était pas responsable de ce qui s'était passé. Aussitôt après la bataille, il entama d'ailleurs des négociations en vue d'évacuer Dyala et de se transporter avec tout son monde à Sanãnkoro, dans la plaine du Milo. Il proclama qu'il voulait ainsi s'écarter d'Usudugu pour ne pas froisser inutilement l'irascible Manãnkolo.
En réalité, son premier succès avait sans doute renforcé sa confiance en lui et il n'éprouvait plus le besoin de se retrancher sur des sommets inaccessibles par crainte d'un raid des Bèrèté. Son ambition s'accommodait mal de ce repaire montagnard et il désirait s'installer sur les routes commerciales, parmi les gros villages du bas pays. Selon un informateur sérieux, il aurait surtout voulu aborder une nouvelle étape en formant des cavaliers dans le style des conquérants du nord. « Il nous faut des chevaux pour la guerre si nous ne voulons pas être pris. Ici, nous n'avons pas la place de les faire courir. Allons donc à Sanãnkoro où le terrain est plat » [1] .
Il est vrai qu'il fallait d'abord l'accord des gens de Sanãnkoro et que ceux-ci étaient fort réticents, effrayés sans doute par la réputation de leur « neveu ». Avec l'aide de Laafiya, qui gardait là de solides amitiés et surtout grâce à l'appui de Sirimã, de Sulakolo, le jeune Kèlètigi mena à bien une négociation longue et délicate. Quand l'affaire parut bien engagée, il descendit à Sanãnkoro où l'on tint une grande palabre en présence de tous les notables du Worõdugu et du Talikoro 18.
Ceux du Worõdugu craignaient surtout que cet homme trop puissant ne contestât leurs droits coutumiers. « Entre les deux montagnes, c'est notre terre et on ne peut la donner à personne, même à un neveu. Si celui-ci est trop fort, il nous trahira et prendra le pays » [1]. Samori offrit alors de se désister.
— « Je ne voulais pas rentrer au pays. Les Sisé m'honoraient et m'offraient des captifs, mais ils préparaient la guerre contre vous, mes parents, et j'ai voulu vous prévenir. Je sais combattre comme ils le font, mais mon vrai métier c'est le colportage. Vos fils vont me mépriser et m'obéiront mal. Choisissez donc l'un d'eux pour commander votre guerre et moi je vais retourner au commerce » [2, 15].
Les Kamara l'auraient alors imploré.
— « Tu viens nous avertir du danger, tu peux nous sauver et tu te dérobes. Prends nos fils, apprends-leur à bien faire la guerre et nous les obligerons à t'obéir » [2]. Samori se laissa finalement faire une douce violence et rassura ses « oncles » quant à leurs droits sur la terre.
— « Si je dirige votre guerre, il faut que je vienne ici où on peut faire courir les chevaux. Cependant la terre est à vous, et le jour où vous me renverrez je partirai aussitôt derrière la montagne ».
Les Kamara le reconnurent alors comme Kèlètigi des deux kafu, ce qui lui donnait le droit de recruter leurs jeunes gens et de mobiliser les kari. Ils lui concédèrent enfin l'emplacement d'un vaste sanyé à l'entrée ouest du village, mais en dehors du vieux tata. Tout le monde but le dègè et on sacrifia les bufs donnés par Sirimã (fin de 1862 ?) 19.
Ce notable laissa d'ailleurs son frère à Sulakolo et se transporta à Sanãnkoro avec toute sa famille, dès que Samori eut construit le sanyé. Son fils Amara allait devenir l'un des meilleurs partisans du conquérant.
Le Kèlètigi se trouvait maître d'un pays relativement vaste et riche, et il entreprit aussitôt d'organiser une véritable armée. Les aînés de ses frères
lui servirent de lieutenants. D'autres étaient des camarades d'enfance, ralliés dès le premier jour, dont certains allaient faire des carrières brillantes comme
D'autres encore allaient vite s'effacer dans une discrète médiocrité comme
On notera qu'à l'exception de ce dernier, issu d'une famille maraboutique, tous étaient des gens de caste (Nyamakala) 20.
Pour grossir ce noyau, que les Kamara traditionalistes ne devaient guère juger honorable, Samori continua à recruter les dyula et les païens en rupture de ban que sa renommée naissante attirait en grand nombre. Il leur donnait des fusils et augmentait ainsi sa petite troupe permanente. L'Islam y régnait, mais sans exclusive, et certainement sans fanatisme. Cette fois cependant, il recruta également des jeunes Kamara animistes, surtout dans le Talikoro, pays de sa mère 21. Il les formait en bolo, en dehors du cadre des kari, et leur apprenait l'usage des armes à feu. Le vieux système des classes d'âge lui servait encore pour les levées en masse mais il ne pouvait ordonner celles-ci que pour de courtes périodes, sauf en cas de danger grave. Leur valeur militaire devait être assez médiocre et Samori n'en abusa pas. Il soignait ainsi son rôle de défenseur désintéressé des Kamara.
Il est vrai qu'il faisait désormais figure d'ennemi en dehors des deux kafu du Milo. Le Mãsa d'Usudugu paraît s'être beaucoup agité dans l'espoir de venger ses deux fils en éliminant l'aventurier avant qu'il ne soit trop tard. Il réussit effectivement à mettre sur pied une nouvelle coalition, bien plus large que la première. Cette fois, au Konyãnko de Kèsa-Bala se joignirent ses voisins du Mãndugu, les lignées du Haut Worõndugu, anciennes victimes de Samori (Nyãntumãsi et Sémorisi) et enfin le Simãndugu, où Nyama, libéré de la menace des Sisé, crut opportun de se retourner contre son ancien protégé.
Tout le monde se concentra à Damaro et la colonne dévala les pentes du Gben dans un assaut désordonné contre le sanyé à peine achevé de Sanãnkoro. Une fois de plus, les assaillants furent décimés par des défenseurs bien abrités et durent chercher le salut dans la fuite. Samori, désireux de leur infliger une leçon, dirigea une poursuite impitoyable jusqu'au pied de la montagne et prit les vaincus en grand nombre. On prétend que des femmes participèrent à cette chasse et saisirent elles-mêmes des captifs (fin 1862 ?).
Après ce nouveau désastre, l'opposition des Kamara se disloqua très vite. Samori eut la sagesse de ne pas vendre ses prisonniers comme la coutume l'y autorisait, mais de les renvoyer dans leurs familles où ils rentrèrent en chantant ses louanges. Son beau-père, Masarã-Sèri était resté immobile à Lenko, maintenant ainsi la moitié du Bãmbadugu dans la neutralité. Il ne voulait pas combattre son gendre mais il craignait de s'opposer au vieillard d'Usudugu. Après le combat de Sanãnkoro, il s'efforça de réconcilier tout le monde mais Manãnkolo s'y opposa, préférant cultiver une humeur morose au fond de son village.
Samori négligea alors le patriarche, dont l'élimination aurait fait mauvais effet, mais il se tourna aussitôt contre le Simãndugu, car il reprochait à Nyama d'avoir trahi leur ancienne amitié. Ses hommes ravagèrent tout le plat pays du kafu et le Mãsa, impuissant, se réfugia une fois de plus dans son repaire de Sosodugu tandis que les envahisseurs poussaient au sud jusqu'à Dyomãndugu, au pied des montagnes du Haut Konyã 22. Nyama n'avait jamais été un ennemi très convaincu de Samori et il demanda bientôt la paix. Les deux chefs se rencontrèrent à Damaro, qu'on reconstruisit aussitôt, et ils burent réciproquement le dègè (début de 1863 ?).
Les lignées du Haut Worõndugu (Nyãntumãsi, Sèmorisi), s'étant soumises sans résister, Samori se trouva dès lors maître du Bas Konyã, à l'exception des rives du Dyõ. Désireux d'étendre ses avantages, il se laissa entraîner facilement par Nyama contre Makura-Dyara, le nouveau maître du Gbèrèdugu. Bien que cet ennemi des Sisé ait refusé de participer à l'attaque de Sanãnkoro, le Mãsa et Samori se lancèrent contre lui en invoquant le nom du Faama de Madina 23.
Cette fois, l'adversaire était redoutable. Solidement retranché dans le tala de Gbagbadugu, il avait reçu des renforts du gros marché voisin de Sanãnkoroni et même du jeune Saghadyigi qui avait relevé, un peu plus loin, Sinimoridugu. De la rive est du Dyõ, les Koné de Bèrèkã, retranchés sur les sommets du Gbãnkundo, où ils résistaient depuis deux ans aux Sisé, envoyèrent également des guerriers. Samori voulut brusquer les choses en donnant l'assaut au village mais il subit à son tour un échec sanglant et dut fuir avec Nyama (milieu de 1863).
Le Kèlètigi rentra hiverner à Sanãnkoro, avec un prestige un peu ébranlé, mais la chance allait vite lui rendre ses faveurs. Makura-Dyara, encouragé par ce nouveau succès, se lança pendant les pluies à l'attaque du Simãndugu méridional où il détruisit Yarakeñdugu. Il prit aussi Fundugu, mais il y fut gravement blessé et mourut peu après 24. Privés de ce chef énergique, les gens du Gbèrèdugu reportèrent leur allégeance, en souvenir de Dyènté, sur le jeune Saghadyigi. Ce garçon ne faisait pas encore le poids et Samori comprit facilement que la voie était libre. Il repartit à l'attaque dès la fin de l'hivernage, visant cette fois le gros marché de Sanãnkoroni où Kaba Koné lui opposa une résistance énergique. Ce chef reçut des secours du Salagbala, sous les ordres de Mamyen Kamara, de Fuladugu, tandis que Saghadyigi, sans quitter sa retraite de Sinimoridugu, lui envoya dix fusils en renfort. Les assaillants finirent cependant par réduire Sanãnkoroni en écartant les défenseurs du point d'eau de Koninko. L'unique survivant des guerriers de Sinimoridugu avait eu un bras coupé et Samori le relâcha aussitôt avec un message pour Saghadyigi 25. « Le Kèlètigi te prévient que demain il dînera chez toi ». Le neveu de Dyènté déguerpit aussitôt en pleine nuit avec tous les siens, en laissant le Gbèrèdugu désert. Il songeait d'abord à s'installer dans le Farana, patrie de sa mère, qui payait à vrai dire tribut aux Sisé mais dont la population, retranchée en haut du Borõnkèñyi, jouissait d'une liberté de fait. Sur l'autre rive du Dyõ, il reçut cependant une délégation des Koné de Fakurudugu 26, qui vivaient au sommet du Gbãnkundo depuis la révolte de 1860. C'étaient encore des « oncles » et les Kamara décidèrent de les rejoindre dans cette forteresse imprenable (fin de 1863).
Maître du Gbèrèdugu, Samori se tourna aussitôt contre les derniers alliés des vaincus, les Konatè du Sèsumala. Leur chef, Warasa-Kyèsèri, s'était retranché dans Booko 27 et il résista énergiquement, si bien que Samori, reculant devant un second siège, rentra à Sanãnkoro. Le résultat recherché fut pourtant obtenu car les sofas n'eurent pas plus tôt tourné les talons que les Konaté évacuèrent en hâte leur pays pour rejoindre Saghadyigi en haut des falaises du Gbãnkundo. Ils allaient y rester exactement 20 ans.
A la fin de 1863, Samori, maître de la rive ouest du Dyõ étendait déjà son autorité vers le sud jusqu'aux limites du Haut Konyã et aux marches du Tukoro. Peu lui importait que les bords du fleuve fussent réduits à l'état de désert. Comme il n'avait plus d'ennemis à craindre de ce côté, il pouvait diriger ses forces contre de nouveaux objectifs. Le vieux Manãnkolo devait s'en rendre compte puisqu'il accepta enfin les bons offices de Masarã-Sèri et accepta de se réconcilier solennellement avec Samori. Pour ménager son orgueil, ce dernier se rendit à Usudugu et se prosterna publiquement devant lui. Il affecta désormais de le considérer comme le chef spirituel des Kamara dont il était lui-même le bras.
Probablement vers la même époque, Samori se réconcilia avec le Konyãnko. Par l'intermédiaire de Laafiya, Kèsa-Bala lui demanda son aide contre Sõngba-Kyèsèri, qui était alors Kèlètigi du Mãndugu, et pillait constamment ses frontières 28. Cette guerre civile entre Kamara fut l'occasion de la première campagne forestière de Samori. Son ancien hôte, Masarã-Lãsèy but le dègè au nom du Dyaradugu, mais Kamoridugu fut pris et détruit. Sõngba-Kyèsèri, capturé, fut épargné à la demande de Kèsa-Bala et remis entre ses mains à Dumbadu au cours d'une grande fête.
Samori en profita pour mettre au pas tous les adversaires de son nouvel allié, et notamment les Bãmba de Nèrèkoro. Il rentra enfin à Sanãnkoro en traversant le massif montagneux du Turu où il écrasa au passage les Traorè de Burèdu 29. Les Kuruma de Sumasènya commandent de ce côté quelques villages Kurãnko aventurés sur la rive est du Sonãmba (Baulé) et ils ne firent aucune difficulté pour boire le dègè 30. Samori empiétait ainsi sur les domaines de son vieil allié Dénda Soghoma.
La position chronologique de cette dernière campagne n'est pas absolument sûre. Il est cependant difficile de la placer avant la fin de 1863, quand Samori se trouva couvert du côté du Dyõ, et elle ne peut certainement pas être postérieure au début de 1864 car notre homme allait désormais se consacrer aux affaires du nord où nous pourrons le suivre pas à pas.
En un peu plus de deux ans, avec l'aide des Kamara ou contre eux, en alternant des démonstrations de force avec une adroite diplomatie, Samori s'était rendu Maître de tout le Bas Konyã, à l'ouest du Dyõ. Il avait profité admirablement d'une conjoncture qui retenait les Sisé dans le Nord, face au Sabadugu, et qui immobilisait dans le Gundo occidental les Bèrèté, affaiblis par la révolte des Konatè. Il savait fort bien qu'une telle situation ne durerait pas et qu'il lui fallait encore du temps pour fortifier sa position. Il allait donc manuvrer avec une souplesse admirable pour prolonger ce sursis.
Il n'avait jamais rompu ouvertement avec les Sisé, suivant en cela l'exemple des Bèrèté. En combattant pour ces derniers, c'était en principe l'hégémonie de Madina qu'il avait servi. Il est vrai qu'il devait ses premiers succès à ses « oncles », excités par lui contre le despotisme des musulmans et que Sérè-Brèma était certainement au courant de ces discours. Le Faama ne pouvait Pourtant pas s'irriter qu'il contrôlât les kafu du Milo car ceux-ci n'avaient jamais été tributaires de Madina, sinon par l'intermédiaire des Bèrèté et d'ailleurs peu de temps. Quant au Bãmbadugu, qui s'était soumis à nouveau après la chute du Kobobi-Kuru, en 1859, il payait la dîme année, de mauvaise grâce, mais il n'était pas surveillé par des dugukuñnasigi. Les démêlés de Samori avec le vieux Manãnkolo n'intéressaient donc les Sisé que d'assez loin et ses succès ne constituaient pas un défi à leurs yeux. La naissance d'une nouvelle hégémonie sur leur frontière devait assurément les ennuyer mais ils pouvaient la négliger tant qu'ils étaient occupés du côté du Sabadugu. La question était de savoir ce qu'ils feraient le jour où ils auraient les mains libres. On pouvait prévoir qu'ils s'en prendraient soit à Samori, soit aux Bèrèté, dont le défi n'était pas moins insolent, mais que la sécession des Konatè venait d'affaiblir gravement.
Il est probable que Samori songea très tôt à détourner sur Sarãswaré-Möri, dont il avait à se venger, la colère de son ancien maître. C'est certainement dans ce but qu'il renoua officiellement avec les Sisé vers le début de 1863.
Le prétexte en fut trouvé au moment où, réconcilié avec Nyama, il se jeta sur le Gbèrèdugu. Ce pays venait de chasser les sofas de Madina quelques mois plus tôt et Samori eut l'effronterie de se présenter en vengeur des Sisé. Un an après avoir appelé les Kamara à résister à la tyrannie des musulmans, voici qu'il venait châtier d'autres Kamara, coupables de s'être révoltés contre ces mêmes musulmans. On peut imaginer que personne ne prit cette volte-face au sérieux sur le Milo, mais elle dut flatter Sérè-Brèma dont elle ménageait le prestige. A partir de 1863, Samori envoya régulièrement au nouvel an, qui tombait cette année-là le 18 juin, la moitié de son butin, à Madina, pour faire solennellement acte d'allégeance. On dit il est vrai que le Faama traita ce geste avec un certain mépris, en déclarant que Samori se moquait en lui envoyant de telles pauvretés [1]. Il accepta pourtant celles-ci et il dut prêter l'oreille à son ancien sofa. Celui-ci profitait de l'occasion pour dénoncer la trahison des Bèrèté leurs intrigues et le danger que présentait la fortification de Sirãmbadugu.
Sérè-Brèma venait justement d'investir Dyãnka-Tèrè du Gundo oriental, rompant ainsi nettement avec Sarãswarè-Möri, mais il restait à prendre le risque d'une grande campagne militaire. Le Sisé retrouva la liberté d'action en se réconciliant avec Nãnténen-Famudu, sans doute en 1864, et ses relations avec Samori paraissaient assez bonnes pour que la destruction des Bèrèté demeurât l'unique objectif possible.
Le Kèlètigi avait d'ailleurs montré la voie. Après s'être imposé sur le Dyõ, et dans le sud, il s'était tourné contre les Bèrèté que leur proximité de Sanãnkoro rendait très vulnérables. Il n'est guère possible de fixer la chronologie exacte des nombreux raids que les gens de Samori lancèrent alors contre le Gundo occidental et, derrière le Milo, le Manã. Il est fort possible qu'ils aient commencé avant 1864, mais c'est alors qu'ils se généralisèrent, comme pour éveiller l'attention des Sisé. Dans ce pays où il avait tant d'intérêts familiaux, Samori faisait d'ailleurs preuve de modération. Il épargnait les villages qu'il enlevait, exigeant seulement que les jeunes gens s'enrôlassent dans ses rangs et que le bétail fût livré pour les nourrir. C'est ainsi qu'il traita Dyaradugu et Kãfarãndu, en-deçà du fleuve, puis Kosaro, Dyiradu et Fãnkono, sur l'autre rive, dans le Manã. A Mãndyaradugu, par contre, les choses se gâtèrent 31. Samori venait à peine de quitter la place quand il apprit que les forgerons avaient lancé des sorts contre lui. Il revint aussitôt, saisit tous les hommes de cette caste, en décapita un grand nombre et déporta les autres à Sanãnkoro.
Il est remarquable qu'il épargna scrupuleusement le Gundo oriental, rallié aux Sisé, ainsi que son « oncle », Nyalè-Möri, qui gardait dans son village une prudente neutralité. La moitié coutumière du butin gagnait régulièrement Madina, tandis que Sarãswarè-Möri, demeurant étrangement inerte à Sirãmbadugu qu'il fortifiait fiévreusement sans essayer de défendre ses alliés.
Formation de la coalition. Après l'hivernage de 1864, Sérè-Brèma se décida enfin à attaquer les Bèrèté. Il n'ignorait pas que ses adversaires savaient faire la guerre à la façon des musulmans et que la puissance de leur forteresse compensait un peu leur isolement total. Pour être sûr de son fait, le Faama voulait s'assurer une écrasante supériorité numérique et il n'avait pas hésité à mettre à l'épreuve l'alliance de son ancien ennemi, Nãnténen-Famudu. Les Bèrèté, qui, après tout, étaient des musulmans, allaient donc être éliminés par une conjonction de la guerre sainte du Moriulédugu avec les animistes du Bas Torõ. Le souverain du Sabadugu avait eu à se plaindre de leurs razzias sur ses frontières méridionales et il tenait à la nouvelle amitié des Sisé, qui lui évitait d'être pris en tenaille entre Madina et les Kaba de Kankan. Il ne se fit donc guère prier et marcha bientôt sur le Gundo en remontant le Dyõ, tandis que Sérè-Brèma passait le fleuve à Kosa. Dyãnka-Tèrè le rejoignit avec les guerriers du Gundo oriental et Nyalè-Möri, sortant de sa prudente réserve, accueillit les conquérants. Ceux-ci installèrent leur camp à Nyalèmoridugu, d'où ils pouvaient harceler chaque jour les murs de Sirãmbadugu.
