Mémoires de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire. N° 80
Dakar. 1968, 1970, 1975. Trois Tomes. 2377 pages
Samori avait lancé son expansion méthodique vers le Nord au nom de la défense du Konyã, et c'est involontairement qu'il s'était trouvé placé sur la route des Français. Sa révolution s'était étendue aux savanes soudanaise avec une force et une vitesse croissante, mais une bonne moitié de son terroir d'origine continuait toujours à lui échapper. Samori incarnait bien un mouvement du Konyã, mais il ne contrôlait que la partie basse de ce pays, c'est-à-dire les deux versants du Gben, la rive ouest du Dyõ et la vallée supérieure du Milo. Le coeur montagneux du Haut Konyã lui restait hostile, ainsi que les savanes du plateau de Beyla avec leurs gros villages musulmans et les routes forestières descendant vers l'Atlantique à travers les forêts du Toma ou de Buzyé.
Nous avons analysé le dessein de Samori comme une volonté de surmonter le morcellement qui livrait les Malinkés autochtones à des agresseurs entreprenants et d'assurer la liberté des dyula dont le réseau commercial préparait déjà une certaine unité politique. Le nouvel Empire s'étant moulé sur les routes du kola, on peut s'étonner qu'il ait négligé le Konyã méridional. L'absence de ce pays déséquilibrait l'hégémonie de Samori, qui se voyait isolé des zones productrices et surtout de ce Pays Toma qu'il connaissait personnellement. Tandis que ses armées marchaient vers les grands centres du Soudan, son territoire ne touchait encore aux pays de la Forêt (Tukoro) que loin dans l'ouest, sur le haut Makhona ainsi que chez les Kisi. Le Faama, qui avait jadis parcouru la région, un ballot sur la tête, devait sentir cette discordance entre la révolution politique qu'il imposait et les cadres définis par le commerce à longue distance.
Vu sous un autre angle, il ne s'agissait d'ailleurs pas seulement d'une gêne, mais bien d'un danger grave. La zone dissidente était en effet le cur historique du Konyã et exerçait une forte attraction sur le bas-pays, berceau du nouvel Empire. On y trouvait non seulement les mêmes clans, mais les mêmes lignées de Kamara ou de Kõndé, et de fortes traditions inspiraient à ces gens la conscience de former une seule communauté. Le même parler régnait partout et la société reposait sur un équilibre uniforme entre la masse animiste et des îlots dyula. C'est d'ailleurs dans le secteur méridional, qui échappait à Samori, que ceux-ci étaient les plus denses. Les hommes passaient sans cesse d'une zone à l'autre, si bien que la lutte pour le Gbãnkundo allait prendre l'aspect d'une véritable guerre civile. Chaque lignée allait se trouver partagée entre les deux camps et des négociations occultes interféreront sans cesse dans le déroulement des combats.
Obstacle au contrôle des routes du kola et foyer inquiétant de dissidence, ce Haut Konyã était bien gênant pour le nouvel Empire. On peut donc se demander pourquoi Samori n'avait pas pris soin d'unifier son pays natal avant de s'élancer vers les plaines du Niger.
L'histoire de ses débuts, telle que nous venons de la reconstituer, montre que le conquérant n'avait guère le choix. En absorbant d'abord ses voisins les plu, faibles, il avait acquis la puissance nécessaire pour affronter les grandes puissances de son temps, et cet engrenage l'avait progressivement entraîné fort loin, en descendant les rives du grand fleuve. Durant tout ce temps, la fidélité des Kamara, ses premiers compagnons et ses parents, ne lui avait pas fait défaut. Il avait en effet rempli, au-delà de toute espérance, les clauses du contrat initial en éliminant les forces qui menaçaient de détruire la société Konyãnké.
S'il avait choisi au contraire d'attaquer le Gbãnkundo dès le début, les choses auraient, sans doute tourné autrement. En regroupant sur cette montagne les meilleurs hommes du Konyã méridional, Saghadyigi répondait en effet au même défi que Samori. Il s'agissait dans les deux cas de tenir tête à l'Islam guerrier des Sisé. Mais tandis que Samori, formé à Madina, n'hésitait pas à s'inspirer de l'adversaire, Saghadyigi, en pur Kamara animiste, se réclamait uniquement des traditions de Musadugu. Il se considérait comme l'héritier de Féreñ-Kamã et seul détenteur légitime du pouvoir dans le Konyã. Malgré la réserve de certains chefs de kafu, dont le principal était Nyama, de Damaro, il s'était fait généralement accepter. Confrontés à la menace musulmane, les Konyãnké s'étaient ainsi partagés entre deux solutions radicalement opposées. Le fils de Laafiya proposait de rénover totalement les structures anciennes, Saghadyibi de les renforcer. Il était donc en quelque sorte un anti-Samori.
Ce « noble » de bonne souche n'héritait d'ailleurs pas d'un Etat organisé, mais il sut jouer si bien du prestige de sa lignée, qu'il grandit d'abord aussi vite que Samori. Les circonstances avaient placé entre ses mains le puissant massif dont les falaises ferment au nord le plateau du Haut Konyã. Dans ce repaire inacessible, il était à l'abri de toute agression, à moins qu'elle ne mît en jeu des forces d'une supériorité écrasante.
Samori n'était alors qu'un jeune kèlètigi et il ne disposait évidemment pas de tels moyens. Ceux qui le suivaient avec ardeur dans sa conquête du Nord ou contre les Sisé, risquaient en outre de le trahir s'ils avaient à lutter contre Gbãnkundo. N'oublions pas que notre héros dirigeait la guerre de ses « oncles » et que les Kamara formaient le gros de ses effectifs. Ils l'appuyaient contre la menace des Musulmans mais nullement pour combattre d'autres Konyãnké.
On comprend donc que Samori ait évité d'affronter Saghadyigi, en dépit des sentiments hostiles qu'il devinait chez ce dernier. Cette trêve tacite était d'ailleurs facilitée du fait que les deux chefs s'orientaient dans des directions diamétralement opposées. Partant de leur patrie commune, la vallée du Dyõ, Saghadyigi s'enfonçait vers la Forêt, à travers un chaos de montagnes, et allait finalement déboucher sur les fleuves du versant Atlantique (Saint-Paul, Sassandra). Samori au contraire marchait vers les savanes ensoleillées du Moyen Niger.
Pendant plus de dix ans, ces deux puissances ne s'affrontèrent donc pas, mais ce n'était visiblement que partie remise. Quand la chute de Sérè-Brèma annonça des temps nouveaux, Samori ne dépendait déjà plus des Kamara car sa grande armée mêlait des hommes de toute origine unis seulement par leur fidélité à sa personne. Il avait alors tellement grandi qu'il pouvait désormais affronter les montagnes du Ghânkundo et l'aide de dernière heure fournie par Saghadyigi à Sérè-Brèma lui permettait de justifier la rupture. Bien que celle-ci fût intervenue à l'issue des négociations qui occupèrent l'hivernage de Gbèlèba, le désir d'aller dans le Nord exploiter sa victoire, conjugué avec l'inquiétude due à l'approche des Français, poussa cependant Samori à retarder encore l'échéance. C'est seulement une fois Kémé-Brèma solidement installé sur le Fleuve et le Wasulu entièrement soumis, que le Faama décida de se consacrer à liquider le Gbãnkundo. Il était de toute façon impossible que des pouvoirs fondés sur des principes aussi divergents coexistassent indéfiniment dans le Konyã.
L'entreprise présentait cependant des difficultés peu communes. Les adversaires de Samori, plus puissants que lui au départ, avaient succombé tour à tour, pour être demeurés dans l'inaction tandis que le Faama grandissait méthodiquement aux dépens des tiers. Nous avons vu que les Sisé connurent une dernière flambée guerrière quand ils prirent conscience de cette situation, mais alors qu'il était déjà beaucoup trop tard. Il n'en allait pas ainsi pour Saghadyigi, car celui-ci ne s'était jamais relâché comme Sérè-Brèma, mais s'était au contraire employé à étendre ses frontières partout où il trouvait des voisins assez faibles. La structure de son Etat et la nature des pays forestiers qui s'ouvraient à lui, ne lui permettaient pourtant pas d'égaler Samori, si bien que le résultat de la confrontation finale ne pouvait être douteux.
Saghadyigi incarnait donc, comme Samori à ses débuts, la résistance à l'Islam guerrier. A ce titre, la formation de son Etat aurait pu être étudiée ci-dessus avec la genèse de la Révolution dyula à laquelle il n'était évidemment pas étranger.
Il faut considérer cependant que Saghadyigi était un homme plus jeune que Samori et que son pouvoir n'avait pris forme qu'avec plusieurs années de retard. Pour cette raison, et aussi du fait des liens étroits unissant tous les Kamara du Konyã, il nous a paru préférable de regrouper ici l'ensemble de cette histoire.
Saghadyigi, fils de Sètu Kamara 1, appartenait à la lignée des Soghonè-Kumãsi qui avait fondé au XVIIIè siècle le Gbèrèdugu, sur la rive ouest du Haut Dyõ. Leur puissance s'était établie à la fin du XVIIIè siècle quand ils avaient aidé le Simãndugu à renverser l'hégémonie de Dyagbo, le célèbre Mãsa du Kwen, installé à Sõndugu 2. On a vu comment leur chef Dyènté avait poussé contre les Sisé les Koné du Salagbala 3 avant de périr à son tour sous les coups des sofas de Madina (1862). Son neveu Saghadyigi ne devait avoir alors guère plus de quinze ans puisqu'il fut circoncis à Sosodugu, dans le Simãndugu, durant les mois d'exil qui suivirent. C'est de là qu'il partit pour s'installer à Sinimoridugu où il fut reconnu comme chef à la mort de Makura-Dyara (fin 1863). L'attaque de Samori qui suivit presqu'aussitôt, l'obligea à abandonner le Gbèrèdugu et le souvenir de cette humiliation allait toujours lui inspirer une extrême amertume. La tradition y voit la source de l'hostilité persistante qu'il allait montrer au nouveau conquérant.
C'est à cette date, au début de 1864, qu'il convient de placer les débuts de l'Etat de Gbãnkundo, dont l'existence allait s'étendre sur près de 20 ans. Le jeune Saghadyigi n'était alors que l'héritier d'un petit kafu du Haut Dyõ et il fuyait derrière le fleuve avec la masse de ses sujets pour échapper aux coups de Samori. Tous les pays de l'Est se trouvaient à cette époque dans la mouvance des Sisé, mais les montagnes les plus inaccessibles servaient de refuge aux opposants depuis la révolte de 1860. On a vu que Dugugbè-Kaba s'était retranché au-dessus du plateau du Farana, dans le site inaccessible de Borõnkéñyi et que, tout en payant tribut à Madina, il y jouissait d'une indépendance de fait. Ce Kõndé était un « oncle maternel » de Saghadyigi et c'est à lui que le jeune chef voulait d'abord demander asile.
Mais les gens du Salagbala se trouvaient, eux, en révolte ouverte contre les Sisé, et ils s'étaient retranchés encore plus près du Dyõ, sur les sommets du Gbãnkundo. Quand Saghadyigi en fuite passa à Fakurudugu, ils le supplièrent de se joindre à eux, en invoquant leur alliance avec Dyènté et le jeune homme accepta aussitôt. C'est ainsi qu'il les suivit en haut de leur montagne.
En dépit d'une altitude assez modeste (1.099 mètres), cette énorme masse de dolérites possède de surprenantes falaises verticales qui s'élèvent d'un seul jet au-dessus des horizons du haut Dyõ. Elles séparent les plateaux ondulés du nord du bloc rigide du Haut Konyã et se prolongent vers l'est où elles isolent le Girila du Bèèla pour culminer au-dessus de Gbènko avec les 1.200 mètres du Borõnkéñyi.
Absolument inaccessible par le nord et l'ouest, le Gbãnkundo est moins revêche vers le sud, car on peut l'aborder du côté des sources de la Tora, un affluent du Dyõ, ou par les crêtes du mont Sibèné, qui est lui-même isolé par de hautes falaises. Il s'agit en tout cas d'un bastion redoutable, dont les défenses naturelles, défiaient la technique militaire de l'époque. Il était facile d'y tenir contre un adversaire très supérieur et la cavalerie perdait toute utilité au milieu de ses rochers. Des vallées assez fertiles comme celles de la Tora et de la Barani permettaient de cultiver très près de la citadelle dont elles nourrissaient la nombreuse population.
Borõnkèñyi aurait offert des avantages analogues mais en choisissant Gbãnkundo, Saghadyigi pouvait demeurer en pays Kamara, à proximité de ses terres ancestrales. Du sommet de la montagne, par temps clair, il apercevait le cours du Dyõ et peut-être même Sinimoridugu dont il n'était séparé, à vol d'oiseau, que par une vingtaine de kilomètres.
Ce site devait être d'ailleurs fort attirant, si l'on considère le flot des réfugiés qui rejoignirent bientôt ceux du Gbèrèdugu. Leurs voisins Konatè du Sè-Sumala, menacés par Samori, les avaient suivi au bout de quelques semaines et tous les opposants au nouveau conquérant prirent bientôt le chemin de la montagne. Ce mouvement s'accentua encore vers la fin de 1865 quand Sérè-Brèma décida d'en finir avec Samori. La fuite générale des populations du Dyõ en fut la conséquence, et les alliés des plus réticents du Kèlètigi de Sanãnkoro se joignirent à leur tour à Saghadyigi. Tel fut le cas des Kamara de Dyaradugu et même du vieux Momo de Lenko qui reprochait au gendre de son fils de n'avoir pas su défendre son village 4. On a vu que Nyama, le Mãsa du Simãndugu, préféra cependant se retirer en Forêt car il se méfiait en raison de ses anciens différends avec Dyènté et de l'aide qu'il avait donnée à Samori pour casser le Gbèrèdugu. Ce chef puissant et respecté craignait de se mettre à la merci du jeune Mãsa et préféra demander asile aux Toma du Koyma.
