1902 — 2003
Paris. Editions Nouvelles du Sud. 1995. 246 p.
Kangaba, nom donné par les Français à Kâba, sur la rive gauche du Niger, à 4 kilomètres du fleuve, est une petite ville d'environ 3 000 habitants située à 90 kilomètres au sud de Bamako. Elle s'étend sur un plateau latéritique dominé à l'ouest par une colline haute d'environ 100 mètres. Siège d'une circonscription administrative appelée « Cercle », Kangaba comporte plusieurs quartiers dont les plus importants sont :
Les deux premiers sont habités par les Keita Kandassi, dits Massaren ou Massalen, par leurs alliés et leurs anciens esclaves. On trouve aussi des Keita Kandassi à Figuira Djinkônô. Deux quartiers de pêcheurs Somono, Dambala et Gossola, se trouvent, eux, au bord du fleuve.
Il faut ajouter à ces quartiers, dont les maisons sont des cases rondes aux toits de chaume coniques, le quartier administratif regroupant les services officiels, bâtiments en pierres de taille ou en parpaings, aux toitures recouvertes de tôles ondulées. Il s'agit des bureaux du Cercle, du camp des gardes républicains, de la prison, des services de santé, des écoles, des services techniques, enfin de la résidence du commandant de cercle et du campement, situés sur la colline.
Nous n'avons malheureusement pas trouvé de description de Kangaba dans les récits des campagnes menées par les Français contre Samory et son allié dans la Haute Vallée du Niger, Mamby
Keita, roi de Kâba et Faraba. Nous savons seulement qu'en 1886, c'était « le village le plus important de toute cette partie du Niger 2 », et que, en 1888, les troupes françaises campèrent sous les remparts de la cité dévastée et déserte 3.
A cette époque, selon la relation du colonel Frey, les tata (remparts) qui entouraient chaque village sur le Niger avaient généralement 0,60 mètre d'épaisseur à la base, 2,50 à 3 mètres de hauteur 4.
Ces remparts étaient le plus souvent construits « en zig-zag », imitant ainsi grossièrement le tracé à crémaillère 5 et faits avec une sorte de « boue argileuse » à laquelle on mêlait « souvent de petites pierres dures, qui transformaient la maçonnerie en une sorte de béton très ferme 6 ».
Kangaba, ville royale, avait probablement des remparts aussi élevés que ceux de Minamba-Faraba, deuxième capitale de Mamby Keita en 1888, à 28 kilomètres en amont, qui, eux, avaient 4 mètres de haut 7 de même que leur tata intérieur, celui du roi.
Ceux de Dèguèla, à 6 kilomètres au nord de Kangaba, avaient
également 4 mètres de hauteur et 3 mètres d'épaisseur à la base,
de sorte que, en 1886, ce tata « était considéré comme une forteresse inexpugnable par les guerriers de Samory 8 ».
D'après nos informateurs, la muraille de Kâba, dyin ba (grand rempart, grand mur d'enceinte), dont il ne reste actuellement que quelques vestiges 9, était percée de 4 portes : à l'est, à l'ouest, au nord et au sud, appelées respectivement :
Le rempart, dyin ba, était divisé en dix sections portant des noms faisant allusion, dit-on, aux mansa (rois, empereur), aux hommes illustres et aux événements marquants survenus durant le règne ou la vie de ces personnages du Manden et de Kâba. Ces mêmes noms étaient également attribués aux dix classes d'âge (karé) entre lesquelles était et est encore répartie la population, hommes et femmes 11. La réfection de la muraille était effectuée par les dix « classes », chacun des karé devant réparer la portion qui lui était dévolue, même s'il n'y restait que quelques vieillards.
Le travail se faisait par rang d'ancienneté, d'aîné à cadet, la partie la plus abîmée étant réservée aux plus jeunes du karé. Cette division du rempart en dix, de même que celle des classes d'âge, symbolisait l'unité du Manden 12.
