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Histoire et Tradition Orale
Djibril Tamsir Niane
Soundjata ou l'épopée mandingue
Paris. Présence africaine. 1960. 212
pages
Il est venu.Mais il était temps de retrouver le Manding natal. Soundjata réunit son armée dans la plaine, chaque peuple donna un contingent pour accompagner le Mansa à Niani. A Kà-ba tous les peuples se séparèrent dans l'amitié et dans la joie de la paix retrouvée.
Et le bonheur est venu.
Soundjata est là.
Et le bonheur est là.
Soundjata et son monde devaient traverser le Djoliba pour pénétrer dans le vieux Manding. On eut dit que toutes les pirogues du monde s'étaient données rendez-vous au port de Kà-ba
C'était la saison sèche, le fleuve n'avait pas beaucoup d'eau. Les tribus de pêcheurs Somono à qui Djata avait donné le monopole de l'eau tenaient à remercier le fils de Sogolon. Ils placèrent toutes les pirogues côte à côte en travers du Djoliba afin que les Sofas de Soundjata puissent traverser sans se mouiller les pieds.
Quand toute l'armée fut de l'autre côté du fleuve, Soundjata ordonna de grands sacrifices, on immola cent bœufs et cent béliers, c'est ainsi que Soundjata remercia Dieu en rentrant au Manding.
Les villages du Manding firent à Maghan Soundjata un accueil sans précèdent, en temps normal un piéton fait la distance de Kà-ba-Niani en deux étapes ; le fils de Sogolon et son armée mirent 3 jours. La route du Manding depuis le fleuve était bordée d'une double haie humaine. Accourus de tous les coins du Manding, tous les habitants voulaient voir de près le sauveur. Les femmes du Manding voulurent faire sensation et elles n'y manquèrent point : à l'entrée de chaque village, elles avaient tapissé la route avec leurs pagnes multicolores afin que le cheval de Djata ne se salisse point les pieds en entrant dans leur village ; à la sortie des villages, les enfants, tenant en main des branches feuillues, saluaient Djata par des « Wassa Wassa... Ayé...»
Soundjata marchait en tête, il avait revêtu ses habits de roi chasseur, simple blouse, pantalon collant, arc en bandoulière. A ses côtés Balla Fasséké portait encore ses habits de fête rutilants d'or ; entre l'état-major de Djata et l'armée on avait placé Sosso-Balla au milieu des fétiches de son père, il n'avait plus les mains liées, comme à Kà-ba, partout on le couvrait d'injures, le prisonnier n'osait lever les yeux sur la foule hostile certaines personnes toujours prêtes à s'apitoyer disaient entre elles :
Comme la fortune tient à peu de chose !
Oui, le jour où l'on est heureux est aussi celui où on est le plus malheureux, car, dans le bonheur on n'imagine pas ce que c'est que la souffrance.
Les troupes marchaient en chantant l'hymne à l'Arc, que la foule reprenait. De nouvelles chansons volaient de bouche en bouche, les jeunes filles offraient de l'eau fraîche et des noix de kola aux soldats et c'est ainsi que la marche triomphale à travers le Manding se termina devant Niani, la ville de Soundjata.
C'était une ville en ruines que ses habitants commençaient à relever; une partie des remparts avait été détruite. Les murs calcinés portaient encore la trace de l'incendie; du haut de la colline, Djata regarda Niani qui ressemblait à une ville morte, il vit la plaine de Sankarani, il vit aussi la place du jeune baobab. Les survivants de la catastrophe se tenaient rangés sur la route du Manding, les enfants agitaient des branches, quelques jeunes filles chantaient, mais les adultes étaient sans parole.
Sois heureux, dit Balla Fasséké ; toi tu auras le bonheur de relever Niani, la ville de tes pères, mais plus jamais personne ne relèvera Sosso de ses ruines; les hommes perdront jusqu'au souvenir de l'emplacement de la ville de Soumaoro.
Avec Soundjata la paix et le bonheur entrèrent à Niani ; amoureusement le fils de Sogolon fit reconstruire sa ville natale. Il restaura à l'antique la vieille enceinte de son père où il avait grandi.
De tous les villages du Manding des gens venaient s'installer à Niani ; on fit détruire les murs pour agrandir la ville, on construisit de nouveaux quartiers pour chaque peuple de l'immense armée.
Soundjata avait laissé son frère Manding Bory à Bagadou-Djeliba sur le fleuve. Il était le KanKoro Sigui de Soundjata, c'est-à-dire le Vice-Mansa. Manding Bory surveillait tous les pays conquis, quand se termina la reconstruction de la capitale, il alla guerroyer vers le sud pour effrayer les peuples de la forêt. Il reçut une ambassade du pays de Sankaran où quelques tribus de Kondé s'étaient installées ; bien que celles-ci ne fussent pas représentées à Kouroukan Fougan, Soundjata leur accorda son alliance et elles furent placées sur le même pied que les Kondé du pays de Do.