Saghadyigi ne devait compter alors qu'une vingtaine d'années mais il manifesta très tôt un tempérament belliqueux, vindicatif et autoritaire. Placé au commandement dans des circonstances exceptionnelles, et à un âge peu commun en Afrique, il se laissait sans doute griser par sa puissance. En deux ans, les villages des réfugiés avaient grandi énormément au sommet de la montagne et on y construisait d'importantes fortifications pour renforcer les défenses naturelles. Celles-ci donnaient sans doute aux résistants le sentiment d'une sécurité absolue et il est vrai que Samori n'en viendra pas aisément à bout.
Saghadyigi consolidait également sa position par une habile diplomatie. Il venait de marier sa soeur Sogbè à Dugugbè-Kaba, en esquissant ainsi un front uni des réfugiés 5. Il semble cependant qu'il ait payé tribut aux Sisé jusqu'au jour où le retour de Samori ébranla leur prestige.
Son indépendance de fait était d'ailleurs évidente mais sa politique était troublée par le désir obsessionnel de venger la mort de Dyènté, dont il accusait une partie des Kamara aussi bien que les Sisé.
Le dessein des animistes. Cette idée fixe explique l'assassinat de Manãnkolo à Dalanina, dont il a déjà été question, après lequel Saghadyigi se crut en état de revendiquer l'hégémonie sur l'ensemble des Kamara. Bien que Nyama, le seul qui fût capable de la contester, se trouvât alors bien loin, chez les Toma, et que son ami Samori se fût retiré en Forêt, une certaine opposition se manifesta aussitôt. Le meurtre de Kolo avait certainement fait scandale, et comme la propagande de Samori ne manquait pas de l'exploiter, de nombreux Kamara de bonne lignée refusèrent nettement de reconnaître Saghadyigi. Cette attitude n'était pourtant pas générale. Beaucoup de notables y compris des proches parents de Kolo, voire même des alliés de Samori, comme le vieux Momo, acceptèrent de soutenir le neveu de Dyènté. Ces ralliements allèrent même en s'amplifiant à mesure que l'entreprise de Samori prenait un caractère inquiétant et ne pouvait plus se définir comme la « guerre des Kamara ».
Celle de Saghadyigi, au contraire, n'était pas suspectée sur ce plan car cet animiste résolu et convaincu, voyait venir à lui tous les opposants à l'Islam. Alors que Samori créait autour de lui une ambiance musulmane, Saghadyigi célébrait solennellement son initiation au Dyô et favorisait le Komo. Il ne manquait aucune occasion de proclamer sa haine et sa méfiance de l'Islam. « Je ne veux pas du complot des musulmans » disait-il fréquemment. Il se posait surtout en défenseur de la tradition de Féreñ-Kamã, de la « coutume de Musadugu », selon l'expression consacrée ; et il s'indignait fortement de l'intrusion des musulmans dans la vie politique. Il ne pouvait supporter leurs prétentions à diriger le pays mais il rappelait en revanche que Féreñ-Kamã avait garanti la sécurité de ses marabouts dont le talent magique assurait la prospérité générale. Dans la mesure où les hommes de religion demeuraient à leur place, Saghadyigi entretenait donc d'excellentes relations avec eux et affectait même de les protéger 6. Après quelques remous, telle fut sa conduite envers ceux du Haut Konyã et particulièrement les centres de culture islamique comme Nyõsomoridugu ou Musadugu.
Il était en tout cas évident que Saghadyigi entendait surtout défendre la prépondérance traditionnelle des tuntigi animistes. Le jeune chef avait eu l'intelligence de comprendre que ce combat était perdu d'avance s'il ne le menait pas avec des méthodes militaires inspirées de l'adversaire. Dès qu'il se sentit en sécurité sur sa montagne fortifiée, il entreprit donc d'organiser une armée faite pour l'offensive.
Les nombreux forgerons rassemblés à Gbãnkundo furent encadrés par des chefs responsables et travaillèrent dès lors en priorité pour son armement. Saghadyigi ne bénéficia jamais, comme Samori, de l'appui de la franc-maçonnerie dyula, mais il réussit à se procurer à Monrovia des armes de fabrication européenne, par l'intermédiaire de son parent Kamãn-Kyèkura, le chef du Buzyé, qui allait bientôt rejoindre ses rangs. Il fit enfin l'impossible pour se constituer une cavalerie. En dépit du climat sain du Konyã, il n'y avait pas d'élevage local et il lui fallait, comme ses rivaux, faire venir des chevaux du Nord. Il y parvint dans une certaine mesure, mais il rencontra des difficultés croissantes à mesure que l'expansion de Samori coupait successivement toutes les routes qui menaient de la Forêt vers le Niger.
Comme cette armée grossissait, il fut bientôt nécessaire de la diviser en colonnes (kèlè) dont le commandement fut confié exclusivement à des frères ou proches parents du Mãsa, jamais à des griots ou des captifs comme Samori le fit souvent.
La physionomie de la nouvelle hégémonie allait se préciser peu à peu. Ses orientations étaient cependant nettes dès le début, alors que Saghadyigi se reconnaissait encore vaguement comme vassal des Sisé et n'étendait son autorité qu'aux réfugiés de la montagne. Par la volonté du Mãsa, tout fut très tôt subordonné à l'organisation d'une armée offensive, et cet effort obtint vite des résultats spectaculaires. Une force jeune et redoutable allait ainsi entrer en scène au moment précis où les fautes des Sisé préparaient la chute de leur hégémonie.
Les Sisé en échec. On a vu que celle-ci se trouvait à l'apogée en 1866 après la retraite de, Samori au Tukoro et la visite de Sérè-Brèma à Boola. La crainte du conquérant contribuait à grossir les rangs des réfugiés puisque Vasilè Kamara, le chef du Famoéla, s'était retiré à son approche pour rejoindre à son tour Gbãnkundo.
Cette plénitude fut cependant brève. Dès l'année suivante, la guerre du Wasulu fit sentir au Konyã que la menace s'éloignait et c'est dans le vide ainsi créé que Saghadyigi fit bruyamment son entrée. Au début de 1867, il reçut l'appel de Nyõsomoridugu, assiégé par Samori, et il l'accueillit aussitôt, trop heureux d'assumer le rôle d'héritier de Féreñ-Kamã en protégeant « ses marabouts ». Le succès facile qu'il obtint transforma aussitôt ce chef de réfugiés en souverain respectable et en candidat à l'hégémonie.
Encore fallait-il que les musulmans acceptassent de jouer le rôle qu'il voulait bien leur donner, et ce n'était pas le cas du Haut Konyã où Vãfiñ Doré avait lié Musadugu aux Sisé depuis le compromis de 1860. Le jeune Mãsa devait donc commencer par mater ce dyula guerrier guettait visiblement un prétexte quand il apprit l'incident de Nyèla. L'impuissance des Sisé venaient de laisser Samori réoccuper Sanãnkoro et perdaient la face au Wasulu, remplissait justement d'audace des gens de Gbãnkundo. En attaquant Musadugu, les gens de Saghadyigi voulurent donc prouver aux dyula que l'ère des Kamara n'était pas close. Nous avons déjà étudié cette guerre qui fut un triomphe pour le jeune Mãsa sous les apparences d'un coup nul. Il n'avait pas enlevé la métropole du Konyã, mais Sérè-Brèma avait été humilié publiquement et son impuissance militaire se trouvait démontrée. Le Faama avait lui-même miné son autorité par sa désinvolture à mettre ses alliés à sac pour acheter la retraite des assaillants. On a vu que Vãfiñ Doré se retourna aussitôt contre lui et qu'Anderson en décembre 1868, trouva le Haut Konyã mobilisé contre les Sisé et non plus contre le Gbãnkundo.
La tradition nous conte avec complaisance les habiles manoeuvres auxquelles eut recours Saghadyigi pour amener à lui les musulmans du Konyã et le témoignage du voyageur libérien prouve qu'elles aboutirent très vite. C'est le vénérable Koñyé-Morifiñ, de Nyõsomoridugu, toujours hostile à l'Islam guerrier, qui servit alors d'intermédiaire pour ce renversement des alliances. Bien qu'ils fussent enfin dégagés du Wasulu, les Sisé se montrèrent incapables de réagir efficacement. Vers le début de 1869, Sérè-Brèma installa donc toute son armée sous les falaises du Gbãnkundo, mais il s'y trouva vite harcelé par une guérilla impitoyable et connut une telle disette qu'i dut battre en retraite. Ses derniers vassaux du Haut Konyã passèrent alors au Mãsa en invoquant de la solidarité des Kamara. Le signal fut donné par le chef du Girila, Masa-Bori, un pillard insupportable, qui allait passer toute sa vie en rébellion, mais qui était en l'occurrence fort satisfait de se débarrasser des Sisé. Il fut aussitôt imité par le Gwana, le Mahana et le Kwisu, et tout se passa, si nous croyons la tradition, dans une ambiance de grand enthousiasme 5. En rejoignant l'homme qui incarnait leur cause, les Kamara formaient dès lors un bloc que les Sisé n'étaient plus en état de vaincre 7.
Sérè-Brèma en tira les conséquences en acceptant le fait accompli vers la fin de 1869. Renonçant à toute prétention sur le Haut Konyã, il ne gardait sous sa suzeraineté que les Koné du Bèèla et du Farana. Le chef de ceux-ci, Dugugbè-Kaba, avait d'ailleurs servi d'intermédiaire entre le Faama et son beau-frère Saghadyigi, dont il imitait les méthodes pour imposer sa propre hégémonie dans l'Est. Jouissant d'une indépendance de fait à Borõnkèñyi, isolé sur les frontières du royaume d'Odienné, ce chef s'accommodait de la prépondérance théorique des Sisé et ne devait rompre avec eux qu'en 1880 pour rejoindre les rangs de Samori.
Le compromis négocié en 1869 devait s'avérer durable. Les Sisé, épuisés par la guerre du Wasulu et bientôt inquiétés par l'expansion de Samori, allaient abandonner toute politique militante dans le Sud. Le vieux conquérant ne menaçant plus les positions du jeune Mãsa animiste, leurs relations allaient s'améliorer, lentement mais sûrement, à tel point que les vassaux de Saghadyigi iront assister Sérè-Brèma dans son dernier combat. Ce sera seulement, il est vrai, pour tomber en grand nombre sous les coups de Samori.
L'alliance du Buzyé. Il avait, à vrai dire, déjà mis la main sur le Haut Dyani, ou Saint-Paul, en attirant le Buzyé dans sa mouvance. Le jeune Kamãn-Kyèkura qui commandait alors cette marche du Toma s'était fâché avec Samori depuis l'affaire de Dyabarãndugu et avait applaudi l'intervention de Saghadyigi à Nyõsomoridugu (1867). Le contrôle de ce village unissait d'ailleurs les deux chefs en assurant aux gens de Gbãnkundo le passage des cols du Fõ et un accès facile à la route de Monrovia. Kamãn-Kyèkura appartenait au grand lignage des Fãtumã-Ulé-Si au même titre que Saghadyigi et son ralliement était d'autant plus sincère qu'il comptait sur l'appui de son parent pour poursuivre son expansion militaire aux dépens des Toma.
Il est vrai que Nyama, autre chef de cette lignée, avait lié son sort à Samori et que le meurtre de Kolo en avait fait un ennemi irréconciliable du Mãsa. Réfugié chez les Toma du Koyma où il se taillait un fief personnel, il était pour l'instant hors de portée mais il contrôlait encore les villages du Kwen, autour du mont Tibé, et gênait ainsi les communications entre Gbãnkundo et le Buzyé 8. C'est l'a que frappa Saghadyigi vers la fin de 1869 ou au début de 1870. Il cassa aisément Sõndugu et Fõndugu dont toute la population chercha asile au hameau de Sérikola, en lui abandonnant cinq cents captifs de culture qui appartenaient à Nyama 9. Le vainqueur se garda d'occuper le pays dévasté pour ne pas défier Samori, mais il était désormais couvert par cette marche déserte et la route de la Forêt s'ouvrait largement devant lui.
Pendant près de dix ans, la puissance militaire du Gbãnkundo allait en effet s'exercer parmi les montagnes tourmentées et les hautes sylves du sud, sur les confins des pays barbares où l'on cultive le kola. Elle ne prendra fin qu'en 1880, quand la chute imminente des Sisé obligera Saghadyigi à se retourner vers le nord pour affronter Samori.
Il ne faudrait pourtant pas croire que ces longues années virent se dérouler une expansion continue et systématique analogue à la conquête samorienne. Bien que Saghadyigi n'ait pas répugné à étendre ses domaines, on a l'impression qu'il montrait plus de goût pour razzier de nouveaux territoires que pour les occuper.
Le caractère décousu de ces actions explique pourquoi, en dépit d'une tradition bien conservée, il nous est difficile de préciser leur chronologie. On peut cependant, secteur par secteur, reconstituer la succession relative des événements sans que chacun d'eux puisse être situé avec précision dans l'ensemble de la période étudiée (1870-1880). C'est seulement dans les dernières années, quand divers incidents recouperont l'histoire de Samori, qu'il sera possible de proposer des dates assez sûres.