Samori était le plus faible élément de la coalition qu'il s'était employé à susciter. Au moment où il voyait ainsi ses vux comblés, son attitude devint étrangement ambiguë. Il avait détourné la foudre de sa tête mais la présence de ces grandes armées, à 50 kilomètres de Sanãnkoro n'allait sans doute pas sans l'inquiéter. Il est en tout cas significatif qu'il ne rejoignit pas ses puissants alliés à Nyalèmoridugu, mais qu'il campa à part, à Mãndyaradugu, sous prétexte d'isoler les Bèrèté des secours qui pouvaient leur venir du Manã.
Sirãmbadugu était une place très forte selon les normes de l'époque, si bien qu'il n'était pas question de la prendre d'assaut. Un siège interminable commença donc, selon la tradition des vieilles guerres africaines, et son succès dépendait de l'efficacité du blocus 32. L'isolement total des Bèrèté facilita les choses car, en dehors du Manã, qui cherchait surtout à rester neutre, tous leurs alliés les avaient abandonnés. Dans le Nord, les Konatè du Namusana, que la tradition orientait vers le Bas Torõ, s'étaient ralliés de bon gré à Nãnténen-Famudu, tandis que le Gundo occidental basculait tout entier dans le camp des Sisé.
L'entente ne régnait pourtant guère parmi les assiégeants. Le Konatè et le Sisé essayaient alors leur amitié toute neuve, et ils étaient trop puissants pour s'affronter, mais Samori, inquiet, se repliait sur lui-même. Il n'avait guère de contacts avec ses alliés, en dehors de quelques visites qu'il leur rendit sous bonne escorte à Nyalèmoridugu, mais il entretenait assez d'espions chez son ancien maître pour savoir qu'il était menacé. Le chef du Sabadugu aurait dit un jour à Sérè-Brèma : « Tu te fatigues à abattre un ennemi et tu oublies qu'un autre grandit près de toi ». Le Faama de Madina aurait répondu : « Si un homme attrape les pattes de deux taurillons à la fois, même s'il est très fort, ils s'échapperont ». Samori, en l'apprenant aurait déclaré : « Qu'il vienne donc m'attraper la patte chez moi » [1]. Le bruit courait qu'il avait négocié secrètement avec les Bèrèté et que ses alliés songeaient à le tuer par surprise dès la chute de la place. Quoi qu'il en soit, il dut s'inquiéter car il leva le camp sans attendre la fin du siège et regagna l'abri de son sanyé à Sanãnkoro.
La guerre traîna ainsi sans grand événement pendant toute une saison sèche (1864-1865). A l'hivernage, les assiégés avaient épuisé tous leurs vivres et ils se rendirent sans combat. Sarãswarè-Möri sortit alors du village, vêtu d'un pagne de femme, il se prosterna devant Sérè-Brèma. Celui-ci annonça qu'il l'épargnait comme musulman mais qu'il le garderait prisonnier à Madina. Le tata fut aussitôt rasé et toute la population déportée chez les Sisé. L'intervention des Kaba de Kankan allait bientôt tirer les Bèrèté de cette captivité mais leur rôle politique était terminé.
Installés à Ulundugu, dans le Baté, ils allaient conserver une petite armée autonome et ils pourront même se venger en contribuant à la chute de Nãnténen-Famudu. Ils seront ensuite contraints de se fondre dans la guerre de Samori où ils ne tiendront qu'une place insignifiante 33.
Leurs domaines, ou du moins ce qu'il en restait, furent partagés selon le fait accompli. Nãnténen-Famudu garda le Namusana, qu'il tenait déjà, et reçut un vague droit de suzeraineté sur les Traoré du Manã. Ceux-ci lui ouvraient la rive gauche du fleuve et la route du Sãnkarã, mais il n'était guère en état d'étendre davantage ses frontières. Sérè-Brèma rétablit son autorité sur l'ensemble du Gundo et il le confia au fidèle Dyãnka-Tèrè, auquel Nyalè-Möri et surtout Nyamori, de Sédugu, allaient servir de lieutenants.
Samori, seul, n'eut rien, ou plutôt, selon la tradition, sa part fut limitée aux sept chevaux qu'il avait pris pendant le siège [3, 5].
Samori était rentré de Sirãmbadugu mécontent mais surtout inquiet car il sentait bien que la chute de Sarãswarè-Möri faisait de lui le prochain objectif des Sisé. Sa dérobade devant la place assiégée allait en effet servir de prétexte à Sérè-Brèma, mais les causes de la rupture étaient bien plus profondes.
Au moment où disparaissait l'irritant défi des Bèrèté, le Faama de Madina n'avait pas l'intention d'en laisser grandir un autre. Pour la première fois depuis longtemps, il était libre de frapper vers l'ouest et il aurait eu tort de ne pas en profiter pour éliminer Samori, qui n'était pas encore trop fort. Il n'ignorait certainement pas la propagande hostile qu'inspirait son ancien sofa et sa défection devant Sirãmbadugu, n'était pas le seul grief qui justifiât un châtiment. L'usurpation de la rive gauche du Dyõ, et particulièrement l'annexion du Bãmbadugu, n'était pas moins scandaleuse. Samori continuait à envoyer du butin à Madina, mais il détournait pour son compte le tribut du Bas Konyã. Il était temps de mettre fin à ces agissements et Sérè-Brèma, une fois maître du Gundo en avait enfin les moyens.
Vers la fin de 1865, dès la baisse des eaux, le Faama traversa le Dyõ à Kariñyana, détruisit les villages Koné du Blamana et vint assiéger Lenko où s'étaient enfermés Momo Kamara et son frère Masarã-Sèri, le beau-père de Samori. Les Konatè du Gundo, et particulièrement Sédu-Nyamori, se joignirent aux envahisseurs, tandis que Samori accourait au secours des siens avec une petite troupe. Sa femme et son fils aîné se trouvaient justement à Lenko, où se concentrèrent tous les guerriers du Bas Konyã, y compris Nyama avec ceux du Simãndugu.
Devant cette résistance, les Sisé renoncèrent à prendre la place d'assaut et installèrent leur camp à Broïla 34 en vue d'un long siège. Le blocus qu'ils établirent paraît avoir été fort lâche et on a l'impression que cette guerre était menée de part et d'autre avec une certaine mollesse. Sérè-Brèma avait certainement l'intention d'ébranler la puissance de Samori mais il eût mieux fait de le frapper au cur, c'est-à-dire à Sanãnkoro, s'il avait vraiment voulu l'éliminer. Samori, de son côté, n'avait pas l'intention de se laisser investir et ne se sentait pas de taille à affronter ouvertement son ancien maître. Il s'employa donc à décourager les défenseurs, en arguant du manque de vivres et il leur suggéra d'évacuer la place. Masarã-Sèri s'y étant obstinément refusé, le Kèlètigi se retira bientôt à Usudugu avec sa famille et ses hommes, sans que l'ennemi s'y opposât.
Il rendit une visite respectueuse au vieux Manãnkolo, pour proposer de le mettre en sûreté à Sanãnkoro, car son village se trouvait à la merci de la cavalerie Sisé. Le patriarche accepta d'abord et il confia à Samori son troupeau, gardé par des jeunes garçons (bilakoro), dont un certain Koli Kuruma qui allait devenir célèbre sous le nom de Kyèmogho Bilali 35. Dès que notre héros eut pris la route du Milo, le vieillard changea cependant d'avis, par méfiance sans doute envers celui qui avait tué ses fils. Comme Usudugu était intenable, Kolo demanda l'hospitalité à Nyama, qui avait une fois de plus quitté Damaro pour sa retraite montagnarde. Les deux chefs se prêtèrent serment 36 et le patriarche fut installé dans les grottes de Kãntaro, à un kilomètre de Koliboba où résidait le Mãsa du Simãndugu 37.
Enfermé dans Lenko, mollement pressé par les Sisé, Masarã-Sèri prolongea un peu la résistance mais la récolte n'était pas faite, si bien qu'il lui fallut céder assez vite, faute de vivres. Il perça aisément un blocus inconsistant et rejoignit son gendre à Sanãnkoro, tandis que certains des siens fuyaient jusqu'au Bas Torõ où ils trouvèrent asile chez Nãnténen-Famudu (extrême fin de 1865 ou début de 1866). Cet événement fut à l'origine d'une scission durable dans la lignée, car Momo et les siens préférèrent traverser le Dyõ et demander asile à Gbãnkundo.
La victoire peu coûteuse des Sisé provoqua une véritable panique. Par crainte de représailles, une grande partie de la population évacua précipitamment le Bas Konyã 38 et Nyama donna le signal, malgré l'abri de ses montagnes, en fuyant vers la Forêt. Il obéissait ainsi à une vieille tradition de sa lignée, qui allait volontiers se nantir aux dépens des païens du Sud quand la dureté des temps la chassait du Konyã. Ses gens demandèrent d'abord asile à Nyõsomoridugu où le vénérable Konyé-Morifiñ pour débarrasser le village de cette cohue, leur suggéra de s'installer dans le nord du Koyma, sur le revers du Haut Konyã. Nyama prit en effet comme résidence le village Toma de Fooma, que lui concéda le chef Daoronyã à l'extrémité de la chaîne du Fõ. Il s'imposa facilement aux autochtones, peu nombreux, ainsi qu'à leurs voisins de Balata (Baladugu) qui abandonnèrent des terres aux immigrants 39.
De leur côté, les Koné du Dyõ (Blamana, Boñyana) avaient traversé le fleuve pour rejoindre leurs parents du Farana au sommet du Borõnkèñyi et ils allaient jouir d'une véritable immunité au cur de l'Etat des Sisé.
Kolo avait refusé de suivre Nyama en Forêt, car il ne voulait pas s'éloigner des tombes de ses ancêtres, mais il se trouva bientôt isolé à Kãntaro, au cur d'un pays désert. Le vieillard devait être fort embarrassé quand le jeune Saghadyigi descendit de Gbãnkundo avec une petite colonne et vint lui proposer l'asile de sa montagne. Kolo accepta aussitôt et évacua son repaire avec toute sa famille. A peine étaient-ils arrivés sur le plateau, à Dalanina, que Saghadyigi, jusque là fort aimable, rappela au vieillard les torts qu'il avait causé à son oncle Dyènté, l'insulta, et le fit égorger avec tous les hommes de sa famille 40. Cette trahison, qui est demeurée célèbre, est difficile à expliquer sinon par le tempérament violent du jeune Saghadyigi, sans doute alors âgé de moins de vingt ans. Il allait en donner maintes preuves par la suite, dans la poursuite de ses griefs familiaux mais il est surtout probable qu'il espérait s'attribuer la primauté sur l'ensemble des lignées Kamara, en supprimant celui qui l'incarnait. Dans ce cas, il se trompait lourdement car son crime allait au contraire dresser contre lui une bonne partie des descendants de Féreñ-Kamã et Samori saura l'évoquer sans cesse pour le déconsidérer. En ruinant toute possibilité d'unifier les Kamara païens, l'attentat de Dalanina faisait donc le jeu du nouveau conquérant (fin de 1865 ?).
Cet exode précipité avait vidé la vallée du Dyõ, bien que certains ennemis de Samori, comme Sirè-Korõmba Kamara, de Mãnfiladugu (Bãmbadugu), se soient soumis avec empressement aux Sisé. Sérè-Brèma demeurait maître d'un pays presque désert et il installa une petite garnison à Lenko pour le surveiller.
Il s'apprêtait sans doute à attaquer Sanãnkoro quand il reçut un message de Samori, qui annonçait en termes imagés qu'il lui cédait la place. « Père, je te laisse ton champ et je vais acheter des kolas » [1]. Notre héros se retirait, en effet, à l'exemple de Nyama, sur les franges de la Forêt. Une grande partie des habitants du Talikoro et du Worõndugu s'enfuit au même moment pour chercher asile dans les montagnes du Konyãnko ou pour escalader le Haut Konyã vers Nyõsomoridugu. Kirasè-Söri demeura cependant à Sanãnkoro dont les habitants demandèrent à boire le dègè et Sérè-Brèma, qui accepta volontiers leur soumission, plaça chez eux un dugukuñnasigi.
Le Faama remonta ensuite le Dyõ jusqu'à Musadugu, imposa son autorité au Mahana et poussa, on l'a vu, jusqu'à Boola, en Pays Guerzé. C'est là qu'il reçut les envoyés de Nyama dont il enregistra la soumission sans essayer de troubler la retraite.
Quand le conquérant rentra à Madina, l'Empire des Sisé paraissait au sommet de sa puissance. Il contrôlait les vallées du Dyõ et du Milo et débordait même en Forêt sur le versant de l'Atlantique. Sérè-Brèma croyait certainement avoir éliminé les derniers opposants dans l'ouest comme dans le sud, et il songeait sans doute à diriger ses armées contre d'autres ennemis (première moitié de 1866).
Situation du Konõnkoro. En évacuant ses domaines du Milo, vers la fin de 1865, Samori fuyait un combat inégal, mais il ne partait pas entièrement à l'aventure. Il répondait à une invitation déjà ancienne de Kané-Mãmfiñ, le Mãsa du Konõnkoro. Non loin de Bokodyoro, la résidence de ce chef, une lignée Sisé, issue naturellement de Bakõngo, avait fondé vers la fin du XVIIIme siècle, le village de Dyabarãndugu 41. Ces musulmans étaient en relations étroites avec ceux de Korèla, un centre musulman beaucoup plus ancien qui s'élevait non loin de là, mais dans le domaine du Buzyé. Ces Sisé avaient entrepris de se procurer des esclaves parmi les Toma montagnards du Konõnkoro, auxquels les Kamara étaient liés par une ancienne alliance. Comme ils n'écoutaient pas les remontrances de Mãmfiñ celui-ci leur avait fait la guerre, mais le jeune Kamãn-Kyèkura, qui venait d'accéder au commandement du Buzyé était accouru au secours de Dyabarãndugu 42.
Mãmfiñ, battu, avait demandé l'aide de Samori, mais les affaires du nord n'avaient pas permis une réponse immédiate. Cette fois, pressé par la nécessité, le Kèlètigi se présentait avec toute son armée au chef du Konõnkoro pour lui demander asile tout en lui prêtant assistance.
Pour la seconde fois, Kamãn-Kyèkura envoya ses gens secourir Dyabarãndugu, mais, devant ce nouvel adversaire, il n'était plus de taille. Le village fut enlevé au premier assaut et Samori installa ses hommes dans les cases des vaincus. Il avait l'intention d'y passer l'hivernage et il mit ses captifs au travail dans les champs du voisinage (début de 1866).
La Forêt était familière à cet ancien colporteur de kolas et on sait qu'il parlait bien la langue des Toma. Il devait avoir déjà des idées bien arrêtées sur la façon convenable de traiter les peuples « barbares » du Sud. Tandis qu'il mettait au pas des Malinké animistes, pour les empêcher de molester les dyula, il était décidé à épargner les producteurs de kolas, afin de ne pas troubler le commerce. Son point de vue rejoignait ainsi celui de Mãmfiñ, son nouvel allié, et il aurait passé des mois parfaitement paisibles dans le Konõnkoro si son intrusion n'avait pas soulevé la colère de Kamãn-Kyèkura. Celui-ci n'osait pas attaquer les Samoriens de front mais il procéda à un harcèlement constant dans l'espoir de décider ces indésirables à s'éloigner. Les gens du Buzyé rôdaient la nuit autour de Dyabarãndugu et y dressaient des embuscades. C'est ainsi qu'ils capturèrent Kémé-Brèma, qui fut vendu comme esclave à Bãnko tandis que son compagnon, Dyara Konaté, était exporté dans le lointain Ugbamay, en territoire libérien 43. Les forgerons qui suivaient la colonne se mirent alors à fabriquer des genzé, avec lesquels Laafiya alla en personne racheter son fils.
La récolte terminée, sans doute dans les dernières semaines de 1866, Samori mit fin à une longue inaction en quittant Dyabarãndugu. Il est certain que sa retraite forestière lui pesait. Il n'avait plus de chevaux et il craignait sans doute que son armée ne se disloquât trop loin des sources habituelles de son pouvoir. La colère des Sisé s'était détournée de lui et Sérè-Brèma, qui venait de rompre avec les Turè d'Odienné, avait engagé toutes ses forces dans la guerre du Wasulu. Le Bas Konyã n'était surveillé que par d'infimes garnisons et Samori, toujours bien renseigné, jugea sans doute que la voie était libre. Il avait certainement hâte de regagner Sanãnkoro de peur que son influence n'y soit ruinée par une absence trop prolongée 44.
Il était cependant dans son caractère de ne rentrer qu'après avoir rétabli, par un coup d'éclat, un prestige que sa fuite devant les Sisé avait ébranlé. Il était aussi naturel de ne pas s'éloigner sans donner une leçon aux gens du Buzyé, et d'en profiter pour regrouper les réfugiés du Bas Konyã qui vivaient dispersés aux alentours dans un état de semi-captivité.
Samori avait renoué avec son ami Nyama, installé tout près de là, à Fooma, et le chef du Simãndugu lui avait envoyé en renfort un détachement de 12 fusils.
Les Samoriens descendirent soudain des montagnes du Konõnkoro, traversèrent le Dyani (Saint Paul) à Musamoridugu et marchèrent sur Korèla dont le chef, Aramata-Mari Koné, était responsable de l'enlèvement de Kémé-Brèma 45. Le village fut facilement pris et sa population réduite en captivité. Samori envoya aussitôt son butin à Nyõsomoridugu pour racheter la liberté des réfugiés du Talikoro et du Worõdugu qu'il avait l'intention de ramener dans leurs foyers 46. Dyigiba Dõzo, qui était alors chef de ce village, n'avait guère envie d'échanger des captifs animistes contre des musulmans du voisinage. Il fut encouragé dans cette attitude par Bãmba Swarè, le fils de Koñyé-Morifiñ et le vieux marabout affirma de son côté que Samori, son ancien hôte, n'oserait pas les attaquer, par crainte de sa malédiction.
Les prisonniers de Korèla furent donc renvoyés au Kèlètigi avec une fin de non-recevoir. Samori réagit alors avec une grande promptitude, en escaladant la chaîne du Fõ par le col de Kanikoké pour aller dresser son camp au pied du pic de Duzubari. De là il entreprit d'investir Nyõsomoridugu, que ses hommes allaient harceler chaque jour. La place était pourtant forte, entourée d'un tata robuste et pourvue de nombreux chasseurs dont le tir était fort juste 47. Samori renonça donc à donner l'assaut et commença un siège en règle (début de 1867).
Cette fois, malgré son obstination, notre héros n'allait pas aboutir. Le séjour à Dyabarãndugu semble avoir miné le moral des siens, car la dissension régnait autour de lui. Son frère, Nyuma-Möri, qui paraît l'avoir jalousé, fit exécuter au cours d'une escarmouche, les douze sofas de Nyama, qu'il accusait de lâcheté. Samori, consterné, présenta ses condoléances au Mãsa du Simãndugu et laissa éclater une colère terrible contre le responsable de ce manquement. Nyuma-Möri fut tué à l'ennemi le lendemain et le bruit courut que sa mort n'était pas naturelle 48.
Le siège se poursuivit ainsi pendant quelque temps, deux ou trois mois selon les informateurs. Tout le Haut Konyã, particulièrement Musadugu et Dyakolidugu (Bèyla), avaient envoyé des renforts aux Dõso et les assaillants n'étaient pas en état d'imposer un blocus efficace. Les Sisé auraient dû accourir au secours de leurs vassaux mais ils étaient retenus au Wasulu. Devant cette carence, le musulman Dyigiba n'hésita pas à invoquer la « coutume de Musadugu » pour appel., au secours le chef de file des Kamara. Du fait de la mort de Manãnkolo et de l'hostilité de Nyama, qui soutenait Samori, il ne pouvait s'agir que de Saghadyigi, le jeune champion des animistes tes. Celui-ci ne se fit pas prier et dévala aussitôt des hauteurs de Gbãnkundo par la Piste de Tambikola. On dit qu'il voulait attaquer le dyasa des assiégeants le soir même de son arrivée Mai, que, sur l'insistance de Dyigiba, il remit l'affaire au lendemain et fit Son entrée dans le village 49.