Le coeur de la cité, ou dyon futu ou furu (litt. : esclave, estomac), non malinké du bonnet, aux ruelles inextricables, était la citadelle habitée par le roi et sa famille. Appelé masa dyin « citadelle royale », ou so kono dyin « citadelle intérieure », le dyon futu était, comme son nom l'indique, entouré d'une muraille ne comportant que deux entrées, l'une au nord, l'autre au sud 13.
Deux pierres, l'une blanche, l'autre noire, situées à environ vingt mètres l'une de l'autre, étaient à la base du rempart clôturant le
dyon furu, côté sud, en direction de Kéla. L'enclos royal était considéré comme la protection de l'ensemble du royaume ; il était le « coeur du peuple », tandis que le dyin ba en était les poumons.
La terre de Kâba est chargée d'histoire. Elle aurait été à l'origine le lieu de rassemblement des chasseurs du Manden qui y célébraient une fois l'an les cérémonies du dankun sèla, rites propitiatoires de la chasse, sous la direction des Traoré à qui l'on attribue la propriété initiale des terres s'étendant autour de Kâba 14.
N'Fa Dijgui « Mon père Djigui » alias Makan Tâ Djigui « Djigui qui est allé à La Mecque », grand réformateur religieux devant l'Eternel et à qui l'on prête l'instauration des sociétés d'initiation malinké et bambara aurait séjourné à Kâba (probablement au lieu-dit Siriya) vers le milieu du 2e siècle de notre ère 15. Notons que tous les chefs de cultes mandingues invoquent ce grand prêtre Boula à l'occasion des sacrifices annuels à leurs boli (fétiches).
Un des plus illustres maîtres de chasse du Manden, Mamby Doumbia, Boula lui aussi, aurait longtemps élu domicile à Kâba.
Il faisait souvent des retraites spirituelles prolongées ainsi que des sacrifices sanglants au lieu-dit Siriya ; d'où sa devise connue de tous : « Kaaba Manbi, Siriya Manbi, Bolontomo Manbi, Kaaba ni karantè Nantènèn den Manbi », « Mamby de Kâba ; Mamby de Siriya ; Mamby de Bolontomo (qu'il a fondé) ; Mamby fils de Nantènèn (maître de la brousse s'étendant) entre Kâba et Karan 16 ».
Kâba devint par la suite un village des prêtres Kamara, des Boula également, qui y instaurèrent, en commun accord avec leurs alliés matrimoniaux, notamment les Traoré, les Konè et les Doumbia, de nouveaux lieux de culte, dont Kodogolen « chose cachée », Kon nèkè ba « grande clé du battant » (du sanctuaire), Kinni kama et mini-minin kàlàn « puits du tournoiement ».
Ils y édifièrent enfin une grande case dite ladyè blon « vestibule de réunion » ou Kuma blon « vestibule de la parole et des délibérations », sorte de sénat villageois où les patriarches des clans en présence débattaient des affaires communes 17.
Ces événements se situent bien avant l'invasion du Manden par les armées de Soumaworo Kanté, roi du Sosso. Lorsque celui-ci investit Kâba, les notables abandonnèrent leur sénat et regagnèrent l'île de Nanogoba-Goungoun située à 4 kilomètres de là, et où s'étaient retranchés les résistants malinkés 18.
Fakoli Doumbia, l'âme de la guerre de son oncle maternel Soumaworo Kanté aurait, à la suite de sa rupture avec ce dernier, rejoint les résistants malinkés 19.
Une assemblée extraordinaire réunit alors dans le vestibule Kuma blon de Kâba le « Manden tout entier ». L'ultime session de l'assemblée des conjurés contre Soumaworo Kanté se serait également tenue dans ce vestibule, cette fois-ci sous la présidence de Soundyata Keita rentré d'exil de Nêma 20.
La terre de Kâba accueillit également un hôte illustre en la personne du dernier né du fondateur de l'empire du Mali, Bèmba
Kanda dit Fa Kanda ou Bèmba Fa Kanda. Celui-ci élit domicile à 7 kilomètres au nord de la localité, dans un vieux village fondé par des Traoré, Farabanna, actuellement en ruines.