Un fait essentiel est le grand rôle qu'ont joué les musulmans du Konyã dans ces guerres menées au profit d'un impérialisme animiste. La place importante de Vãfiñ Doré, est particulièrement significative si l'on songe aux insultes qu'il avait lancées en 1868 contre Saghadyigi. Son ralliement paraît avoir été d'autant plus sincère que sa rupture avec les Sisé était totale. Le plaisir de faire de nombreux captifs en Forêt consolidait naturellement son loyalisme envers Gbãnkundo.
C'est vers l'ouest, dans le Buzyé, que l'action du chef de Musadugu allait se déployer avec la plus grande énergie. Durant toute cette période, Kamãn-Kyèkura fit appel à son suzerain presque chaque année pour s'étendre aux dépens des Toma du voisinage, gens redoutables el combatifs. Quand l'affaire ne présentait pas une importance exceptionnelle, c'est Vãfiñ qui accourait à son aide avec les guerriers du Haut Konyã.
Tout cet effort se portait vers le sud, en aval du Dyani. Les Toma du Kononkoro, dans le nord, étaient en effet des vassaux de Samori, et par conséquent intangibles. Ceux du Zyama, retranchés dans l'ouest au coeur des hautes montagnes qui ferment l'accès au Lofa, étaient inexpugnables. Bien qu'ils aient gêné Kwõnkã par l'avant-poste qu'ils maintenaient à Busédu, Kamãn-Kyèkura n'oubliait pas les désastres que Vèlimèligè Béavogi avait fait subir son père, et il tarda à reprendre la lutte de ce côté. On signale seulement une attaque malheureuse de Vãfiñ au-delà du Lofa, contre Bokoni dans le Koadu 10.
Le principal ennemi se trouvait au sud, dans le Koyma qui s'étend de part et d'autre du Dyani. Nous avons déjà parlé de son chef, Daoroñyã Bilivogi dont Anderson dépeint la puissance redoutable 11 et que Dyaka-Kamã avait combattu sans résultat. Kamãn-Kyèkura reprit la querelle de son père et le conflit allait durer, avec de nombreuses vicissitudes, jusqu'à l'arrivée des Blancs.
Saghadyigi serait d'abord venu en personne pour aider son allié à réduire Nawensu, un village Toma de la rive gauche qui gênait les communications de Kwõnkã. Ce fut le seul gain territorial du Buzyé. Les autres expéditions furent le fait de Vãfiñ Doré, mais les villages attaqués, souvent très éloignés, ne furent jamais occupés. C'est à l'ouest du Dyani qu'auraient eu lieu les raids les plus profonds, à travers le pays relativement plat où passe actuellement la route de Koyama. Ils dépassèrent le territoire du Koyma puisqu'on nous signale l'attaque de Fasãnguni, près de la frontière libérienne, ainsi que de Nzèbèla 12 sur le Dyani, là où le fleuve pénètre en sinuant dans les montagnes du Pays Guerzé et enfin de Barãmbala, situé encore plus au sud 13. Ces trois villages sont dans le Vèkèma et ce pays qui allait tenir tête aux Français sous les ordres du fameux Togba Pivi, était alors soumis à l'hégémonie de Daoroñyã.
C'est contre ce dernier que se concentrèrent les efforts des Konyãnké. Kamãn-Kyèkura et Vãfiñ auraient ainsi détruit Iriyé, puis attaqué Boo et Toõ 14. Aucune de ces actions n'était décisive car les vaincus se réfugiaient derrière le fleuve à Goboèla où résidait Daoroñyã. Pour en finir, il aurait fallu enlever ce village, le principal du Koyma oriental, mais il semble bien qu'il ne fut même pas attaqué.
Une grande opération fut par contre organisée contre Dõndano, sur les confins du Haut Konyã et du Guerzé, résidence secondaire de Daoroñyã qui s'y installait quand il voulait razzier le Buzyé oriental. Dõndano ne fut pas pris mais, pour le surveiller, Saghadyigi installa à Bãnko-Ni une forte garnison sous les ordres de son cousin Kyèba-Ulè 15.
On a vu que Daoroñyã avait bien accueilli Nyama Kamara et ses hommes. Il leur avait cédé Fooma à la frontière du Kwisu et le Mãsa du Simãndugu avait su imposer son influence au Koyma oriental. Le fief qu'il se taillait ainsi venait renforcer l'opposition à Saghadyigi car ce réfugié était un homme riche et puissant que suivaient de nombreux clients dont les rangs étaient sans cesse grossis par de nouveaux émigrés 16. A Fooma et Baladugu, sa communauté submergeait les autochtones Toma et la tradition exagère à peine quand elle nous dit qu'il « soumit toute la région » 17.
A défaut d'une conquête en règle, cette principauté forestière se constitua un vaste réseau d'alliances qui s'étendit vite aux Guerzé les plus proches. Sa principale recrue fut Togba Sañyõ, le chef du Kosa, qui contrôlait la route kolatière montant de la région de Nzérékoré au Konyã et particulièrement le gros marché de Boola. La forte colonie dyula de ce village avait accoutumé ce Barbare aux Malinké et il avait dû se soumettre en 1866 à Sérè-Brèma. La défaillance des Sisé lui avait permis de s'affranchir mais il paraît avoir accepté avec plaisir l'alliance de Nyama. Celui-ci étendit d'ailleurs son influence sur l'ensemble du pays de Winzu et particulièrement à Mãngana et Orata, les villages qui encadrent la haute chaîne forestière du Bèro.
Nyama n'était pas en état de combattre Saghadyigi mais sa propagande hostile s'activait tout près de là chez les Kamara du Kwisu et du Mahana. C'est certainement pour y parer que deux grosses garnisons venues du Gbãnkundo s'installèrent un peu plus tard à Sokurala et à Mèikamoridugu 18. La première, confiée à un cousin du Mãsa, Faragwala, commandait le gué du Sãngu, sur la piste de Beyla à Fooma et à la limite nord du Kwisu. La seconde, commandée par son propre frère, Karamoghofiñ, couvrait le Mahana occidental et surveillait le col de Nyobodugu dont l'abrupt de 300 mètres, taillé dans la chaîne du Yèrèuru, permet de descendre des plateaux dénudés du Konyã dans les vallées forestières du versant atlantique.
Avec ces deux garnisons, qui s'ajoutaient à celle de Banko-Ni sur l'autre versant du Fõ, Nyama se trouvait étroitement bloqué, mais Saghadyigi ne l'attaqua pas. Peut-être craignait-il que ses troupes ne fussent pas fidèles contre un Kamara aussi influent. Toujours est-il que, de ce côté, le status-quo allait durer jusqu'à l'intervention de Samori.
Il n'en alla pas de même dans le Kosa où les Guerzé allaient payer pour l'allié qu'ils avaient imprudemment choisi. En trois campagnes successives, dont il n'est pas possible de préciser les dates exactes, Saghadyigi détruisit en effet le Bèro 19. Durant sa première attaque, qui eut lieu à l'occasion de la guerre du Karagwa, il brûla tous les villages de l'est, perchés sur le flanc nord de la montagne, et Koléuléta lui opposa seul une résistance sérieuse 20.
Les deux autres campagnes qui partirent de Mèikamoridugu, visaient à châtier les Guerzé de leurs relations avec Nyama. Celui-ci ne devait pas se sentir de force car il demeura immobile à Fooma pendant que ses alliés succombaient, et notamment Togba Sañyõ, qui fut, paraît-il vaincu par trahison. A l'approche de Saghadyigi il aurait en effet envoyé à sa rencontre Fasu Kèita, le chef du quartier dyula, avec une offrande de 1.000 kolas que le conquérant feignit d'accepter. Les Guerzé se couchèrent donc en paix, mais les Konyãnké surprirent le village au premier chant du coq et le détruisirent presque sans combat 21. Après Boola, les autres agglomérations du Kosa furent brûlés sans difficulté tandis que les gens de Winzu et leurs voisins s'enfuyaient au Monè sans attendre l'envahisseur 22.
Les sofas de Saghadyigi trouvèrent alors le vide devant eux, et s'enfoncèrent vers le sud, dans les monts du Dimana (842 m.) qui séparent deux affluents du Dyani, le Lofa oriental et le Ulé. Leurs avant-gardes poussèrent même leur raid jusqu'à Kèora près de Bénéuli 23.
Toute résistance n'avait d'ailleurs pas encore cessé. Le chef de Koita, Soko Manikoya, avait présenté sa soumission à la chute de Boola, mais il hébergeait les réfugiés de Yapãngay et se fortifiait sur le mont Kwã qui domine son village.
Saghadyigi revint contre lui l'année suivante, bloqua la montagne et réduisit les Guerzé par la famine et la trahison 24. Bien qu'il n'ait pas poussé plus loin dans le sud, le pays était dès lors dévasté jusqu'à Kabyèta, le commerce du kola interrompu et le marché de Boola fermé. Saghadyigi ne poursuivit pas les réfugiés dans le Monè et conseilla aux dyula de reprendre leurs activités habituelles.
Le conquérant avait ainsi largement pénétré en Forêt et, durant ses dernières années, il orienta son expansion militaire en direction de l'est. Avant de s'en prendre aux Guerzé du Bèro, il avait d'ailleurs frappé leurs parents, les Kono 26 , ainsi que les Malinké qui peuplent le Karagwa.
Ce bas pays forestier s'étale au pied des falaises du Tétini, à travers la vallée supérieure du Gwã, affluent du Sassandra, et c'est le domaine commun de plusieurs lignées Kamara et Dõzo. L'élément konyãnké y domine, mais il dénote un certain métissage avec divers groupements forestiers qui incluent des Guerzé ou plutôt des Kono et des Dã. L'orientation historique de ce pays est d'ailleurs nettement méridionale, car il contrôle la route kolatière allant des pays du Nimba, au Konyã. C'est en longeant la Forêt que son principal souverain du XVIIIme, Togba Dõzo, avait imposé un instant son hégémonie dans l'est jusqu'aux rives du Bãndama. Le colonisateur allait constituer le canton moderne en lui rattachant le district de Fumbadugu, qui est une terre Kono, étrangère au Karagwa, et orientée par son histoire en direction de Lainé. Le gros centre de Fumbadugu n'existait d'ailleurs pas à l'époque que nous étudions, bien que ses fondateurs, les dyula Komara, aient déjà été expulsés du Mahana par le Mãsa Naka-Nyama 27. Ils résidaient alors à Konãnkoro, au pied du mont Konã (655 m.) où des Kono du clan Kumèmu leur avaient donné asile.
C'est sans doute Naka-Nyama qui entraîna Saghadyigi à leur poursuite. Il le guida en tout cas, avec les guerriers du Mahana, à l'occasion des trois campagnes que les sofas de Gbãnkundo menèrent dans la région.
Au cours de la première, ils assiégèrent et prirent Konãnkoro, obligeant ainsi les Komara et Zagaèmu à chercher asile dans le Bèro, particulièrement à Sibamu et Manãnko. Au cours d'une seconde campagne, Saghadyigi, alla détruire ces villages ainsi qu'on l'a déjà vu 28. Quand il revint une troisième fois, il avait l'intention de marcher vers le sud puisqu'il attaqua Lèné, sur le cours supérieur du Bokho. Mais cette fois-ci, en pleine forêt dense, le chef Taato Koromu lui infligea de telles pertes qu'il dut se retirer 29.
Sans s'obstiner dans cette direction, Saghadyigi se tourna alors vers le Karagwa proprement dit où les Kamara étaient disposés à reconnaître son autorité 30. Comme les Dozõ, alors commandés par le Mãsa Gboso, le défiaient par contre ouvertement, c'est contre eux qu'il marcha, accompagné par les gens du Mahana. Il s'empara par surprise de Morisimãndugu mais échoua devant Tonõ, la résidence de Gboso, et dut se retirer après un siège inutile.
Saghadyigi n'eut pas l'occasion de venger cet échec. Il venait d'être sollicité par les factions qui se disputaient alors le Mau dans un jeu d'une extrême complexité. On a vu que les Turè d'Odienné étaient intervenus aux côtés des Bãmba de Fèrentèla, contre les Sakuraka et que ceux-ci avaient vaguement reconnu leur hégémonie. Ces deux partis s'étaient ensuite réconciliés pour mener en commun la pénétration chez les Dã, en direction de Man, et pour tenir tête aux Dõzo qui soutenaient les gens de Tyawè.
Ce n'est pourtant pas des Sakuraka que vint le premier appel à Gbãnkundo mais des Bãmba du Kawa, qui se trouvaient alors en proie à la guerre civile 31. Un chef ambitieux, Vamasè, avait fait éclater le vieux village de Sazãmba. Il s'était retiré sur les bords du Fèrèduguba pour y construire Masèdugu, tandis que son rival, Gbãdo Bãmba 32, s'était réfugié à Sula avec la majorité du kafu. Vamasè cherchait un appui et il fit appel à Saghadyigi qui répondit avec empressement. Dans cette nouvelle série de guerres, dirigées vers la moderne Côte d'Ivoire, le Mãsa allait être assisté essentiellement par des gens du Gwana commandés par son allié, Lay Kamara. C'est en sa compagnie qu'il se rendit au Kawa où il détruisit sans difficulté Sula et Kona, puis Ténémasa. Les Bãmba se réfugièrent dans le Gboo, à Wanino, et se résignèrent à négocier leur soumission.