Dans la nuit qui suivit, Samori leva le camp sans demander son reste et s'enfuit vers le nord en emmenant avec lui Laafiya et de nombreux blessés.
Une fois de plus, la malchance accablait notre héros et ébranlait son prestige. Il ne se découragea pourtant pas, mais il eut la prudence de modifier ses plans. Il ne savait plus comment il serait accueilli à Sanãnkoro et, sans chevaux, il se sentait incapable d'affronter les Sisé en plaine. Il chercha donc une retraite montagnarde dans le territoire évacué par son ami Nyama.
Sa colonne traversa un pays vide et alla se retrancher dans les cavernes de Sobidu, qui s'ouvrent au flanc du Gben au-dessus de Damaro 50. Elle n'y était pas depuis longtemps quand sa présence fut signalée à Sirè-Korõmba, qui haïssait Samori depuis l'affaire de Dyala, et qui s'empressa de le dénoncer à la petite garnison de Lenko. Les sofas des Sisé s'imaginèrent qu'il s'agissait d'un adversaire ébranlé par l'échec de Nyõsomoridugu, démoralisé, démonté, encombré de blessés et manquant de munitions. Ils décidèrent donc de faire une marche de nuit pour le sur. prendre à l'aube et en finir ainsi une bonne fois avec lui. La surprise ne joua pourtant pas et l'assaut s'acheva contre leur attente en désastre 51. Les survivants de la petite troupe, poursuivis jusqu'à Lenko, s'enfuirent au Gundo chez Sèdu-Nyamori puis regagnèrent Madina avec la nouvelle que Samori était revenu.
Le Kèlètigi avait fait d'assez nombreux prisonniers, dont Sirè-Korõmba, ainsi qu'un butin important où figuraient des fusils et des chevaux. Il organisa aussitôt un embryon de cavalerie. La victoire lui rendait son audace et ses envoyés furent bien accueillis à Sanãnkoro qui se déclara prêt à le recevoir. Il quitta donc Sobidu et réoccupa son sanyé du Milo, où Sirimã lui fit fête, tandis que les agents de Sérè-Brèma fuyaient en toute hâte. Sirè-Korõmba fut exécuté en grand appareil, pour l'exemple, en présence de nombreux Kamara (milieu de 1867).
Le retour à Sanãnkoro, après la médiocre escarmouche de Sobidu, a une signification considérable car il consacrait la rupture définitive avec les Sisé. Samori ne craignait plus d'affronter ses anciens maîtres et de les traiter d'égal à égal. Désormais, il ne reconnaissait plus de supérieur et il prétendait à la souveraineté. C'est ce qu'il explicita en prenant le titre de Faama que les Malinké réservaient aux chefs des grandes hégémonies guerrières.
Pendant l'hivernage de 1867, Samori se trouva de nouveau maître du Bas Konyã entre le Milo et le Dyõ. Il avait même étendu son territoire en Forêt, puisque les liens qu'il venait de nouer avec le Konõnkoro allaient s'avérer durables. Par ailleurs, en abandonnant le titre de Kèlètigi, il manifestait qu'il n'était plus simplement le délégué de ses « oncles », les maîtres de la terre. Au regard de la coutume, la position du nouveau Faama était assez mal définie puisqu'il ne contestait nullement le droit éminent des Kamara mais il s'accommoda d'abord fort bien de cette imprécision, qui lui laissait la réalité substantielle d'un pouvoir original dont il ne devait compte à personne.
Il est vrai que le pays repris en main était alors à demi-désert, surtout dans la vallée du Dyõ. Pour le repeupler, autant que pour construire une véritable armée, Samori avait d'abord besoin d'une période de quiétude relative, à l'écart d'ennemis trop puissants. Une conjoncture favorable allait justement lui assurer trois ou quatre années de calme et son domaine de 1861 ne devait plus lui échapper avant l'irruption des Français. A l'issue de cette période de recueillement, il allait surgir du Haut Milo avec les moyens d'affronter les grandes puissances de son temps. En attendant ce jour, c'est en dehors de ses frontières que se déroulaient les conflits majeurs et il n'allait s'en mêler qu'avec prudence et habileté.
Le retour de Samori sur le Milo s'était trouvé facilité par la guerre du Wasulu qui retint les forces des Sisé dans le nord jusqu'à l'hivernage de 1868. Quand celles-ci furent à nouveau disponibles, elles ne songèrent plus à revenir dans l'Ouest car la situation avait été à nouveau bouleversée par l'entrée en scène d'un acteur imprévu, le jeune Saghadyigi Kamara ou Gbãnkundo-Saghadyigi. Celui-ci s'employait alors à organiser un véritable Empire animiste en enlevant le Haut Konyã aux Sisé et, sous son impulsion, la résistance passive des réfugiés, entassés en haut de leurs montagnes, faisait place à une série d'offensives furieuses.
Samori avait subi la première de ces sorties sous les murs de Nyõsomoridugu. La seconde fut la guerre de Musadugu, dont il fournit lui-même involontairement le prétexte, et dont il devait être le principal bénéficiaire puisque les ambitions impériales des Sisé allaient se briser là.
Dès son retour à Sanãnkoro, à défaut d'une expansion militaire dont il n'avait pas encore les moyens, le jeune Faama se soucia du moins de rétablir son prestige là où il avait le plus souffert et de repeupler rapidement ses domaines. Ces deux objectifs étaient complémentaires car il lui fallait effacer la honte de Nyõsomoridugu s'il voulait délivrer ses compatriotes toujours en servage dans le Sud.
Il fallait donc frapper les musulmans du Haut Konyã et une obscure querelle lui en fournit le prétexte. Nyala, l'un des six antiques villages du plateau, est la souche de tous les Dõzo ou Dõso, qui se sont répandus jusqu'aux rives du Bandama. En visite à Sanãnkoro, un jeune Dõzo enleva la fiancée de Fila-Möriba Turè, un frère cadet de Laafiya, et Samori prit en main la cause de son oncle. Sa demande de restitution ayant été repoussée, il dirigea une colonne contre le village, le détruisit, et vendit tous ceux qu'il put prendre. Vãfiñ Doré, dont l'autorité était acceptée par tout le Haut Konyã, accourut en hâte à la rescousse mais il fut battu à plate couture et rentra en hâte s'abriter à Musadugu. Il s'excusa alors auprès de Samori, en déclarant qu'il avait cru à une attaque de Saghadyigi et qu'il ne serait pas intervenu s'il avait su qu'il s'agissait d'un musulman. N'étaient-ils pas tous deux des sujets des Sisé ?
Samori rentra chez lui et l'effet produit s'avéra satisfaisant car Nyõsomoridugu, impressionné par ce coup de force, laissa aussitôt les réfugiés regagner la vallée du Milo (fin de 1867).
Les choses n'en restèrent cependant pas là et la modeste affaire de Nyala allait avoir des conséquences tout à fait imprévisibles. En apprenant les paroles de Vãfiñ, Saghadyigi y vit un casus belli.
? « Je viens d'aider Nyõsomoridugu à chasser Samori, et maintenant c'est moi que les musulmans insultent » [4].
A vrai dire, il se sentait désormais assez fort pour descendre de ses montagnes et il ne tenait plus en place. En dépit de son jeune âge, il se considérait comme l'héritier de Fèren-Kamã, le premier de tous les Kamara, et il voulait s'imposer à ce titre aux musulmans qui gardaient le village sacré de Musadugu.
Le marché de ce gros centre se tenait le mercredi, hors des portes du tata 52. Saghadyigi y fit irruption un beau jour à la tête de sa colonne pour y enlever colporteurs et marchandises, tout en proclamant qu'il n'en voulait qu'au seul Vãfiñ. Il promettait même d'épargner le village si son ennemi était déposé et exilé. Comme il n'en fut rien, il groupa bientôt toute son armée et vint mettre le siège devant Musadugu au début de 1868 (janvier ou février) 53.
Nyama, du fond de sa retraite contestait les prétentions du jeune Mãsa, et il envoya quelques hommes aux défenseurs avec son fils Tyéulé tandis que la plupart des musulmans du Haut Konyã soutenaient également Vãfiñ. Malheureusement pour eux, l'armée de Gbãnkundo était déjà trop puissante et Saghadyigi avait à cur de montrer que, sous ses ordres, les païens savaient combattre aussi bien que les musulmans. Il construisit quatre sanyé qui bloquaient entièrement la ville et les assiégés eurent le plus grand mal à se procurer de l'eau. Ils ne réussirent pas à enlever le retranchement du sud, qui les isolait du point d'eau du Dyõ 54.
Dans cette situation désespérée ils envoyèrent Karamogho-Sulèmani Doré et Sulèmani Dukurè à Madina pour supplier Sérè-Brèma de les secourir. Le Faama se trouva alors dans un grand embarras car il ne pouvait abandonner sans se déconsidérer un pays qui lui était soumis depuis près de dix ans et où demeurait sa fille. Il était pourtant sans moyens car ses neveux, avec ses meilleures troupes, étaient engagés au cur du Wasulu où ils combattaient Bintu-Mamadu et les sofas d'Odienné. Le Faama tergiversa un peu, s'il est vrai que le siège de Musadugu dura soixante-dix jours 55, mais il partit finalement avec la petite troupe qu'il avait pu rassembler. Il réussit à entrer par surprise dans la place, en enlevant au passage le sanyé de l'est mais son arrivée n'arrangea rien car il se trouva à son tour investi et la pénurie de vivres s'en trouva aggravée 56. Pour en sortir, il négocia avec Saghadyigi qui exigea une très grosse indemnité pour lever le siège. Sérè-Brèma jugea que la faute incombait aux gens du Musadugu dont l'appel l'avait mis dans ce mauvais pas et que ceux-ci n'avaient donc qu'à payer.
A cet effet, il les dépouilla de presque tous leurs biens et particulièrement de leur or, et obtint ainsi que Saghadyigi battît en retraite tandis que lui-même rentrait à Madina.
Le vieux Faama laissait les Konyãnké dans un état de fureur noire contre ce musulman, beau-père de leur chef, qui les dépouillait sous couleur de les protéger, comme aucun païen n'aurait osé le faire. Saghadyigi restait d'ailleurs fort proche et toujours menaçant si bien que Vãfiñ lui envoya une ambassade pour s'excuser, puis proclama qu'il reconnaissait son autorité et qu'il invoquait sa protection en souvenir de Féren-Kamã.
Sérè-Brèma prit fort mal cette défection qui survenait au moment précis où la capitulation de Bintu-Mamadu libérait son armée du Wasulu. A la fin de 1868, après l'hivernage, il partit en campagne vers le sud, sous prétexte de demander des explications à Musadugu. Mais il voulut d'abord s'en prendre au Gbãnkundo, s'obstina quelques mois au pied de la montagne, mesura son impuissance, et rentra à Madina sans avoir rien fait. Anderson visitait justement Musadugu, et il atteste l'affolement bouleversant alors la capitale du Konyã, qui avait mobilisé tous ses alliés et attendait chaque jour un assaut des Sisé.
Celui-ci ne devait pas avoir lieu car, après cette humiliante palinodie, Sérè-Brèma allait renoncer définitivement à ses possessions du sud. Peu après sa retraite, sans doute dès l'hivernage de 1869, le Girila et le Gwanã refusèrent à leur tour de lui payer tribut et rendirent hommage à leur parent Saghadyigi.
Découragé et sans doute inquiet de la nouvelle puissance de Samori, le Faama de Madina se résigna assez vite. Il fit négocier un compromis par Dugugbè-Kaba Koné, qui reconnaissait encore son autorité, bien qu'il jouît d'une indépendance de fait au sommet des falaises de Borõnkènyi. Ce chef avait épousé Sogbè, la soeur de Saghadyigi, et était de ce fait le meilleur des intermédiaires. Grâce à lui, le champion de l'Islam militant et le héros des animistes conclurent une paix susceptible de se muer en alliance, en face du danger samorien (fin 1869 ?).
Le Sisé abandonnait toute prétention sur le Haut Konyã, en dehors du Bèèla et du Farana. Saghadyigi se gardait bien d'en demander davantage et pendant une dizaine d'années il allait diriger ses forces vers la Forêt où il s'enfoncera profondément en compagnie des guerriers musulmans de Vãfiñ.
Il aura tout le temps de consolider son pouvoir et d'organiser son armée dans un cadre géographique homogène car Samori allait le laisser en paix en se contentant de le critiquer et de faire rappeler ses crimes par ses propagandistes. Le nouveau conquérant ne faisait pas encore figure de leader musulman et il craignait de froisser les sentiments des autres Kamara, ses « oncles » en combattant un parent. Il préférait donc se tourner vers d'autres horizons où sa puissance allait trouver les aliments nécessaires pour s'accroître indéfiniment.
Les positions qui s'étaient ainsi cristallisées allaient subsister pendant plus de dix ans et cette stabilité rendra possible la construction de l'Empire. L'avenir avait donc pris corps dans ces années décisives que le voyage d'Anderson nous permet par bonheur de dater avec précision.
Après Ash et Seymore dont le voyage à Kwõnkã (1858-1859) n'est connu que par une médiocre relation 57, le seul nom à porter à l'actif de l'exploration libérienne est celui de Benjamin Anderson 58. Ce fils des Antilles a publié ses souvenirs dans un livre dont le style ampoulé est souvent amusant mais qui ne répond pas à la norme scientifique d'un Barth ou d'un Binger. Cet ouvrage peu connu n'a guère été mis à contribution et certains auteurs, notamment Binger et Arcin, ont contesté jusqu'à la réalité du voyage. Cette partialité contre le pauvre Anderson s'explique du fait que sa mission était surtout politique et que le gouvernement Libérien allait l'utiliser, dans les dernières années du siècle, pour étayer ses prétentions territoriales.
Ce voyageur a pourtant écrit un récit honnête et précis, plein de notations intéressantes sur la vie sociale et économique d'un pays qui demeure à ce jour peu connu. Son intérêt est vraiment considérable du fait de sa date ancienne et les doutes relatifs à son authenticité n'ont pu se faire entendre qu'en raison de la difficulté qu'on éprouve à identifier ses noms de lieux. Anderson ne parlait en effet aucune des langues du pays et ne bénéficiait pas de l'aide d'un interprète régulier, si bien qu'il a recouru à des transcriptions hautement fantaisistes 59. L'insuffisance de notre documentation sur le Libéria intérieur, dont aucune carte régulière n'existe encore actuellement, achève de brouiller les pistes.
Anderson nous est pourtant précieux par sa description des Toma du Nord et du Haut Konyã et surtout parce qu'il nous permet de fixer la première date certaine de cette histoire. Il est arrivé en effet peu après qu'une guerre ait opposé Saghadyigi à Sérè-Brèma sous les murs de Musadugu.
Ancien Secrétaire au Trésor (Ministre des Finances) du Libéria, Anderson fut choisi par le président Warner pour explorer l'hinterland et particulièrement Musardu (Musadugu) que les dyula de Monrovia désignaient comme la source principale de leur commerce. Cette mission s'insérait dans une politique esquissée par les premiers Libériens en vue de briser les barrières que les intermédiaires traditionnels opposaient aux négociants de Monrovia. Anderson comprit aussitôt que ces courtiers allaient s'efforcer de l'arrêter, à un moment où le prestige du gouvernement libérien, incapable de relever le défi du chef Manna, de Grand Sestre, se trouvait fort bas dans l'esprit des autochtones. Il en conclut qu'il fallait éviter le vieux centre de Boporo, capitale du royaume de Condo, la plus orientale des chefferies Vai, par où passait presque tout le commerce malinké. Il s'adressa donc au village du chef Bessa, situé dans l'arrière-pays de Cape-Mount mais il y fut brimé, menacé et dépouillé. C'est finalement le roi de Boporo, Momoru-Son, qui lui fournit les moyens de partir 60.
A Boporo, le 5 avril 1868, le notable Seymorou-Syyo essaya de le décourager en lui parlant de la guerre de Musadugu, ce qui prouve, compte tenu des délais de route, que l'affaire était en cours dès janvier ou février.
Momoru-Son lui donna finalement la permission de partir en compagnie d'un messager, Boah, chargé d'arbitrer un conflit qui troublait la route commerciale, et, plus discrètement, d'empêcher Anderson d'aller trop loin. Effectivement, après une interminable attente à Zolu, notre homme se trouva bloqué, en pleine saison des pluies, à Bokkasah, le village natal de Boah, dont les manoeuvres dilatoires lui enlevaient tout espoir de poursuivre sa route 61.
Il fut tiré d'affaire de façon inattendue par le « terrible chef Dowilnyah du Wymar » qui envoya une escorte armée le chercher. Ce personnage est fort connu de la tradition orale. Il s'agit de Daoronya Bilivogi, Dãñwiya pour les Konyãnké qui dominaient alors le Koyma (Wymar d'Anderson) et tenaient tête aux Kamara du Buzyé. Son intervention s'explique probablement par le désir qu'avaient les gens de l'intérieur d'établir des relations directes avec la côte en brisant le monopole des intermédiaires. Il reçut Anderson en grande cérémonie à « Ziggahporahzue » qui est l'actuel Koima-Tõngoro, où notre voyageur put admirer l'immense pont de lianes du Dyani. Dowilnyah le fit escorter chez ses voisins du Konyã si bien que, le 16 décembre 1858, Anderson fut reçu à Musardu par Vomfee-Dolla, qui est évidemment notre Vãfiñ Doré 62.
Le Libérien trouva la ville en pleine effervescence guerrière, car toutes les forces du Konyã s'y étaient concentrées par crainte d'une attaque de Sérè-Brèma 63. « Ils en veulent spécialement à un chef Manding, nommé Ibrahima ou Blamer Sissa, qui vit dans la grande ville de Médine, à trois jours au N.-E. de Musardu. Blamer Sissa vint de Médine visiter son oncle Amalah qui réside à Musardu 64 et il fut reçu avec une grande distinction. Voyant la puissance du jeune prince, ils lui demandèrent son aide contre les Kaffirs des collines de l'est. Pour leur donner satisfaction il revint avec une cavalerie et une infanterie formidables qui, finalement fit à ses amis autant de mal qu'aux Kaffres... Blamer Sissa dépouilla Musardu de tous les objets de valeur et de presque toutes les jolies femmes... La guerre a arrêté l'activité commerciale et, sur un vaste espace couvert d'herbes, on trouve des crânes brisés et des squelettes.
Ce sont les traces de la bataille désespérée qu'ont livrée les gens de Musardu, aidés de Blamer, contre les Mandingues de l'Est».
On voit que ceci corrobore parfaitement les traditions et permet de préciser que le conflit de Musadugu a eu lieu dans l'année précédant l'arrivée d'Anderson, plus exactement au début de 1868, d'après le renseignement recueilli à Boropo. Les « Mandingues de l'Est » sont évidemment les gens de Saghadyigi. Il vaudrait mieux les dire « du Nord », mais l'erreur d'orientation d'Anderson est constante puisqu'il nous parle du Buley (Burè), pays de l'or, comme se trouvant à quinze jours de marche dans l'est.
Malgré toutes ces insuffisances, nous devons considérer Anderson comme un témoin de confiance et, à vrai dire, nous n'avons pas le choix, car il nous faudra parcourir dix années encore avant de rencontrer un autre document daté.
Pour une durée d'environ trois années, la tradition nous apprend peu de chose sur Samori. Le fait n'est pas surprenant puisque cette source est toujours portée sur l'événement, qu'il soit politique ou militaire, et que cette période de recueillement fut sans doute fort pauvre en ce domaine.
Les informations que nous avons rassemblées posent cependant un problème de chronologie absolue qu'il n'est pas possible actuellement de résoudre avec certitude. Son importance n'est pourtant pas négligeable puisqu'il s'agit de dater les débuts de l'expansion samorienne vers le nord. Des renseignements nombreux, et qui se recoupent mutuellement, permettent d'établir le canevas d'une chronologie relative :
Cette dernière précède immédiatement les affaires du Basãndo et elle peut donc être située avec certitude dans la saison sèche 1870-1871. Elle ouvre l'ère des grandes conquêtes que nous allons étudier plus loin. Le problème qui se pose pour l'instant est de savoir si les deux premiers épisodes sont le prélude du troisième ou si, au contraire, ils en sont nettement séparés et ont suivi d'assez près le retour de Samori à Sanãnkoro. Dans ce cas, il conviendrait de les placer entre la fin de 1867 et le milieu de 1869.