Ses descendants, les Keita Kandassi, n'auraient quitté ce lieu-dit pour Kâba que vers la fin du XVIe siècle, probablement à la suite de la décadence de l'empire du Mali.
Il y a tout lieu de croire que c'est Mansa Sèma, fils de Tènèmba Koman Koroba et père de Tènèmba Koman N'Tjîni, qui fut sinon le premier, du moins le plus illustre des Kandassi à s'être installé à Kâba, car la tombe de son père ne fait l'objet d'aucun culte dans cette localité, ce qui prouverait qu'elle n'y existe pas.
« Mansa Sèma, nous dit Baba Traoré, de Brazan, fut le premier Massalen à régner sur Kâba ; les mânes de son père se trouvent à Farabanna où, annuellement, les Kandassi vont effectuer des rites propitiatoires dits fa shu sòn « sacrifices aux mânes du père ».
C'est encore Massa Sèma qui fut le fondateur du Kama blon de Kâba. Il fit apporter de Kiniêro, à l'occasion de son mariage avec Naba Diola, fille de Massa Djola, alors prêtre du Kama blon de Kiniêro, la brique de fondation du sanctuaire de sa cité. (Celui de Kiniêro venait alors d'être restauré ; c'est pourquoi les cérémonies de réfection du Kama blon de Kâba interviennent un an après celles de Kiniêro.)
L'instauration de ce culte ajouta au prestige des Keita Kandassi de Kâba qui furent plus des hommes de tradition et de dialogue (dawia tigi ni makama tigi) que des chefs de guerre (kèlè mansa).
El Hadj Oumar Tall, conquérant toucouleur mort en 1864, aurait, sur le chemin de retour de La Mecque, béni leur maison et leur sanctuaire avant de leur remettre un exemplaire du Coran qui serait conservé dans le Kama blon.
Le plus célèbre, pour ne pas dire le seul Kandassi de « La vieille cité du Manden 21 » à avoir exercé le pouvoir ainsi que le métier des armes et ce avec un génie digne de son grand ancêtre Soundyata Keita — même si ce fut avec une vigueur frisant parfois la cruauté — fût « Kâba Mamby le roi des deux cités fortifiées ; Kâba Mamby le maître du fleuve Djoliba ; Kâba Mamby qui a sacrifié des humains à la pierre noire et la pierre blanche de Kâba ; Kâba Mamby qui a brillé au-dessus des têtes comme le soleil de midi 22 ».
Il fit alliance avec Samori Touré contre ses rivaux locaux et contre l'armée de conquête française. Battu par les Français, il mourut en déportation, comme son illustre allié, auréolé de la gloire du martyre.
Kâba célébra ses funérailles avec ferveur en organisant une impressionnante veillée au cours de laquelle les griots déclamèrent
jusqu'à l'aube les grands chapitres du masa dyigin 23.
Mais si les remparts ainsi que la cité royale (masa dyin) de Kâba, qui firent la gloire militaire de Mamby Keita, ne résistèrent point aux fureurs de la guerre, en revanche le Kama blon, dont le Manden tient son prestige moral, a échappé, quant à lui, aux destructions consécutives aux bombardements contre les troupes de l'Almany Samori Touré dont l'allié principal contre les troupes françaises était précisément Kâba Mamby Keita.
Beaucoup virent dans ce miracle la baraka de Dieu ainsi que celle des ancêtres des Massalen Keita de Kâba, en particulier Bèmba Kanda le Grand, Massa Sèma et Tènèmba Koman. « Kâba rassemble, unit et éclaire ; Kâba ne divise pas, surtout pas par la guerre », disent les griots des Keita.
C'est de nouveau confiante dans cette devise que la cité du Kama blon entra en 1887 dans ce que les Malinké appellent Tubabu tlé « le soleil des Français », autrement dit l'ère coloniale.