Vamasè resta ainsi le maître du pays, et il s'employa certainement à étendre l'influence de son nouveau patron puisque Saghadyigi revint l'année suivante dans le Mau. Il était appelé cette fois par Namwèy (Namori) Bãmba, le chef de Fèrentèla et par Lõngomã Dyomãndé, qui était alors le plus influent des Sakuraka 33. Ce dernier invoquait la solidarité des Kamara pour appeler le conquérant contre Tyawè, qui lui tenait tête depuis longtemps, avec l'appui du Karagwa. Sébé Koné, le chef de Tyawè, avait jadis appelé à l'aide Daula Dõzo qui avait alors entraîné Lãsèy Kuruma, le chef de Beyla. Ces coalisés ayant échoué devant Mãndugu, Tyawè avait été détruit en représailles. Il s'était relevé par la suite avec la permission du Sakuraka mais sa soumission n'était pas sincère et les prétextes ne manquaient pas à Lõngomã pour en finir une bonne fois avec cette vieille querelle 34.
Saghadyigi était heureux de venger son échec de Tonõ sur des alliés des Dõzo, et il accourut par le Kawa pour rejoindre ses alliés à Gãwé. Sébé Koné s'était retranché chez les Bãmba de Sèrèfiñyã et il fut tué quand ce village tomba après un long siège. Tyawè fut alors facilement enlevé et sa population s'enfuit au Karagwa où 35 Saghadyigi ne la poursuivit pas. Estimant qu'on l'avait dérangé pour peu de chose, il imposa à ses alliés une lourde contribution et rentra au Gwana.
C'est là qu'il organisa la dernière de ses grandes entreprises militaires, qui fut la conquête du Gbè. Ce vaste plateau semé d'inselberge dont les sites défensifs ont fixé les villages, était depuis le XVIIIme siècle le domaine des Kõñsabasi, la seconde branche des Kamara 36. Relativement peu peuplé et situé en dehors des axes commerciaux, il vivait très replié sur lui-même 37. Quand Saghadyigi décréta qu'il gênait ses communications avec le Mau, son Mãsa se trouvait être Fasèli Kamara, dit Vlasè, originaire de Tanãnti. Ce Fasèli s'était puissamment fortifié à Tyèfiñdugu, dans les gorges qui ferment l'accès du Tanãntu et il venait justement de repousser une attaque de Vakuru Bãmba. Le Gbè n'avait jamais été conquis et n'était nullement décidé à se soumettre. Il s'était même risqué à un véritable défi en accueillant les Fula chassés du Girila par les sévices de Saghadyigi.
Comme l'affaire paraissait sérieuse, le Mãsa laissa Gbãnkundo à la garde de son fils Kãfiñ-Fèrè, et installa toute son armée dans une base voisine de la frontière. Il choisit à cet effet Morifiñdugu, dans le Gwana, qui allait devenir pendant trois ans une véritable capitale provisoire 38.
La soumission du Mau occidental l'avait mis en position favorable et il lança bientôt une attaque en tenaille, avec l'aide de Vamasè. Celui-ci franchit le Fèrèduguba, pour brûler Siragwala et Bãmba-Kyénogodugu, après quoi il voulut marcher vers le nord, mais il fut battu au marigot Dyala près du mont Bõntini et dut repasser le fleuve. Pendant ce temps, Saghadvigi avait traversé la rivière Dyilèmba qui sépare le Gwana du Gbè et marchait sur Kyèfiñdugu où il avait donné rendez-vous aux Bãmba 39. Ceux-ci ne paraissant pas, le conquérant dut finalement se retirer après un siège que la tradition dit fort long.
Pour réparer cet échec, il convoqua à Morifiñdugu l'ensemble de ses alliés y compris Naka-Nyama, Lay et Vamasè. Cette forte colonne reprit l'attaque de Tyèfiñdugu et l'enleva cette fois sans coup férir avant d'aller détruire Tanãntu. La résistance du Gbè s'effondra aussitôt et Vlasè, réfugié à Gbèsoba, accepta de se soumettre 40. Saghadyigi l'accueillit mais il imposa de très lourdes contributions aux vaincus, les dépouilla de leur bétail et enrôla leurs jeunes gens. Cette conduite allait lui valoir des rancunes tenaces, mais dans l'immédiat il restait le maître.
La conquête du Gbè devait être la dernière offensive qu'ait lancé Saghadyigi. Elle était à peine terminée, vers la fin de 1880, quand Sérè-Brèma réclama du secours, pour affronter Samori. On a vu que le Mãsa envoya au Sisé une partie de ses vassaux, particulièrement ceux du Buzyé et du Haut Konyã. Dans le désastre qui suivit, il subit une perte irréparable en la personne de Vãfiñ qui le soutenait depuis dix ans et garantissait un certain loyalisme de la part des musulmans (avril 1881). Cette catastrophe sanglante ébranla le prestige de Saghadyigi car elle illustrait l'absurdité de la politique des petits paquets. Les trois principales colonnes du Mãsa étaient en effet demeurées l'arme au pied alors que l'élimination des Sisé le désignait comme la prochaine victime des foudres de Samori. On éprouve il est vrai le sentiment qu'une intervention personnelle de Saghadyigi n'aurait pas changé la ligne générale des événements car la puissance de Faama était déjà si grande qu'il aurait sans doute fini par l'emporter. Il paraît en outre vraisemblable que Saghadyigi ne bougea pas parce qu'il savait que tous les ennemis de sa domination se soulèveraient s'il subissait personnellement la moindre défaite. Cela explique sans doute que la victoire de Samori ne l'ait pas décidé à rentrer à Gbãnkundo et qu'il soit resté campé en pays conquis, à Morifiñdugu, face au Gbè mal soumis. Cet immobilisme le condamnait à longue échéance mais il est probable que tout autre ligne de conduite aurait encore précipité sa chute.
Même en tenant compte des déformations de la propagande samorienne, les traditions attestent en effet le caractère impopulaire de la domination de Gbãnkundo. Cet Etat, dont nous venons d'étudier l'histoire, était de toute façon à peine organisé. Toute sa structure reposait sur les liens claniques unissant les Kamara descendant de Féreñ-Kamã, dans la mesure où ils reconnaissaient Saghadyigi comme défenseur des coutumes de Musadugu. L'autorité du Mãsa s'appuyait en effet sur un Conseil où se retrouvaient les principaux chefs des réfugiés. Nous n'en connaissons la composition que pendant l'année du siège, mais elle ne semble guère avoir varié puisque ses membres dirigeaient dès l'origine la résistance aux Sisé. Des Konatè et Koné y voisinaient avec les Kamara dont Saghadyigi voulait incarner, si j'ose dire, le nationalisme animiste 41.
Au-delà du territoire contrôlé par ces moyens coutumiers, l'hégémonie s'exerçait par des razzias brutales et destructrices, sans qu'aucune organisation ne soit installée dans les pays vaincus. Si ceux-ci n'étaient pas rasé au sol, comme le Bèro, leur soumission reposait sur l'enrôlement de leurs jeunes gens qui faisaient aussitôt figure d'otages.
Les trois garnisons qui surveillaient Nyama et la colonne principale installée à Morifiñdugu sous les ordres de Saghadyigi n'avaient reçu aucune compétence territoriale précise bien qu'une subvention militaire sanctionnât nécessairement toute trahison des sujets. Rien n'annonçait donc ici les structures territoriales qui allaient se développer autour des grandes armées de Samori pour lui permettre de contrôler effectivement un immense territoire.
Dans un Etat aussi peu organisé, tout dépendait de la personne du chef. Saghadyigi paraît avoir été essentiellement impulsif et violent, orgueilleux d'un pouvoir exceptionnel acquis à un trop jeune âge. Le meurtre de Kolo et la prise de Koita montrent qu'il recourait volontiers à la trahison sans en peser suffisamment les incidences psychologiques. Sa domination était avide et les Sakuraka s'aperçurent qu'il ne distinguait pas toujours nettement entre vaincus et alliés. La dure leçon de Sérè-Brèma à Musadugu n'avait donc pas servi à son ennemi.
En dépit du souvenir de la mort de Kolo et de l'hostilité persistante de Nyama, la seule idée directrice du Mãsa était le regroupement des Kamara. Ceux du Girila et du Gwana paraissent être en tout cas les principaux responsables de la persécution qu'il engagea contre les Fula du haut pays. Riches en bétail et cultivateurs actifs, ces derniers égalaient presque en nombre les Malinké qui les jalousaient âprement. Cette rivalité allait susciter des incidents jusqu'à la fin de l'ère coloniale et elle permet de comprendre que les Kamara aient fait appel à leur suzerain. Celui-ci répondit avec empressement dans l'espoir de dépouiller cette riche minorité, mais les Fula du Girila résistèrent énergiquement et il fallut assiéger longuement leur chef, Patéulé Sãngaré dans un campement de la rivière Kasaru 42. Morisoko ayant abandonné ses hôtes, tous les survivants s'enfuirent finalement au Gbè où l'oppresseur allait les rejoindre quelques années plus tard. Ils se résignèrent alors à se soumettre et rentrèrent au Girila dépouillés de leur bétail.
Ceux du Gwana n'avaient pas résisté mais leur chef, Nafadima-Paté, les mena en un véritable exode vers la Forêt et Nyama leur donna asile près de Fooma, dans le Koyma. Ils allaient y demeurer jusqu'à la chute de Gbãnkundo 43.
Samori avait évidemment conscience des faiblesses de son adversaire, quand il lui proposa de se soumettre à Gbèlèba, mais ces négociations échouèrent, on l'a vu, en dépit des bons offices de Dugugbè-Kaba. Les animistes endurcis qui s'étaient regroupés à Gbãnkundo étaient évidemment irrités par l'évolution de Samori vers l'Islam et ils ne pouvaient se résigner à abjurer. Le Faama acceptait de s'unir à une fille du Mãsa, en garantie de sa bonne foi, mais à condition que son autorité fût pleinement reconnue. On a vu que cette négociation achoppa quand il comprit que Saghadyigi n'abdiquerait pas sa souveraineté. Une simple balance des forces en présence montre que le Mãsa était déjà condamné mais il espérait encore décourager son puissant ennemi par la force de sa position défensive.
La priorité que donnait Samori à l'occupation du Moyen Niger valut en tout cas un dernier sursis à son ennemi. Celui-ci ne paraît guère l'avoir utilisé car il demeura dans le Gwana, l'arme au pied, à surveiller le Gbè, tandis que son hégémonie s'effritait de toutes parts.
Samori au contraire employa au mieux ce délai en lançant une campagne de propagande intense qui sapa l'autorité de son ennemi. Le loyalisme intéressé des musulmans du Haut Konyã hésitait depuis la disparition de Vãfiñ et la cinquième colonne dyula annonçait partout la venue du conquérant. Kaabinè Kuruma, le nouveau chef de Dyakolidugu, engagea alors des négociations secrètes avec le Faama pour préparer un changement de camp au moment opportun.
Le loyalisme des Kamara ne s'avéra guère plus solide car ils s'avisèrent soudain du despotisme de Saghadyigi et évoquèrent à nouveau le meurtre de Kolo. Dans le Nord du Girila, Masa-Bori Kamara, toujours agité, aurait même lancé une révolte prématurée qui fut aussitôt réprimée 44. Sans quitter sa retraite forestière, Nyama s'employait de son côté à rétablir son influence sur l'ensemble des Ferenkamãsi. Le Gwana pencha lui-même vers l'opposition avec Masé-Kyègbana bien que Gwèla-Nyimu se montrât encore fidèle, non seulement par haine de l'Islam, mais parce que la présence du Mãsa lui ôtait toute liberté de mouvement.
Au moment où Samori se décida finalement à frapper, la puissance du Gbãnkundo était donc largement illusoire. Saghadyigi gardait cependant l'appui des animistes les plus obstinés et ses sofas, habitués à vaincre, ne voulaient pas capituler sans combat. Son seul atout sérieux était cependant sa puissante citadelle montagnarde dont la capture semblait poser à l'assaillant des problèmes insolubles.
Samori commença à organiser l'assaut dès son retour de Kaaba, vers juillet-août 1882, et la courte campagne du Wasulu n'interrompit pas ses préparatifs. C'est en tout as à Nyako qu'il reçut Lãsèy Kuruma, le fils de Kaabinè, avec une délégation des musulmans du Haut Konyã.
En revenant du Wasulu, Samori ne s'installa d'ailleurs pas à Bisãndugu mais à Sanãkoro, et c'est là qu'il rassembla les éléments de son armée. La garde du Niger étant alors assurée par Kémé-Brèma et Masarã-Mamadi, c'était évidemment le Foroba de Manigbè-Mori qui en formait le gros. Diverses bandes d'auxiliaires s'y joignirent, notamment des Kurãnko de Denda-Soghoma et des Wasulunké alors à peine soumis. Elle fut en outre renforcée par des Bambara de Bougouni, que Samori n'avait pas eu la patience d'attendre à Nyako, et dont le jeune ralliement se trouva ainsi consacré 45.
Une fois la concentration opérée, Samori paraît avoir marché avec la plus grande hâte, sans tenir compte des nouvelles inquiétantes qui venaient du Niger.