Aucun argument décisif n'est actuellement disponible. Les informateurs sont tous d'accord sur la succession des événements mais les uns enchaînent sur la suite et les autres pas. Les dernières traditions publiées par Fofana Khalil, appartiennent à la première catégorie mais elles ne tranchent nullement le problème.
J'ai tendance, pour ma part, sans aucune certitude, à séparer les deux premiers épisodes et à les situer très tôt. Ils ont en effet opposé Samori aux Sisé alors que l'occupation du Namusana ouvrait déjà la guerre sans merci contre Nãnténen-Famudu. Or, en 1870-1871, Samori sera surtout soucieux de se réconcilier avec Sérè-Brèma en vue de la grande coalition qui détruira deux ans plus tard le Sabadugu. L'expulsion des agents de son ancien maître dans le Gundo s'expliquerait donc assez mal, et on comprendrait encore moins que ceux-ci se soient réfugiés chez Nãnténen-Famudu, et non à Madina. Deux ans plus tôt au contraire, l'alliance des Sisé et des Kuruma était encore solide et Samori, qui venait de rentrer à Sanãnkoro, était certainement gêné par le voisinage de Sérè-Brèma. La déconfiture de ce dernier à Musadugu avait certainement ébranlé son prestige et sa reculade devant Gbãnkundo, l'année suivante, ne contribuait pas à le relever. Le moment devait donc paraître favorable à Samori pour dégager Sanãnkoro et occuper une section de la route du Nord, en ménageant cependant le Namusana pour ne pas s'aliéner aussitôt Nãnténen-Famudu.
J'avoue qu'il s'agit là d'une simple hypothèse, mais elle me paraît donner une logique convainquante à l'enchaînement des faits et je me permets en conséquence de l'adopter pour ce travail.
Nous admettrons donc que Samori décida de mettre la main sur le Gundo dans la première moitié de 1868, après l'humiliante défaite de Sérè-Brèma à Musadugu. Le siège de Sèdugu, premier épisode de la conquête du Nord, s'est en effet déroulé à la fin d'un hivernage [1, 70]. L'année suivante, le retour de l'armée du Wasulu aurait sans doute dissuadé Samori de cette provocation.
Le Gundo où le nouveau Faama avait tant d'attaches familiales, était pour lui une proie tentante et toute proche. Il fallait pourtant réduire d'abord la résistance des hommes que la folie des Bèrèté avait poussé dans les bras des Sisé. Pour ces gens, la domination, faiblissante de Sérè-Brèma était une garantie contre les entreprises d'aventuriers irresponsables et ils classaient sans doute Samori dans cette catégorie, à côté de Sarãswarè-Mori. Cela explique que la principale opposition au fils de Laafiya soit venue de Sèdu-Nyamori, dont le frère, Tèrè-Yara, avait pourtant été l'ami et l'« oncle » du nouveau conquérant.
Samori savait certainement qu'il ne pourrait rien faire sans se rendre d'abord maître du sanyé de Sèdu, qui marquait la frontière du Gundo à moins de quinze kilomètres de son village natal. Il lança donc un assaut par surprise, au milieu des pluies, contre toutes les règles de la guerre traditionnelle. Il échoua cependant, si bien qu'il demanda l'aide de son beau-père et des gens de Lenko pour mener un siège en règle. Celui-ci eut lieu au début de la saison sèche, avant que la récolte n'ait assuré la subsistance des défenseurs, mais ceux-ci comptaient de nombreux chasseurs armés de fusils qui infligèrent de lourdes pertes aux assaillants. Ceux-ci l'emportèrent cependant après un investissement assez court. Le village fut détruit, et son tata démantelé, mais les vaincus furent traités avec modération.
Nyamori fut épargné, en souvenir de son frère, mais il allait être interné pendant près d'un quart de siècle et exécuté dans des circonstances obscures à l'approche des Français. Ses hommes furent enrôlés par le vainqueur auquel ils allaient rendre de nombreux services (fin de 1868 ?) 65.
Le Gundo s'ouvrait dès lors à Samori, mais son chef, Dyãnka-Tèrè, demeurait fidèle aux Sisé bien qu'il n'en ait reçu aucune aide. Evacuant Sanãnkoroni, il se réfugia bientôt à Talikoro, sur la frontière de Nãnténen-Famudu. Il est possible que Samori ait alors tenté de le rallier, car selon Khalil Fofana, il lui rendit alors visite, mais sans pouvoir le convaincre. Si cette démarche est réelle, elle s'avéra vaine car le chef Konatè, au lieu de se retirer chez Sérè-Brèma, se rendit dans le Bas Torõ pour demander asile au Mãsa du Sabadugu 66. Il allait demeurer à Bisãndugu, et c'est là qu'il se soumettra finalement quand le conquérant l'y rejoindra.
Samori s'était installé à Nyalèmoridugu, où il fut accueilli avec joie par son ancien tuteur, dont le fils aîné, Dyagba, allait faire carrière sous ses ordres 67. La plupart des villages du Gundo occidental envoyèrent alors des délégués pour boire le dègè. Ce fut la première fois, selon la tradition, que Samori utilisa cette cérémonie comme rituel de soumission, alors qu'auparavant il avait toujours co-juré avec ses partenaires. C'est aussi à cette occasion que Samori épousa la jeune Sarãnkènyi Konatè, qui allait devenir sa compagne la plus célèbre et dont le frère, Ténenso-Kaba, fut recruté en compagnie de Dyagba (début de 1869 ?) 68.
Sorti du Konyã, Samori imposait à ses nouveaux sujets le paiement d'un tribut annuel et l'enrôlement d'un certain nombre de jeunes gens dans ses bolo, en dehors des levées de classes d'âge (kari). Ces mesures n'allaient pas sans soulever un certain mécontentement mais Samori parlait désormais en maître, ce qu'il n'avait jamais osé faire dans son pays, chez ses « oncles » les Kamara.
L'heure des conquêtes n'avait pourtant pas encore sonné. Même si l'on accepte notre datation des affaires du Gundo, il ne faut y voir qu'une opération locale, destinée à couvrir Sanãnkoro en profitant d'une conjoncture favorable. Ceci fait, le Faama allait demeurer encore trois ans immobile, sans étendre davantage ses domaines. Ceux-ci lui assuraient déjà un rang honorable puisqu'on peut les estimer à environ 6.600 kilomètres carrés et 36.000 habitants (Appendice III). La conjoncture jouait par ailleurs en sa faveur et il eut la sagesse d'observer sans bouger l'effritement du pouvoir des Sisé dans le Haut Konyã et l'ascension de Saghadyigi. Les conquêtes de ce dernier le coupaient de son allié, Nyama, bloqué dans sa retraite forestière de Fooma, mais Samori ne se départit pas pour autant de sa réserve.
La première guerre de Saghadyigi, après qu'il eut imposé ses conditions aux Sisé, s'était en effet orientée vers le sud du Simãndugu, c'est-à-dire l'ancien kafu du Kwen, situé à labri des énormes montagnes du Tibè et du Dyondyo. Le jeune Mãsa en cassa tous les villages, et particulièrement Sõndugu dont il tua le chef Dyõ, petit-fils du fameux Dyagbo 69. Cette région allait demeurer déserte durant plus de dix années, en isolant les domaines de Samori du Haut Konyã, pour la grande gêne des colporteurs.
Saghadyigi s'en prenait ainsi à Nyama, qui refusait toujours de reconnaître ses prétentions, et non à Samori, qui le comprit sans doute car il ne marqua aucune réaction. Le conquérant dyula se détournait ainsi pour longtemps de sa frontière méridionale et abandonnait à Saghadyigi J'hégémonie de la Forêt.
Durant ces trois années de recueillement, le nouveau Faama paraît n'avoir eu d'autre souci que le repeuplement de son domaine dévasté, et l'organisation de son armée.
La vallée du Milo, bien abritée par les montagnes et située au cur du nouvel Etat, recouvra très vite sa prospérité. Après les réfugiés de Nyõsomoridugu 70, tous les fuyards dispersés dam le Haut Konyã reprirent la route de leurs foyers. Le Worõdugu et le Talikoro se reconstruisirent ainsi rapidement.
Derrière le Gben, la situation de la vallée du Dyõ demeura longtemps plus confuse. Vers le nord, le Bãmbadugu, au revers de la montagne, se reconstitua autour de Lenko, où était rentré Masarã-Sèri, tandis que Momo refusait de quitter Gbãnkundo. Usudugu fut reconstruit un peu plus tard par Masagbè-Moru, le dernier fils de Manãn-Kolo. Quant aux rives du fleuve, elles restaient absolument désertes, car les Koné du Blamana et du Boñyana ne voulaient pas quitter les hauteurs de Borõnkèñyi, ni les Konatè du Sè-Sumala celles du Gbãnkundo. Les Kamara du Gbèrédugu demeurèrent tous avec Saghadyigi, qui abandonnait à Samori son terroir originel, mais s'opposait naturellement à son repeuplement.
Il en allait de même pour l'ensemble du Simãndugu, dont la population restait en Forêt avec Nyama par crainte de Gbãnkundo. Samori ne contrôlait donc de ce côté qu'un territoire presque vide. Sa frontière politique et militaire était bien établie sur le Dyõ, mais le plateau qui s'étend entre ce fleuve et le Gbè constituait une marche déserte qui allait l'isoler des domaines de Saghadyigi jusqu'à la chute de celui-ci.
C'est donc essentiellement de la vallée du Milo, et d'une fraction du Tukoro que le conquérant tira les ressources nécessaires à l'organisation d'une armée Puissante, qui était son souci principal. Il y réussit pleinement comme ses victoires foudroyantes allaient le prouver trois ans plus tard. Avant qu'il ne se heurtât aux Français, ses réformes militaires, inspirées par l'expérience des Sisé, allaient pourtant se borner a pourvoir tous ses hommes de fusils et à organiser une cavalerie.
La chose n'était pas facile dans ce pays reculé, aussi éloigné des comptoirs de la Côte que des élevages du Sahel. L'expérience et les relations commerciales de Samori lui furent alors certainement précieuses. Il se procurait à cette époque des fusils par l'intermédiaire des gros marchands de Kankan qu'il connaissait bien, comme Bubu Silla, mais cette voie était coûteuse et il est possible qu'il ait envoyé lui-même une ou deux caravanes armées jusqu'en Sierra Leone. La tradition nous dit qu'il y paya ses achats avec de l'ivoire, et surtout avec de l'or que la vente de ses captifs lui permettait d'obtenir dans le Burè et au Fuuta-Dyalõ. C'est là malheureusement une pure hypothèse car les caravanes de Samori ne sont attestées que par quelques informateurs, au milieu de contradictions et de confusions inextricables 71.
Quant aux chevaux, Samori les obtenait en vendant ses captifs sur les marchés d'esclaves de Kéñyérã ou Bamako et jusqu'à Banãmba dans le Sahel. Nous savons qu'il insistait particulièrement sur l'entraînement des cavaliers, et qu'il y astreignait les recrues animistes qui n'étaient guère habituées à chevaucher.
Nous étudierons plus loin en détail les institutions militaires de Samori. Les traditions nous renseignent excellemment sur celles de la grande période impériale, mais il est difficile d'y distinguer ce qui a pris forme dès l'époque ancienne que nous considérons pour l'instant.
Le seul fait certain est que le recrutement portait alors en grande partie sur des Konyãnké animistes, mais que ceux-ci étaient intégrés dans le cadre des bolo, et non plus dans le système archaïque des classes d'âge (kari). La fiction du Kèlètigi, chargé par ses « oncles » de diriger la guerre dans l'intérêt commun n'était cependant pas morte. Elle explique sans doute qu'une population assez faible ait payé sans rechigner le prix de préparatifs militaires assurément coûteux. La politique d'islamisation forcenée allait soulever des tempêtes vingt ans plus tard mais, pour l'instant, il n'en était pas question. La tradition parle avec discrétion des grands sacrifices qui furent faits avant la guerre du Sabadugu, et qui ne se limitaient certainement pas à des Sadaga islamisés 72.
Après trois ans de recueillement et d'organisation, Samori avait certainement hâte d'utiliser l'instrument qui'll avait forgé. Il aurait encouru l'impopularité en entretenant indéfiniment son armée aux dépens de ses sujets. Celle-ci était faite pour conquérir et devait se nourrir de conquêtes. Tel qu'on connaît Samori, on peut être certain qu'il passa aux actes dès qu'il se jugea en état d'affronter les grandes puissances qu'il allait provoquer, mais qu'il sut se garder de toute précipitation imprudente.
Il était alors assurément en pleine possession de ses moyens, avec un caractère aussi souple qu'obstiné, et nous le verrons tout de suite déployer une habileté stratégique remarquable. Il s'efforçait toujours de triompher par la négociation, en retardant les choix décisifs aussi longtemps que la balance demeurait incertaine. Il est significatif qu'il ait toujours cherché à écraser des adversaires inorganisés, de façon à s'accroître de leur substance, avant d'affronter ses grands ennemis.
Si nous admettons qu'il était déjà maître du Gundo, aucun intérêt majeur ne l'opposait plus aux Sisé, qui traversaient alors une période d'inertie. Samori n'avait encore aucune visée sur les pays situés à l'est du Dyõ et il paraît avoir préparé très tôt sa réconciliation avec Sérè-Brèma. Il allait lui envoyer une part du butin pris sur les Konatè du Namusana et le Faama de Madina allait l'accepter bien qu'elle provînt des sujets de son allié Nãnténen-Famudu.
A vrai dire, à moins d'avoir perdu toute ardeur guerrière, il était naturel que les Sisé se soient vite détournés de l'alliance du Sabadugu. Bloqués à l'est par les Turè d'Odienné, voici qu'ils l'étaient à présent au sud par Saghadyigi et à l'ouest Par Samori. Pour finir, l'alliance de Nãnténen-Famudu et d'Adyigbè fermaient le Nord aux gens de Madina mais ceux-ci devaient inévitablement regarder de ce côté. Ils ne pouvaient pas renoncer au rêve dont l'échec pesait depuis l'origine sur le Moriulédugu, celui de faire sauter le verrou animiste qui fermait la route de Kankan. Leur jeune amitié pour Nãnténen-Famudu était donc artificielle, mais ils hésitaient naturellement à rompre avec un adversaire qui les avait tant de fois repoussés. Ils devaient, par contre, se réjouir de voir Samori faire lui-même ce travail et ils espéraient certainement que le jeune conquérant et les animistes du Torõ s'useraient réciproquement, de façon à leur laisser la place.
Il n'est donc pas surprenant qu'ils n'aient rien fait pour gêner
Samori dans sa marche vers le nord, si l'on admet qu'il était
déjà le maître du Gundo. Dans le cas contraire, il serait par
contre difficile d'expliquer qu'ils aient accepté sans réagir
la perte de ce kafu.
Quant à Samori, ses intentions sont faciles à comprendre. S'il
ne voulait pas provoquer les Sisé ni commencer contre Saghadyigi
un duel à mort susceptible d'ébranler la fidélité de ses propres
Kamara, si enfin les buts qu'il poursuivait lui interdisaient
de s'en prendre aux forestiers du Tukoro, il ne pouvait frapper
que vers l'ouest ou le nord. L'ouest était occupé par les Kurãnko
de Denda-Soghoma avec lequel il entretenait les meilleures relations.
Aucun objectif précis ne s'offrait de ce côté. Marcher au nord,
au contraire, s'était s'assurer le contrôle des grandes routes
du colportage menant vers Kankan et le Burè, ainsi que vers les
terres classiques du Niger. Samori a dû subir l'espèce de tropisme
qui orientait toutes les hégémonies dyula selon l'axe des méridiens.
Puisqu'il ne pouvait demeurer l'arme au pied, avec une armée sans
emploi, il était inévitable qu'il frappât de ce côté.
C'était, il est vrai, provoquer le redoutable Nãnténen-Famudu, mais Samori allait éviter de l'attaquer de front. Il voulait lui enlever d'abord des vassaux lointains, que sa propagande dressait déjà contre lui et s'efforcer de tourner le Sabadugu en annexant les kafu indépendants de la rive gauche du Milo. Ceci dit, on peut admettre, après tout, que Samori se sentait assez fort pour une épreuve décisive.
Pour s'ouvrir la route du Nord, il fallait d'abord mettre la main sur les Konatè du Namusana. La punition infligée récemment par Nãnténen-Famudu à leurs voisins de Banãnko (Dyamoghosi) les avait mécontentés et un esprit de fronde régnait parmi eux. Les dyula de Samori passaient par là pour se rendre à Kankan et ils s'employaient à verser de l'huile sur le feu. Sans avoir avec ce kafu les mêmes attaches familiales que dans le Gundo, il est certain que le conquérant y comptait des partisans. Il essayait de se présenter comme un protecteur et non un envahisseur, de même qui'll l'avait fait au Konyã.
C'est sans doute vers la fin de 1870 que Samori quitta Sanãnkoro à la tête de son armée, pour occuper le Namusana. Il dressa son camp sur le mont Tinti-Ulé qui marque la frontière du Gundo et domine Komodugu 73 Après de longues négociations, le chef Funsun-Kaba lui ouvrit les portes de ce village, malgré l'opposition des notables, et plusieurs de ses collègues vinrent aussitôt boire le dègè, impressionnés par la force du conquérant 74.
Samori commença alors une marche triomphale, en recevant au passage la soumission de Frãnkõndédu et de Fabala avant de se présenter devant Gboodu, la résidence du Mãsa, Mumuni-Kaba Konatè. Il se heurta cette fois à une certaine hostilité mais il préféra perdre du temps en intrigues et en négociations, plutôt que de recourir à la force. Il fut finalement admis dans les murs de Gboodu, ce qui consacrait son emprise sur lensemble du Namusana 75.
Le recrutement qu'il organisa aussitôt suscita cependant un certain mécontentement et Samori, avant de rentrer à Sanãnkoro fit saisir et décapiter les animateurs de l'opposition, dont un notable de Gboodu, Famudu 76, et le chef de Frãnkõndédu, Sarãnké-Möri Konatè (début de 1871).
Ainsi donc, sans tirer un seul coup de feu et en mêlant habilement la séduction et la terreur, le conquérant s'était rendu maître du Namusana et avait enrôlé ses guerriers. Cette adroite propagande, menée sur un terrain favorable, ne tarda pas à porter d'autres fruits car Samori reçut bientôt l'adhésion de Fõngbè-Sori Traorè, le chef du Manã. Ce kafu, isolé sur la rive ouest du Milo, avait été étroitement associé à l'entreprise des Bèrèté, mais la suzeraineté de Nãnténen-Famudu lui avait été depuis lors fort légère. La chute du Namusana l'isolait de ce seigneur lointain, et la proximité de Sanãnkoro découragea sans doute ses velléités de résistance. Le conquérant obtenait ainsi une large tête de pont au-delà du fleuve, ce qui lui ouvrait la route des kafu très morcelés du Basãndo et du Sãnkarã oriental.
Ces succès faciles ont certainement rehaussé le prestige de Samori, tandis que les nouvelles recrues, aussitôt constituées en bolo, allaient bientôt lui fournir d'excellentes troupes. Il s'était certainement fait un ennemi du Faama du Sabadugu, mais il n'avait mordu que sur des dépendances lointaines et mal soumises, de façon à épargner ses intérêts majeurs.
L'expansion militaire venait de démarrer et il n'était pas question de l'interrompre. Cependant, en évitant de pousser davantage à l'est du Milo, Samori pouvait espérer retarder l'ultime explication avec Nãnténen-Famudu. Le Manã lui assurait justement une voie d'accès vers le Basãndo et, derrière lui, le Sãnkarã. Les Kondé de cette région n'obéissaient à personne, bien qu'ils se fussent alliés un moment au Sabadugu contre Kankan. Ils demeuraient fidèles aux vieilles méthodes militaires, usant de l'arc plus que du fusil et ignorant l'emploi des chevaux. Samori, qui les avait fréquentés comme dyula, les connaissait bien et avait jugé qu'« ils ne savaient pas faire la guerre » 77. C'était donc une proie tentante qui s'offrait à lui et il pouvait espérer que Nãnténen-Famudu n'interviendrait pas encore de ce côté.
Dans le courant de 1871 il était donc prévisible que Samori attaquerait le Basãndo a la première occasion.