Au bout d'un an Soundjata tint une nouvelle assemblée à Niani, mais celle-ci était l'assemblée des notables et des rois de l'empire ; les rois et les notables de toutes les tribus se rendirent à Niani. Les rois parlèrent de leur administration, les notables parlèrent des rois. Fakoli, le neveu de Soumaoro, s'étant montré trop indépendant, dut s'enfuir pour éviter la colère du Mansa, ses terres furent confisquées, les impôts de Sosso furent directement versés aux greniers de Niani. Ainsi chaque année, Soundjata réunissait autour de lui les rois et les notables, ainsi la justice régnait partout car les rois avaient peur d'être dénoncés à Niani.
La justice de Djata n'épargnait personne, il suivait la parole de Dieu même ; il protégeait le faible contre le puissant ; les gens faisaient plusieurs jours de marche pour venir lui demander justice. Sous son soleil le juste a été récompensé, le méchant a été puni.
Dans la paix retrouvée, les villages connaissaient la prospérité car avec Soundjata le bonheur était entré chez tout le monde ; de vastes champs de mil, de riz, de coton, d'indigo, de fonio entouraient les villages. Celui qui travaillait avait toujours de quoi vivre. Chaque année de longues caravanes portaient le « Moudé » 1 à Niani. On pouvait aller d'un village à l'autre sans crainte du brigand : on coupait la main droite au voleur, s'il recommençait, on le mettait au fer.
De nouveaux villages, de nouvelles villes naissaient dans le Manding et ailleurs ; les Dioulas, ou commerçants, devinrent nombreux ; sous le règne de Djata le monde a connu le bonheur.
Il y a des rois qui sont puissante par leur force militaire ; tout le monde tremble devant eux. Mais quand ils meurent on ne dit que du mal d'eux. D'autres ne font ni bien, ni mal ; quand ils meurent on les oublie. D'autres sont craints car ils ont la force, mais ils savent l'utiliser et on les aime parce qu'ils aiment la justice. Soundjata appartint à ce groupe. On le craignait, mais on l'aimait aussi. Il a été le père du Manding ; il a donné la paix au monde. Après lui le monde n'a pas connu de plus grand conquérant car il était le septième et dernier conquérant.
Du petit village paternel il avait fait la capitale d'un Empire. Niani était devenu le nombril de la terre ; dans les terres les plus éloignées on parlait de Niani et les étrangers disaient : « A beau mentir qui vient du Manding », car le Manding était un pays lointain pour beaucoup de peuples
Les griots, beaux parleurs, pour vanter Niani et le Manding disaient :
« Si tu veux du sel, va à Niani, car Niani est le campement des caravanes du Sahel.
Si tu veux de l'or va à Niani, car, Bouré, Bambougou et Wagadou travaillent pour Niani.
Si tu veux de beaux tissus, va à Niani, car la route de la Mecque passe à Niani.
Si tu veux du poisson, va à Niani, c'est là que les pêcheurs de Mopti et de Djéné viennent vendre leur prise.
Si tu veux de la viande, va à Niani, le pays des grands chasseurs est aussi le pays du boeuf et du mouton.
Si tu veux voir une armée, va à Niani, car c'est là que se trouvent les forces réunies du Manding.
Si tu veux voir un grand roi, va à Niani, c'est là que réside le fils de Sogolon, I'homme aux deux noms. »
C'était ce que chantaient les maîtres de la parole.
Parmi les grandes villes de l'empire, je dois citer Kita, la ville de l'eau bénite qui est devenue la seconde capitale des Kéita.
Je citerai Tabon la disparue, la ville aux portes de fer ; je n'oublierai pas Do, ni Kri, la patrie de Sogolon la femme-buffle.
Je citerai aussi Koukouba, Batamba et Kambasiga, les villes de Sofas ; je citerai la ville de Diaghan, Mema la ville de l'hospitalité, et Wagadou où régnait la descendance de Djoulou Kara Naini.
Que de ruines entassées, que de villes disparues ! Que de solitudes peuplées par l'esprit des grands rois !
Les fromagers et les baobabs solitaires que tu vois au Manding sont les seules traces des villes disparues.
Notes
1. Moudé. Déformation malinké du mot arabe « Mudd » qui veut dire mesure pour les céréales. C'est la mesure légale fixée par le prophète. Comme l'impôt était payé en nature, on comptait par « Mudd », finalement le terme désigna l'impôt tout court. Le mudd de riz pesait 10 à 15 kg. (Contenu d'un panier de riz.)
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