Son départ de Sanãnkoro doit se placer en janvier ou février 1883. Quittant la vallée du Milo, l'armée passa dans celle du Dyõ mais, au lieu d'attaquer directement Gbãnkundo, elle remonta la rive gauche du fleuve en direction du haut plateau. Il est clair que Samori, accompagné de Lãsèy Kuruma, voulait tirer bénéfice de sa propagande en ralliant les vassaux de Saghadyigi avant de s'attaquer au réduit montagnard. Il était si sûr de lui qu'il négligea sur sa droite le Buzyé et les garnisons qui s'employaient à surveiller Nyama. Il fut accueilli à Dyakolidugu par Kaabinè Kuruma et s'installa chez Karamogho-Baba Kõndé, à Beyla, où les délégations se succédèrent bientôt pour boire le dègè en sa présence 47. Le conquérant ne traîna pas à Beyla car Saghadyigi ne s'avouait pas vaincu et ne faisait pas mine d'évacuer le Gwana. Le Faama s'imagina peut-être qu'il pourrait le couper du Gbãnkundo car il marcha en hâte vers l'est, en contournant les monts Mafyãntini qui isolent le Girila. Il séjourna un moment à Dyalagbèla où il reçut la soumission de Masa-Bori avec les gens du Girila et de Masa-Kyègbana avec ceux du Gwana. Seul Gwèla-Nyimu restait alors fidèle au Mãsa, tandis que des kafu éloignés envoyaient déjà des renforts au conquérant. C'est ainsi que ceux du Mahana se présentèrent bientôt sous le ordres de Naka-Nyama.
Samori se porta alors à Manãnkoro où il se retrancha, menaçant ainsi directement Morifiñdugu. Saghadyigi commit aussitôt l'imprudence de quitter son sanyé 48 pour lancer une attaque nocturne contre le camp des assaillants, mais ses hommes refluèrent sous un feu nourri et se dispersèrent dans l'obscurité : quand le jour se leva, la forte cavalerie du conquérant transforma cette retraite en désastre et le Mãsa eut grand peine à regagner Gbãnkundo où les survivants le rejoignirent par petits paquets 49. Il rappela aussitôt Kyèba-Ulé et les trois colonnes du Sud pour renforcer la défense de la montagne.
Samori s'était emparé sans combat du camp de Morifiñdugu où il trouva un stock de poudre considérable. Laissant Manigbè-Mori mener la poursuite, le Faama se rendit à Musadugu où il fit cérémonieusement la prière du vendredi et y séjourna quelques jours 50. C'est là qu'il reçut la soumission de tous les Kamara qui proclamèrent leur ralliement à l'Islam et lui fournirent des contingents pour la poursuite de la guerre 51. Nyama, qui orchestrait ce mouvement, envoya lui-même son fils Kyèulé au combat. Kamãn-Kyékura refusa seul de s'y prendre, mais il demeura immobile dans le Buzyé en renonçant à secourir Saghadyigi.
Samori ayant ainsi fait connaître le caractère de guerre sainte qu'il voulait donner à l'affaire, partit pour Famoéla d'où ses troupes harcelaient déjà la fameuse citadelle.
La puissance de la montagne fortifiée n'était pas surfaite puisque les assiégeants allaient passer près d'un an devant elle en dépit d'une supériorité numérique considérable. Les traditions qui concernent ce siège célèbre sont nombreuses et assez convergentes, si bien qu'il est possible d'en reconstituer le déroulement avec quelque exactitude.
D'ultimes pourparlers furent engagés au moment de l'investissement, mais ils échouèrent comme les précédents car Saghadyigi repoussa jusqu'au bout l'idée d'une soumission inconditionnelle et surtout d'une conversion à l'Islam. Il semble d'ailleurs que, dans les derniers mois, réduit aux abois, il ait tenu le plus grand compte des avis de son Conseil où des vieux animistes comme Dofètèrè Koné ou Orosa-Kèsèri étaient partisans de la résistance à outrance 52.
Tout compromis s'avérant ainsi impossible, Samori était tenu de vaincre, en dépit du caractère redoutable que présentait l'obstacle. Son système politique n'aurait pas résisté à une reculade au moment où son évolution vers l'Islam créait déjà un malaise dans ses propres rangs.
Dès son arrivée au pied de la montagne, le conquérant s'efforça donc de mobiliser toutes les forces hostiles à Saghadyigi, dont il entendait assumer la succession. En dehors de son vieil ami Nyama, ainsi que des Kamara du Kwisu, du Mahana, du Gwana et du Girila, tous ralliés avec plus ou moins d'enthousiasme, il fit appel aux pays récemment écrasés par le chef de Gbãnkundo. Le Gbè, qui avait été durement traité, paraît avoir répondu avec enthousiasme car son chef Ulasè accourut en personne. Le Mau occidental l'imita bientôt en envoyant un contingent dirigé par Kãvali de Gbèkoro.
Le Faama disposait ainsi d'une force considérable, bien qu'on ne puisse prendre au sérieux les traditions qui lui donnent une armée égale à celle qui allait assiéger Sikasso. En dehors du Foroba, bien armé et discipliné, il s'agissait d'ailleurs d'une vaste cohue désordonnée où beaucoup d'hommes n'étaient munis que d'arcs et d'armes blanches.
La montagne n'était accessible que par le sud et c'est là que Samori massa ses gens en vue d'un assaut. Il y trouva des crêtes étroites, barrées par les puissants remparts de pierres sèches et de bãnko, qui étaient déjà construits depuis une quinzaine d'années et dont les ruines sont encore visibles.
Les avant-gardes des assiégeants installèrent des sanyé sur les collines de Sabèrèdugu, séparées de l'ennemi par la vallée fertile de la Tora. Les camps de la grande armée se seraient alors tendus sur près de 10 kilomètres de profondeur, jusqu'au village de Famoéla (Katakoro) où Samori lui-même séjourna à plusieurs reprises.
La disposition du terrain limitait les combats à un front étroit, et c'est là que Samori s'installa avec ses meilleures troupes, particulièrement celle de Manigbè-Mori 53. L'importance de ses effectifs lui permettait cependant d'établir un blocus complet de la montagne. A travers le Girila et le Salagbala, de nombreux petits camps servaient de bases aux patrouilles qui surveillaient les flancs abrupts du massif.
Ces mesures furent efficaces car la tradition confirme que Saghadyigi se trouva complètement isolé dès le début du siège. En dehors d'un peu de riz, porté à travers les montagnes du Girila par les gens de son beau-frère Dugugbè-Kaba, pourtant soumis à Samori 54, il se trouva réduit aux stocks de Gbãnkundo. Ceux-ci étaient à vrai dire considérables pour ce qui est des vivres, mais la poudre y était peu abondante car elle avait été en grande partie abandonnée dans les magasins de Morifiñdugu.
Si Samori avait suivi sa tactique habituelle, il aurait attendu patiemment que l'adversaire fût épuisé et contraint de se rendre. Il est remarquable qu'il n'en fit rien et multiplia très tôt des attaques frontales que la force de la position rendait coûteuses et incertaines.
Cette conduite s'explique évidemment par le souci que lui causaient les affaires du Niger. Le siège était à peine commencé quand le Faama apprit l'entrée des Français à Bamako et quelques semaines plus tard les combats du Wèyãnko. Il en ressentit une vive colère et reprocha durement à son frère sa malheureuse initiative, conscient qu'il risquait le pire si les Français l'attaquaient alors que toute son armée était immobilisés dans le Sud. On comprend qu'il ait voulu dès lors en finir au plus vite, mais la réalité n'allait pas se plier à ses désirs.
C'est en effet en vain qu'il lança plusieurs grands assauts sur les flancs de la montagne avant les pluies de l'hivernage, sans doute entre février (occupation de Bamako) et juin. Les traditions en signalent trois ou quatre au total 55 et ils coûtèrent cher alors que leur seul résultat positif fut de faire brûler de la poudre aux assiégés. 56 Ceux-ci l'économisaient d'ailleurs en faisant rouler sur l'assaillant d'énormes blocs préparés à l'avance et en recourant à des archers bien embusqués. Samori, qui n'hésitait pas à s'exposer, fut ainsi blessé au genou droit.
En dehors de ces grandes affaires, les ennemis s'affrontaient presque chaque jour sur le flanc de la montagne. Les meilleurs tireurs de Samori s'y risquaient et provoquaient les assiégés. Ceux-ci les chassaient et les poursuivaient souvent en plaine jusqu'aux rives de la Tora 57.
Après le départ de la colonne française, rien ne pouvait cependant obliger Samori à lever le siège et il semble qu'il revint alors à des tactiques moins coûteuses en hommes. La situation était visiblement sans issue pour Saghadyigi, ce qui explique sans doute qu'il ait songé, durant l'hivernage, à tenter une sortie et à émigrer en Forêt. Cette proposition fut d'ailleurs rejetée par son Conseil et particulièrement par Dofètèrè qui était, comme chef du Salagbala, propriétaire de la montagne. Il n'en fut plus question et les choses suivirent leur cours, mais les pluies passèrent sans qu'une décision apparaisse.
Les échecs successifs de Samori semblent avoir créé des remous dans son camp et la fidélité de ceux que mécontentait déjà à sa politique musulmane ne s'en trouva guère fortifiée. C'est ainsi que trois chefs sofas, dont le principal était Fundubala-Faduba Konatè, organisèrent le ravitaillement clandestin des assiégés en poudre. Ils furent dénoncés par un déserteur musulman de Gbãnkundo, le griot Mamadi Dumbuya 58 et exécutés à peine démasqués, mais cette défaillance avait inquiété le Faama. Il se sentit à nouveau pressé d'en finir, d'autant plus que le retour de la saison sèche lui faisait craindre une nouvelle attaque des Français sur le Niger.
Une trahison lui permit d'en finir alors que Gbãnkundo n'avait pas encore épuisé ses moyens de résistance. Le vieux Momo, l'oncle de la femme du conquérant, était toujours sur la montagne, mais ce païen obstiné jugeait à présent la partie perdue. Il n'avait pas assez d'influence sur Saghadyigi pour le décider à capituler, mais il était naturel qu'il cherchât le salut de sa famille dans l'alliance matrimoniale qui l'unissait à Samori. Il organisa donc la désertion de son fils Masabori, dit Lenko-Amara, puis l'annonça à grand bruit, en affectant de s'en indigner afin de détourner les soupçons 59. Samori fit bon accueil au cousin de sa femme, qui lui offrit, contre le pardon de sa famille, de guider ses gens vers le sommet par un itinéraire secret que les assiégés ne gardaient pas. Le conquérant accepta avec empressement et se lia par un serment solennel prêté sur le Coran et sur le kola selon un rituel animiste.
Une nuit de lundi à mardi, Masabori, en compagnie d'une forte colonne bien armée, escalada la falaise abrupte qui s'élève à l'est de la Tora, jusqu'à la piste des crêtes qui mène de Gbãnkundo vers le Borõnkèñyi 60. En s'infiltrant silencieusement par les hauteurs, ils gagnèrent une position dominant le camp des assiégés qui s'offrit à leurs yeux dans la brume de l'aube. Samori lança bientôt une forte attaque sur le flanc de la montagne pour attirer les gens de Saghadyigi, ce qui permit à la colonne des crêtes de se démasquer et de prendre le village à revers.
Bien que tout fût dès lors perdu, les assiégés luttèrent obstinément durant toute la journée. Saghadyigi parvint ensuite à fuir dans la nuit de mardi à mercredi en compagnie de son fils Kãfiñ-Fodé et de son frère Sagha-Usu. Les dernières résistances s'effondrèrent à cette nouvelle et de nombreux combattants se joignirent à Momo qui présenta leur soumission contre une promesse de pardon 61. D'autres cependant luttèrent isolément jusqu'à la mort.
N'ayant aucune grâce à attendre, beaucoup de notables, avec les conseillers de Saghadyigi, ainsi que plusieurs femmes, se seraient jetés du haut des falaises pour échapper à la captivité.
Le massacre ne fut d'ailleurs pas général bien que Samori ait fait exécuter tous les hommes influents qui furent identifiés. Les autres prisonniers furent réduits en captivité et déportés à Bisãndugu tandis que les jeunes gens étaient enrôlés parmi les sofa et dispersés aux quatre coins de l'Empire.
Aussitôt après la victoire, Samori s'installa sur la montagne pour en démanteler les fortifications. La fuite de Saghadyigi l'inquiétait cependant et il avait ordonné de le rattraper à tout prix avant qu'il n'eût gagné l'abri de la Forêt. C'est Lãngamã-Fali qui en fut chargé, comme chef de la cavalerie, mais l'affaire était si grave que Manigbè-Mori le suivit en personne.
La poursuite fut vivement menée. Evitant le Haut Konyã qui l'avait trahi, le Mãsa avait traversé les montagnes du Kabadyaradugu et il déboucha sur le plateau du Gwana 62. En arrivant dans le Mahana, il se heurta cependant aux gens de Dubadugu qui avaient eu à se plaindre de lui et qui lui barrèrent la route 63. C'est au gué de Bèya, à un kilomètre de ce village, que les fugitifs furent rattrapés par la cavalerie samorienne accourant par Musadugu. Ils se rendirent presque sans combat et l'endroit porte jusqu'à ce jour le nom de « Saghadyigi-mina-fwa » : « Place de la capture de Saghadyigi » 64.
Les prisonniers rentrèrent à Gbãnkundo où Samori organisa aussitôt une grande fête pour la victoire 65. Il jugea publiquement ses principaux ennemis, en leur rappelant ses griefs, mais il se heurta à leur insolence désespérée, particulièrement à celle du jeune Kãfiñ-Fèrè. Le Faama se retira alors dans son sanyé en prononçant les mots exacts que Saghadyigi avait employés pour ordonner le meurtre de Kolo : « Réglez cela derrière moi ». Sur l'ordre de Bilali, le bourreau Sè-Musa décapita aussitôt tout le groupe 66.