Le Basãndo, isolé par trois fleuves, le Milo, le Nyãdã et le Balé, comptait alors cinq kafu dont quatre dominés par des lignées Kõndé et le cinquième, le Kaulu, par des Kamara qui représentent ici le plus vieux peuplement malinké 78. La maîtrise de ce pays ne pouvait apporter à Samori que des ressources agricoles assez médiocres mais il ouvrait ainsi à ses dyula une bretelle vers la route de la Sierra Leone. Cette conquête devait aussi lui permettre de contrôler le colportage entre Kankan et la région kolatière du Kisi. Ce fait s'ajoutant à l'amitié ancienne de Denda-Soghoma, donnait sans doute à Samori, l'espoir d'un ralliement rapide et aisé du Kurãnko Oriental. Il intercepterait ainsi presque toutes les routes du colportage vers le Haut Niger, à l'exception de celle du Guerzé, qu'il abandonnait à Saghadyigi, et sa puissance serait dès lors telle qu'il pourrait défier ses grands rivaux.
Les cinq kafu du Basãndo étaient bien entendu incapables de s'unir. Bien que la tradition soit muette sur ce point, on peut supposer que Samori qui connaissait fort bien le pays, avait su préparer leur ralliement.
Vers la fin de 1871, au début de la saison sèche, le Faama
de Sanãnkoro traversa donc le Milo et le Manã pour aller mettre
le siège devant Mãfarã, le premier village du Basãndo 79. La place ne tomba qu'après un siège, mais celui-ci ne dura sans
doute guère et Dalanyã fut ensuite enlevé sans difficulté, après
quoi tout le Manimasi se soumit 80.
Le Dyomakõndo fut plus coriace, en dehors de Gbalako, dont le
chef Farãntumani Kõndé était acquis à l'avance 81. Samori dressa son camp chez lui et alla attaquer Banãnkè qui
ne céda qu'après un siège assez dur et où beaucoup d'opposants
furent exécutés 82. Un petit détachement suffit alors pour casser Banãnkoro et le
Kaulu se soumit en la personne de son chef, Sérè Kamara, de Tindikã.
Le Siramana fit encore moins de manières car Sérè Kondé, de Bafélé,
se présenta de lui-même pour boire le dègè à Gbalako.
Seul restait alors le Lãndu mais, ici, l'affaire s'annonçait chaude. Son chef, Mãsa-Fèrè Kõndé, retranché dans Moribaya, était décidé à tenir et il envoyait à tous ses alliés des appels au secours. Denda-Soghoma, que l'ascension de son ancien protégé inquiétait certainement, et qui se voyait déjà coupé de Kankan, ne demeura pas neutre. Pour soutenir ses voisins, il pratiqua cependant la désastreuse méthode des petits paquets. Il ne bougea pas de Kuliya mais envoya à Moribaya son vassal Kõngodo Mara, le chef du Manikarbu, avec le Kèlètigi Ténenko-Kumba dont une femme était native de Moribaya. La présence de ce dernier, que des amulettes puissantes rendaient invulnérable, releva le moral des combattants et Samori, fort ennuyé, multiplia les démarches auprès de Denda-Soghoma pour le faire rappeler. « Je ne viens pas contre toi car je n'ai pas oublié tes bienfaits ». Finalement le Mãsa se décida à retirer ses hommes, ce qui scella le sort de Moribaya. Le village capitula, à bout de vivres et Samori, une fois de plus, fit preuve d'une certaine clémence 83. Mãsa-Fèrè fut seul mis à mort mais il fut remplacé, au grand scandale des lignées « nobles », par le griot Söri-Kamiso, ancien dyatigi de Samori 84.
Sans attendre la chute de la place, de nouveaux ralliements s'étaient d'ailleurs produits. Mori-Filani Kèra, chef du gros village musulman de Nafadyi, sur la rive gauche du Balé, et son voisin Karfala Fadiga, de Sãsãmbaya avaient bu le dègè au camp de Samori 85. Celui-ci donna au premier le commandement de tout le pays situé entre Balé et Nyãdã, aux dépens de Mãntumani Kõndé, de Nyalenko, qui en était le chef coutumier.
Cet investissement de griots ou de musulmans à la place des chefs traditionnels allait cependant demeurer une exception et il ne faut pas y voir l'indice d'un changement de politique.
Après ce brillant succès, Samori n'eut guère le temps d'organiser le pays soumis. Après la chute de Moribaya, il avait concentré sa colonne à Narèna, dans le Siramana. Le gué de Banãnkoro, tout proche, est l'un des plus praticables du Milo et le conquérant y construisit un sanyé comme s'il attendait une attaque venant du nord.
La résistance de Moribaya s'était en effet prolongée dans l'espoir d'une intervention imminente de Nãnténen-Famudu. Mãsa-Fèrè avait fait appel au chef du Sabadugu mais il semble que celui-ci était de toute façon décidé à réagir. Il avait à venger la perte du Namusana et l'ascension de Samori, dont il se méfiait depuis Sirãmbadugu, l'inquiétait assurément. Il était naturel qu'il s'efforçât de l'interrompre avant qu'il ne fût trop tard. Son principal atout était apparemment l'alliance d'Adyigbè, le puissant chef du Wasulu. On a vu que ce Dyakité avait souvent aidé le Sabadugu contre les Sisé et qu'il se sentait menacé par les Turè d'Odienné. Il ne pouvait se féliciter de voir grandir un nouvel ennemi. La guerre des musulmans, bien que Samori ne lui fut pas encore assimilable, gagnait partout comme une lèpre, et il était normal que les païens pourvus d'une certaine organisation militaire se regroupassent pour y faire face.
Il fallut certainement assez longtemps pour rassembler des forces
que la tradition affirme considérables 86. L'année 1872 était sans doute bien entamée quand une forte colonne,
où se coudoyaient les hommes de Nãnténen-Famudu et ceux d'Adyigbè,
quitta le Sabadugu en direction du sud. Bien que Samori ait prévu
cette attaque, il subit une surprise tactique totale et fut écrasé
sous le nombre. Les assaillants traversèrent le Milo de nuit,
non à Banãnkoro, comme on pouvait s'y attendre, mais en aval de
Narèna, à Bafélé. Le sanyé, inachevé, fut surpris à l'aube et la supériorité écrasante de
la cavalerie Fula transforma la déroute en désastre.
La tradition place ici un épisode assez romanesque. Elle nous
montre Samori fuyant seul à cheval et rattrapé près de Yiradugu
par un autre cavalier solitaire. Celui-ci, mieux monté, lui coupe
la route et lui ordonne de s'arrêter. C'est Adyigbè en personne.
« Rends-toi lui dit-il. Je ne te tuerai pas car je suis seul et
il n'est pas d'usage qu'un chef en frappe un autre de sa propre
main ». Là-dessus, il saisit la tunique de Samori, qui s'empresse
de lui offrir le sac de poudre d'or attaché à sa selle, tout en
le suppliant :
? « Laisse-moi aller, car j'ai toujours été ton hôte. Je te donnerai
encore de l'or et je t'aiderai à prendre des pays ». Adyigbè aurait
accepté ce pacte et il lui donna comme sauvegarde la queue de
buf (turamã) qui lui servait de chasse-mouches.
Si peu vraisemblable que soit l'anecdote sous cette forme, elle n'est peut-être pas entièrement dépourvue de fondement. Elle marque en effet l'origine d'une alliance qui allait être durable entre Samori et une fraction du Wasulu.
Toujours est-il qu'Adyigbè quitta aussitôt le Basãndo en laissant seulement une partie de ses hommes pour appuyer son allié. Celui-ci s'établit à Kinyenko, dans le Manimasi, et entreprit de rallier les opposants à Samori dont les partisans, comme Farã-Tumani, durent alors fuir à leur tour.
Si grave qu'ait été le revers de Narèna, la tradition a sans doute tendance à l'exagérer pour mettre en valeur le relèvement qui allait suivre, et qui fut spectaculaire. Nos informateurs affirment tous que Samori rentra seul à Sanãnkoro et que les sofas, ou du moins ceux qui purent s'échapper, le rejoignirent isolément. Les fuyards lui apprirent qu'Adyigbè était rentré au Wasulu et que Nãnténen-Famudu demeurait seul avec une cavalerie réduite.
Pour saisir cette occasion, il fallait remplacer les disparus et Samori convoqua tous les notables Kamara dans une grande palabre à Sanãnkoro. Une fois de plus, il s'efforça de les convaincre que sa défaite était la leur et qu'il fallait faire un dernier effort 87. Une fois de plus, avec l'appui de Sirimã, il obtint gain de cause et les hommes en état de combattre furent mobilisés, toutes affaires cessantes 88. Les stocks de Samori restaient intacts et il arma aussitôt beaucoup de monde, en présidant personnellement à la distribution de la poudre.
Les Kamara, pressés de rentrer chez eux, demandaient à marcher aussitôt au combat mais Samori, conscient de son infériorité numérique, ne voulait prendre aucun risque. La colonne partit donc en grand mystère et fit des étapes de nuit, prenant soin de se cacher en brousse pendant le jour 89. Au lieu de s'avancer par la piste de Mãfarã, elle obliqua sur la droite à Nyalè-Kumãndu pour couper à l'ennemi la retraite vers le Milo. Elle arriva ainsi, sans être repérée, à proximité de Kinyenko. En pleine nuit, alors que les gens du Sabadugu, fort mal gardés, se livraient à un tam-tam bruyant, l'assaut fut donné et Nãnténen-Famudu, qui dormait, n'échappa que de justesse, en fuyant à pied 90. Il fut accueilli par les Fadiga de Sãsãmbaya et put regagner le Sabadugu mais il était presque seul. Sa femme, Manãgbè-Sarã, était tombée aux mains du vainqueur avec l'ensemble de la colonne et toutes ses armes étaient perdues tandis que les prisonniers de Narèna se trouvaient libérés.
C'était pour Samori une revanche parfaite. Il s'installa quelque temps à Moribaya, où il s'employa à consolider sa conquête et il fit aussitôt un geste en faveur d'Adyigbè dont il relâcha les hommes, tandis qu'il gardait ceux du Sabadugu. Il disposait pour la première fois de nombreux chevaux et il les dirigea sur Sanãnkoro avec le gros de la colonne. Ses ordres prouvaient qu'il n'était pas question de souffler car il exigeait que tous les sofas s'exerçassent à l'équitation, en profitant des mois creux de l'hivernage (1872).
Les délégations affluèrent vite à Moribaya pour boire le dègè, Denda-Soghoma y vint en personne, avec de nombreux vassaux du Kurãnko et même d'une fraction du Kisi oriental. La suzeraineté de Samori s'étendait déjà au-delà du Nyãdã car il reçut des envoyés de le Urubèkoro et de certains Kurãnko du centre comme les Kuruma de Yomadu, les Dyawara du Dawa et les Mara du Mãndu.
Soucieux de popularité, le Faama s'appliquait d'ailleurs à rendre sa tutelle légère. Il n'organisa pas l'occupation militaire des pays soumis et il ne semble pas avoir aussitôt procédé à des levées d'hommes. Aucun contingent Kurãnko n'allait accompagner Samori avant la guerre de Kumbã.
L'affaire du Basãndo avait permis à Samori de faire une fois de plus la preuve de sa fermeté de caractère, pour ne pas dire de son obstination. Elle marque un tournant important en ouvrant le premier des grands conflits dont notre héros s'était efforcé jusque là de retarder le déclenchement.
L'agression de Nãnténen-Famudu avait mis fin à ces atermoiements. Samori, agrandi du Basãndo et d'une partie du Kurãnko, ne pouvait s'éloigner davantage vers l'ouest en laissant cet ennemi puissant menacer sa résidence. Le triomphe de Kinyenko lui avait permis de reconstituer ses forces, et sa cavalerie n'avait jamais été aussi puissante. Il avait donc intérêt à frapper avant que le Sabadugu ait pu réunir une nouvelle armée. Il s'employait d'ailleurs activement à isoler son ennemi. En dehors de ses tractations avec les Fula, il négociait alors avec Sérè-Brèma et même avec les Kaba de Kankan. La tradition ne nous éclaire pas sur le déroulement de ces intrigues mais nous en verrons bientôt l'effet.
Samori devait être décidé à garder l'initiative car, dès la fin de l'hivernage, il prit résolument l'offensive sur la rive droite du Milo 91 en envahissant le domaine particulier de Nãnténen-Famudu. Le Faama du Sabadugu ne devait pas avoir reconstitué ses forces car il se contenta d'envoyer sur la frontière une petite colonne commandée par son frère, Fèrèkaba-Kunñgbana. Ce dernier se retrancha sur le Dyõ dans le puissant tata de Tèrè, que Samori renonça à prendre d'assaut 92. Il fallut donc organiser un siège long et pénible qui dura la plus grande partie de la saison sèche.
Vers la fin, Dyua Konatè, le chef du Dyéné s'approcha avec une colonne de secours mais il n'osa pas attaquer les dyasa des assiégeants et la place tomba finalement quand Fèrèkaba Kunñfigbana, à court de vivres, s'en retira. Samori ne détruisit pas ce village de forgerons et fit preuve, ici encore, d'une habile modération. Après avoir exécuté quelques ennemis notoires, il demanda seulement aux habitants de travailler pour lui.
Dès la chute de Tèrè, Samori prit une décision audacieuse qui prouve que ses projets d'expansion étaient déjà au point. Au lieu de rentrer passer l'hivernage à Sanãnkoro il s'établit en pays conquis, à Bisãndugu, où il entreprit de construire un sanyé 93. Dans cette nouvelle capitale, orientée incontestablement vers le nord, et où il allait résider près de vingt ans, il se trouvait maître par droit de conquête. Il échappait ainsi aux remontrances et aux arguties juridiques dont ses « oncles », les Kamara, l'abreuvaient à Sanãnkoro.
Nous reviendrons sur la portée considérable de ce geste, qui illustrait la prétention de Samori à la souveraineté absolue, fondée sur la force militaire, et non plus sur la coutume. Il entreprit sans retard de faire reconnaître son autorité au cours de grandes palabres où il convoqua les chefs du voisinage pour boire le dègè 94.
Tout le monde savait qu'une lutte décisive se préparait, car Nãnténen-Famudu ne pouvait pas tolérer un pareil défi. A moins de se soumettre, il lui fallait éliminer son rival à n'importe quel prix.
L'hivernage de 1873 suspendit pourtant la lutte armée et cette courte trêve fut occupée par d'innombrables intrigues. La tradition nous suggère leur complexité extrême, sans nous donner les moyens d'en suivre tous les méandres.
Nãnténen-Famudu gardait naturellement l'appui de ses vassaux du Torõ dont la résistance obstinée allait bientôt attester la haine pour l'envahisseur.
Le Faama du Sabadugu comptait en outre sur les Fula d'Adyigbè mais c'était là une erreur qui devait lui être fatale. La trahison des Fula, préparée pendant la campagne du Basãndo, était désormais mûre et il est probable qu'elle n'a pas été improvisée sur le terrain, comme l'affirment certains informateurs. Selon ceux-ci, Nãnténen-Famudu froissait l'orgueil de ses alliés en les tenant à l'écart de ses conseils de guerre, ce qui pourrait faire croire qu'il se doutait de quelque chose. Quoi qu'il en fût, la conjoncture suffit à expliquer le retournement d'Adyigbè. Samori, qui s'orientait vers le nord, ne le menaçait pas directement alors que les Turè d'Odienné, préparaient alors une nouvelle invasion du Wasulu. Le Mãsa du Dyétulu ne pouvait combattre sur deux fronts et il avait sûrement hâte de se consacrer au danger principal, celui qui venait de l'est. Son ancienne amitié pour Samori, et la générosité de celui-ci au lendemain de Kinyenko, durent vaincre ses scrupules. Les jeux étaient sans doute fais dès avant l'entrée en campagne et les tractations sous les murs de Bisãndugu ne devaient porter que sur les modalités de la trahison 95.
Nous avons de bonnes raisons pour refuser à ce conflit le nom de guerre sainte (dyaadi) bien qu'il ait donné à Sérè-Brèma l'occasion de rentrer en scène.
Cet homme déjà âgé s'était remis lentement de la guerre du Wasulu mais il avait perdu son dynamisme et ne lâchait pas encore la bride à ses neveux, Morlay et Fira-Sarã. Il devait alors hésiter, plein d'une anxiété compréhensible, devant les succès de son ancien sofa, mais il était désireux de s'y associer, en se couvrant de la solidarité islamique.
Plusieurs informateurs affirment en tout cas qu'en apprenant les
préparatifs de Nãnténen-Faamudu, il lui envoya un messager pour
offrir de se joindre à lui, conformément à l'alliance qui avait
éliminé les Bèrèté. Le chef du Sabadugu aurait cette fois refusé
brutalement.
— « Nous allons détruire des musulmans. C'est une affaire de gens
qui ne prient pas. Ne t'en mêle donc pas » 96.
Sérè-Brèma, dépité, se serait alors tourné vers Samori et, par l'intermédiaire du fameux Lãngamã-Fali 97, lui aurait fait connaître le danger qui le menaçait.
— « Je veux t'aider, dis-moi si je dois venir avec ma colonne ».
— « Inutile, aurait répondu Samori, prépare-toi à les attaquer dans le dos, mais seulement s'ils ont le dessus ». Quoi qu'il en soit, la suite des événements montre qu'il y eut bien une réconciliation entre Samori et les Sisé. Ceux-ci laissaient tous les risques à leur ancien sofa mais ils espéraient certainement participer aux bénéfices de l'entreprise.
Il est enfin certain que Samori compléta sa panoplie diplomatique
en négociant avec les Kaba de Kankan. Ceux-ci n'étaient pourtant
guère en état de l'assister car les Sãnkarãnké venaient de tuer
Umaru-Ba à Bagbè (1872 ou 1873), et se fortifiaient solidement
dans le tata de Kumbã, d'où ils interdisaient le colportage vers
le Kisi. Les Bèrèté, qui n'étaient plus que d'humbles satellites
de Kankan, résidaient à Ulundugu, à l'est du Milo, pour surveiller
la frontière du Torõ. Malgré leur faiblesse, ils étaient bien
placés pour créer une diversion sur les arrières de Nãnténen-Famudu.
Samori en profita pour se réconcilier avec Sarãswarè-Möri et il
lui suggéra d'intervenir au moment critique.
Toutes ces tractations orientaient Samori vers l'alliance des Musulmans auxquels il est dès lors tentant de l'assimiler 98. Il ne comptait pourtant guère sur eux car il se préparait à affronter l'orage avec ses seules forces. Rétrospectivement, le jeune conquérant avait tellement grandi en si peu d'années et était promis à un tel avenir que nous l'imaginons dominant la scène, tandis que ses partenaires, divisés et indécis, paraissent condamnés d'avance. Gardons-nous pourtant de ce jugement rétroactif. Aux yeux des contemporains, les Sisé et le Sabadugu faisaient toujours grande figure et la nouvelle hégémonie était trop jeune pour paraître solide. Personne, pas même Samori, ne devait croire alors que les jeux étaient faits.
Objectivement d'ailleurs, Nãnténen-Famudu gardait une puissance considérable et il avait pu se reconstituer durant l'hivernage. Il bénéficiait en outre d'intelligences chez l'ennemi car Manen Konatè, le chef de Bisãndugu, était son beau-père. Cet homme s'était soumis à la chute de Tèrè et l'installation de Samori chez lui le réduisait 'a l'impuissance mais il en profitait pour observer les moindres faits et gestes de l'ennemi et en informer son gendre.
Samori s'en doutait d'ailleurs et Adyigbè, de son côté, l'informait des projets de Nãnténen-Famudu.
La campagne s'ouvrit donc, vers la fin de 1873, sur un arrière-plan d'intrigues d'une étonnante complexité et on ne s'étonnera pas des volte-faces sensationnelles auxquelles elle allait donner lieu.
Adyigbè et sa colonne avaient rejoint Nãnténen-Famudu à Koma où il avait hiverné. De son côté, Samori avait concentré toutes ses forces à Bisãndugu, en laissant seulement une petite troupe, sous Faduba Konaté, pour garder lion père à Sanãnkoro.
