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Histoire


Ibrahima Khalil Fofana
L'Almami Samori Touré. Empereur
Récit historique

Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages


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Chapitre IX
La résistance à la pénétration des troupes coloniales

L'Almami Samori se porta lui-même contre les postes français échelonnés de Siguiri à Niagassola. Le sort de ces garnisons devint critique du fait que le gros des troupes coloniales du Soudan était encore engagé contre l'armée Toucouleur de Ségou.

Confrontées avec Ahmadou Tall, attaquées dans le dos par l'Almami Samori, ces troupes risquaient de subir un véritable désastre. Archinard fut prompt à le réaliser et prit l'initiative d'engager des négociations de paix avec l'Almami. La construction du fort de Siguiri avait rendu caduc le traité de Bissandougou. L'Almami était en conséquence libre de ses mouvements. La visite du major Festings au siège de Sikasso rajoutait aux inquiétudes du commandement des troupes coloniales françaises. Cependant après le désastre de Sikasso d'où il sortait profondément ébranlé, l'Almami Samori n'avait pas tellement le choix ; il accepta de négocier.

Un nouveau traité fut conclu et signé à la hâte le 21 février 1889 à Niako. Ce nouveau document était à peine différent du précédent signé à Bissandougou : on y réaffirmait les mêmes engagements et pour tromper une fois de plus l'Almami on précisait à l'article 4 : « En aucun cas les troupes de l'une des parties contractantes ne pourront franchir le Niger sans autorisation de l'autre partie

Cette affirmation suffisait-elle à rassurer l'Almami, après le coup de poignard perpétré dans le dos alors qu'il était confronté aux pires difficultés devant la citadelle de Sikasso ? Il ne se faisait sans doute pas d'illusion sur le sens du respect de la parole donnée chez ses partenaires, mais, répétons-le, il n'avait pas le choix.

Le répit obtenu après la signature du traité de Niako avait été mis à profit par les troupes coloniales pour arracher à Ahmadou la formidable forteresse de Koundian, pour conquérir ensuite, coup sur coup, Ségou et Nioro.

Les conséquences de ces victoires ont été particulièrement néfastes pour l'empire samorien. La totalité des troupes coloniales a été rendue disponible pour le combattre. La défaite d'Ahmadou était à peine consommée qu'Archinard faisait construire un poste à Kouroussa, amputant du coup l'empire des riches contrées du Oulada et du Baleya.

Cette violation du traité de Niako était suffisamment grave pour provoquer une réaction immédiate de l'Almami Samori. Il réagit en effet, mais en partenaire loyal ; il se contenta de renvoyer le document du traité à Archinard pour marquer sa désapprobation de l'agression dont il était victime.

La provocation d'Archinard entrait dans le cadre d'un dessein bien arrêté : éliminer Samori après Ahmadou. Pour ce faire il avait tenté de pousser Tyéba à attaquer l'Almami dans le dos à un moment qui aurait été choisi par lui, Archinard.

Il convient de souligner que Tyéba fit échouer ce plan car il refusa d'attaquer l'Almami Samori.

Archinard et Daye Kaba

Archinard était décidé à éliminer l'Almami Samori ; aussi forma-t-il une forte colonne qui partit de Nyamina le 10 mars 1891.

L'objectif visé cette fois par lui, eu égard à l'importance des atouts qu'il détenait, était de provoquer l'effondrement de l'empire. À cette fin le commandant des troupes coloniales misait sur l'effet psychologique de l'occupation de Kankan et de Bissandougou. Il amenait avec lui Daye Kaba l'ennemi juré de l'Almami Samori Touré. Il emportait quelques pièces d'artillerie, celles qui étaient venues à bout de la forteresse de Koundian.

L'Almami tenait garnison à Niako où il avait entrepris de reconstituer son armée. Il revint précipitamment vers le centre de ses États et opposa une résistance énergique à l'avant-garde française près de Kankan. Pris au dépourvu et devant la supériorité de l'ennemi mieux armé, il devait cependant céder du terrain jusqu'à Bissandougou.

Cette marche forcée à travers un pays inconnu, face à un adversaire au contraire très à l'aise sur le terrain, éprouva sérieusement la colonne française, dont le moral fléchissait dangereusement.