C'est au début de la saison sèche, sans doute dès novembre 1883, que Gbãnkundo était tombé. Samori dispersa aussitôt l'armée et renvoya ses vassaux chez eux, mais il ne retourna sur le Milo qu'après avoir réglé la succession de Saghadyigi.
Comme après la chute des Sisé, il s'efforça de rétablir chacun dans ses droits anciens afin de rendre au pays sa prospérité 67. C'est ainsi qu'il invita les Fula à revenir dans le Girila et le Gwana et qu'il pressa son vieil allié Nyama de quitter sa retraite forestière pour réoccuper le Simãndugu. Ce chef reconstruisit effectivement Damaro et repeupla les terres désertes du Haut Dyõ. La mort de Saghadyigi faisait désormais de lui le chef de file des Kamara.
Parmi ceux-ci, Samori confirma dans leurs fonctions tous ceux qui s'étaient ralliés 68. Il n'imposa des changements sérieux que dans le Gwana où Gwèla-Nyimu s'était montré trop longtemps fidèle à Saghadyigi. Ce chef eut l'amertume de se voir reléguer au second rang tandis que Mãsa-Kyègbana recevait le commandement du Kafu, et se convertissait à l'Islam sous le nom de Mãsa-Mamadi.
Ulasè, qui avait fortement aidé Samori, garda naturellement le contrôle du Gbè, comme les Bãmba et Dyomãndé celui du Mau
Samori n'inquiéta pas Kamãn-Kyèkura qu'il avait fréquenté pendant sa jeunesse de colporteur, bien que le chef du Buzyé ne se fût soumis qu'à la chute de Gbãnkundo. Malgré son manque d'enthousiasme, ce rallié de la dernière heure paraît avoir demandé l'aide du conquérant contre les Toma, en espérant sans doute que le nouveau maître se substituerait en tout point à Saghadyigi.
Samori ne le repoussa pas mais nous verrons qu'il n'entendait pas se laisser détourner par de tels projets. Vis-à-vis des peuples de la Forêt, il allait adopter une politique d'abstention absolument contraire à celle du vaincu. C'est ainsi que le Koyma, évacué par Nyama, fut abandonné à lui-même. Le Faama n'avait aucune raison d'épouser les querelles de ses anciens ennemis contre les hôtes de son ami.
Il en alla de même pour les Guerzé du Bèro. Dès la chute de Masafiñdu, Togba avait quitté Gwéké et reconstruit Boola. Par l'intermédiaire de Nyama, il paya alors tribut à Samori, et celui-ci l'accueillit avec amitié mais sans essayer de lui imposer un contrôle effectif.
Le conquérant négligea aussi le Karagwa, qui avait jadis repoussé Saghadyigi, mais ne voulait pas se soumettre à la nouvelle hégémonie. C'est par accident que ce pays sera intégré à l'Empire, et seulement un an plus tard, à l'issue de la révolte de Gwèla-Nyimu.
Dans l'actuelle Côte d'Ivoire, où le Mau marquait la limite de l'influence samorienne, la pénétration chez les Dã allait rester l'affaire privée des Dyomãndé et leur nouveau seigneur affectera de l'ignorer
Ce refus évident de toute expansion en Forêt contraste avec les jalons que le Faama posa très tôt en direction de l'est, bien que la conjoncture ne lui permît pas de s'engager de ce côté. Il désirait certainement établir son influence sur les courtiers de la zone préforestière dont le ralliement du Mau occidental lui ouvrait les portes. C'est ainsi qu'il prit contact, sans attendre la chute de Gbãnkundo avec les Fadiga de Touba dont l'influence commerciale s'étendait au Mau oriental.
Plus au nord, il devait tenir compte des intérêts des Turè d'Odienné dont le ralliement était sincère mais dont la politique ne coïncidait pas nécessairement avec la sienne. C'est ainsi que Vakuru Bãmba, toujours retranché à Dèsènè, avait envoyé des cadeaux à Samori sous les murs de Gbãnkundo. Il souhaitait visiblement s'intégrer au nouvel Empire, à condition d'échapper au contrôle d'Odienné, mais c'est précisément ce que le gendre de Samori ne pouvait pas accepter. Ces cadeaux furent donc retournés après quelque hésitation et Vakuru fut invité à les adresser au Faama du Kabasarana, ce que, bien entendu, il refusa de faire.
A la fin de 1883, Samori contrôlait donc la lisière de la Forêt, du Haut Nyãdã au Sassandra. La frontière méridionale était définitivement stabilisée et rien ne le retenait plus à Gbãnkundo. Il ne retourna pourtant pas à Bisãndugu, mais alla s'installer à Sanãkoro pour procéder aux réformes d'ordre politique auxquelles il songeait depuis longtemps 69.
La mère de Saghadyigi, une Koné de Dofaso, appartenait à la lignée des chefs de Salagbala et c'est à l'invite de son « oncle », Faramadu Koné, que le jeune homme s'installa à Gbãnkundo. Son frère utérin, Sagha-Usu, et son demi frère, Dyoini-Sinè, ne joueront qu'un rôle secondaire à ses côtés. Dyènté était le frère aîné de Sètu [18].
Les chefs du Simãndugu sont issus de Soghoné-Sumã, frère aîné de Soghoné-Kamã.
2. Après la chute de Dyagbo, la région de Sõndugu, jusqu'au Tibè, au Dyodyo (1491 m.) et aux frontières du Buzyé, était passée sous le contrôle du Simãndugu [5].
3. Avec le Salagbala, le Gbèrèdugu avait des liens de deux sortes :
Kaba Koné, alors chef du Salagbala, avait trouvé la mort en secourant Sinimoridugu [5, 18].
4. En revanche, la même année, les Koné du Blamana (Kofilakoro) et du Bofiyama (Dèla), également alliés à Samori, préférèrent rejoindre leur parent Dugugbè-Kaba à Borõnkèñyi [4].
5. La date de ce mariage est évidemment incertaine. Elle parait antérieure à la rupture entre Saghadyigi et Sérè-Brèma [18, 37].
6. Les griots Dumbuya qui entouraient Dyènté étaient des musulmans et allaient pourtant rester fidèles à Saghadyigi jusqu'à sa chute [5].
7. L'extrême nord du Girila, au-delà des montagnes, était contrôlé par Masabori Kamara, de Sokurala (8° 30' W 9° 03' N) (Warauru Kyègbana, « le razzieur de Warauru » selon Fofana Kalil, page 12). Ce chef animera le parti favorable à Saghadyigi avant de se retourner contre lui vers 1880, et de se révolter contre Samori en 1888. Le Mãsa du Girila, Morisoko, de Lãsèydugu, se rallia également de bon gré [34].
Dans le Gwana, la situation était beaucoup plus compliquée. Le pays était très divisé : la tradition nous dit qu'il y avait neuf chefs. En fait le Mãsa était Gwèla-Nyimu, qui résidait alors à Sokurala (ruine située 4 km. au sud de Férèboridugu (8° 26' W - 8° 37' N). Mais il devait compter avec des notables influents Gwasinè, de Morifiñdugu, Gwana-Amara, de Kwèikonu (ruine sur les bords du Baulé, à 2 km. au sud de Niadugu, Duakoro, de Biramadugu, Fàñwoniñ, de Diakofiñmoridugu et surtout Masè-Kyègbana, de Kubédugu. Ce dernier allait faire preuve d'une ambition désordonnée et deviendra très vite l'ennemi personnel de Gwèla-Nyimu, qu'il avait refusé de soutenir contre Sérè-Brèma. Gwèla-Nyimu, qui était violemment anti-musulman, se rallia d'enthousiasme à Saghadyigi et les autres le suivirent [30 à 33].
Dans le Mahana le grand homme était Naka-Nyama Kamara (lignage Fãndyarasi) qui avait quitté le vieux village de Bitõngoro pour Nyauléndugu et avait tenu tête à Sérè-Brèma. Il se rallia sans peine, entraînant avec lui le chef de la lignée cadette, Kura-Nyama, de Soba. (C'est à cette lignée Kaséémãsi que se rattachent les Sakuraka du Mau). Ces chefs espéraient certainement que leur nouveau seigneur les aiderait à pénétrer en pays Guerzé [24, 25].
Dans le Kwisu enfin, sur la frontière des Toma, on trouve une lignée issue du Gwana, dont le chef, Kamori de Mimaro, se soumit sans difficulté. Il était d'ailleurs trop faible pour mener une politique autonome [23].
8. Il s'agit bien entendu des villages situés au sud de Dyamãndugu, et protégés par les contreforts du Dyodyo (1.491 mètres) et du Tibè (1.504 mètres). Non loin de là, Kuludugu marque l'extrémité du Gbèrèdugu.
9. A Sõndugu, Saghadyigi tua le chef Dyi et emmena en captivité son fils Karamoghofiñ dont il sera question plus loin [5, 18].
10. Ces événements seront situés plus loin dans le cadre de la politique forestière de Samori. Cette première guerre était dirigée contre Subagizè Onivogi, alors chef de Bokoni. Les assaillants reçurent l'aide des Kamara de Bau (Koadu), celle de Bakari Kuruma, fondateur de Macenta et celle des gens du Kolibirama.
Le père de Kamãn-Kyèkura avait déjà combattu dans la région pour imposer un certain Dyatamã Kamara, originaire du Gbèrèdugu que les Toma Koivogi de Nyãndinyaro refusaient d'accueillir. L'intervention de Kamãn-Kyèkura eut lieu à l'instigation de Moriba-Gboto, fils de ce Dyatamã, que les gens de Bokoni avaient expulsé et qui avait trouvé asile à Bõnkamadu près de Macenta.
Les Kamara de Bau sont issus de ceux du Buzyé, ce qui explique l'intérêt que les chefs de Kwõnkã portaient à cette région [5, 18, 22, 48, 49, 53, 54, 62].
11. Selon les sources, le nom de ce chef varie à l'extrême : Daoulonyagan, Donahu, Danwiya, Dowilnya. C'était un Bolivogi [Anderson, 1, 5, 64, 65].
12. Finkè, frère de Kura-Nyama, chef de Maana-Soba était à Fasãnguni aux côtés de Vãfiñ [24].
13. On parle aussi de Dyèla, près de Koyama (Gizima), du côté libérien de la frontière [5, 22].
14. Toõ est identique à Koima-Tõngoro, principal passage du Dyani, où résidait Dobo-Urotono Biliwo, oncle de Daoronyã [64].
15. La tradition désigne Faragwala et Kyèba-Ulè comme « frères » de Saghadyigi. lis étaient tous deux fils de Dyènté. Kyèba-Ulè résidait à Bãnko-Ni depuis plusieurs années au moment de la chute de Gbãnkundo [5, 1 81.
16. D'abord les gens des villages du Tibè (sud du Simãndugu). Plus tard, comme nous le verrons, des Fula du Girila et du Gwana [5].
17. Les liens établis à ce moment allaient jouer quand les Français tracèrent les limites des circonscriptions administratives. Ces deux villages Toma seront en effet détachés du Koima au profit de la circonscription de Beyla. Ils sont, il est vrai, à l'est du Fõ et le goût français pour les « frontières naturelles » se donnait une fois de plus libre cours.
18. Ces deux villages ont disparu. Sokurala, sur la rive ouest du Sãngu à 12 kilomètres de Beyla et à 2 km. de Nianu, marquait la frontière du Kwisu. Son chef, Kyèmoghofiñ était de la lignée de Vasinè [23].
Les ruines de Mèikamoridugu se voyaient encore en 1958 au bord de la route de Nzèrèkorè, entre Famodugu et Sogubéni.
19. Nous ignorons si ces campagnes occupèrent trois années consécutives. Elles sont en tout cas postérieures à la guerre de Lainé (ci-dessous) [5, 18].
Le Bèro traditionnel a donné son nom au puissant massif montagneux (1.210 mètres) qui sépare les affluents du Sassandra (Gwã ou Bafiñ) de ceux du Dyani (Ulè). Il est occupé par des lignées appartenant surtout au clan Fèèlému (Sanyõ en Malinké) qui se prétend d'origine Konyãnké (Winzu, Boola) et accessoirement aux clans Noramu, Nugwamu et Manikoya. Il a été arbitrairement divisé par les Français en Kosa (chef-lieu Boola) rattaché à Beyla et en Bèro (chef lieu Winzu) rattaché à Gwéké puis à Nzèrèkorè (1906) [26, 27].
20. La tradition signale la destruction de Manãnko, Sauro, Koléuléta et Sibamu. Tous ces villages existent encore, sauf Koléuléta qui se trouvait entre Sibamu et Sauro, près du pont de la cote 552 [A.O.F., Beyla].
Ils avaient accueilli les réfugiés de Konãnta, ce qui fournit un prétexte à Saghadyigi [26].
21. Les habitants capturés, sans en excepter les dyula, furent réduits en captivité. Tögba parvint à s'enfuir dans le Monè où le chef, Tyè Monèmu, de Gwèké lui donna asile. Il resta à Kabyéta jusqu'à la mort de Saghadyigi et vint alors reconstruire Boola.
Il aurait été absent cinq ans. Si ce renseignement est exact, cette campagne aurait eu lieu vers 1878 [26].
