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Histoire et Tradition Orale


Djibril Tamsir Niane
Soundjata ou l'épopée mandingue
Paris. Présence africaine. 1960. 212 pages


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Le Manding éternel

Que de ruines amassées, que de grandeurs ensevelies ; mais les faits dont j'ai parlé se sont passés il y a très longtemps et tout ceci a eu pour théâtre le Manding ; les rois ont succédé aux rois, le Manding est toujours resté le même.

Le Manding garde jalousement ses secrets. Il est des choses que le profane ignorera toujours car les griots, leurs dépositaires, ne les livreront jamais. Maghan Soundjata, dernier conquérant de la terre, repose non loin de Niani-Niani à Balandougou, la cité du barrage 1.

Après lui, bien des rois, bien des Mansa ont régné au Manding, d'autres villes sont nées et ont disparu. Hidji Mansa Moussa, de mémoire illustre, aimé de Dieu, a construit à la Mecque des Maisons pour les pèlerins du Manding, mais les villes qu'il fonda ont toutes disparu : Karanina, Djèdjèfé, Bouroun-Kouna, plus rien ne reste de ces villes. D'autres rois ont porté le Manding bien loin des frontières de Djata, Mansa Samanka, Fadima Moussa, mais aucun d'eux n'approcha Djata 2.

Maghan Soundjata fut unique. De son temps personne ne l'égala ; après lui personne n'eut l'ambition de le surpasser. Il a marqué pour toujours le Manding, ses « dio » 3 guident encore les hommes dans leur conduite.

Le Manding est éternel.

Pour te convaincre de ce que j'ai dit, va au Manding : tu trouveras à Tigan la forêt chère à Soundjata ; tu y verras le protège-poitrine de Fakoli Koroma. Va à Kirikoroni près de Niassola, tu y verras un arbre qui perpétue le passage de Soundjata dans ces lieux. Va à Bankoumana sur le Djoliba, tu y verras le balafon de Soumaoro, le balafon qu'on appelle Bala-nyintiri. Va à Kà-ba, tu verras la clairière de Kouroukan Fougan où se tint la grande assemblée qui donna une constitution à l'empire de Soundjata. Va à Kirina près de Kà-ba, tu y verras l'oiseau qui annonça la fin à Soumaoro. Tu trouveras à Keyla prés de Kà-ba les tambours royaux de Djolofin Mansa, roi du Sénégal que Djata a battu. Mais malheureux, n'essaye point de percer le mystère que le Manding te cache ; ne va point déranger les esprits dans leur repos éternel ; ne va point dans les villes mortes interroger le passé, car les esprits ne pardonnent jamais : ne cherche point à connaître ce qui n'est point à connaître.

Hommes d'aujourd'hui, que vous êtes petits à côté de vos ancêtres, et petits par l'esprit car vous avez peine à saisir le sens de mes paroles. Soundjata repose près de Niani-Niani, mais son esprit vit toujours et les Kéita, aujourd'hui encore, viennent s'incliner devant la pierre sous laquelle repose le père du Manding.

Pour acquérir ma science j'ai fait le tour du Manding ? à Kita j'ai vu la montagne où dort le lac aux eaux bénites, à Ségou, j'ai appris l'histoire des rois de Do et de Kri ; à Fadama, dans le Hamana, j'ai écouté les griots Kondé raconter comment les Kéita, les Kondé et les Kamara ont fait la conquête de Wouroula 4. A Keyla, village des grands maîtres, j'ai appris les origines du Manding, là j'ai appris l'art de la parole. Partout j'ai pu voir et comprendre ce que mes maîtres m'enseignaient. Entre leurs mains j'ai prêté serment d'enseigner ce qui est à enseigner et de taire ce qui est à taire.

Notes
1. Ici Djeli Mamoudou Kouyaté n'a pas voulu aller plus loin. Cependant plusieurs récits courent sur la fin de Soundjata. Delafosse fait cas de deux récits : le premier dit que Soundjata fut tué d'une flèche au cours d'une manifestation publique à Niani. Le second, très populaire au Manding, est rendu vraisemblable par la présence du tombeau de Djata près du Sankarani : selon le second récit donc, Soundjata se serait noyé dans le Sankarani et il aurait été enterré prés des lieux mêmes où il se serait noyé.
J'ai entendu cette dernière version de la bouche de plusieurs traditionalistes. A la suite de quelles circonstances Djata trouva-t-il la mort dans les eaux ? Voilà la question à laquelle il faudrait trouver une réponse.
2. Djeli Mamadou Kouyaté cite ici plusieurs rois du Manding: Hidji Mansa Moussa n'est autre que le célèbre Kankou Moussa (1307-1332), rendu à jamais illustre par le fameux pèlerinage de 1325 (voir D.E.S.: Le roi du pèlerinage). La tradition du Dioma attribue à Kankou Moussa la fondation de plusieurs villes aujourd'hui disparues.
3. Dio. Le dio est un interdit posé par un ancêtre ; le terme désigne également les fétiches.
4. Les griots traditionalistes voyagent beaucoup avant d'être « Belen-Tigui », ce qui veut dire « Maître de la parole » en malinké. Cette expression est formée de « Belen » qui est le nom du tronc de bois planté au milieu de la place publique et sur lequel s'appuie l'orateur qui s'adresse à la foule, « Tigui » veut dire Maître de. Il y a plusieurs centres fameux pour l'étude de l'Histoire : Fadama dans le Hamana (Kouroussa) sur le Niandan en face de Baro situé sur la rive droite ; mais surtout Keyla, la ville des Traditionalistes ; Diabaté, près de Kangaba (Kà-ba) (Soudan). Mamoudou Kouyaté est du village de Djeliba Koro dans le Dioma (Sud de Siguiri) province habitée par des Kéita qui sont venus du Kita à la fin du XIVe siècle, début XVe siècle (Voir mon Diplôme d'Etudes Supérieures).


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