L'Almami avait adopté une tactique de guérilla mettant à rude épreuve les nerfs des soldats. La surprise pouvait surgir de chaque buisson et la journée pouvait s'achever le plus souvent sans qu'aucun bilan significatif n'ait pu être établi. Les troupes coloniales prétendaient aller délivrer des populations qui ne manqueraient pas de les accueillir en libérateurs. Au contraire, elles ne rencontraient que le vide et le ravitaillement connaissait des difficultés énormes et croissantes. Elles furent contraintes de rebrousser chemin.

Baturba-Laye Chérif et Daye Kaba

Sur le chemin du retour, à bout de force, le colonel Archinard rentra à Kankan le 11 avril 1891.

Il destitua Baturba-Laye Chérif que l'Almami Samori avait installé lors de la capitulation de la ville. Il restitua le pouvoir aux Kaba en la personne de Daye Kaba dont la mission consistait à servir désormais de tête de pont pour les opérations futures. Une garnison fut installée à demeure pour empêcher l'Almami de reprendre Kankan.

Comme on peut le constater Archinard n'avait pas obtenu le soulèvement populaire, l'effondrement de l'empire, encore moins la défaite et la soumission de l'Almami Samori.

Cet échec des troupes coloniales provoqua beaucoup d'amertume dans certains milieux parisiens car il venait en rajouter à la liste déjà longue de ceux subis par Borgnis-Desbordes et consorts.

Une véritable campagne de sensibilisation en direction des parlementaires fut orchestrée en vue d'obtenir des crédits substantiels. Pour faire pression sur les parlementaires la presse donna « de la grosse caisse » pour ameuter l'opinion publique. Le journal Soleil de M. Deloncle, qui avait été muet sur la visite de bonne volonté de Djaoulén Karamo en 1886, s'est particulièrement illustré dans cette campagne.

Campagne de 1891

Les crédits obtenus, une nouvelle campagne de destruction de l'empire samorien fut organisée.

Elle débuta en décembre 1891. Partie de Siguiri, la colonne française sous les ordres du lieutenant-colonel Humbert emportait cette fois un supplément de quatre canons.

Elle était forte de plusieurs centaines de tirailleurs et d'auxiliaires.

L'Almami Samori avait, quant à lui, mis à profit la trêve de l'hivernage pour organiser la défense du territoire. Il était désormais convaincu de la détermination des Français à l'éliminer s'il n'acceptait pas de se soumettre ; or il ne concevait pas de dignité sans liberté. Son option étant ainsi faite, il se prépara à la résistance.

Dans ce but il avait convoqué une grande assemblée de tous les dignitaires de l'empire à Missamaghana en août 1891.

On y notait la présence de son gendre Mangbè-Amadou Touré, roi du Kabassarana en Haute-Côte d'Ivoire, avec Odienné comme capitale.

A Missamaghana on avait dressé un plan méthodique d'organisation de la campagne de résistance. On avait constitué des stocks importants d'armes et de munitions. Dans cet objectif tous les bijoux en or avaient été collectés pour financer les achats. Les ustensiles en cuivre et en laiton avaient été drainés vers les armureries de Tèrè pour être fondus et transformés en balles de fusil. Les entrepôts avaient été copieusement garnis de grains et de tubercules. L'Almami avait procédé au recrutement de contingents importants de nouvelles recrues à incorporer dans les rangs des sofas.

A Bissandougou il avait regroupé les armées de l'Ouest et du Sud, qui en avaient fini avec la mission de pacification du Sankaran et du Konia, suite à la révolte.

Le lieutenant-colonel Humbert arriva à Kankan le 6 janvier 1892 pour en repartir dès le 9 en direction de Bissandougou. Ce « coup de poignard dans le cœur de l'empire » était bien perçu comme tel par tous les combattants.

Très motivés et déterminés à se battre avec la dernière energie, les sofas opposèrent une résistance farouche au passage de chaque marigot.

Le premier choc important eut lieu le 11 janvier 1892 au marigot Soumbé, près du village de Gbotöla, à quarante kilomètres au sud de Kankan.

Dès l'aube de ce 11 janvier les sofas s'étaient tapis au plus épais des buissons couvrant les rives du marigot.

La colonne française fut accueillie presque à bout portant par une fusillade meurtrière. Les feux nourris des mitrailleuses et les tirs d'obus apportèrent la riposte en occasionnant de larges brèches dans le dispositif de défense des sofas.