22. Dans le Kõsa, les sofas de Saghadyigi détruisirent Yapãngay (dont le chef Goto Fèèlému se réfugia à Koita), Fwama et Bilikoidugu.
Wuro Sanyõ, chef de Winzu, qui connaîtra une certaine notoriété du temps des Blancs, suivit Tögba dans sa fuite. Il fut imité par les gens de Mana (Mãngana) et Orata, qui s'étaient compromis avec Nyama [27].
23. Ce raid toucha le canton de Töfalèy à Korogpara [Karagouala, in A.O.F.-Beyla] et Kèlèita sans que son chef, Zogotogba Gbamu, de Pãmpara, ne réagisse. Yopoñyaña Monèmu, chef de Boove (Bènèouli) n'intervint pas non plus quand les razzieurs menacèrent Keora [27].
24. Selon [18] les campagnes de Boola et de Koita auraient occupé deux saisons sèches successives. La carte au 1/200.000-1 [A.O.F.-Beyla] donne à Koita le nom dyula de Kumédugu, qu'elle transcrit Koumédougou, et au mont Kwã (941 m.) celui de Koha.
Les Guerzé étant en proie à la famine, Saghadyigi feignit de pardonner. La palabre fut réunie au pied de la montagne où les sacrifices de réconciliation devaient avoir lieu. Au début de la cérémonie, les sofas se jetèrent soudain sur les assistants et mirent à mort les notables, parmi lesquels Soko, chef de Koïta et Goto, de Yapangay [27].
25. La limite occidentale du Karagwa historique suit la ligne Géaso, Nyomorodugu, Vamorodugu (ce village dans le Mahana oriental). Les clans Kono qui contrôlent cette région sont les Zagaèmu à Fumbadugu et les Gamamu à Gambadugu (village du sud, voisin du Bogho, à ne pas confondre avec Gambata sur la route de Lainé). Ils sont étroitement alliés aux Koromu qui dominent Lèné.
26. Les Kono forment un faciès régional de l'ethnie Kpèllè (Guerzé). Leur structure socio-religieuse a été soigneusement étudiée par B. Holas (1951 et 1954). Ces données sont valables, à peu de choses près pour l'ensemble des Guerzé.
Les Kono et Guerzè donnent au Karagwa le nom de Zogoota.
Vers le nord, c'est le Gwã qui sépare le Karagwa du Mahana. Au début du XIXme siècle, le Mahana oriental a en effet annexé le bas pays en contrebas du Tètini qui marquait sa frontière traditionnelle. Usumo Kamara, père de Kuranyama soumit alors les Dã de Morigbèdugu et Fakurudugu [28, 29].
27. Les Komara venaient de Togobala (Worodugu du Konyã oriental). Ils étaient fixés à Foromokomaradugu, 1 kilomètre à l'ouest de Nyaulendugu (Mahana occidental). Naka-Nyama les en chassa avec l'aide des guerriers du Buzyé, envoyés par Dyaka-Kamã, ce qui permet de situer l'événement vers 1860.
Les Komara avaient demandé asile à Nkopuñyã Zagaèmu, chef de Kunèmu (nom Guerzé de Konãnkoro) [29].
28. Pour aller au Mau, les colonnes de Saghadyigi traversaient le Gwana par Morifiñdugu. Dans la première campagne, qui visait le Kawa, elles franchirent le Fèrèduguba à Badala (« le gué d'aval »). L'année suivante, marchant sur Tyawè, elles longèrent le pied du Tètini par Morigbèdugu et Fakorodugu avant de traverser le pays Dã par Zabanagoro et Santa [18, 436].
Dyara Bãmba, de Ténémasa, qui avait été pris, resta en captivité à Gbãnkundo jusqu'à la chute de Saghadyigi [434].
Zagayogbo Zagaèmu, chef de Manãnko fut tué. Les Zagaèmu se réfugièrent alors à Gambadugu, chez le chef Minisala Gamamu (actuellement dans le Karagwa Ouest, ci-dessus note 26). Saghadyigi ne les poursuivit pas.
Quant à Foromo Komara il s'était réfugié loin dans le sud à Koodu près de Lola, à la limite du pays Manõ. Son fils, Gbèni-Fumba, rentra après la victoire de Samori, et fonda alors le vieux Fumbadugu, dont on voit les ruines à 3 kilomètres du village actuel, sur la route de Boola [28, 29].
29. Administrativement Lainé, canton de Konodugu, cercle de Nzèrèkorè (Guinée).
30. Les Kamara du Karagwa proviennent du Gwana. Ils occupent notamment Waudugu, Kyèkuradugu et Nyomorodugu. Ils n'avaient plus beaucoup d'influence et leur chef, Didi, était un homme paisible [28].
Le chef des Dõzo, Gomoro, de Géaso, venait de disparaître après avoir guerroyé longtemps en direction du Nimba et de Man. Son fils Gbara, célèbre plus tard, sous le nom de Gargara-Ulé, était encore jeune et sans influence. Depuis la mort de Gomoro, le commandement était passé successivement à ses frères Dyakyè, Lauda et Oboso.
Morisimãndugu est occupé par les « marabouts » des Kamara, venus en leur compagnie. Des Bèrèté, de même lignée qu'à Beyla forment leur clan dominant [28].
31. Le Kawa, qui prolonge le Mau occidental s'enfonce comme un coin en territoire guinéen, entre le Karagwa et le Gbè. Contrairement au reste du Mau, il appartient aux Bãmba.
Le Sãnta qui le limite à l'ouest est un îlot de Dã autochtones, soumis aux Bãmba depuis le XVIIIme siècle. Les Dyomãndé de Gwèkoro n'y jouent qu'un rôle d'appoint [433 à 441].
32. Les principales lignées Bãmba du Kawa étaient les Méatyèsi localisés à Sugula, les Mèakobasi de Sazãmba, les Mèayonwèsi de Konan. Les Mèabeñzi de Ténémasa forment un lignage issue des Mètyèyasi.
Sazàmba, qui n'existe plus, se trouvait à mi-chemin de Fwana et de Masèdugu. Les principaux appuis Gbãdo étaient Vagoto Bamba de Sugula, Vadyara de Ténémasa et surtout Vazãnti, suzerain des Dã de Sãnta [433 à 436].
33. Il résidait alors à Gbèlo en attendant de se transporter à Dwé, au sud du Bafiñ. Il dirigera la pénétration en Pays Dã avec son frère Swakyè (voir chap. IV, E-6).
Rappelons que les Sakuraka, sont des Fèreñkamãsi venus du Mahana, contrairement aux autres lignées mãndé du Mau qu'ils dominent depuis le début du XVIIIme siècle [13 et 449 à 452].
34. Lõngomã aurait été insulté par des jeunes Bãmba de Sèrèfiñyã qui lui adressaient la salutation coutumière « I ni séné » en passant le bras sous le genou levé [13].
35. Les gens de Tyawè seront autorisés à rentrer quand le Karagwa fera sa soumission à Samori. Il n'est pas certain que la campagne de Tyawè soit antérieure à celle de Tonõ. C'est cependant l'hypothèse que j'accepte. Voir ci-dessous note 46.
36. Les Kõfisabasi occupent le Gbè (Goy de l'Administration, Cercle de Beyla, Guinée) et le Barala, encore plus montagneux (subdivision de Touba, Côte d'Ivoire). En dehors des Kamara, les clans importants sont les Bãmba, les Bagayogo, les Mãsarère, surtout les Dõzo, dont le Gbè est l'antique foyer de dispersion [5, 47 et 424 à 426].
37. Le Gbè est situé en effet entre la route allant de Kankan au Konyã et au Guerzé dans l'ouest, et celle de Bamako à Odienné et au Pays Dã dans l'est.
La tradition signale seulement quelques conflits frontaliers de ce kafu avec le Gwana et le Mau et, pour le XlXme siècle, des raids des Turè d'Odienné du temps de Gbakuru, prédécesseur d'Ulasè [390 et 46, 471.
Il y a eu en revanche un certain nombre de guerres civiles entre Tanãntu et Gbèsoba. Ces deux pôles traditionnels du Gbè sont construits de part et d'autre du pâté montagneux central (points culminants : Tanãtini, 960 m et Soseri, 1.172 m.). Tyèfiñdugu, aujourd'hui disparu était situé 3 km. au sud de Tanãntu [46, 47].
38. La tradition ne permettant pas une reconstruction chronologique solide, nous avons passé en revue les campagnes de Saghadyigi dans leur ordre géographique. Voici, très hypothétiquement, comment je propose de dater certaines d'entre elles. Il est possible, dans le cas présent, que des affaires que j'attribue à deux campagnes successives aient eu lieu en une seule saison.
Cette date de 1879-1880 est la seule qui soit à peu près sûre. Saghadyigi résida en effet à Morifiñdugu depuis la guerre du Gbè jusqu'à l'attaque de Samori. Toutes les traditions déclarant qu'il y resta trois ans [5, 18, 30 à 33].
En arrivant dans le Gwana, il obligea Gwèla-Nyimu à quitter Sokurala pour s'établir auprès de lui [33].
39. La colonne traversa Koningoro et Moyako pour gagner Kyèfiñdugu [18, 33, 4361.
40. Après avoir enlevé Kyèfiñdugu, les Konyãnké détruisirent de nombreux villages du Gbè septentrional, dont Bagbè (dont les ruines existent à 3 kilomètres à l'ouest de Tanãntu), Vafèrèdugu, Kozima (= Koonze, Kozin) et Sénéni (près de Gbèsoba) [47].
Plus à l'est, les guerriers de Wanino avaient détruit Mabèdugu (non identifié) avant de rejoindre Saghadyigi à Tanãntu.
La résistance du Gbè était affaiblie par les attaques que Vakuru Bãmba, installé à Dèsènè (Fina), lançait depuis des mois sur sa frontière orientale. Vakuru, prudent, arrêta ces raids dès que Saghadyigi eut imposé son autorité [427].
41. La composition du conseil, à la veille de la chute de Gbãnkundo aurait été la suivante [5] :
L'influence de Dofètèrè aurait été particulièrement forte, ce qui est naturel puisque Gbãnkundo se trouvait dans son territoire.
Momo, par contre, ne parait pas y avoir délibéré. Les gens de Lenko qui l'avaient suivi étaient peu nombreux et, peut-être, était-il suspect en tant qu'oncle de la première femme de Samori. Il était de toute façon extrêmement âgé [4] (42).
42. A 4 kilomètres au nord de Sidikidugu. Cet événement doit se situer peu après le ralliement du Girila à Saghadyigi [5, 34].
43. Tous les Fula du Gwana ne fuirent pas. Parmi leurs chefs, Mundyagi Sidibé de Tyakuni se soumit et épousa Dyamuni, fille de Saghadyigi [18].
44. Morisoko, prudent, ne semble avoir pris aucun engagement. Il se ralliera à Samori après la bataille de Manãnkoro. Les gens du Gbè et du Mau, trop éloignée, en feront autant [34].
45. La tradition signale des contingents du Banimonotyè (Bougouni), du Kurulamini (Ntèntu), du Tyèmmala (Gbaralo, Garalo), du Nyènédugu (Maféléba), du Bilàntuma [12, 298, 299, 301, 307, 308].
46. La chronologie du siège de Gbãnkundo demeure imprécise. La campagne du Wasulu avait retardé Samori, lui enlevant l'espoir d'attaquer avant la rentrée des récoltes. Il semble s'être trouvé vers décembre à Sanãnkoro où il poussait activement ses préparatifs.
Le 30 janvier, Borgnis-Desbordes, à la veille d'occuper Bamako, le signale « dans le Wasulu », mais il semble s'agir d'une direction, plutôt que d'un renseignement précis. A cette date, la campagne du Wasulu était terminée puisque Sérè-Brèma se trouvait dans le Mãnding.
Toutes les traditions affirment d'ailleurs que Samori apprit l'affaire de Wèyanko, qui eut lieu en avril, sous les murs de Gbãnkundo [1, 4, 5, 10, 18]. Le siège, commencé avant l'hivernage, s'acheva au début de la saison sèche suivante. Il aurait duré selon mes informateurs un nombre de mois variant de 7 [5]. à 8 [1] et 9 [10], 3 pour Kalil Fofana.
Le journal de poste de Bamako signale la chute de Gbãnkundo dans une entrée du 20 décembre 1883 et annonce que Samori concentre les troupes pour attaquer le Fitaba et le «Tiendougou». Il s'agit donc d'un événement datant déjà de plusieurs semaines.
Je propose de situer la prise de Saghadyigi en novembre 1883. En admettant que le siège ait duré 9 mois, il a débuté en mars. Si l'on tient compte de la marche sur Beyla et du combat de Manãnkoro, Samori a dû quitter Sanãnkoro à la tête de son armée en janvier ou février 1883.
Il n'est pas possible de déterminer s'il avait déjà appris l'occupation de Bamako par les français ou s'il croyait encore aux vantardises de Kémé-Brèma. Il est en tout cas dans la logique de son action qu'il ait poursuivi la campagne sans s'en laisser détourner. D'où sa fureur quand il apprit l'offensive inopportune de son frère.
47. Il semble que la proximité de la garnison de Sokurala ai empêché jusque là la défection de Dyakolidugu. Famoridyã Dõzo de Nyõsomoridugu, qui subissait l'influence de Nyama, se rallia également, privant ainsi Saghadyigi des cols du Fõ et par là même des secours du Buzyé [19, 20].