Bien qu'il n'eût jamais été aussi puissant, le souvenir de Narèna devait le hanter encore et il ne souhaitait pas attaquer le premier. Le problème consistait dès lors à inciter l'ennemi à marcher sur Bisãndugu et une ruse fort simple y pourvut. Un mardi, la plupart des Samoriens quittèrent ostensiblement Bisãndugu pour marcher à l'ouest, en annonçant qu'ils allaient casser Mãsarèna-Banãnkoro près du gué du Milo. La colonne rentra silencieusement dans la nuit mais, déjà, comme Samori l'avait prévu, Manen avait averti Nãnténen-Famudu. Croyant qu'une occasion inespérée se présentait, le conseil de Koma avait aussitôt décidé d'attaquer.
Les coalisés arrivèrent le jeudi devant Bisãndugu où ils comprirent aussitôt que l'ennemi était en force mais ils ne pouvaient plus reculer sans se déconsidérer. Ils décidèrent donc d'organiser un siège en règle 99. Dans la nuit, des messagers de Samori se rendirent alors au camp d'Adyigbè pour fixer les détails de la trahison 100.
Le jeudi, à l'aube, une partie des assaillants se dispersa à travers la brousse pour couper les bois nécessaires à la construction des dyasa. Samori fit aussitôt attaquer leurs camps et les Fula s'enfuirent après avoir tiré à blanc ainsi qu'il était convenu. Cette défection sema immédiatement la panique chez leurs alliés et Samori lança en avant sa Cavalerie, commandée par ses frères, Kémé-Brèma et Manigbè-Mori, pendant que lui-même nettoyait les environs du village.
Pendant cette soudaine déroute, Nãnténen-Famudu avait eu son cheval tué et fuyait à pied vers l'ouest. A deux kilomètres de Bisãndugu il arriva au marigot Kobalé, dont le niveau était déjà très bas. Il se cacha dans l'eau, sous un arbre, et renvoya ses deux suivants. Ceux-ci furent pris, dit-on, par Samori en personne qui passait près de là avec quelques sofas. Le conquérant menaça de les décapiter sur place et l'un d'eux trahit son maître qui fut aussitôt saisi 101.
Quand ses frères rentrèrent de brousse après avoir tué beaucoup de fuyards et ramassé un butin considérable, Samori jugea publiquement et fit décapiter Nãnténen-Famudu. Mamen Konaté fut exécuté à ses côtés pour trahison 102.
La soudaine volte-face des Fula avait décidé de l'issue de la guerre mais il restait à occuper le territoire du vaincu, et ce ne fut pas chose facile. Les fuyards se regroupèrent en effet autour des principaux vassaux du mort et ils allaient s'obstiner dans une lutte désespérée. On a l'impression que ces Torõnké étaient mus, face à l'invasion, par une sorte de sentiment national, mais leur résistance, en îlots dispersés, n'avait aucune chance de succès. Les trois centres principaux étaient localisés à Koma dans le Sabadugu, avec Fèrèkaba, le frère du mort à Gbãgbã sur la piste de Kankan, dans le domaine de Dyua Konatè et enfin à Borifiñyà, près des rives du Milo.
Les villages des Fula, au contraire, firent leur soumission avec empressement, notamment Diyamona, qui envoya aussitôt des émissaires à Bisãndugu 103.
Le plus urgent était de régler le sort de Koma et de conclure un arrangement durable avec Sérè-Brèma, qui était sorti de l'inaction à la nouvelle de la victoire de Samori. Quittant Madina avec une forte colonne, le vieux Faama avait en effet attaqué Worokoro, la résidence de Nãnténen-Famudu, sur la rive droite du Dyõ, tandis que Samori marchait de son côté vers le Sabadugu. Le chef du Dyamoghosi, Sidiki Konatè s'étant aussitôt soumis, le conquérant s'installa chez lui, au village de Kalãnkalã, sur les bords du Dyõ. Kémé-Brèma et Manigbè-Mori le quittèrent alors pour aller mettre le siège devant Koma.
A Kalãnkalã, Samori reçut solennellement Sérè-Brèma qui venait d'enlever Worokoro, où il avait saisi toutes les richesses de Nãnténen-Famudu. Les deux Faama ne s'étaient pas rencontrés depuis le siège de Sirãmbadugu, mais ils affectèrent d'oublier les griefs du passé et parvinrent à un accord complet. Sérè-Brèma étant connu pour son avarice et son goût pour la thésaurisation, Samori fit le geste de lui céder généreusement tous les biens meubles du vaincu, dont la plus grande partie était déjà entre ses mains 104. Conformément à sa nature, il fut en revanche intransigeant sur les clauses territoriales. Sérè-Brèma ne conserva que la portion du Sabadugu située à l'est du Dyõ, et ce fleuve devait désormais servir de frontière tout au long de son cours, depuis le Haut Konyã jusqu'au confluent du Sãnkarani 105.
Sérè-Brèma rentra à Worokoro, enchanté de s'être enrichi sans effort, et il fit aussitôt réclamer à Samori le reliquat du butin pris à Bisãndugu.
Ainsi couvert à l'est, le jeune Faama quitta Kalãnkalã pour en finir avec Koma. Ici comme à Tèrè, Fèrèkaba, retranché derrière des murs solides, animait avec une obstination extrême une résistance désespérée. Il avait avec lui de nombreux chasseurs d'une adresse redoutable et Samori, qui n'hésitait pas à s'exposer, fut alors blessé au cou. Finalement, après un siège qui aurait duré 9 mois 106, le village capitula. Fèrèkaba et une partie des ses hommes réussirent cependant à fuir et ils trouvèrent asile chez Sérè-Brèma qui les enrôla dans son armée.
Dès la chute de Koma, Samori reçut les soumissions de Konyenké Konatè, de Numusaya, le chef du Dyèmèrèn, et de Sãnukuma Konatè, de Komana, celui du Kunadugu. Il poussait ainsi ses avant-gardes jusqu'aux frontières de son nouvel ami Adyigbè et dégageait largement son flanc droit.
Comme il n'était pas question d'abolir la chefferie du Sabadugu, le Faama remplaça Nãnténen-Famudu par Kalogbè Kuruma, et une forte garnison fut chargée de surveiller la nouvelle frontière du Dyõ.
Samori rentra à Bisãndugu pour y passer l'hivernage de 1874 en chargeant son frère Kémé-Brèma d'en finir avec Dyua Konatè qui s'était enfermé dans le tata de Gbãgbã et persistait à barrer la route de Kankan. C'est à ce moment que les Bèrèté rentrèrent en scène. Profitant de la déroute des Torõnké, Sarãswarè-Mori et ses hommes avaient quitté Ulõndugu, et s'étaient présentés à Tintiulé dont le chef, Bãndyugu Konatè, n'avait pas osé les repousser. Cet homme était un parent de Dyua mais, dans la conjoncture présente, il n'avait d'aide à attendre de personne. Cependant, en raison du petit nombre des Bèrèté il pensa qu'il pourrait en avoir raisons par surprise et organisa un attentat. Il échoua et fut tué, laissant Sarãswarè-Mori s'imposer aux Konatè de Tintiulé, dès lors réduits à un état de semi-servitude 107.
Le Bèrèté alla aussitôt aider Kémé-Brèma à l'attaque de Gbãgbã 108 et comme on était au moment de la soudure (hivernage de 1874), le village, qui manquait de vivres, ne tarda pas à capituler. Un exemple s'imposait après une résistance aussi obstinée si bien que Gbãgbã fut détruit, toute sa population réduite en servitude et Dyua décapité 109.
Tout n'était pas encore fini. L'un des kafu vassaux de Nãnténen-Famudu, le Kulay-Ni-Ulété refusait encore de se soumettre. Dès son retour à Bisãndugu, Samori avait fait détruire sans difficulté la plupart de ses villages, notamment Mãnsarèna-Banãnkoro, Gwanãnkura et Boriya. Le chef Naima-Kõsõ Kuruma avait cependant concentré ses moyens de défense à Borifiñyà, situé à l'extrême nord de son territoire. Solidement fortifié et bien approvisionné, ce village bénéficiait de l'aide active des Sãnkarãnké alors retranchés à Kumbã, derrière le Milo tout proche. Cette opposition désespérée se conjuguait ainsi à la résistance victorieuse que les Kõndé opposaient aux Maninka-Mori de Kankan.
Pour liquider cette ultime dissidence, Samori rejoignit les Bèrèté à Tinti-Ulé et se transporta en leur compagnie sous les murs de Borifiñyâ où il construisit trois sanyé. Ce siège débuta un peu après les récoltes, donc vers la fin de 1874 et il allait durer une bonne partie de la saison sèche 110. Un blocus étroit fut maintenu, malgré les sorties des assiégés, et ceux-ci se rendirent seulement quand il furent à bout de vivres, sans doute vers le milieu de 1875. En raison de leur obstination, l'agglomération fut entièrement détruite et elle ne sera reconstruite qu'à l'ère coloniale. Un certain nombre de dirigeants furent mis à mort, notamment Naima-Kõsõ et Bandyugu-Födé 111. Manyima-Bala Kuruma fut par contre épargné. Samori épousa une de ses filles et enrôla son fils aîné, qui allait d'illustrer sous le nom de Borifiñyã-Dyiiba. Les jeunes gens furent mobilisés et le reste de la population dispersé. Les autres villages du Kulay-Ni-Ulété furent autorisés à se reconstruire et placés sous l'autorité de Kaba Kuruma, le chef de Gwanãnkura.
Samori se tourne vers le Niger. Au moment où toute résistance cessait à l'est du Milo, Samori contrôlait déjà plus de 20.000 km2 et 75.000 sujets (Appendice III). Il avait accédé au rang des puissances de premier ordre, mais il n'était pas dans sa nature de s'endormir dans le succès. Jusqu'ici, il avait grandi lentement au prix de combats incertains contre des adversaires de puissance égale ou supérieure à la sienne. Désormais, il surpassait tous ces partenaires et des années allaient s'écouler avant qu'il ne rencontrât un nouvel adversaire à sa mesure. Conscient de cette prépondérance, Samori voulait certainement en tirer profit sans retard. Ses accords avec Sérè-Brèma et Adyigbè lui fermaient les terres de l'Est, mais il pouvait se laisser aller à l'attirance des dyula pour les routes méridiennes. Au moment où l'installation d'une nouvelle capitale en pays conquis, suivie par l'élimination de Nãnténen-Famudu et la réconciliation avec les Sisé, lui assurait une assiette solide, le jeune Faama pouvait se permettre, pour la première fois, de s'éloigner longuement de ses bases. Les vastes savanes du Nord offraient un champ illimité à son expansion et un prétexte lui fut fourni par les Kaba quand ceux-ci le visitèrent à Tintiulé pour solliciter son alliance contre les animistes du Sãnkarã.
Notes
1. Les autochtones seraient les Konatè de Kolédu (2 km. N. de
Kérwané [15].
2. Worõdugu « Pays du creux Ce nom décrit admirablement la vallée encaissée
du Milo.
3. Mãsõndugu (sur la route de Masadugu) : 9° 19'N - 9' 03'W; Sulakolo : 9°
20'N - 8° 57' W.
4. Nyãnfadu : 9· 16' N - 9° 00'W à 1 km. sud de Sanãnkoro et 2 km. S.-E.
Kérwané. Sãndyadu (Sana) (disparu, rive ouest du Milo). Sanãnkoro a disparu en 1903 quand sa population s'est transférée à Kerwané.
5. Fèrèdu : 9° 08' N - 9° 01'W.
On pourrait aussi signaler les Mõsõ-Dyilasi, issus du huitième
fils de Fèréñ-Kamã, qui sont actuellement réduits à la moitié
du village de Kõsãnkoro, à l'extrême sud du Worõndugu. Les Sésirimãsi,
qui demeurent avec eux, se disent une fraction des Sébrèmasi mais
l'opinion générale est qu'il s'agit d'autochtones Toma complètement
assimilés [4, 15].
6. Nous négligeons les Famoysi, issus du sixième fils de Fèréñ-Kamã,
car ils ne tiennent dans le Haut Konyã que le petit kafu de Karatakoro
(Famoila) et en Forêt une petite fraction du Buzyé, tandis que
certains segments se sont entièrement assimilés aux Toma du Koadu
[48, 49, 53].
7. Dyala a disparu et ne doit pas être confondu avec Dyala dans
la plaine du Milo, sur la rive gauche.
Celui de Samori se trouvait par 8° 56' W - 9° 16' N Col du Kuruko
: 8° 54' W - 9° 17' N Positions approximatives à 1° près [15].
8. Sosodugu : à peu près 8° 56'W - 9° 06' N.
Saghadyigi ayant été circoncis à ce moment ne pouvait guère avoir
plus de 15 ans, ni beaucoup moins d'ailleurs, étant donné le rôle
politique qu'il allait jouer dès 1865-1866 [181].
9. Mes informateurs, qui sont ici très concordants, s'écartent
sensiblement de la version de Khalil Fofana (1963, p. 10) qu'il
me faut renoncer à suivre.
Pour lui, Va-Fèrèba n'était pas le frère du chef de Dyala, mais
le leader d'une petite bande opérant en brousse. « Samori s'engagea
dans la formation de ce Va-Fèrèba et sut capter sa confiance au
point que celui-ci n'hésita pas à lui confier le commandement
de la petite troupe, au moment de se rendre dans la région forestière
où l'appelaient certaines de ses affaires. Naturellement, l'esprit
égalitaire de Samori lui faisait partager équitablement les butins.
Aussi, lorsque Va-Fèrèba revint de sa randonnée, il fut froidement
accueilli par sa troupe, naguère si dévouée à sa personne. Il
devina aisément le motif d'un tel changement et éclata en reproches
véhéments contre Samori. Celui-ci, pour toute réponse, proposa
l'arbitrage des hommes de la troupe eux-mêmes pour trancher le
différend. Une consultation électorale eut lieu et la quasi-totalité
de la troupe se rangea dans le camp de Samori. VaFèrèba, déchu,
risquait une mort immédiate si Samori ne s'était interposé pour
faire triompher chez les sofas la raison sur la rancune. Mais
ce n'était que partie remise et Va-Fèrèba mourut au cours de la
première expédition qui suivit cet événement.
Cette « consultation électorale » serait-elle un écho, très déformé,
du serment de Dyala. Il ne semble pas puisque cette tradition
parle, un peu plus loin de la soumission de Dyala à Samori. Il
semble donc qu'elle évoque seulement la popularité de notre héros
qui réussit en fait à supplanter Va-Fèrèba. Le destin ultérieur
de celui-ci est inconnu, ou du moins négligé, par mes informateurs.
J'avoue ne pas les avoir pressés sur ce point.
Va-Fèrèba étant incontestablement un « frère » de Kasya Kamara,
le chef de Dyala, la version de Khalil Fofana s'écarte certainement
de la réalité.
10. Personne n'a pu préciser s'il s'agissait d'un dègè islamisant
préparé avec du nasi (sur ce rituel, voir Chap. IV de la 3me Partie).
Voici la liste des participants, selon Dyigiba [5] :
11. Je démarque ici, mot à mot, la tradition de Dyigiba Kamara
[5]. Les autres Informateurs qui connaissent la palabre de Dyala
donnent un sens analogue aux paroles de Samori [1, 2, 3, 4].
L'authenticité de ce discours, dans son fond, n'est guère contestable.
Quand Samori devint Almami, vingt ans plus tard, on ne lui aurait
pas prêté gratuitement des paroles anti-musulmanes .
12. Banã ou fromager : Eriodendron anfractuosum.
13. Sur les sanyé et les dyasa voir Chap. IV de la 3me Partie.
14. Tenènfèro : 9° 10' N - 8° 59' W.
15. Kurubadugu : 9° 12' N - 9' 02'W.
16. Un informateur [11] précise qu'elles auraient compté respectivement
1.000 et 600 hommes. Ces données chiffrées sont naturellement
suspectes et paraissent très exagérées. Usudugu avait pourtant
procédé à une véritable levée en masse et on peut admettre que
les assaillants étaient plusieurs centaines. Masã Séba était un
neveu (classificatoire) de Kèsa-Bala.
17. Khalil Fofana paraît ignorer l'affaire de Dyala, qui fut plus
qu'une simple escarmouche et à laquelle tous mes informateurs
attachent beaucoup d'importance. Il est vrai que, pour lui, Samori
n'était pas basé sur Dyala, mais eut à attaquer ce village. «
Son premier coup d'essai eut pour théâtre Djala, petite localité
des environs de Kerwané. A la sortie du village, Samori avait
installé un camp qui vivait sur les habitants des hameaux de cultures.
Ceux-ci, inquiets, déléguèrent des hommes armés pour demander
des explications à Samori. Des propos amers furent échangés et,
sur la menace de sévices lancés à son endroit, Samori ordonna
à ses hommes de tirer. La délégation perdit deux hommes. Les rescapés
décontenancés, s'empressèrent de reconnaître l'autorité naissante
qui venait de se manifester de façon si inattendue ». Un incident
de ce genre pourrait évidemment se situer peu après l'arrivée
de Samori à Dyala, mais le « camp » parait faire allusion au sanyé, c'est-à-dire se référer à une époque où telle échauffourée n'était
plus possible. Je m'avoue incapable d'intégrer cette affaire aux
traditions que j'ai recueillies.
18. Une fois de plus, je me sens incapable de suivre la tradition
rapportée par Khalil Fofana (p. 10) : « puis ce fut le tour de
Sanankoro de se soumettre. Là, on dépêche d'abord Laafiya Touré
lui-même pour parlementer. Samori ayant alors empêché son père
de retourner au village, les habitants furent obligés d'envoyer
une mission punitive qui subit le sort de celle de Djala ».
Laafiya a bien servi d'intermédiaire, mais il habitait alors à
Dyala. C'est donc le chef de Sanãnkoro et non Samori qui aurait
pu « l'empêcher de retourner ». Quant à l'explication sanglante
avec une délégation du village, tous mes informateurs et la logique
des événements s'y opposent nettement.
19. Selon un Informateur [1], les Kamara auraient reproché à Sirimã
de laisser ce « neveu » prendre trop d'importance. « Qu'il dirige
la guerre, puisqu'il promet de nous défendre mais c'est toi, Sirimã,
qui l'as fait venir et c'est toi le plus riche. C'est donc à toi
à fournir ce qu'il faut pour sa guerre ». Sirimã offrit le bétail
du sacrifice et contribua pendant longtemps à la nourriture des
sofas.
Parmi ceux qui jurèrent à Sanãnkoro, la tradition relève
20. Il est à peu près impossible d'établir une liste des premiers compagnons d'armes de Samori. Nous ne savons même pas combien ils étaient, sept étant un nombre rituel. Mes informateurs indiquent :
Nous aurons par contre à reparler d'autres compagnons de Dyala, comme
Ceci nous donne huit noms tirés de diverses sources [1, 2, 3, 10]. Khalil Fofana nous en donne sept autres:
Le second est l'un des co-jureurs de Dyala. Les deux derniers
sont très connus. Nous aurons à parler des relations de Dusugbè-Siné
avec Festing et de sa disgrâce en 1888. Kokisi, enfin, comme trésorier
en chef, va jouer un rôle capital dans l'organisation de l'Empire.
21. Le recrutement des jeunes animistes porta spécialement sur
A l'exception des deux derniers, ces villages existent toujours
[A.O.F. Kérouané et Damaro]. Ils appartiennent tous au Talikoro où les partisans de Samori
étaient beaucoup plus nombreux que dans le Worõdugu. C'est alors
que le Mãsa de ce kafu, Misamori, donna une fille en mariage au Kèlètigi. Celui-ci l'aurait
aussitôt aidé à détruire Sadu (disparu, situé vers l'ouest sur
le Milo) dont le chef, Mõsõmba, s'opposait à son autorité [1,
21.
22. Villages du plateau détruits par Samori :
Ce dernier aurait été attaqué du sud-ouest, les sofas remontant
d'abord le Milo et passant la chaîne du Gbèn par le col de Mamoy
(8° 55'W - 8° 59 N) [5].
23. Quelques années avant l'invasion des Sisé, Dyènté avait détruit
un village de Nyama, Nyakoro-Gbèdugu (non localisé). Les deux
chefs s'étaient ensuite réconciliés et Nyama, qui avait hébergé
Saghadyigi, comptait sur sa reconnaissance. Il était donc furieux
que Makura-Dyara ait refusé de l'aider contre Samori [5, 18].
24.
