Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages
La guerre fut engagée au mois d'avril 1887 dans une ambiance d'euphorie. Les préparatifs avaient débuté depuis la signature du traité de Kényéba-Koura en mars 1886. L'AImami avait mobilisé pour la circonstance des forces considérables.
Le gros des forces du centre et de l'ouest avait été dirigé sur Sikasso ; seules des garnisons symboliques avaient été laissées dans le pays pour le maintien de l'ordre.
Cependant avant de se rendre personnellement sur le front, l'Almami Samori, dans le souci d'assurer ses arrières, s'était rendu à Fabala pour « vider un abcès » dont l'existence datait de l'année 1881 lorsque Séré Bréma leva à la hâte une armée pour se porter au secours de son neveu Morlaye fait prisonnier à Sirinkoro dans le Sankaran.
Le Tôron avait, à cette occasion, manifesté une attitude équivoque : Founsoun Kaba Konaté, cet ami des premières heures de Samori, était mécontent. Voulait-il se racheter auprès des siens de son acte de trahison pour avoir permis à la troupe de Samori de s'introduire nuitamment dans l'enceinte fortifiée de Komodougou ? Et/ou voulait-il assouvir une vengeance à cause d'une ambition déçue ?
Toujours est-il que Founsoun Kaba fut considéré par l'Almami comme l'instigateur du « complot » qui aurait empêché le Tôron de prendre fait et cause pour lui dans son différend avec Séré Bréma.
Djoua Konaté, notre informateur de Fabala raconte :
On ignore toujours comment l'affaire fut jugée mais la sentence resta légendaire de sévérité. En effet tous les chefs considérés comme suspects furent décapités, Founsoun Kaba le premier, au bord d'un ravin situé à l'est du village de Fabala.
Le ruisseau qui coule là a été dénommé depuis lors, « Konaté Kô » ; son eau devenue tabou ne peut plus être consommée par tous ceux qui se réclament du clan Konaté.
Persuadé que plus rien ne subsistait de suspect à l'intérieur du pays, le conquérant mit le cap sur Sikasso. Il engagea les hostilités avec l'espoir d'en finir assez vite, comme d'habitude. Les assauts lancés contre Sikasso n'eurent aucun succès. Un siège en règle fut alors organisé en vue de réaliser un blocus qui aurait contraint l'ennemi à capituler.
Mais Sikasso s'abritait derrière une véritable citadelle avec son périmètre de plusieurs kilomètres et ses remparts hauts d'au moins cinq mètres et larges de sept à la base.
Dans l'enceinte l'inexistence des toits de chaume rendait inopérantes les tentatives d'incendie par lancement d'étoupes enflammées au bout des flèches.
Par ailleurs les potentialités économiques à l'intérieur permettaient d'assurer pour longtemps les besoins minimaux en vivres et en eau. Les superficies cultivables étaient suffisantes à cet égard.
Un cours d'eau traversait la citadelle de part en part sans présenter de danger pour la sécurité car les marécages rendaient impossible son utilisation comme voie de pénétration.
Les mois s'écoulaient sans résultat tangible et le temps travailla assez rapidement contre les assaillants : les stocks de vivres et de munitions s'épuisaient vite ; avec l'hivernage les convois de ravitaillement arrivaient à une cadence de plus en plus lente. Les cargaisons étaient en effet transportées à tête d'hommes, en traversant de vastes étendues de pays sans gîtes d'étapes, sur plus de cinq cents kilomètres, à partir de Bissandougou. La sécurité des convois était d'autant plus aléatoire que leur trajet traversait obligatoirement le Wassoulou et le pays Bambara qui acceptaient mal leur intégration à l'empire.
Si les Bambaras se contentaient de refuser l'hospitalité aux porteurs, les Wassoulounkés eux, ne se gênaient pas de les piller, voire de les dépouiller complètement.
En outre, les conditions imposées aux porteurs étaient draconiennes, inhumaines : ils devaient se contenter de la maigre ration accordée au départ, et ce malgré les efforts surhumains qui leur étaient demandés. Ils furent assez nombreux, paraît-il, à mourir de faim en cours de route à côté de leurs charges de vivres !
Sur le front de Sikasso, dans les rangs des assaillants, l'hygiène se relâchant avec l'hivernage, des épidémies de dysenterie firent leur apparition et provoquèrent de nombreux décès.
L'ardeur combative des sofas baissait considérablement.
On avait entamé l'année 1888 sans qu'aucun résultat significatif ne fût atteint.
Les valeureux kèlètigui, commandants de corps d'armée, mouraient un à un : Kèmè Bréma tombé dans un guet-apens, Maningbè-Mori, Massé Mamadi, Lankama N'Valy Kamara, etc., laissèrent un vide difficile à combler.