L'Almami ordonna le repli et les deux sections de l'armée firent leur jonction plus au sud sur les rives du marigot Diamankô, à quatre kilomètres de Bissandougou.

Des renforts arrivèrent opportunément sous les ordres de Morifindian Diabaté et de Djaoulén-Karamo.

L'enjeu était à présent la défense de Bissandougou, capitale de l'empire. Les combats y furent particulièrement violents : les troupes coloniales mirent un jour et une nuit pour franchir les quatre kilomètres (du 11 au 12 janvier 1892).

L'Almami avait fait évacuer la cité, les réserves de vivres et de munitions ayant été transférés plus au sud. Il avait ordonné d'incendier toutes les cases.

Les pertes subies dans les rangs des sofas étaient énormes mais l'ennemi avait aussi senti le choc avec treize tués dont deux Français, vingt et un blessés dont cinq Français, onze porteurs tués.

La bataille du Diamankô reste l'un des épisodes les plus héroïques que la tradition a magnifié.

En effet, malgré le carnage opéré dans leurs rangs par les mitrailleuses, les sofas avaient tenu bon et une contre-attaque commandée au son du clairon sur la gauche des troupes coloniales avait faillit enlever toute l'artillerie ; seul l'effet de quelques tirs d'obus bien placés avait fait échouer cette manceuvre habile.

La prise de Bissandougou, la destruction complète de la place auraient dû produire l'effondrement visé par les troupes coloniales ; mais les sofas restèrent indéfectiblement liés à la personne de l'Almami Samori Touré. Tout au long de la traversée de cette région allant de Bissandougou à Kérouané, des combats sanglants ont marqué le passage de chaque cours d'eau important. Pour franchir les marigots Wassa près de Fabala, Diassa à Farandou et Tignèkö près de Kérouané, les troupes coloniales ont dû engager des combats dans un corps-à-corps acharné. Malgré la perte du plateau de Tonkoro où des cavernes abritaient les ateliers d'armurerie et la poudrière, l'Almami ne déposa pas les armes. Au contraire il entreprit de gêner l'ennemi dans son mouvement de repli sur Kankan.

Les garnisons laissées à Kérouané et à Bissandougou ne constituaient pas un obstacle insurmontable pour l'Almami s'il décidait de réoccuper le pays.

Mais l'empire avait été durement ébranlé dans ses fondements ; les sofas avaient fait preuve d'une bravoure exemplaire, ils restaient fidèles à l'Almami, mais ils sortaient meurtris par l'épreuve de force imposée par les agresseurs.

Devant une si cruelle réalité l'Almami convoqua une grande assemblée à Frankonédou le 9 mai 1892 pour faire le point de la situation et prendre les décisions conséquentes.

L'adversaire colonialiste avait démontré de façon évidente sa supériorité matérielle et technique. En outre il avait affiché sa détermination à détruire l'empire.

Après un inventaire minutieux des ressources humaines et matérielles, l'assemblée de Frankonédou opta pour l'exode vers l'est. Elle estimait, en effet, que le déplacement de populations (personnes et biens) dans une région limitrophe ne posait pas de problèmes insolubles.

La situation à l'est, dans la région où l'on envisageait d'émigrer, était favorable, le Kabassarana du gendre Amadou Touré restait fidèle ; l'hostilité de Tyèba Traoré de Sikasso n'était plus à craindre car celui-ci était au plus mal avec les Français. Il amorçait d'ailleurs un mouvement de rapprochement avec l'Almami Samori : les facilités de circulation des convois de chevaux étaient assez significatives à ce sujet.

Par ailleurs l'histoire ne donne-t-elle pas des exemples de migrations de peuples fuyant la persécution ? Ces peuples étaient retournés dans leurs pays dès que les circonstances l'auraient permis. Ainsi l'exode fut considéré comme un moindre mal par rapport à la domination étrangère.

S'arracher à sa terre natale, avec tout ce qui constituait jusque-là la raison de vivre est certes très pénible ; mais le caractère temporaire qu'on affectait au mouvement en atténuait la dureté.

Enfin on pensait surtout que la lutte aurait cessé dès que l'on aurait évacué le pays tant convoité par les Toubabs, ignorant que l'on était de la nature impérialiste de la conquête coloniale.


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