26. Fakurudugu. 8° 38'W - 9° 03' N.
27. Booko : 8° 42'W - 90 15' N.
28. Sõgba-Kèsèri, était installé à Kamoridu, sur la frontière
des Toma et il razziait ceux-ci sans trêve. Il avait servi sous
deux Mãsa successifs du Mãndu, Fabori et Masarã-Lãsèy, dont on
a indiqué plus haut les relations avec Samori. Ces chefs politiques
demeuraient à l'autre bout du kafu, à Dyaradugu, tout près du Konyãnko. C'est sans leur aval que
le Kèlètigi se jeta à deux reprises sur les hameaux frontaliers,
en profitant de l'absence des hommes qui se rendaient chaque dimanche
au marché de Lofèro. Ce mépris de la solidarité des Kamara décida
Kèsa-Bala à appeler Samori [16, 17, 50].
29.
30. Sumasénya : 9° 15' W - 9° 1 1' N.
31.
32. Il y a désaccord de nos informateurs sur la durée du siège
de 6 à 9 mois [1, 5, 70].
33. En apprenant la chute de son ancien compagnon, Umaru-Ba Kaba
quitta Kankan en compagnie du griot Asumana Kuyaté et alla visiter
Sérè-Brèma à Madina. Sérè-Brèma refusa formellement de lui livrer
le prisonnier. Umaru-Ba, qui s'estimait déshonoré s'il ne parvenait
pas à sauver son hôte, annonça son départ pour le lendemain. Au
matin, il alla trouver Sérè-Brèma qui prenait alors sa douche
et le reçut enveloppé dans une couverture. Umaru-Ba était venu
muni de son fusil et accompagné d'Asumana Kouyaté. « Je viens
te saluer avant de rentrer à Kankan, mais je ne rentrerai pas
sans les Bèrèté. Si tu refuses de les libérer, je vais me tuer
devant toi. Cette fois-ci, Sérè-Brèma céda et relâcha tout le
monde. »
Cette version parait assez sûre, car elle est transmise par Karamogho,
fils d'Asumana Kuyaté [10].
Les Bèrèté furent placés par les Kaba à Ulundugu, sur la limite
du Baté et du Torõ. Ils participèrent aux guerres des Kaba contre
le Sãnkarã, et seront présents au désastre de Bagbè.
Ils prendront Nãnténen-Famudu à revers, quand Samori l'attaquera
et en profiteront pour occuper Tinti-Ulé , qui deviendra leur
établissement définitif [75].
Sarãswarè-Mori vivait encore à Tinti-Ulé au moment de l'agression
d'Archinard, en 1891. Il se retirera au Konyã et suivra Samori
en Côte d'Ivoire, jusqu'à Dabakala. Il l'accompagnera jusqu'à
Dwé en juillet 1898 et c'est alors seulement que Samori le renverra
en même temps que les Fula du Konyã. « C'est moi seul que les
Blancs poursuivent. Rentrez donc chez vous ». Sarãswarè-Mori se
soumettra au capitaine Ristori à Taube et sera autorisé à reconstruire
Tinti-Ulé. Il y sera déjà, quatre mois plus tard, quand Samori
y passera, sur le chemin de I'exil. Il serait mort, centenaire
ou presque, en 1920.
34. Broila : 8° 48'W - 9° 26'N.
35. Le troupeau aurait compté seulement 40 moutons et 2 juments.
Bilali, qui fait ici son opposition, appartenait à une famille pauvre qui l'avait mis en gage chez Kola [1, 4].
36. Pour ce type de serment, on partage une chèvre en deux et
les contractants passent tour à tour entre ses moitiés. Les conjurés
étaient d'une part Nyama Kamara assisté de Zara-Kasya, Dãnkoro-Moru,
Dyãnka-Brèma et Makumã-Dyara. D'autre part, Kola lui-même était
assisté du griot Manya-Bori, de Tari-Sirè et de Masagbè-Moro [1,
4, 5].
37. Koliboba et Kãntaro à peu près 8° 48'W - 9° 26' N.
38. L'ancien kafu du Kwen, qu'occupe le Sud du Simãndugu, à l'abri des massifs
du Dyõdyo et du Tibè, ne fut pas alors évacué (Sondugu, Sèdugu,
Fundugu, Yarakendugu). Il paya sans doute tribut aux Sisé mais
ne reçut pas de dugukuñnasigi [5].
39. Fooma : 8° 29'N - 8° 50'W. C'est le Vukan d'Anderson. Balata
: 5 km. plus au sud-ouest.
40. Dalanina : 9° 05'N - 8° 51W.
Saghadyigi s'éloigna à cheval en disant à ses hommes : a-lu fen-mi tlé n'kofè « Réglez cela après moi .. lis égorgèrent alors Kola, comme convenu.
C'est la phrase exacte que prononcera Samori dix-huit ans plus
tard pour ordonner l'exécution de Saghadyigi [1, 4, 5, 18].
41. Dyabarãndugu a disparu, détruit par les Toma vers 1906. Il
se trouvait près de Bomiyadu par 9° 10' Ouest et 8° 41' N. Bokodyoro
qui a été abandonné vers 1880 se trouvait par 9° 15' Ouest et
8° 40' Nord.
42. Les Kalivogi du Konõnkoro Toma étaient intimement alliés aux
Kamara Sèmãnfilasi à tel point que ceux-ci avaient installé chez
eux des espèces de réserves où ils plaçaient leurs esclaves avant
de les revendre. Ils les avaient aidé à plusieurs reprises contre
les attaques du fameux Dyãnka-Kamã, le père de Kamã-Kyèkura. Ce
vieux chef avait reçu Ash et Seymore en 1858-1859 et ANDERSON
signalera sa mort comme un fait déjà ancien en 1868. Selon nos
informateurs, elle est antérieure à l'incursion de Samori [48,
49, 51, 52, 57].
43. Bãnko : 8° 58'W - 8° 32' N - Ugbamay : chef-lieu Võnjama :
9° 45'W - 8° 25'N.
44. Selon un renseignement non recoupé [19], le chef Toma Dãñwiya
de Dãndano (Koima), proposait une attaque contre Dyabarandugu
quand Samori décida de se retirer. La chose est peu vraisemblable
car Dãndano avait, nous le verrons, fait alliance avec Nyama.
Il s'agit vraisemblablement, d'une confusion avec les événements
de 1883 dont il sera question plus loin [19].
45. Ce village est peuplé de Kãndé (Sumauru), de Bãmba, de Koné
et de Dukurè. Korèla était le seul village musulman du Buzyé et
avait notoirement partie liée avec les Sisé et Silla de Dyabarãndugu.
Selon une autre source [1], le chef de Korèla aurait été Gbakoro-Karamogho
Kãndé.
46. Il y avait notamment des Konatè et des Kuyaté de Sanãnkoro,
ainsi que des Kamara du Bãmbadugu
47. Anderson, qui passa à Nyõnsomoridugu un an et demi plus tard,
nous a donné une description du tata. La ville était entourée
d'un mur de terre rectangulaire avec quelques bastions, mais ces
fortifications étalent très minces. Les maisons étaient en terre.
de forme circulaire, avec un toit de chaume à forte pente.
48. Les traditions ne suggèrent pourtant pas que Samori fit assassiner
son frère. Il aurait seulement procédé à un « maraboutage » c'est-à-dire
une invocation à Dieu sur le Coran. « Jugez entre moi et ce frère
qui m'a fait violer ma parole » [1, 2].
49. La tradition explique son désir de livrer bataille sur le
champ par la haine personnelle qu'il portait à Samori depuis sa
fuite précipitée de Sinimoridugu [18, 191.
50. Et non à Kolikoba, comme plusieurs informateurs l'affirment
à tort. Kolikoba se trouve d'ailleurs à moins d'un kilomètre de
Sobidu. Les deux points se trouvent au-dessus de Gbèifè à 4 ou
5 kilomètres au nord-ouest de Damaro (8° 56' W - 9° 09' N) [1,
4, 5].
51. La tradition a embelli cet épisode qui marque un tournant
dans la carrière de Samori. Selon [5]. une femme de Samori, Filasao
Sidibé, aperçut la colonne ennemie au lever du soleil. Elle courut
aussitôt présenter un fusil à son mari qui prenait sa douche.
Samori accourut en hâte, tira, et, avec une seule balle, il tua
deux hommes et en blessa un troisième. Cet unique coup de fusil
mit en déroute les assaillants.
Selon [1] Filasao sortait à l'aube pour chercher l'eau de la douche
de son mari quand elle vit la colonne qui escaladait la montagne
afin de dominer l'entrée de la caverne. Samori s'avança aussitôt,
tira et tua trois sofas d'un coup. Ses hommes mitraillèrent alors
les assaillants, sur le flanc de la montagne, avant qu'ils aient
pu atteindre les rochers en surplomb.
52. Selon Anderson (1870), le marché de Musadugu est « une vaste
place d'environ 100 mètres en dehors du village, au Sud-Ouest.
Il y a assez d'espace pour 8.000 personnes et on distingue les
emplacements spécialisés des divers commerces ».
53. Saghadyigi marcha sur Musadugu par la piste de Famoila qui
débouche dans les hauteurs situées au nord de la ville.
La date est approximative mais non arbitraire puisqu'Anderson
apprit cette guerre à Boporo le 5 avril, à un mois de marche du
Konyã.
54. Le sanyé du sud était commandé par Tyèbaulé Kamara, fils de Dyènté, et
cousin de Saghadyigi. La sanyé situé sur les hauteurs du nord-ouest était sous les ordres de
Ko Kamara et celui de l'est, derrière le marigot Koromakoni sous
ceux de Dyanani-Sinè tous deux frères de Saghadyigi. Ce dernier
campait sur la colline située au sud-est de la ville [18, 19,
20, 22].
55. Selon [4]. Ici encore, le chiffre est visiblement influencé
par la valeur mystique du 7.
56. La colonne de Sérè-Brèma traversa le Bèèla et le Girila et
parut vers le milieu de la journée au col du mont Konidyaba, sur
la piste de Kamãndugu [221.
57. Procedings of the Royal Geographical Society, 1860.
58. B. Anderson, Narrative of a journey to Musardu, the capital of the Western
Mandingoes (1870). Nous considérons le Dr. Blyden comme Sierra Léonais puisque
cette colonie a servi de base à ses voyages, et nous l'excluons
ainsi des explorateurs libériens.
59. Cette fantaisie égara notamment Sir Harry Johnston (1906).
en dépit de sa tendance assez favorable aux Libériens. Dans son
analyse du voyage d'Anderson (T. 1, page 488) toutes ses identifications
sont malheureuses et Il réduit à l'excès l'étendu du pays parcouru.
Peut-être subissait-il inconsciemment l'influence des thèses françaises
sur la frontière. Nous respectons bien entendu l'orthographe du
voyageur.
60. Le Kondo, situé dans les monts Po, est visiblement le Kono
de Dapper, qui nous indique les monts Bo comme le point de départ
des Karou du XVIlme siècle. C'est là un très vieil axe commercial
et Boporo, où les influences Malinké et Islamique imprègnent le
substrat Va!, est encore actuellement un centre fort important.
La nouvelle route Monrovia-Nzérékoré le laisse il est vrai à l'écart.
Anderson nous montre la chef de Boporo en relations étroites avec
Musadugu et surveillant constamment la situation sur cette route,
où son influence était grande. Ce gros centre commercial comptait
une forte population d'esclaves durement menés. En 1866, lors
de la dernière vacance de la chefferie, ils avaient lancé, avec
l'appui des Guerzé voisins, une terrible révolte qui mit en cause
l'existence même de la ville.
Je n'ai pu identifier le « village de Bessa » qui était, d'après
la carte d'Anderson, un centre Malinké situé à peu de distance
de Robertsport et « près de la frontière ouest des Gola ». Il
s'agit peut-être du Gbese figurant sur la carte de Schwab (1947).
Ce problème doit être facile à résoudre sur place.
61. Si le manque de documentation empêche d'identifier certains
villages nommés par Anderson en territoire Libérien, son Itinéraire
ne présente aucune Incertitude. J'utilise la carte jointe au livre
de SCHWAB et la carte de reconnaissance française au 1/500.000-
feuille Tinsou (B29-NW). J'indique la position approximative des
villages libériens.
Partant le 14 juin de Boporo, Anderson séjourna jusqu'au 16 à
Totoquella [Totokwelle de Schwab (10° 25'W-7°2'N]. Le 16, il entra
en Pays Pésy (Guerzé), passa le 18 à Sellayo (?), le 19 à Nésébeah,
Poliamah, Zelleki (peut-être Siliki de Schwab : 10° 12'W - 7°
3' N), le 20 juin à Barkwomah (?) où il séjourna jusqu'au 1er
juillet. Ce jour-là, il traversa une rivière marquant la frontière
du Pays Deh (Bèliè) dont il nota le particularisme linguistique.
Il passa ensuite par Mue-Zue, Yalah et Bousie et arrive le 2-7
à Deh-Gella-Bonda détruit par la guerre, qui est Bèliyera (10°
5'W - 7° 25' N). Le 5-7 il est à Zolaghee (?). Au retour, il passera
par Mafada (go 58'W - 70 29'N) (Moffotah). Le 7 il entre en Pays
Bonsiè (Toma) où il passe à Powlazue [Kpawolozu de Schwab - 9°
58 W - 7° 35' N et Paourouso de Tinsou] - puis par Unzugazeah,
Kaulibodah, Yahwazueh. Le 8-7 il est à Zolu [Tinsou place Nzolu
par 10°32'W et 7°38'N].
C'est à Zolu que commençait la mission diplomatique de Boah. Il
devait s'efforcer de mettre fin à la guerre opposant un zu Toma,
le Domar (partie Libérienne du Vékéma) au Barline, pays Kpèllè
(Guerzé) situé un peu plus au sud. Ce dernier s'étend sur la rive
nord du Saint Paul de Tinsou jusqu'au confluent du Wé. Le jeune
chef de Kolu, Cavvea, accusé de complicité avec les Barline avait
été arrêté par Daffah-Borah, chef de Salaghee.
Salaghee est le Salayea de Schwab (9° 32'W - 7° 35'N) et le Saaye
de Tinsou (9° 28' W - 7° 35' N). Ce village est à proximité du
Dyani (Niunda) qui forme ici la frontière Guinée-Libérienne. Anderson
entendit parler du gros marché de Zowzow (l'actuelle ville de
Zorzor) qui se tient le mardi. Le 2, 7 septembre il alla chez
le roi Mullebar à Fissahbue (Fisãmbu - selon Schwab par 9° 32'W
- 7° 49' N - selon Tinsou : 9° 28'W - 7° 52' N) et le 26-9 à Bokkasah,
près de l'actuelle frontière Guinéo-Libérienne [Bokésa de Schwab
- 9° 31'W - 7° 56' N - Bowesa de Tinsou : 9° 28'W - 7° 57' N].
De là il fit contacter le chef Begby, de Bokkadu. Il s'agit de
Bakédu ou Bamay, capitale des Kamara du Gbuni près de Macenta
(9° 39° W - 1° 18' N).
62. Quittant Bokassah le 2 novembre, Anderson est le 4 chez le
chef de Nubbewach (Nonbohouota), (canton Vékémai, cercle de Macenta,
Guinée : 499 habitants) et le 4 à Boé (Boo : canton Koimai, cercle
de Macenta 860 habitants). Il y trouve Dowilnyah à la tête de
son armée. .
Il repart le 16 pour Ziggahporamzue, sur le Dyõ (Koima-Tõngoro
: 602 habitants), puis le 30 pour Gubbewalla (Goboéla : 865 habitants,
canton Koimai-Macenta). Anderson semble avoir un peu mélangé ses
notes puisqu'il appelait un peu plus haut ce village Ukbaw-Wawolo.
D'ailleurs, il situe à tort au sud de la route le « marché de
Jakkah-Commah ». Ce dernier n'est autre que Dyaka-Kamã qui a reçu
Ash et Seymore à Kwônkà en 1858. Anderson nous apprend qu'il est
mort. Mort aussi Comma, chef de Boo, qui avait organisé un attentat
contre les deux Libériens par crainte que son ennemi Dyaka-Kamà
n'établisse des relations étroites avec Monrovia.
Le 30, Anderson est à Pellezarah (c'est-à-dire « le carrefour
». Il s'agit de Dendano (2.502 habitants) qu'il trouve détruit
(sans doute par les gens de Kwankà).
Le 14 décembre, Il arrive à Ballatah (Baladugu, canon Konyã, Cercle
Beyla Guinée : 243 habitants) et le 3 à Vukkah dont il note le
nom Malinké de Fomah (Koyma : 350 habitants) et qu'il décrit très
exactement comme le dernier village Toma. Il remarque au passage
l'exploitation du fer dans la chaîne du Simëindu.
Le 5 décembre, il est à Mahommadou ou Nu-Samadu (Nyõsomoridugu)
dont il observe le tata. Le 13, dans le vaste paysage lumineux
du Konyã il aperçoit Naalah (Nyalé) et Duquirlelah (Dukurèla)
avant d'entrer à Musardu. Le 19 décembre, Il visitera Billelah
Kaifai (Beyla) et Yockkadu (Dyakolidugu). Il transcrit curieusement
le nom du chef de Yockkadu en Vawfulla alors qu'il s'agit visiblement
du Kafumba de la tradition orale.
Le 25 décembre, Anderson reprend le chemin de Monrovia par une
route peu différente de l'aller.
On a déjà étudié les Itinéraires commerciaux qu'il mentionne (ci-dessus,
Chap. Il - B).
63. Anderson nous montre que la tension entre le Konyã et Sérè-Brèma
à la suite de la malheureuse intervention des gens de Madina,
a été beaucoup plus forte que la tradition ne l'indique. La ville
était fermée et refusa l'entrée à deux colporteurs toucouleurs
en qui elle voyait des espions de Sérè-Brèma. Le bétail et les
chevaux avaient été, par précaution, évacués sur le Koyma. Le
14 décembre, Anderson assista à une impressionnante parade militaire
où figuraient tous les guerriers du Haut Konyã et même ceux de
Nyõnsomoridugu. Vãfiñ Doré profita de la présence du Libérien
pour envoyer à Sérè-Brèma « un message éclatant de défi et d'insulte
» et Il se renseigna sur les armes modernes qu'il pourrait acheter
à Monrovia afin de détruire Madina. La rupture était donc acquise
et elle allait être définitive.
On montre encore à Musadugu le fromager sur le tronc duquel Anderson
aurait gravé ses Initiales. Malheureusement l'écorce s'est reformée
en ne laissant que des cicatrices indistinctes.
64. Il ne peut s'agir de son oncle mais sans doute de celui du
mari de sa fille, Masya Sisé.
65. Sèdugu. emplacement actuel de Sokura : 9° 30' N - 8° 43' W.
Les informateurs ne sont pas d'accord sur la durée du siège, qui
fut en tout cas assez courte à 2, 3 ou 4 mois. Le village ne sera
reconstruit, sous le nom de Sokura, qu'à l'ère coloniale, vers
1930 [1, 2, 4, 70].
Nyamori Konatè sera interné à Nyalèmoridugu, puis à Woronõ, près
de Korèla (Buzyé). C'est là que des sofas zélés le tueront, avec
d'autres suspects, quand Humbert prendra Kerwané (1892). Samori
s'en plaindra mais ne punira pas les coupables.
66. Talikoro se trouve au nord du Gundo oriental, à la limite
du Dyamõ (Tèrè) et du Namusana (9°44'N- 8° 57' W). Dyãnka-Tèrè
ne résidait pas dans ce village, mais à Sanãnkoroni. Il est probable
qu'il s'y est retiré à la chute de Sèdugu. Certains informateurs
[3, 8] prétendent même qu'il avait été secourir Nyamaro à Sèdugu
mais qu'il réussit à s'échapper lors de la chute du village.
Ici encore, les traditions recueillies par Khalil Fofana, bien
qu'elles aient l'accent de l'authenticité, sont confuses et je
renonce à les coordonner avec les miennes. « Dès lors Samori n'hésita
pas à porter littéralement ses forces contre Tèrè, aux portes
du royaume de son ancien maître Sérè-Brèma. Mais Dianka, lieutenant
du roi dans la région, y veillait. Il avait su organiser la défense
de chaque village et les habitants de Tèrè mirent l'armée samorienne
en déroute. Loin de se décourager, le nouveau conquérant se rendit
en visite d'amitié à Talikoro où résidait Dianka. Il essaya en
vain de le corrompre. Dianka resta intraitable... De Talikoro,
il mena sa troupe aux portes de Komodougou... ».