Pour aggraver une situation déjà si complexe, des nouvelles alarmantes parvenaient de l'intérieur du pays où la révolte se répandait.
Les troupes coloniales françaises, voyant l'Almami occupé, presque enlisé à Sikasso, n'avaient pas hésité à reprendre leur liberté d'action sur le fleuve Niger, en violation flagrante du traité de Bissandougou.
Le colonnel Galliéni avait fait tenir tous les gués du Niger par des détachements et pour parachever l'asphyxie de l'empire, il avait fait construire un fort à Siguiri, point de passage des caravanes en direction ou en provenance du Sénégal et du Sahel ? À l'intérieur du pays, l'effort de guerre avait ruiné l'économie, semant la famine et la désolation, les récoltes étant saisies pour approvisionner le front du siège.
Le portage faisait des ravages parmi la population valide. Au mois d'août 1888, la nouvelle de la mort de Lankama N'Valy se répandit comme une traînée de poudre. Cette information vite déformée, l'on apprit partout dans l'empire que l'Almami Samori était mort!
Comme la plupart des fausses nouvelles, celle-ci eut la vie dure et s'amplifia en s'altérant au gré des imaginations. On commença à insinuer que sa succession irait à son ami, le griot Morifindian Diabaté, pour présider aux destinées de l'empire.
Dans cette société Malinké où les hommes de caste n'avaient jamais accédé auparavant à de telles responsabilités avant le règne de Samori, les conséquences politiques de cette fausse information ne se firent pas attendre.
Dans le Konia, Massaran-Mamadi, frère de l'Almami, entreprit aussitôt une « tournée du seigneur » dans la région qu'il considérait déjà comme sa part d'héritage.
Les révoltes éclatèrent presque partout, les garnisons symboliques de sofas ayant été massacrées. Dans les zones limitrophes du fleuve Niger, les agents stipendiés des troupes coloniales répandaient à profusion ces fausses nouvelles.
L'Almami Samori comprit qu'il était temps de lever le siège pour reprendre en main, et au plus vite, une situation qui se dégradait dangereusement : l'empire était à deux doigts de sa perte, le constat était amer, il dut s'avouer vaincu. Mais comment lever le siège alors que les stocks de munitions étaient pratiquement épuisés ?
Fort heureusement, miraculeusement pourrait-on ajouter, un convoi providentiel de munitions fit son entrée sous la conduite de Bakari Touré 1.
Mamadi Oulén Cissé nous rapporte l'événement :
L'Almami Samori tint conseil, remercia chaleureusement son fournisseur, puis ajouta : « Puisque vous avez sauvé une situation on ne peut plus critique, vous méritez désormais d'être des nôtres en intégrant la famille. L'héritage de feu mon frère Maningbè-Mori vous est acquis y compris son épouse Mabrouké Traoré 2. En outre vous assumerez désormais le commandement du Sankaran, en lieu et place de feu notre regretté Lankama N'Valy. »
Interrompant alors son père, Managbè-Mamadi l'aîné des fils de l'Almami déclara :
« Maintenant que tu as échoué devant Sikasso, tu dois comprendre que ton étoile est tombée et que c'est à moi qu'il revient désormais de disposer des attributs du pouvoir ! »
Sous les encouragements des griots, il enchaîna : « Tu as réduit ton père Lanfia à la hauteur du poignet de la main, moi je te réduirai à la hauteur de l'épaule ! »
Puis se faisant menaçant en brandissant son sabre, il allait passer aux actes lorsqu'il fut maîtrisé et mis aux fers comme un fou. Les griots furent tous exécutés.
C'est donc dans un état d'extrême tension que l'Almami donna l'ordre de lever le siège.
Accompagné d'une escorte légère, il traversa lui-même le Wassoulou par étapes forcées. Misant sur l'effet de surprise et pour faire des exemples dont les échos ne manqueraient pas de se répandre il frappa avec une grande sévérité. Le premier village victime fut Samamouroula, rayé de la carte. La terreur se répandit partout, les sofas ne faisant pas de quartiers. L'effet pyschologique fut immédiat car à l'approche des colonnes de sofas, les villages se vidaient de leurs habitants, abandonnant tous les biens. La répression fut terrible contre les villages en rébellion. L'Almami confia à Morifindian Diabaté, Djaoulén Karamo, Kötö Alama, Bilali, Kèmè Lansé, etc., le soin de rétablir l'ordre partout où il était compromis.
Notes
1. Cf note 10, page 36.
2. Originaire de Famoila, grand-mère maternelle du
général Lansana
Diané, compagon de Sékou
Touré, très populaire pour son amour de la vérité.
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