Depuis cette date ses hommes célèbres ont pour noms :
La célébration, tous les sept ans, des cérémonies de restauration du Kama blon est l'occasion pour les griots d'évoquer avec solennité et emphase l'histoire de Kâba, et par delà celle-ci, l'histoire du Manden. Ces évocations sont faites au cours de veillées nocturnes dont celles du masa dyingin organisées à Kéla et la nuit des griots célébrée dans le Kama blon à Kâba 24.
L'histoire du Manden a fait l'objet de nombreuses publications auxquelles nous renvoyons nos lecteurs 25.
Celle dont il va être plus loin question est une « histoire à part » centrée sur le Kama blon de Kâba et marquée de ce fait du sceau du sacré. Sa déclamation vise à célébrer le Manden, à magnifier ses grands hommes, et à proclamer à la face du monde la primauté en même temps que la permanence de ses institutions religieuses et de sa culture. Ici prennent tout leur sens ces vers déclamés par les griots lors de leurs processions autour du sanctuaire :
« Célébré ! Sanctifié ! Magnifié ! Le Manden est (aujourd'hui) sanctifié 26. »
Notes
1. Cf. p. 16.
2. Cf. Colonel H. Frey, Campagne dans le haut Sénégal et dans le haut Niger (1885-1886), Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1988, p. 169.
3. Cf. « Rapport manuscrit de Vallière sur la campagne de 1887/88 au Soudan français. Colonne du Bèlèdougou ». Archives nationales, Section Outre-Mer, Sénégal, IV 90 bis b.
4. Cf. Colonel Frey, op. cit., p. 53.
5. Cf. Fig. 19.
6. Cf. Commandant Gallieni, Voyage au Soudan français (1879-1881), Paris, Hachette, 1885, p. 552.
7. Cf. « Rapport manuscrit de Vallière, » op. cit., n° 2, et « Rapport du capitaine Lejeune sur l'opération contre Minambadougou-Faraba », Archives nationales, Section Outre-Mer, Sénégal, IV 90 bis b.
8. Cf. Colonel Frey, Zoe. cit., pp. 55 et 171.
9. Cf. Pl. A-1.
10. Il s'agit probablement du chemin qui conduisait au bosquet sacré appelé Koni dyè tu (cf. infra, p. 100).
11. Chaque karé ou kari comprend trois promotions de circoncis (cf. pp. 122-123).
12. Le nombre 10 ne peut en effet se réduire à 1 (cf. p . 49).
13. Cf. Fig. 1.
14. Selon une autre version, les terres s'étendant de la colline au fleuve (dont celles de Dogoflé) appartenaient aux Bla (Kamara-Doumbya).
15. Cf. infra, p. 101.
16. Cf. Y. T. Cissé. La confrérie des chasseurs malinké et bambara. Nouvelles du Sud, Ivry, 1994.
17. Cf. infra, p. 106.
18. Cf. infra, p. 106.
19. Cf. infra, pp. 147-148.
20. Cf. pp. 61-62.
21. C'est ce que proclame un « arc de triomphe » surmontant l'entrée de Kangaba, lorsque l'on arrive de Bamako.
22. Cf. infra, p. 103.
23. Cf. infra, pp. 114-122.
24. Cf. infra, p. 152.
25. Cf. Bibliographie générale.
26. Cf. infra, pp. 143-145.
[Home | Bibliothèque
| Histoire
| Recherche | Aser | Bambara | Bambugu | Bozo Jakhanke | Jalonke | Jawara
Kagoro | Kasonke Konyanke | Koranko | Lele | Maninka | Marka | Mau | Mikifore | Nono
Sankaran | Sidyanka | Soninke | Susu | Toronka | Wasulunka
]
Contact : info@webmande.site
webMande,
webAfriqa,
webPulaaku,
webFuuta,
webCôte,
webForêt, webGuinée, Camp Boiro Memorial
Semantic Africa, BlogGuinée. © 1997-2016. Tierno S. Bah. All rights reserved.