Nous aurons à reparler du village de Tèrè, qui était aux portes
non pas « du royaume de Sérè-Brèma » mais de celui de Nãnténen-Famudu.
Il n'est pas exclu qu'une petite attaque ait été lancée contre
cette place après la soumission du Gundo, mais nos informateurs
l'ignorent et elle cadre assez mal avec la conjoncture, si nous
nous tenons à la chronologie que nous avons adoptée.
Par ailleurs, Dyãnka-Tèrè n'avait rien à voir avec Tèrè, qui est
dans le Dyamõ, et non dans le Gundo. Il y a simplement homonymie
entre l'homme et le village. L'échec de Samori contre Tèrè ne
serait-il pas une transposition de sa première attaque contre
Sèdu où Dyãnka-Tèrè se trouvait peut-être alors ?
La visite à Talikoro est vraisemblable, bien que mes informateurs
ne l'aient pas signalée. Son échec aurait déterminé le départ
de Dyãnka-Tèrè pour Bisãndugu.
Khalil Fofana enchaîne ensuite directement de l'entrevue de Talikoro
à la conquête du Namusana (Komodugu). Il adopte donc l'hypothèse
chronologique que nous venons d'écarter. Ici encore, il peut y
avoir confusion entre Talikoro, village du Gundo et le kafu Talikoro, qui a servi de base de départ à Samori pour attaquer
le nord. Son plus ancien village est d'ailleurs Talibakoro, sur
la frontière du Gundo (9° 24' N - 8° 59' W).
Même si on ne suit pas notre chronologie, et si la conquête du
Gundo entraîna aussitôt celle du Namusana, la distinction de Dyãnka-Tèrè
et de Tèrè doit être maintenue. Tèrè était un prénom fréquent
chez les Konatè du Gundo : nous avons déjà rencontré Tèrè-Yara.
67. Le seul village du Gundo occidental qui aurait résisté, et
aurait été pris après un court siège, serait Dyasadala, actuellement
Farãndu, sur la frontière du Namusana (9° 36' N - 9° 03' W). [3]
parle seul de cette affaire et ce renseignement n'est pas recoupé.
68. Leur père était Kaba-Uludyà Konatè, chef du village de Farãfina
(9° 39' N - 1°53' W) (lignée Fara-Urisési). [1, 70].
69. Autres villages détruits : Fundugu, Yarakeñdugu. [5].
70. Parmi les réfugiés de Nyõnsomoridugu se trouvait le père de
notre informateur, Sidiki Konatè [1].
71. [2] affirme que Samori envoya trois fois Lãngamã-Fali à Freetown.
Mais Lãngamã-Fali et son frère étaient alors dans l'armée de Sérè-Brèma
et ne devaient pas rallier Samori avant l'année de Bisãndugu (1873).
Il s'agit visiblement d'une confusion avec la descente vers la
mer de ce Fina célèbre, en 1884.
72. Ces sacrifices furent faits notamment à la cascade de Dyigbè,
sur l'initiative de Laafiya. Celui-ci craignait en effet que Samori
ne courût à la catastrophe car un géomancien lui avait prédit
que tous ses fils périraient à la guerre.
73. Côte 654 appelé Tandarãmba in A.O.F. [Kérouané].
74. Tous mes informateurs présentent Funsun-Kaba comme chef de
Komodugu, et ils expliquent son attitude par le soutien qu'il
aurait accordé aux rebelles de Banãnko contre Nãnténen-Famudu
et la crainte qu'il éprouvait de ce chef. Il commandera désormais
le Namusana, sous la suzeraineté de Samori [1, 2, 5, 701.
Khalil Fofana (op. cit. p. 11) en fait au contraire le gardien
de la porte. « Samori mena sa troupe aux portes de Komodugu où
il pouvait compter sur le concours et la complicité de son ami
Founsoun Kaba Konatè, gardien du portail. Une nuit pluvieuse favorisa
son introduction dans l'enceinte fortifiée et ce fut avec une
surprise où l'indignation fit vite place à la terreur que les
habitants se réveillèrent en compagnie d'un hôte aussi encombrant.
Sous le prétexte de faire sécher la poudre, Samori avait exposé
ses armes et ses munitions. Il savait qu'en montrant la force
à bon escient, il pouvait éviter de s'en servir. Devant l'inquiétude
générale, tous les notables lie réunirent et demandèrent à Founsoun
Kaba d'éloigner son étranger. Celui-ci parlementa et exposa le
véritable désir de Samori, celui d'une alliance avec eux. Malgré
l'habile argumentation du diplomate Founsoun-Kaba, les réticences
persistaient chez les notables. Au beau milieu des pourparlers
éclatèrent des coups de feu dont le double effet recherché était
de prouver le bon état des munitions et de précipiter la décision
favorable des notables. Les habitants se résignèrent à manger
le dégué (pâte de riz blanc), gage d'un serment inviolable de
fidélité à la parole donnée et dont les parjures mourraient infailliblement
».
Ce récit pittoresque, plus précis que ceux que j'ai recueillis,
est fort vraisemblable. Il n'infirme pas la condition de chef
de Funsun-Kaba. L'entrée furtive des sofas, en plein nuit, s'explique
par l'opposition des notables que l'ami de Samori ne parvenait
pas à surmonter.
Au cours du rituel de soumission, la jeune Sarã Konatè s'agenouilla
devant Samori pour lui présenter dix kolas blanches en signe de paix. Aussitôt donnée en mariage à Kémé-Brèma, elle sera la mère d'Amara Turè. Il faut se garder de la confondre avec Sarãnkènyi.
Samori aurait exigé de ses nouveaux sujets dix jeunes gens pour chaque noix de kola. [1] dit 100, ce qui est certainement excessif.
75. Ici encore, la tradition de Khalil Fofana est beaucoup plus précise et pittoresque que les nôtres. Gboodu (Bomodou, A.O.F. Kérouané] est transcrit Gbèdou et Gabedou du fait de simples erreurs de typographie.
« Dans cette dernière localité (Gboodu), Samori rencontra de sérieuses difficultés, sa tactique diplomatique étant déjà suffisamment
connue et parce qu'il avait eu des démêlées avec ces villageois
lors de ses randonnées de colporteur. Nouni-Kaba, le chef de Gabèdou
(Gboodu) signifia aux envoyés de Samori sa décision ferme de ne
pas le recevoir dans son village. Samori dut changer de méthode.
Alors le scénario suivant fut monté pour trouver l'occasion de
s'introduire dans Gabédou. Apprenant que des réjouissances devaient
avoir lieu à Gabédou, Samori y dépêcha Founsoun Kaba, un notable
de Fabala et son frère Fabou Touré (= Kémé-Brèma). Ceux-ci parvinrent
à convaincre les gardiens de portail de l'innocence de leurs intentions.
Mais au cours des danses, Fabou fit preuve d'une telle virtuosité
dans le maniement de son sabre qu'il s'attira des remarques désobligeantes
de la part de Nouni-Kaba. Fabou profita de l'occasion pour lui
porter un coup de crosse au front. Il le blessa. Ce fut un grand
émoi dans le village. Samori aussitôt alerté, accourut, manifesta
une grande colère contre son frère, puis, les mains liées derrière
le dos, accompagné de ses gens, il s'inclina devant Nouni Kaba
en chantant avec une humiliation bien feinte.
Aitã mãlõ n'kountilã : conduisez-moi chez mon chef.
Tilon bãli tèn né : je ne suis pas un renégat.
Aitã mãlõ n'kountilã : conduisez-moi chez mon chef.
Wali-nyuma lonbãlo tén-nè : je ne suis point un ingrat.
Nouni Kaba accorda son pardon et Samori proposa, pour « laver
» le sang versé, de sacrifier un taurillon. L'alliance était consommée
; plus tard on but le fameux dègè. On se partagea une chèvre.
La réconciliation était totale. Mais Samori alors, fit une entrée
triomphale dans Gbodou, village allié, dernier bastion dont les
valeureux guerriers constituèrent le noyau solide de l'armée samorienne
» (op. cit., p. 11-12).
Il n'y a ici aucune contradiction avec nos traditions, mais les
exécutions ordonnées par Samori sont passées sous silence.
Le chant de Samori devrait être transcrit comme suit :
A (u) y (é) tagha maa-lo n'kuntigi-la : Approchez-vous de mon chef.
Tigido bali tè n'nè : L'opposant d'un chef je ne suis pas.
Wali-nyumado bali tè, n'nè : L'opposant d'un bon maître je ne suis pas.
76. Le fils de Famudu, Lãsèy Konatè dit Gboodu-Lãsèy fut recruté
à cette occasion et Il sera un loyal serviteur du conquérant malgré
l'exécution de son père. [70, 71].
77. Alu ma lõ ka kèlè kè.
78. Depuis que les Kõndé ont colonisé le pays, sans doute au XVIeme
siècle, le Basãndo semble n'avoir jamais connu la moindre unité
politique. Ses cinq kafu sont :
79. La colonne aurait franchi le Milo à Lengbè, c'est-à-dire au
gué de Kérwané et le Baulé près de Kosaro Elle aurait fait étape
à Mamurudugu où les gens de Fungbèsori Traoré se joignirent à
elle [1, 2, 88, 89].
80. La tradition villageoise en accuse un jeune homme, gardien
d'une des portes du tata, qui était allé passer la nuit chez son
amie (sunguru). Sa défaillance permit aux assaillants d'entrer
sans donner l'assaut et de prendre tout le monde.
Faramani Kõndé, chef de Mãfarã, fut décapité pour l'exemple alors
que Sori Kõndé de Dalanyã fut épargné et allait rester en place
jusqu'à l'ère coloniale [88].
81. Il aurait évoqué à cette occasion la reconnaissance qu'il
lui devait depuis son passage comme dyula (ci-dessus chap. II-B).
Selon [2] Yiradugu aurait également été détruit. Je n'ai pu me
rendre sur place pour vérifier cette information.
82. 2 mois selon [1].
83. Une seule source [2] précise la durée du siège qui aurait
été de trois mois. Ceci parait excessif, ainsi que la durée attribuée
à l'affaire de Banãnkè, si l'on tient compte de la suite des événements.
84. Söri-Kamiso fut nommé chef du Lãndu et non du Basãndo comme
le disent certaines traditions. C'est auprès de lui que s'établit,
quelques années plus tard, après la prise de Sérè-Brèma, une garnison
de sofas commandée par Tyèkuragbè Konatè qui n'évacuera la région
qu'à la guerre de Sikasso. Le chef du Basãndo reconnu par Samori
était Farãntumani de Gbalako. Quelques guerriers dirigés par Mãmburu
Kõndé, fils de Mãsa-Fèrè parvinrent à s'enfuir et se joignirent
aux gens du Kurulamini qui menaient la lutte contre les Kaba.
Nous les retrouverons à Kumbã [88].
85. Les pays du confluent Nyãdã-Balé, sont limités au sud par
la falaise abrupte du Musadugu qui marque la frontière du pays
Kurãnko. On y compte trois kafu. Selon [1] qui est un informateur très sûr, la soumission de
Nafadyi aurait eu lieu avant la fin du siège et Samori aurait
envoyé des détachements de sofas au repos dans ce village. Nafadyi
n'est qu'à 25 kilomètres de Moribaya, ce qui rend la chose assez
vraisemblable [89, 90].
86. La tradition affirme qu'Adyigbè et Nãnténen-Famudu disposaient
de 1.000 chevaux alors que Samori n'en avait que 100 [1, 2].
Tous les kafu soumis à Nãnténen-Famudu avaient fourni des contingents, notamment
le Kulay-Ni-Ulété et le Dyéné, dont le chef, Dyua Konatè, était
présent [73, 78].
87. Voici le thème de son discours selon [1] :
« Je ne suis qu'un pauvre Dyula mais je suis votre neveu. Ce n'est pas moi que la défaite frappe mais vous car le travail que j'ai fait est pour vous et l'injure est donc pour vous. Aidez-moi donc, sinon c'est vous qui êtes perdus ».
Selon [5] il aurait débuté par ces mots : « je vous ai quitté
homme et je reviens femme ».
88. Cette levée en masse ne semble pas avoir touché seulement
les pays Kamara. Le Gundo et le Namusana dont beaucoup de jeunes
gens avaient été pris à Narèna envoyèrent aussi de nouveaux renforts
[70].
89. Selon Konatè Sidiki, [1] parlant au nom des Kamara du Worõdugu,
c'est exactement l'inverse qui eut lieu. Samori, pressé de se
venger, voulait marcher droit à l'ennemi et ne se rendit qu'à
la longue aux conseils de prudence de Sirimã Kamara. Tel qu'on
connaît notre héros, cette version est peu vraisemblable.
90. Samori aurait envoyé en avant des émissaires qui se mêlèrent
à la population de Kinyenko. Au premier, coup de fusil ils libérèrent
les chevaux de leurs entraves, semant ainsi la panique et ôtant
toute possibilité de fuite 11, 2, 88].
Khalil Fofana (op. cit. p. 12) donne à Nãnténen-Famudu le Dyamu
de Bayo (Bagayogo). Une erreur aussi grossière surprend dans un
corps de traditions généralement sérieuses.
91. La colonne passa par Komodougou où Funsun-Kaba se joignit
à elle et par Munu, peuplé de Swarè musulmans, que Samori épargna.
C'est de là qu'elle attaqua Tèrè. Les autres villages de la région,
Farabana, Banãnko, Bãmbaradugu étaient évacués et leur population
se cachait en brousse [1, 2, 5].
92. Tèrè (528 habitants, canton Dyéné, cercle de Kankan-Guinée)
est la capitale traditionnelle d'un petit kafu, le Dyamõ. Son clan dominant est constitué par des Konatè apparentés
à ceux de Sana et ses forgerons sont célèbres. Notre informateur
pour ce siège est Sidiki Konatè [1] dont le père se trouvait aux
côtés de Samori.
93. Bisãndugu n'était qu'un petit village situé sur la piste menant
de Kankan au pays Toma. Son choix comme capitale a pu être déterminé
par une alliance que Samori avait conclue avec son chef Mané Konatè
à l'époque où il combattait pour les Bèrèté (voir ci-dessus, chap.
II-D) [72].
94. Dès son arrivée à Bisãndugu, Samori reçut ainsi la soumission
de Kasyã-Traorè, chef de Farabana et des gens de Banamaradugu
(Bambaradougou), Batila et Banãnko [A.O.F. Kerouané]. [72, 73].
95. Khalil Fofana (op. cit., p. 12) insiste sur le rôle de Funsun-Kaba,
de Komodugu, dans les négociations entre Samori et Adyigbè. Mes
informateurs paraissent l'ignorer.
96. Nous ne savons pas quand ces tractations eurent lieu. Elles
pourraient être antérieures à l'affaire de Bisãndugu car le refus
offensant de Nãnténen-Famudu s'expliquerait mieux l'année du Basãndo,
quand toutes les chances étaient pour lui, qu'après la campagne
de Tèrã [1, 5].
97. Lãngamã-Fali n'était pas un griot (Dyèli) mais un Finè. Sa
famille servait depuis longtemps les Sisé à Madina et c'est là
qu'il avait connu Samori. Son adhésion soudaine au nouveau conquérant,
en compagnie de son frère Lãngamã-Dyi, prouve qu'il ne croyait
plus à l'avenir de Sérè-Brèma [1].
98. Il faut cependant considérer que les meilleures traditions
proviennent de l'entourage de Samori, à l'époque où il était Almami.
Elles ont certainement eu tendance à interpréter la carrière du
maître en termes de guerre sainte. C'est à ces imprégnations tardives
qu'il faut attribuer en grande partie la coloration religieuse
donnée à l'affaire de Bisãndugu [1, 10].
99. Les conseils hypocrites des Fula, auraient soigneusement préparé
la catastrophe. Un géomancien payé par Adyigbè avait prédit la
victoire « à condition que Nãnténen-Famudu abandonne son bon cheval
pour une vieille haridelle ». Les assaillants se répartirent autour
du village, chacun occupant l'emplacement où il devait construire
un dyasa. Nãnténen-Famudu vers le Nord, sur l'actuelle route de Kankan.
Dyua Konatè et ses vassaux du Torõ, à gauche, couvrant l'est du
village. Adyigbè et les Fula à droite, sur la piste menant au
Milo [10, 78].
100. Ces envoyés étaient
Ils auraient tenu à Adyigbè des propos analogues à ceux que l'on prête à notre héros lors de la fuite de Narèna.
« Samori n'est pas ton ennemi, il logeait chez toi comme dyula. Prends son or et il ne te fera jamais la guerre ».
Adyigbè répartit l'or entre ses lieutenants.
« Nous sommes puissants, mais les Malinké ne nous respectent pas. Il faut nous venger d'eux » [1].
En fait, ces propos se rapportent sans doute aux négociations
antérieures à la campagne, dont la réalité n'est guère douteuse.
Dans la nuit précédant l'attaque, c'est la tactique du lendemain
qui fut sans doute fixée. « Attaquez dès que les sofas se seront
dispersés. Nous tirerons mais seulement avec de la poudre sans
balles et nous fuirons aussitôt » [1].
101. Selon [1], toujours très islamisant, le marabout Karamogho-Möri
Födé, qui suivait Samori, lui avait prédit la veille : « Les Païens
seront impuissants à cause de l'or que tu m'as donné. J'ai « marabouté
» pour que Famudu soit pris dans l'eau du Kobalé ».
102. Selon [5] Samori accueillit le vaincu par ces mots.
« Kuruma, je t'attendais, tu devais m'amener au bout du monde et tu l'as fait ».
Selon [1] Manãnkaba, la jeune femme de Famudu, prise à Kinyenko, et épousée par Samori, injuria son ancien époux, dont la dignité se révolta.
« J'étais venu pour prendre Samori. C'est lui qui m'a pris. Mes gens sont morts, il est juste qu'il me tue, mais non qu'il me laisse insulter ».
Selon [5] Samori fit dire à Sérè-Brèma qu'il remettait entre ses
mains le sort de son ancien allié. Le Sisé lui répondit d'en faire
ce qu'il voudrait et c'est alors que le vaincu aurait été exécuté.
Ce geste de déférence peu coûteux est possible. Il pouvait servir
d'entrée en matière à la négociation de Worokoro.
Farã Konatè remplaça son frère Manen à la tête de Bisãndugu [72].
103. Samori les récompensa en obligeant les Konatè et Kuruma qui
avaient résisté à livrer leur bétail [731.
104. Composition des biens cédés d'après [5] :
Si l'accord fut vraiment conclu sur ces bases, il est probable
que Samori ne le respecta pas entièrement du moins pour les armes
prises à Bisãndugu. Les chevaux étaient peu nombreux en raison
de la fuite concertée des Fula.
Les témoins de l'accord entre Samori et Sérè-Brèma furent
105. C'est-à-dire la zone Worokoro-Umalé-Kariãndugu et, plus au
sud, le Folonigbè, pays des Fula dits du Basãndo.
106. Selon [5].
107. Selon la tradition locale, [74, 75] Bãndyugu avait décidé
de surprendre Sarãswarè-Möri pendant la prière du vendredi. Le
Bèrèté fut averti et dissimula une partie de ses hommes sous le
couvert d'un marigot, voisin du lieu de prière. Au moment de l'attentat,
les Konatè furent attaqués à revers et tué en grand nombre.
108. Avant d'attaquer Gbãgbã, Kémé-Brèma cassa sans difficulté
le village voisin de Marèna-Ni (Dyènè-Marèna) [73].
109. Samori plaça Kuragbè-Bala de Sana à la tête du Dyènè. Ce
chef s'était soumis dès la chute de Koma et son neveu, Tenen-Kolo
suivra Samori à Sikasso. Gbãgbã, 6 kilomètres à l'est de Sana,
ne s'est jamais relevé. C'est actuellement un simple hameau [731.
110. D'après la tradition de Borifiñyà le siège aurait duré 9
mois et 9 jours [80].
111. Selon une autre version, Naima-Kõsõ aurait été tué lors de
la déroute de Bisãndugu et la résistance était dirigée par ses
neveux [73, 80].
Les Sãnkarãnké pris dans le village furent exécutés. Pendant des
années, les ossements entassés à proximité des ruines évoquèrent
la tragédie de Borifiñyà.
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