48. Ce Manãnkoro est situé dans le Gwana, 8 km. à l'ouest de Morifiñdugu, 3 km. au nord de Fèrèboridugu (A distinguer de Manànkoro du Haut Konyã) [5, 18, 31].
On ne peut rien tirer du récit confus de D. Traoré (1934) que tous les informateurs locaux contredisent et qui ne connaît pas le pays. Ses erreurs sont flagrantes. Personne ne connaît cette Sani, dont il fait l'épouse favorite de Saghadyigi. [5] suppose qu'il l'a confondue avec Sèni, épouse de Tyèba.
D. Traoré écrit que le griot de Saghadyigi, à la veille du combat, alla défier Samori à qui il présenta un panier de kolas et une pièce de toile blanche. « Ceci va t'aider car les poux de tes haillons te tourmentent sûrement. » Samori lui donna alors dix charges de poudre « pour sauver son honneur en se battant un peu ». L'anecdote serait vraisemblable si la source était plus sérieuse.
49. Saghadyigi, rattrapé à Nyokorogbèdu au pied du Mafyãntini, essaya en vain de résister. Il s'enfuit à pied à travers le massif mais fut de nouveau surpris par la cavalerie quand il déboucha sur le versant nord Sõnsadugu. Il parvint encore à s'échapper [5, 31].
50. Selon [5], il y aurait huit jours entre l'affaire de Manãnkoro et l'arrivée de Samori devant Gbãnkundo. Traoré (1934) parle de 13 jours, mais n'est pas digne de confiance.
C'est au cours de ce séjour à Musadugu que Samori intronisa comme chef Dyõngbè-KumbaIa Doré, fils de Vãfiñ, qui était son prisonnier depuis Worokoro [22].
51. On signale le ralliement de Kamori, chef du Kwisu, et de Kura-Nyama du Mahana. Le chef du Girila, Morisoko, qui était neutre jusque là, fournit de son côté un important contingent [23, 24, 25, 34].
52. En rompant ces dernières négociations, Samori aurait déclaré : « je mangerai le manioc de Gbãnkundo, même s'il doit être préparé avec du sang » [5].
53. Samori occupait une enceinte située à l'emplacement du hameau de Manyadugu, et Manigbè-Mori était installé près de lui. Il y aurait eu au total 9 sanyé bloquant le sud du Gbãnkundo-Kuru [5, 18].
54. Dugugbè-Kaba jouait double jeu puisqu'il avait envoyé un contingent contre Gbãnkundo. Son frère aîné, Borè-Sèko Koné, fut tué durant le siège dans les rangs de Samori [37].
55. Après le troisième assaut, Samori envoya à nouveau Bolu-Mamudu en pays Bambara pour réclamer des', renforts. C'est ainsi que les gens de Bougouni, envoyèrent un second contingent [12, 348].
56. Pour dissimuler la faiblesse de ses effectifs, il aurait placé en vue de l'ennemi des enfants et des femmes déguisés en hommes et munis de fusils de bois [10].
57. On nous dit que Saghadyigi, qui dirigeait ces sorties, craignait qu'une contre-attaque ne le coupât de la montagne et attendait à mi-hauteur le retour de ses gens. La tradition rapporte le chant de victoire qu'entonnaient les gens de Gbãnkundo :
« Alla-la, a ka gbã ka gbâ kuru-koro
Nin kèlè tè wa mori bolo »Par Dieu, il fait chaud - fait chaud sous la montagne.
Cette guerre n'ira pas dans la main des musulmans » [5].
(Traduction établie avec l'aide de Sékéné-Mody Sissoko et de Camara Laye).
58. Les trois kuntigi qui trahirent s'appelaient :
Ils auraient été contactés par un émissaire de Saghadyigi qui fit appel à leurs sentiments animistes. « Samori a tué vos pères et vous a saisis. A présent, il vous oblige à vous faire musulmans et il vous maltraite. Ralliez-vous à moi, je serai votre frère ». Après avoir délibéré, les trois sofas décidèrent de ne pas changer de camp mais commencèrent à envoyer des charges de poudre aux assiégés.
Peu de temps après, un incident violent opposa Saghadyigi au vieux Mamadi Dumbuya, qui était le griot de son oncle Dyènté. La piété musulmane du vieillard paraissait sans doute suspecte dans dette ambiance obsidionale. Saghadyigi voulut l'obliger à boire du dolo en public, mais le griot refusa « J'ai toujours été fidèle à ta famille et ton père (Dyènté) me respectait ». Mamadi, insulté, s'enfuit chez l'ennemi en pleine nuit. Arrêté par une sentinelle, il fit réveiller Samori à qui il déclara qu'il voulait aider à sauver l'Islam et dénonça la trahison des trois kuntigi. Samori fit chercher Manigbè-Mori à qui Mamadi indiqua le chemin que les porteurs de poudre devaient suivre la nuit même. A premier chant du coq, les cinq porteurs furent surpris, par des sofas cachés dans les hautes herbes au moment où ils quittaient le camp avec leurs charges.
Emmenés devant Samori, ils avouèrent que c'était leur sixième voyage. Le Faama les fit mettre au secret et ordonna pour le lendemain une danse Mughu (« poudre »). Il s'agit de la cérémonie d'allégeance, durant laquelle les kuntigi dansent successivement devant leur maître, à la tête de leurs hommes, avant de se prosterner pour lui rendre hommage. La danse terminée, tous les chefs assis autour de lui, Samori fit comparaître les porteurs avec leurs charges de poudre :
#151; « Je vous pardonne si vous rendez vos charges à ceux qui vous ont envoyés ».
Les porteurs, tremblants, posèrent leurs ballots devant les trois coupables. Samori les jugea aussitôt.
#151; « Les sofas sont à moi, non à vous : c'est moi qui vous les ai donnés. Les kuntigi doivent rester dans ma main ».
Il les fit aussitôt décapiter [10].
Dans la version de Kalil Fofana (p. 13), Fundubala-Faduba devient Forobaro Fadua et Sékoba Korõmba, Korõmba Bibi.
59. Pour la chute de Gbãnkundo et la mort de Saghadyigi, je suis la version de [5]. Cet informateur, ancien chef de canton du Simãndugu et parent éloigné de Momo est particulièrement sérieux et de nombreux renseignements recoupent les siens qui sont souvent inconciliables avec la tradition recueillie par Kalil Fofana. Voici cette dernière, pour l'épisode de la fuite :
« Samori réussit à suborner la favorite et le griot de Sadji. Et la victoire lui fut assurée le jour où la femme de Sadji imbiba toute la maigre réserve de poudre de son mari. Cependant, Sadji aurait pu s'échapper à la faveur d'une nuit particulièrement sombre si les vociférations sciemment lancées du haut de la colline par le griot n'avaient pas signalé sa fuite. En effet, le griot, dans un accès de sentimentalité feinte et inopportune ne cessait de crier « n'djãti tara kãnto ! » (Mon hôte m'a abandonné). (Transcription correcte : « dyatigi tara ka n'to »). Enfin l'heure de la victoire de Samori avait sonné. Sadji fut rattrapé et décapité... avec sa favorite et son griot » (p. 13).
La femme qui mouilla la poudre est peut-être connue de notre version puisque celle-ci précise que Masabori avait été surpris en adultère avec une épouse de Saghadyigi et avait reçu pour cette offense cent coups de chicote. Il est vrai que cette traîtresse ne fut pas décapitée puisque Samori la donna à son amant après la chute de la place [5].
60. Cette escalade les menait vers la cote 1024, 4 kilomètres à l'est de Gbãnkundo. Jusqu'au dernier jour, le village des assiégés, dont les cases s'entassaient sur la crête, avait échappé à la vue des assaillants. Ceux-ci donnèrent l'assaut en improvisant un chant qui est devenu célèbre :
« Sè wara, mori sè wara, ma kuñ ». «
C'est gagné, les musulmans ont gagné. Taisez-vous » [5].
61. Momo rentra à Lenko où il mourut de vieillesse peu après. Masabori restera fidèle à Samori jusqu'en 1893 [4].
62. Il était accompagné d'une petite troupe qu'il avait certainement choisie avec soin. Avec lui fuyaient ses frères Sagha-Usu et Dyoini-Sinè ainsi que ses fils Kagbè-Férè et Kãfiñ-Fèrè.
Les traditions fixent toutes la prise de Saghadyigi au lendemain de sa fuite. Le 31 janvier 1884, le journal de Bamako écrira cependant qu'il fut pris trois jours plus tard. Dubadugu n'est qu'à 50 kilomètres de Gbãnkundo. Bien que le pays soit très montagneux, des cavaliers peuvent couvrir cette distance dans la journée. Rien ne prouve cependant que les poursuivants aient appris aussitôt où allaient les fuyards [5, 18].
63. Les gens de Dubadugu disent que leurs ancêtres tuèrent le cheval de Sagha-Usu, qui déclara orgueilleusement qu'il ne poursuivrait pas sa route à pied. Saghadyigi s'assit alors à côté de son frère et décida d'attendre l'ennemi [24].
D. Traoré (1934) est, pour une fois, d'accord avec la tradition locale.
64. Dyoini-Sinè tira quelques coups de fusil, tuant deux ou trois sofas [18].
En 1938, les gens de Dubadugu, qui cultivaient à cet emplacement, trouvèrent des vieux canons de fusil et des sabres. Ils montraient encore en 1958 l'endroit où Saghadyigi aurait été attaché après sa capture. Il aurait jeté dans la rivière son or et ses amulettes avant d'être pris, mais personne n'en a rien trouvé depuis.
65. Muru-Mughu-Dõ - « Danse du sabre et de la poudre » (Voir 3ème Partie - Chap. 11).
66. Les prisonniers furent ramenés à cheval par Beyla, Musadugu et Famoéla. A 1 kilomètre de Gbãnkundo ils mirent pied à terre et entrèrent dans le village à pied, les bras liés dans le dos aux poignets et aux coudes [5]. Ils arrivèrent durant la danse du sabre et Samori, prenant la foule à témoin, rappela à Saghadyigi diverses rencontres, toujours hostiles. « Je t'ai vu à Gbabadu (en 1863) puis à Nyõsomoridugu, tu m'as même envoyé une de tes filles à marier, mais en des termes injurieux (en 1881). Je t'ai proposé en vain la paix et salut de ton âme (conversion à l'islam) »... Il lui reprocha ensuite le meurtre de Kolo et son obstination.
Le vaincu garda le silence tandis que le jeune Kãfiñ-Fèrè couvrit le conquérant d'injures grossières. « Nous sommes les maîtres du pays et nous ne voulons pas que des colporteurs se placent au-dessus de nous. »
C'est alors que Samori prononça les paroles de Dalanina et se retira. Bilali remit aussitôt les prisonniers à Sè-Misa. On emmena Saghadyigi et sa suite en contrebas où ils assistèrent à la mise à mort de leurs partisans capturés. Sè-Misa emmena les chefs un peu plus loin et les décapita de sa main. Kãfiñ-Fèrè d'abord, puis Saghadyigi et Sagha-Usu. Le jeune Kagbè-Férè fut circoncis préalablement car la coutume interdisait de décapiter enfants. Toute la famille ne fut d'ailleurs pas exterminée. Les plus jeunes fils de Saghadyigi, Torigbè-Mamadi et Kagbè-Sètu, furent épargnés et nous avons pu les interroger en 1958. Les Français nommeront le premier chef canton de Gbèrèdugu [18].
Samori fit bouillir la tête du vaincu dans de l'eau salée, ce qui devait empêcher, selon les croyances du Konyã, le commandement de revenir dans cette famille [5, 18].
J'ignore où D. Traoré (1934) a recueilli les légendes de saveur animiste qu'il rapporte à ce propos. A l'en croire, Samori ayant interdit d'enterrer Saghadyigi, une termitière haute et blanche se serait élevée sur le cadavre dès la première nuit. Il se forma ensuite un étang très poissonneux qui existerait encore au pied de Gbãnkundo. Il n'y a en réalité aucun étang près de cette montagne.
67. Ceci confirme la modération relative de Samori après la chute de Gbãnkundo puisque le Sè-Sumala, le Salagbala et le Famoéla, qui avaient soutenu jusqu'au bout Saghadyigi, furent reconstruits. Vasilè Kamara, de Famoéla s'était d'ailleurs soumis en compagnie de Momo [4, 18].
Cependant, la chefferie des Kõndé ne fut pas rétablie dans le Salagbala. Samori confia la région à Karamoghofiñ Kamara, fils de Dyi, l'ancien chef de Sõndugu, et, depuis une quinzaine d'années, prisonnier de Saghadyigi. Ce libéré s'installa à Farawonindu et allait rester jusqu'au bout fidèle à Samori [5].
68. Dans le Haut Konyã proprement dit, l'hégémonie passa de Musadugu à Dyakolidugu, sous les ordres de Kaabinè Kuruma. Les Doré de Musadugu en garderont de la rancoeur. Parmi les Kamara, Samori confirma Kamori de Mimaro au commandement du Kwisu.
Dans le Mahana, Naka Nyamã de Nyaulãndugu l'emporta sur Kura-Nyamã de Soba.
Dans le Girila, Morisoko, de Lãsèydugu, se maintint sans surprise [19 à 25]
69. Dès le mois de novembre 1883, le bruit courait à Bamako que Samori rentrait à Bisãndugu et allait s'installer à Dègèla, près de Bamako, pour attaquer les Toucouleurs.
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Fulbright Scholar. Rockefeller Foundation Fellow. Internet Society Pioneer. Smithsonian Research Associate.